2008


ANALYSE

4-

Bonnes pratiques cliniques et aspects psychologiques

Dans le contexte de la prévention du suicide, les résultats issus d’une autopsie psychologique doivent s’appuyer sur une méthodologie de base rigoureuse, d’autant que cette méthode se trouve au confluent des champs de la recherche et de la clinique.

Approche méthodologique

À ce jour, il n’existe pas de protocole standardisé pour mener une autopsie psychologique. Cependant, il existe des éléments essentiels que doit prendre en compte, définir précisément et appliquer le protocole d’autopsie psychologique (tableau 4.Irenvoi vers).

Tableau 4.I Éléments essentiels d’une autopsie psychologique (d’après Younger et coll., 1990renvoi vers)

Définition des hypothèses primaires
Délimitation de la zone de recrutement dans le temps et l’espace
Définition précise de ce qui sera considéré comme un suicide
Description des qualifications cliniques et de la formation des interviewers
Protocole d’entretien standardisé, avec outil statistique
Discussion détaillée sur la manière de concilier des informations contradictoires
Avertissement sur le nombre de cas où les données sont manquantes ou insuffisantes pour en tirer une conclusion
Référence de l’outil diagnostique utilisé, si l’étude aborde la question d’un diagnostic
Sélection d’un ou plusieurs groupes témoins
Définition de ce qu’est un « bon » informant
Définition du nombre minimum d’informants par cas
Description de la manière dont les informants sont contactés puis avertis de la nature de l’étude

Hypothèses primaires

Pour réaliser une autopsie psychologique, des hypothèses primaires doivent être clairement définies. Elles constitueront l’épine dorsale de l’étude. L’angle d’attaque devra être défini en fonction d’un objectif se définissant par exemple comme la recherche des difficultés psychosociales ou celles d’un aspect plus biologique ou encore celles des recherches d’aide pour les proches endeuillés (tableau 4.IIrenvoi vers).

Tableau 4.II Principaux objectifs primaires de l’autopsie psychologique

Identifier et expliquer les raisons du suicide (Jacobs et Klein-Benheim, 1995renvoi vers)
Évaluer les facteurs de risque suicidaire que présentait la personne décédée (Jacobs et Klein-Benheim, 1995renvoi vers)
Comprendre pourquoi une personne a choisi de se suicider (motivation, psychologique ou philosophique)
Accumuler des données pour mieux comprendre le comportement suicidaire, dans une démarche de prévention (Ebert, 1991renvoi vers)
Évaluer l’implication d’un tiers dans le processus suicidaire (Jacobs et Klein-Benheim, 1995renvoi vers)
Disposer d’un outil de recherche pour aider à la compréhension et à la prévention du suicide (Jacobs et Klein-Benheim, 1995renvoi vers)
Disposer d’un outil thérapeutique afin d’aider les survivants d’un suicide (Ebert, 1987renvoi vers; Spellman et Heyne, 1989renvoi vers; Jacobs et Klein-Benheim, 1995renvoi vers; Delatte, 1999renvoi vers)
Dans le même temps, il paraît important de définir quels seront les objectifs secondaires. S’agit-il de diminuer la fréquence des suicides ? S’agit-il d’améliorer les services offerts aux proches ? Ces divers aspects requerront un matériel et des moyens différents. Afin d’orienter les objectifs primaires et secondaires, il est bon d’évoquer le constat sur lequel l’autopsie psychologique se fonde.

Délimitation de la zone de recrutement dans l’espace et dans le temps

Comme tout protocole de recherche, une autopsie psychologique délimite une zone géographique destinée à l’analyse. Celle-ci doit se révéler « pertinente » et « cohérente ». Elle se fonde sur une délimitation de type bassin de soins, département ou région géographique, par exemple. Dans la même optique, la recherche arrêtera une période de recrutement (6 mois-1 an ou plus).
Les moyens humains et financiers détermineront largement ces deux paramètres de recrutement.

Définition de ce qui sera considéré comme suicide

Il est primordial de définir ce que serait précisément considéré comme un suicide. Au travers de cette définition, cela permet de constituer une population homogène. Il importe également de définir quel sera le profil de la personne qui procédera au recrutement avec certainement une centralisation du processus de recrutement.

Description des qualifications cliniques et de la formation des interviewers

Une attention toute particulière sera portée au choix des chercheurs qui seront à même de mener l’étude. Dans ce cadre, il y a lieu de faire une description des qualifications cliniques et de la formation des interviewers.
En référence à l’expertise collective Inserm « Suicide - Autopsie psychologique, outil de recherche en prévention » (Inserm, 2005renvoi vers), la plupart des études emploient des psychologues ou des psychiatres comme interviewers, d’autres des travailleurs sociaux ou des infirmier(e)s.
Lorsque des données psychiatriques et sociales sont collectées, il paraît utile d’effectuer des entretiens conjoints, c’est-à-dire avec un intervenant psychiatre expérimenté et un scientifique ayant une expérience des méthodes de recherches.
L’interviewer doit avoir une expérience dans le champ clinique et connaître en profondeur le champ social. Il doit être capable d’empathie sans être sujet à trop d’investissement émotionnel de la situation. Ainsi, l’interviewer devrait pouvoir bénéficier d’une supervision régulière, auprès d’un superviseur chevronné, pour gérer l’aspect émotionnel qu’induit ce type de recherche.
La notion de travail en équipe est essentielle dans le déroulement d’une étude de la sorte. Il apparaît qu’un soutien technique sur les aspects de recherche doit être apporté aux chercheurs, tout comme un soutien psychologique important doit être assuré. Ainsi, il y a peut-être lieu de mettre en place deux réseaux de soutien pour réaliser ce support psychologique : d’une part au niveau du chercheur en proposant une supervision individuelle ou en équipe, et d’autre part au niveau de l’informant pour un travail en collaboration avec un centre de santé mentale afin de proposer à cet informant, en cas de demande, les coordonnées d’une personne apte à l’accompagner individuellement.

Partenaires

Pour mener à bien la recherche dans un domaine aussi complexe, où les dimensions émotionnelles et psychologiques se mêlent à des données plus objectives (socio-démographiques, biologiques…), le choix des partenaires est primordial et s’entourer de différents pôles de compétences apparaît indispensable. Dans ce cadre, le pôle de compétence que représentent les universités semble incontournable. En effet, ces dernières offrent, sur un même site, les possibilités de rencontrer différents experts dans le domaine psychologique mais également dans les domaines biologique et statistique ; la rencontre avec le milieu de la santé et de la justice par leurs organes officiels est nécessaire. L’élaboration d’un programme de recherche en matière d’autopsie psychologique devrait également faire appel aux compétences d’experts indépendants, voire également de services de soutien, d’aide aux experts ou aux personnes interrogées que l’on pourrait trouver dans les différents centres de santé mentale.

Protocole d’entretien standardisé, avec outil statistique et référence de l’outil diagnostique utilisé

L’autopsie psychologique comme outil de recherche devrait bénéficier d’un protocole d’entretien standardisé avec un outil statistique adapté pour augmenter notamment la fidélité inter-juges car celle-ci s’avère une des faiblesses de ce processus.
Chaque étude devrait pouvoir proposer une référence de l’outil diagnostique utilisé si l’étude aborde cette question du diagnostic.
Dans de nombreuses études, les auteurs ne spécifient pas la classification diagnostique utilisée ; l’évaluation de la présence d’un trouble psychiatrique est réalisée grâce à des systèmes de diagnostic tels que l’International Classification of Diseases (ICD) ou le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM).
Dans le recrutement, le recueil des informations auprès de plusieurs sources est impératif car il augmente l’exactitude, mais il peut se révéler couteux. Un aspect de bonne pratique clinique est également de confier la relecture et l’analyse des données à un chercheur indépendant. Ceci augmente certainement le coût et le temps dans le processus de recherche. Dans ce cas, il peut également s’agir d’une évaluation à partir d’un support audio. Une alternative est de mener l’entretien avec deux ou plusieurs informants séparément puis d’examiner la concordance des informations recueillies. Parfois, certaines équipes décident de mener un second entretien auprès du même informant avec un autre chercheur afin de recouper les informations déjà reçues. Dans les études princeps, l’entretien est mené par deux chercheurs simultanément qui alternent les rôles d’investigateur et d’évaluateur en cours d’entretien.
Dans tous les cas, il importe d’élargir au maximum les échantillons pour ne pas constituer des groupes trop peu représentatifs.

Discussion détaillée sur la manière de concilier des informations contradictoires

Après la collecte des informations, une discussion détaillée est nécessaire sur la manière de concilier les informations contradictoires. Un avertissement devrait être porté sur le nombre de cas où les données sont manquantes ou insuffisantes pour en tirer une conclusion. Il est difficile d’apprécier certains « problèmes » auxquels a dû faire face la personne avant son suicide et d’établir s’ils y ont contribué. Dans ces cas, le recours à un consensus ou à des évaluations indépendantes sur la base des informations disponibles est préconisé. On évaluera s’il s’agit d’un problème particulier (problème relationnel, perte d’emploi par exemple) qui est apparu et s’il a pu contribuer au suicide. Il est important que les chercheurs retracent la séquence chronologique du suicide et son articulation avec la pathologie psychiatrique. Une telle approche ouvrira également de nouvelles voies de connaissance sur le processus suicidaire, et permettra d’élaborer des stratégies préventives.

Sélection d’un ou plusieurs groupes témoins

Dans les recherches fondées sur l’utilisation de l’autopsie psychologique, il est souhaitable de faire appel à un groupe témoin. L’étude précisera la sélection d’un ou plusieurs groupes témoins.
La constitution d’un groupe témoin doit se fonder sur les hypothèses de la recherche. Si les hypothèses de base de l’étude portent sur la maladie mentale et les facteurs liés à la personnalité, le groupe témoin devrait être constitué de personnes non sélectionnées. À l’inverse, si l’influence des facteurs sociaux est l’objectif de l’étude, il sera alors nécessaire d’apparier un groupe témoin composé de personnes présentant une maladie mentale. Cette pratique comporte toutefois le risque de voir les groupes se superposer et donc d’atténuer la capacité de dégager des variables exploratoires.
Certaines études nécessitent plusieurs groupes témoins afin de vérifier plusieurs hypothèses simultanément.
La question se pose de savoir si les sujets témoins doivent être en vie ou décédés. Ce choix sera orienté par les hypothèses de la recherche. Par exemple, une recherche menée sur les risques associés au suicide dans une population avec un diagnostic spécifique nécessitera des sujets témoins en vie, tandis que des sujets décédés seront indispensables pour une étude portant sur les besoins de proches endeuillés par un suicide.

Définition de ce qu’est un « bon » informant

Lors de l’élaboration du protocole de recherche, il devra être mentionné les caractéristiques de ce qu’on considère être un « bon » informant dans le cadre de l’étude. De quel proche s’agit-il ? Pour recueillir des informations pertinentes, jusqu’à quel lien familial va-t-on ? Interroge-t-on les amis, les collègues de travail, les voisins, le médecin traitant ?
En raison de la diversité des sources d’information (enquête judiciaire, constatations médicolégales, données médicales provenant du médecin traitant ou de praticiens hospitaliers), la source principale devra provenir de l’entretien avec les proches de la personne suicidée. Cette approche de recherche est la clé de cette méthode, mais elle n’en demeure pas moins chargée de questions méthodologiques et pratiques.

Définition du nombre minimum d’informants par cas

Il faut également définir le nombre minimum d’informants par cas. S’appuyer sur un informant par cas peut parfois se révéler insuffisant et apporter des imprécisions voire des inexactitudes au niveau des données récoltées.
Comme le principal biais est lié au rappel (biais de mémoire), du fait de la nature complexe du processus de deuil dans le décours d’un suicide, tout comme du souvenir des moments et émotions vécus, le rappel de ces souvenirs peut être altéré. Certains aspects peuvent être enjolivés, exagérés ou encore oubliés. L’information donnée par les proches peut également se révéler inexacte pour de multiples raisons : méconnaissance de certains événements (par exemple des parents peuvent ignorer la prise de toxiques de leur fils ou ne pas avoir connaissance de difficultés liées à son orientation sexuelle inavouée), rétention volontaire de certains éléments (particulièrement ceux qui pourraient faire apparaître la personne suicidée sous un mauvais jour), reconstruction d’une histoire familiale de la personne suicidée.
Afin de minimiser ce type d’erreur, il est important de bénéficier de plusieurs informants par cas.

Manière dont les informants sont contactés puis avertis de la nature de l’étude

D’emblée, il apparaît que les recruteurs des informants doivent faire preuve d’indépendance par rapport au processus même de l’étude. Les modalités que sont la lettre envoyée aux proches de la personne suicidée suivie d’un appel téléphonique et ensuite du contact avec les chercheurs constituent la méthode la plus souvent employée et recevant le plus de suffrages dans les différentes autopsies psychologiques déjà réalisées. Nous l’avons d’ailleurs mentionné dans le premier ouvrage d’expertise collective sur l’autopsie psychologique (Inserm, 2005renvoi vers).
Il importe également de décrire dans le protocole d’étude quelles seront les manières dont les informants seront contactés puis avertis de la nature de l’étude, comment ils auront la possibilité d’adhérer ou de refuser de participer à l’étude, tant à son début qu’à tout autre moment.
L’autopsie psychologique est avant tout un travail de recherche. Elle doit allier une démarche méthodologique répondant aux principes de bonne pratique clinique à un travail direct avec les proches. En ce sens, les chercheurs devront faire face aux réactions immédiates après le deuil. Les interviewers comme les chercheurs seront à même de vivre des mécanismes de défense et de projection sur la société via ces représentations, ce qui interférera certainement avec la collecte des informations. L’informant, tout comme les chercheurs, ne sera jamais neutre et démuni d’histoire personnelle. Pour ces raisons, le groupe de travail recommande que la formation des intervenants soit particulièrement prise en compte et privilégie, en plus de l’aspect de recherche, un versant clinique solide.

Bibliographie

[1] delatte b, pirson o, de clercq m. Repercussions of suicide on the family – an analysis of 50 consecutive suicides. In : Emergency Psychiatry in a Changing World. Elsevier Science; Amsterdam:1999; 533539Retour vers
[2] ebert b. Guide to conducting a psychological autopsy. Prof Psychol Research Practice. 1987; 18:52-56Retour vers
[3] ebert b. Guide to conducting a psychological autopsy. In : The handbook of medical psychotherapy. In: anchor k (ed), editors. Hans Huber/Hogrefe; New York:1991; 249256Retour vers
[4]inserm. Suicide. Autopsie psychologique, outil de recherche en prévention. Collection Expertise Collective Inserm. Éditions Inserm; Paris:2005; 199pRetour vers
[5] jacobs d, klein-benheim m. The psychological autopsy: a useful tool for determining proximate causation in suicide cases. Bull Am Acad Psychiatry Law. 1995; 23:165-182Retour vers
[6] spellman a, heyne b. Suicide? Accident? Predictable? Avoidable? The psychological autopsy in jail suicides. Psychiatric Quaterly. 1989; 60:173-181Retour vers
[7] younger sc, clark dc, oehmig-lindroth r, stein rj. Availability of knowledgeable informants for a psychological autopsy study of suicides committed by elderly people. JAGS. 1990; 38:1169-1175Retour vers

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