2008


ANALYSE

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Application de l’autopsie psychologique aux suicides au cours d’hospitalisations

Les décès par suicide qui surviennent au cours d’une hospitalisation ou dans son décours représentent une part non négligeable de l’ensemble des suicides. Cette part est estimée au travers de la littérature scientifique entre 4 et 5 % pour les décès qui surviennent durant le séjour et entre 10 et 15 % pour ceux qui surviennent dans les 4 semaines qui suivent la sortie de l’hôpital (Proulx et coll., 1997renvoi vers ; Gelder et coll., 2001renvoi vers).
Pour les décès qui ont lieu exclusivement au cours de l’hospitalisation, le taux de mort par suicide est estimé entre 0,5 et 1 pour 1 000 admissions dans les établissements de psychiatrie et de 1 pour 10 000 dans les hôpitaux généraux (Terra, 2004arenvoi vers).

Importance du problème

En Angleterre et au Pays de Galles, dans le cadre de la National Confidential Inquiry, une étude a été conduite sur les personnes décédées par suicide qui avaient été en relation avec un service psychiatrique dans les douze mois précédant leur décès. Les résultats ont révélé des taux de suicide élevés chez les malades hospitalisés. Les suicides étaient plus fréquents dans la première semaine suivant l’admission du patient à l’hôpital (23 %) et dans la période de préparation de sa sortie de l’hôpital (40 %) (Appelby et coll., 1999renvoi vers).
Les seules données françaises sur le sujet portent sur l’année 2002 qui a fait l’objet d’une enquête rétrospective réalisée en 2003 par la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (Dhos, 2003, non publié) et la Direction générale de la santé (DGS). Bien que 5 départements n’aient pas répondu et que 29 n’aient déclaré aucun décès, le nombre recensé par les Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) et les Directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass) atteint 194 décès par suicide lors du séjour hospitalier en établissement de psychiatrie public ou privé. Les autres établissements de santé n’ont pas été interrogés. Ces résultats ont été diffusés aux établissements par la voie hiérarchique. Ce nombre peut être considéré comme une estimation minimale.
Chez les patients en ambulatoire, le taux de suicide le plus élevé a été enregistré dans la première semaine suivant la sortie de l’hôpital, souvent avant le premier rendez-vous en consultation. Les suicides avaient tendance à être plus fréquents suite à des admissions de courte durée et dans les cas où les patients avaient quitté l’hôpital contre l’avis des médecins (Goldacre et coll., 1993renvoi vers ; Proulx et coll., 1997renvoi vers ; Lennqvist et coll., 2000renvoi vers). La plupart des suicides chez les patients en ambulatoire se sont produits après un contact récent avec un service psychiatrique. Le risque relatif est estimé à 100 pour les femmes et 20 pour les hommes dans les 4 semaines après la sortie d’un séjour pour soins psychiatriques (Gunnel et Frankel, 1994renvoi vers). Ce niveau de risque très élevé pose deux questions essentielles :
• le caractère systématique ou non de l’évaluation du risque suicidaire des personnes qui sortent d’une hospitalisation (Séguin, 2001renvoi vers ; Shea, 2005renvoi vers) ;
• l’accessibilité aux moyens de suicide pour le patient dès son retour au domicile et tout particulièrement des armes à feu (Krug et coll., 1998renvoi vers ; Terra, 2004arenvoi vers).

Opportunité de l’autopsie psychologique

L’opportunité de développer les méthodes de l’autopsie psychologique pour ces décès doit être examinée avec une priorité toute particulière car la prévention du suicide fait partie des missions premières des établissements de psychiatrie (Hardy, 1997renvoi vers). L’amélioration de la prévention du suicide dans les établissements de santé n’est documentée par aucun système d’information et d’analyse (Terra, 2003renvoi vers). Une meilleure connaissance des causes de décès par suicide constituerait un facteur de progrès commun à l’ensemble des professionnels du domaine.
Parmi les arguments principaux en faveur de cette voie de recherche figurent le caractère inacceptable de la mort par suicide au cours de l’hospitalisation ainsi que la volonté de l’ensemble des professionnels de réduire cette mortalité (Terra, 2005renvoi vers). La psychiatrie publique qui doit organiser et assurer les soins aussi bien dans la communauté qu’à l’hôpital représente un champ propice pour de telles recherches, en particulier, pour l’accessibilité des données et pour l’intégration de résultats à sa pratique (Proulx et coll., 1997renvoi vers). La prévention du suicide qui se développe de façon importante dans les milieux ouverts doit également progresser dans les structures au sein desquelles la prévention est une préoccupation importante.

Paramètres de l’autopsie psychologique

Les arguments et les limites de l’analyse de ces décès par les méthodes de l’autopsie psychologique sont examinés au regard de plusieurs paramètres.

Caractérisation du suicide

L’ensemble des personnes décédées de mort violente en établissement de santé subit une autopsie médicolégale. Cette exhaustivité devrait autoriser à disposer du nombre exact de suicides. Les comptes rendus des examens médicolégaux ne sont pas toujours facilement accessibles aux médecins hospitaliers. Les méthodes de suicide les plus fréquemment utilisées sont la pendaison ou la strangulation. Ces moyens qui sont rarement ambigus quant à l’intention, permettent de qualifier en général assez facilement l’acte (Proulx et coll., 1997renvoi vers). Ceci n’est pas toujours le cas en milieu ouvert pour les noyades et les suicides utilisant un véhicule automobile.
Il existe cependant un nombre de cas où il est difficile de faire la différence entre mise en danger intentionnelle sans volonté de se donner la mort et un suicide comme dans le cas où la personne crée un départ de feu en chambre d’isolement. Les méthodes de l’autopsie psychologique peuvent apporter un gain de connaissance pour améliorer cette distinction en reprenant la trajectoire de vie, de souffrance et d’aide de la personne décédée.

Représentativité

Les personnes soignées par les établissements de psychiatrie ne sont pas représentatives de la population générale, mais parmi elles sont plus nombreuses les personnes qui décèdent par suicide. Les troubles mentaux représentent les principaux facteurs de risque de suicide, en particulier, lorsque qu’une personne souffre de plusieurs troubles simultanément (comorbidité). Les enquêtes de prévalence des troubles mentaux au sein des populations hospitalisées en psychiatrie indiquent des taux élevés pour la schizophrénie, la dépression, l’abus de substances psychoactives et les troubles de la personnalité (Amador et coll., 1996renvoi vers ; Gelder et coll., 2001renvoi vers).
Si des autopsies psychologiques étaient réalisées pour les personnes recevant des soins psychiatriques en ambulatoire, la représentativité devrait être analysée par rapport à l’ensemble des suicides.

Acceptabilité

L’acceptabilité de l’étude par autopsie psychologique peut trouver des limites avec les familles qui sont en conflit avec l’établissement de santé suite à la survenue du décès de leur proche. Il faut cependant noter la rareté des recherches de responsabilité en l’état actuel relativement au nombre total des décès à déplorer.
Les professionnels de psychiatrie et de santé mentale peuvent se montrer réticents à de nouvelles méthodes de recherche qui associent les trajectoires de souffrance et la pertinence des soins reçus. Cependant, le développement des démarches qualité et de la prévention des risques augmente l’acceptabilité des recherches causales. La seconde version du manuel de certification des établissements de santé développée par la Haute autorité de santé (HAS) favorise la mise en place de groupes d’analyse de la morbi-mortalité. Cette analyse procède de la même volonté de tirer enseignement de ces décès brutaux que l’autopsie psychologique (Terra, 2005renvoi vers). En revanche, son périmètre d’investigation est cependant plus réduit que dans le cas de l’autopsie psychologique qui inclut une investigation sur l’ensemble de la vie.

Accessibilité des données

Les établissements de santé détiennent de nombreuses données enregistrées dans le dossier des patients au cours de leur séjour ou lors du suivi ambulatoire. Les professionnels de santé représentent une source d’information importante pour les soins reçus.

Amélioration de l’analyse des décès par suicide dans les établissements psychiatriques

L’existence de recommandations suite aux différentes expertises et rapports constitue des leviers favorables pour insérer l’autopsie psychologique dans les méthodes visant à améliorer la prévention. Ces recommandations portent en particulier sur l’amélioration de l’analyse des décès par suicide au niveau des établissements.
Les méthodes de l’autopsie psychologique sont recommandées comme le développement de l’analyse de la morbi-mortalité au sein des établissements de santé. La mise en place de recherches dans ce domaine doit associer les établissements de santé qui ont des missions de prévention.

Opportunités pour la recherche

Les différents professionnels exerçant dans les établissements sanitaires sont préoccupés par le risque de suicide. De nombreux efforts, dans le cadre de la stratégie nationale d’action face au suicide, sont conduits pour former les professionnels hospitaliers sur la base de la conférence de consensus d’octobre 2000 (Séguin, 2001renvoi vers). Ces références scientifiques partagées devraient favoriser la qualité du recueil des données. La réalisation d’autopsies psychologiques permettrait de tirer des enseignements, notamment pour savoir si tout le potentiel de prévention a pu être mis en Ĺ“uvre.
Parmi les psychiatres et psychologues exerçant dans les établissements de santé, certains sont déjà investis dans ce domaine de recherche. Ils sont nombreux à avoir reçu une formation de formateurs à l’intervention de crise suicidaire et ont démontré leur engagement pour ce thème.

Question des populations témoins

Dans le cadre des établissements de soins, les groupes qui peuvent servir de comparaison sont :
• les décès par accident de la circulation ou autre accident ;
• les décès par suicide qui surviennent en milieu ouvert.
Une autre possibilité reste, comme pour la recherche en milieu pénitentiaire, la comparaison avec des personnes dont la tentative de suicide n’a pas abouti. Une telle comparaison permettrait de mettre à jour les effets positifs des interventions diverses. La personne pourrait en témoigner directement.

Question des référentiels de pratique

Les différents acteurs exerçant en milieu hospitalier ont pour l’instant peu l’habitude de partager leurs pratiques lors de réunions ou congrès. Des recommandations de pratique pourraient être rédigées suite aux enseignements issus des résultats des recherches utilisant des méthodes pluridisciplinaires dans ce domaine de prévention.

Résultats attendus

Les professionnels hospitaliers qui luttent contre le suicide depuis de très nombreuses années ne disposent pas d’un système d’analyse des causes des décès par suicide pour mettre en évidence le potentiel de prévention qui n’a pas été exploité. La réalisation de recherches avec les méthodes de l’autopsie psychologique devrait permettre de retracer avec précision les trajectoires des personnes décédées par suicide tant du point de vue de leurs souffrances que des aides reçues pour améliorer la détection et la prévention. Pour l’instant, la connaissance de ces trajectoires est partielle et des pans entiers de leurs difficultés peuvent rester obscurs. La question de l’accès aux moyens de suicide en milieu ouvert pourrait être soulevée avec pertinence comme celui des armes à feu qui est très délaissé pour l’instant (Krug et coll., 1998renvoi vers).
L’amélioration de la prévention du suicide des personnes souffrant de schizophrénie constitue un objectif important. Pour ces maladies, le rôle des soins psychiatriques est essentiel pour prévenir le suicide. Eux seuls sont capables d’apporter des réponses, certes modestes et incomplètes, afin d’atténuer le processus psychotique et limiter les séquelles sociales. Plus de 10 % de l’ensemble des suicides surviennent pendant la première année de la maladie, un tiers des suicides des personnes touchées par la schizophrénie ont lieu durant l’hospitalisation, un tiers dans le mois qui suit la sortie de l’hôpital (Amador et coll., 1996renvoi vers).
L’amélioration de l’organisation des soins est également au premier plan des objectifs attendus. De très nombreux professionnels s’inquiètent à juste titre de la coordination entre les soins hospitaliers et ambulatoires. Une approche scientifique devrait éclairer sur la nature même des améliorations souhaitables.

Propositions du groupe de travail

Le groupe de travail encourage le recours à l’autopsie psychologique pour l’analyse des causes de décès par suicide survenant dans les établissements de santé. De telles recherches contribueraient indéniablement à améliorer la détection et la prévention.

Mettre en place des groupes d’analyse de la morbidité et de la mortalité dans les établissements de santé psychiatrique

Localement, la Haute autorité de santé (HAS) recommande la mise en place de ces groupes d’analyse dans chaque établissement. Les auto-lacérations, les tentatives de suicide et les décès par suicide survenant en milieu hospitalier doivent bénéficier d’une analyse causale par les personnels sanitaires pour apprécier si le dispositif de détection/soins/protection a fonctionné normalement. L’objectif est d’en tirer expérience pour améliorer la prévention (Terra, 2005renvoi vers).
Il faut également avoir une vision d’ensemble de la qualité de fonctionnement des processus de prévention du suicide. Il serait souhaitable qu’au niveau national, le ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports organise un système de recueil et d’analyse de l’ensemble des suicides survenus en détention. Ce système pourrait être similaire et/ou commun avec l’analyse des décès par suicide survenant en établissement de santé. L’enquête réalisée par la Dhos (Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins) pour l’année 2002 est une première étape importante. Certains suicides de personnes détenues surviennent d’ailleurs au cours d’une hospitalisation. Les représentants du ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports à la Commission centrale de suivi des conduites suicidaires pourraient avoir un rôle important pour l’amélioration des dispositifs de prévention en milieu carcéral et par la suite en milieu hospitalier.

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