Approches cliniques

2008


ANALYSE

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Traitements par approches psychosociales et psychodynamiques

Jusqu’à présent, les prises en charge issues de la psychanalyse ou celle des Gamblers Anonymous n’ont pas bénéficié, malgré leur usage fréquent, d’évaluation robuste (Lopez Viets et Miller, 1997renvoi vers). De même, les prises en charge « classiques » qui associent de multiples interventions y compris de type résidentiel, n’ont généralement pas été évaluées de manière rigoureuse même si elles sont largement proposées (Breen et coll., 2001renvoi vers).

Problèmes d’évaluation

La base de données Cochrane a fait une revue et une méta-analyse des publications portant sur le traitement du jeu pathologique (Oakley-Browne et coll., 2006renvoi vers). Recherchant des études randomisées et contrôlées, les auteurs ne retiennent que 17 publications (sur 1 264 références), et seulement 4 répondent à leurs critères (MacConaghy et coll., 1983renvoi verset 1988renvoi vers) Echeburua et coll., 1996renvoi vers) Sylvain et coll., 1997renvoi vers), ce qui interdit toute conclusion sur une efficacité différentielle de diverses formes de traitement.
Pallesen et coll. (2005renvoi vers), dans une méta-analyse de 37 études publiées entre 1968 et 2004, incluent des études comparant avant et après traitement (et non seulement contre groupe témoin), et en ont conservé 20, ce qui concerne 1 434 sujets. Leurs résultats montrent que les traitements de type psychothérapique en matière de jeu pathologique semblent produire de bons résultats, tant à court terme qu’au long cours. Cette vingtaine d’études correspond à des modalités de traitement très diverses même si les traitements cognitifs et comportementaux sont les plus représentés.
Les problèmes d’évaluation (Lopez Viets et Miller, 1997renvoi vers) Blaszczynski, 2005renvoi vers) relèvent de plusieurs niveaux :
• le jeu pathologique est tantôt appréhendé de façon dimensionnelle, tantôt de façon catégorielle, ce qui handicape les recherches objectives ;
• il est difficile de définir des critères simples de « guérison », puisqu’il existe nombre de formes de jeu, de dangerosité très inégale ; l’abstinence ou la rechute ne sont pas toujours faciles à distinguer ; là encore, l’aspect « dimensionnel » de la « guérison » conduit à des modalités d’évaluation très variables ;
• les approches sont souvent multimodales et il est difficile d’attribuer les résultats à tel ou tel élément du traitement ;
• les caractéristiques des patients doivent être prises en compte : femmes (sous-représentées dans les études évaluatives) ou adolescents ; il paraît d’ailleurs pertinent de différencier des sous-groupes de joueurs, chaque type ne relevant pas forcément du même traitement ;
• les comorbidités sont également un élément déterminant des types de prise en charge, comme de leur résultat.

Critères de succès ou d’échec

Les critères de succès ou d’échec diffèrent selon les auteurs et les études : le critère le plus simple et le plus évaluable serait l’abstinence totale, selon la conception des Gamblers Anonymous (GA). Cependant, l’abstinence n’est pas le seul objectif thérapeutique possible en matière de jeu excessif, et nombre d’auteurs promeuvent la notion de jeu contrôlé. Cela est d’autant plus logique qu’il existe de nombreux types de jeux, et de nombreuses façons de jouer, dont certaines sont moins addictives que d’autres.
Blaszczynski et coll. (1991renvoi vers), dans un suivi sur 9 ans de joueurs après un traitement, trouvent peu de différences entre les « abstinents » et les « joueurs contrôlés », deux groupes qui diffèrent des joueurs non contrôlés, en ce qui concerne l’anxiété, la dépression, le fonctionnement social, le niveau de dette, et peu quant à la quantité d’argent jouée par semaine.
Nombre d’évaluations de traitements considèrent la réduction des activités de jeu (notamment mesurée par la quantité d’argent dépensée) comme un succès, et non seulement l’abstinence (McConaghy et coll., 1983renvoi vers) Russo et coll., 1984renvoi vers) Taber et coll., 1987renvoi vers).
Ladouceur (2005renvoi vers) pense que la visée d’abstinence explique peut-être le fait que peu de joueurs pathologiques soient demandeurs d’aide. Synthétisant les positions des spécialistes sur la question, cet auteur souligne que :
• le jeu contrôlé apparaît comme une option valide, dans la mesure où il y a suffisamment d’évidences que des joueurs pathologiques peuvent reprendre le contrôle de leurs habitudes de jeu ;
• il n’y a pas encore de consensus sur une définition objective du jeu contrôlé ;
• les patients peuvent changer d’objectif au cours du traitement, passant d’un objectif de jeu contrôlé à un objectif d’abstinence, ce qui évidemment ne doit pas être considéré comme un échec.

Évolution spontanée

La question des « guérisons spontanées » ou de la « maturation naturelle » se pose nettement en matière de jeu pathologique, au moins autant que pour d’autres formes d’addiction. Slutske (2006renvoi vers) avance même des arguments sérieux contre le classement du jeu pathologique en tant que désordre chronique et persistant.
Parmi ces arguments se retrouvent :
• le faible taux de demandeurs de soins parmi l’ensemble des joueurs pathologiques ;
• le taux élevé de rémissions ou guérisons « naturelles », c’est-à-dire en dehors de prises en charge thérapeutiques.
L’auteur a analysé deux études épidémiologiques importantes, GIBS (Gambling Impact and Behaviour Study) et NESARC (National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions). La GIBS (1998-1999) est une enquête par téléphone auprès de 2 417 adultes, avec un taux de réponse de 56 %. La NESARC (2001-2002) est un entretien proposé à 43 093 adultes, avec un taux de réponse de 81 %. Vingt et un sujets pour GIBS, 185 pour NESARC ont présenté les critères du jeu pathologique dans leur vie. L’étude de ces sujets montre que :
• 36 à 39 % des sujets présentant dans la vie un diagnostic de jeu pathologique selon le DSM-IV n’ont pas eu de problèmes liés au jeu dans l’année écoulée ;
seulement 7 à 12 % des sujets diagnostiqués joueurs pathologiques ont cherché une aide auprès de professionnels ou de Gamblers Anonymous ;
33 à 36 % des joueurs pathologiques guériraient « naturellement » ou par « maturation spontanée ».
Pour un certain nombre d’auteurs, il serait donc plus conforme aux réalités de décrire le cours du jeu pathologique comme « variable » que comme « chronique », et de considérer que les cas les plus graves qui nécessitent des interventions importantes ne constituent qu’un sous-groupe des joueurs pathologiques. Cette relative « labilité » de la « pathologie addictive » en matière de jeu pathologique pourrait permettre par ailleurs de relativiser l’impact de données épidémiologiques, dans lesquelles les adolescents présentent de très forts taux de prévalence par rapport aux adultes : plutôt que prédire une explosion du jeu pathologique dans les années à venir, ces données pourraient traduire l’existence de troubles transitoires de l’adolescence.

Difficultés « structurelles » d’évaluation

Certaines formes de traitement sont plus difficiles à évaluer que d’autres, et n’apparaissent pratiquement pas dans les méta-analyses. Ce sont les approches multimodales : la diversité des actions mises en Ĺ“uvre y empêche la mesure des effets spécifiques d’une intervention sur un facteur précis. Ce sont les traitements de type « Gamblers anonymous », également appelés « traitements en douze étapes ». Ce sont enfin les approches psychodynamiques et psychanalytiques.

Approches multimodales

En pratique, il apparaît important qu’un patient puisse bénéficier d’un ensemble de prestations, tant au niveau psychothérapique, qu’au niveau pharmacologique, ou au niveau social. Ceci explique le nombre de traitements dits « éclectiques » ou « multimodaux » (figure 13.1Renvoi vers).
Ces différentes dimensions interfèrent forcément les unes avec les autres, et il devient difficile, voire impossible, d’imputer les résultats à ce qui ne constitue qu’une partie du traitement global, dans le cas de protocoles qui sont conçus comme « multimodaux ». Ceci est en grande partie valable pour les programmes de l’Iowa (Shaffer et coll., 2005renvoi vers) et du Minnesota (Stinchfield et Winters, 1996renvoi vers), qui ont donné lieu à des tentatives d’évaluation globale. La méta-analyse de Pallesen et coll. (2005renvoi vers) en analyse 7 sur la vingtaine de publications retenues.
Par ailleurs, nombre de programmes sont proposés par des équipes qui s’occupent également d’autres formes de dépendances (alcool, drogues), et incluent des modalités de soin diversifiées, tant en hospitalisation qu’en traitement ambulatoire.
Lopez Viets et Miller (1997renvoi vers) recensent plusieurs de ces programmes. Taber et coll. (1987renvoi vers) ont utilisé avec de bons résultats (67 % d’abstinence à 6 mois) un traitement de 30 jours d’hospitalisation, avec thérapie de groupe, prise en charge éducative, participation aux réunions de GA, et plan de surendettement. Lesieur et Blume (1991renvoi vers) associent en interne thérapies de groupe et individuelles, lectures, films, guidance familiale, psychodrame, éducation, participation aux groupes d’entraide, puis suivi hebdomadaire, avec 63,9 % d’abstinence entre 6 et 14 mois après traitement, et une diminution globale de la moyenne des dépenses de jeu de près de 4 000 dollars à environ 20 dollars.
Ces traitements ayant lieu dans des services qui prennent également en charge des patients alcoolodépendants et toxicomanes, certains auteurs, comme Lesieur et Blume, ou Petry, ont adapté aux joueurs pathologiques l’Addiction Severity Index (ASI) comme outil d’évaluation (Mac Lellan, 1980renvoi vers).
Les sept axes de l’ASI (en Français : indice de gravité d’une toxicomanie) sont : alcool et drogues (ou jeu), état somatique, état psychologique, relations sociales et familiales, situation légale, emploi et ressources.
Ces thérapies multimodales ou éclectiques pourraient donner, d’après la méta-analyse de Pallesen et coll. (2005renvoi vers), des résultats appréciables.
Figure 13.1 Exemple d’approche multimodale
Comme pour toutes les addictions, le traitement peut/doit intégrer des dimensions très diverses. Idéalement, il devrait même être possible d’organiser des séjours de rupture pour que le patient puisse prendre du recul par rapport au contexte du jeu, comme par rapport à son entourage. L’écoute et les conseils aux proches sont particulièrement importants : il s’agit notamment – tout en les laissant libres de leurs décisions personnelles – de les aider à se mettre à l’abri des dépenses inconsidérées, mais incontrôlables.
Le volet social peut comprendre des conseils juridiques, la question de la protection des biens (curatelle), enfin (mais pas forcément comme mesure initiale) aide au dossier de surendettement (les rechutes risquant de conduire à une situation inextricable).
La psychothérapie est toujours au centre de la prise en charge. Le traitement pharmacologique est fréquemment utile, notamment les antidépresseurs : la dépression est la règle plus que l’exception. Les antidépresseurs peuvent également avoir un certain effet sur les idées obsédantes et les ruminations.
Même si la dépendance est ici « variable », plus que « chronique », il s’agit d’une pathologie à rechute, comparable aux toxicomanies, et plus particulièrement aux dépendances aux excitants, marquées par une relative facilité du sevrage, mais ensuite par une importance du « craving » (les impulsions irrésistibles à jouer) et des rechutes. Petry (2002renvoi vers) recense les arguments pour rapprocher le jeu pathologique de l’alcoolodépendance ou de la toxicomanie, et souligne qu’au niveau du traitement, l’intérêt de l’intégration de traitements pharmacologiques et psychothérapiques est un argument en faveur de ce rapprochement.

Association« Gamblers Anonymous »

La participation aux réunions de l’association Gamblers Anonymous (GA) est présentée comme l’un des traitements les plus répandus, sinon le plus répandu dans le monde, du jeu pathologique. Si elle est embryonnaire en France, elle est très importante en Amérique du Nord, où elle existe depuis 1957. Il y aurait plus de 1 000 réunions (une « réunion » est un groupe, généralement quotidien) aux États-Unis, et des associations GA dans de très nombreux pays, européens, asiatiques, africains, sud américains… (National Research Council, 1999renvoi vers) Petry, 2005renvoi vers).
D’autres groupes se forment parfois, parallèlement à l’existence de GA (la « Gamblers Foundation » dans les pays nordiques ; Hansen, 2006renvoi vers).
Il existe toutefois peu de littérature scientifique sur ce sujet, et très peu d’évaluations. Ceci tient à la philosophie de ce mode d’intervention, dérivé étroitement du modèle « Alcooliques anonymes », fondé par Bill W. et le « Dr Bob » en 1935. Ce modèle a grandement influencé le champ de l’alcoologie, puis de l’addictologie, et comporte une vision particulière de la maladie, considérée comme incurable, et du traitement, fondé sur le maintien de l’abstinence au quotidien.
Il s’agit, comme pour Alcooliques anonymes, d’un « traitement en douze étapes », la première étape consistant à admettre son impuissance à contrôler le jeu. À l’origine, ce sont des « traitements de conversion », dans lesquels la spiritualité tient une place centrale (troisième étape : « Nous avons décidé de confier notre volonté et nos vies aux soins de Dieu tel que nous le concevions »). Parallèlement à ces origines religieuses et spirituelles, les influences de William James et de KG Jung ont participé à l’élaboration de cette approche très particulière des addictions en matière d’alcool, puis de drogues et de jeu. Cette approche est fondée sur l’entraide, la bonne volonté, le bénévolat, la socialisation particulière aux groupes où les sujets se soutiennent dans leur projet d’abstinence. Gamanon, comme Alanon pour l’alcool, est un programme en douze étapes similaire, destiné aux proches, qui sont considérés comme des « codépendants ». Les « douze traditions » désignent les principes de structuration de ces associations bénévoles, et sont une garantie contre les possibles dérives sectaires : elles interdisent les prises de pouvoir ou les enjeux financiers, mais également les prises de position publiques ou les controverses avec d’autres formes de traitement. L’évaluation, la recherche, l’objectivation, sont donc aux antipodes des préoccupations des membres Gamblers Anonymous, et ceci en fait structurellement une approche très difficile à évaluer.
La plupart des auteurs insistent sur la forte attrition qui semble exister parmi les sujets qui sont adressés aux groupes. Stewart et Brown (1988renvoi vers, in Petry, 2005) sur 232 personnes venues à une réunion trouvent que 22,4 % ne reviennent pas à une deuxième, 15,5 % n’assistent qu’à deux, et 69,4 % assistent à 10 réunions ou moins. Seuls 7,5 % des nouveaux membres obtiennent une médaille d’un an d’abstinence, 7,3 % une médaille de deux ans. Il convient toutefois de noter que l’attrition semble très forte dans toutes les formes de traitement du jeu pathologique, que des approches en un seul entretien ont parfois des résultats, et surtout que les GA ont de l’abstinence une définition aussi simple que drastique.
Nombre de protocoles incluent la possibilité de participer aux réunions de GA en parallèle ou à la suite d’autres traitements. Certaines études tendent à montrer que la participation aux groupes est un facteur supplémentaire de succès (Russo et coll., 1984renvoi vers) Taber et coll., 1987renvoi vers) Lesieur et Blume, 1991renvoi vers), d’autres (Stinchfield et Winters, 1996renvoi vers in Petry, 2005) que les traitements professionnels sont plus efficaces.
Dans l’étude sur les résultats des traitements du jeu pathologique au Minnesota (Stinchfield et Winters, 2001renvoi vers), les auteurs étudient la clientèle des quatre centres de traitement soutenus par l’État, les quatre programmes, multimodaux, mettant tous l’accent sur l’approche en douze étapes des GA, et incluant la participation des proches à Gamanon.
GA et Gamanon font également partie des services proposés par le programme de traitement du jeu de l’Iowa (Shaffer et coll., 2005renvoi vers).
Petry (2003renvoi vers) a comparé des patients selon qu’ils sont ou non membres de GA. Les membres sont en moyenne plus âgés que les autres joueurs pathologiques, ont eu plus de problèmes de jeu, moins de comorbidités avec l’alcool ou les drogues. Ils présentent de meilleurs résultats au traitement que les autres, sans que l’étude permette de trancher sur une efficacité de GA ou d’autres traitements.
Il existe une communauté thérapeutique dédiée aux joueurs pathologiques : The Gordon House Association, en Grande-Bretagne (Griffiths et coll., 2001renvoi vers). Cette structure ne semble pas éloignée de l’esprit de GA, dont elle encourage la fréquentation. Notamment, elle se présente comme un refuge pour les personnes qui ont « touché le fond » (« Hit the rock bottom » est le point de départ d’un vrai changement dans le discours « Alcooliques Anonymes » ou « Gamblers Anonymous »). Le traitement s’étend sur un séjour de 9 mois en centre résidentiel, puis du maintien d’un lien avec la communauté. Cinq phases de 12 semaines constituent le programme : « coping with to day », « coping with yesterday », « coping with change », « coping with tomorrow », « coping on my own ». Contrat initial, thérapeute référent, psychothérapeute, interaction entre résidents, la philosophie du centre est proche de communautés thérapeutiques ou de post-cures pour toxicomanes.
En France, les « Gamblers anonymes » sont encore peu nombreux : quelques personnes se réunissent de manière hebdomadaire au centre Marmottan à Paris.

Approches psychanalytiques

Les difficultés de comparer l’efficacité des psychothérapies ont – en dehors de la question du jeu pathologique – été souvent soulignées, en partie du fait de la place importante des approches de type psychanalytique.
Les approches psychanalytiques se prêtent en effet particulièrement mal aux évaluations. Par exemple, dans leur méta-analyse, Pallesen et coll. (2005renvoi vers) bien que plus souples dans leurs critères que la base Cochrane, commencent logiquement par éliminer toutes les études de cas unique, et les études où l’abstinence n’est pas la priorité : cette exigence scientifique souligne la différence « d’évaluabilité » entre des approches de type psychanalytique (où le « cas par cas » est la règle, où l’évolution ne se juge pas simplement sur la disparition du symptôme, où le but même du traitement est susceptible d’évolution…) et des approches issues d’une psychologie scientifique (où le traitement commence par une évaluation objective, où les procédures sont codifiées pour être évaluées…).
De plus, il est délicat de séparer dans l’analyse ce qui relève du traitement, de ce qui constitue des modèles explicatifs, dans la mesure où l’élucidation du sens de la conduite du sujet participe en même temps de ces deux dimensions.

Premiers travaux et « Dostoïevski et le parricide »

Les premiers textes psychanalytiques (depuis Von Hattinberg, 1914) portent sur le sens de la conduite du joueur, plus que sur le jeu pathologique, et n’évoquent pas de dimension thérapeutique. Freud, avec « Dostoïevski et le parricide » évoque la passion du jeu comme symptôme, dans ce qu’il décrit comme une pathologie de type névrotique, avec une forte composante masochique.
Le traitement n’a pas, dès lors, à être envisagé de façon spécifique. Cette tradition se poursuit aujourd’hui, et des critiques se réclamant de la psychanalyse sont parfois adressées aux traitements d’origine comportementaliste. Les textes français récents s’inscrivent généralement dans des approches de sens et ne portent que peu sur les modalités de traitement.

Edmund Bergler et « Psychology of gambling »

Fenichel (1945renvoi vers) et Bergler (1957renvoi vers) ont abordé le jeu pathologique sous un angle clinique, et posé la question du traitement. Bergler avance d’ailleurs des résultats intéressants sur une cohorte non négligeable de patients : en 30 ans de pratique, il dit avoir traité plus de 60 joueurs pathologiques. Les cures, dont il présente 5 études de cas, étaient d’une durée de 1 à 2 ans : 25 % des consultants ne s’engagèrent pas dans le processus thérapeutique, et ne sont pas comptabilisés, 75 % des patients restants sont considérés comme des succès, 25 % comme des échecs relatifs : ceux-ci abandonnèrent le traitement dès que le symptôme fut amélioré, alors que Bergler insiste sur le fait que le jeu ne doit être compris que comme une partie émergente de problèmes névrotiques. Même s’ils ont cessé de jouer, la reconnaissance (gratefulness) manifestée par ces patients envers le thérapeute lui paraît liée à la persistance d’un fonctionnement masochiste passif.

Travaux récents

Rosenthal et Rugle (1994renvoi vers) proposent une approche psychodynamique du jeu pathologique, qui peut s’inscrire dans la lignée de Bergler. Leur approche comporte plusieurs étapes, tendant à obtenir l’abstinence. Il s’agit de repérer les raisons qui ont conduit le sujet à surinvestir le jeu, afin de travailler sur les déterminants profonds de la conduite. La conduite doit donc pouvoir prendre sens, en fonction de l’histoire du sujet. Dépasser les défenses liées à la toute-puissance infantile et au déni est un premier temps, mais l’abstinence doit être acquise rapidement. Briser le cycle de la « chasse » est également une étape de cette approche. Comme dans le cas de pathologies de type narcissique, les auteurs insistent sur les modalités particulières dans l’analyse de joueurs du transfert comme du contre transfert, marqués tant par l’idéalisation que par les tentatives de maîtrise.
Bucher (2005renvoi vers) pointe la complexité au niveau inconscient des démarches d’auto-interdiction de casino, qui, parfois, transfèrent les tendances au défi et à la transgression sur la possibilité même de reprendre le jeu, dans un contexte encore plus transgressif. Il aborde également les spécificités de la place de la dette dans la conduite des joueurs (Bucher, 1993renvoi vers et 1997renvoi vers).
Valleur et Matysiak (2006renvoi vers) tentent, à travers des études de cas succinctes, de pointer la dialectique, chez les joueurs comme chez d’autres « addicts », entre les mécanismes de l’addiction, et la place de la conduite dans l’histoire des sujets. En matière de jeu, la relation à la loi et à la fonction paternelle est souvent au premier plan, mais parfois également le sentiment d’injustice devant des événements de vie.
La notion de conduites ordaliques (Valleur et Bucher, 1998renvoi vers) Valleur, 2005renvoi vers) peut être une tentative d’éclairage, au niveau d’approches de sens, des conduites étudiées, sous un angle scientifique, à travers la notion de recherche de sensations.
La plupart des travaux exposés par ailleurs sur les addictions ne portent pas sur le jeu pathologique. Un ouvrage récent (Bucher et coll., 2005renvoi vers) recueille des réflexions psychanalytiques sur le jeu et le hasard, dans la lignée des réflexions de Lacan, sans aborder spécifiquement les questions de traitement. Ici, une limite des évaluations de traitement tient donc au problème des approches « de sens », qui ne s’inscrivent pas facilement dans un cadre permettant une évaluation, tant elles sont éloignées d’une quantification initiale des questions à traiter. La question du sens ne peut toutefois être éludée de travaux sur le jeu pathologique. À un niveau clinique, il s’agit de travailler sur la place que peut prendre le jeu, ainsi que la dépendance, pour un sujet, en fonction de son histoire propre. À un niveau plus général, il s’agit d’aborder le jeu dans ses relations à la culture et l’histoire. Il conviendrait, parallèlement aux approches scientifiques des pathologies addictives, d’encourager les recherches tant psychanalytiques qu’anthropologiques sur le jeu et sur le jeu excessif.
En conclusion, bien que n’étant pas évaluées selon les critères scientifiques reconnus, un certain nombre de prises en charge psychothérapiques relevant d’approches diverses (psychosociales, psychodynamiques…) sont pratiquées. Chacune semble représenter un intérêt surtout en fonction de la personne à laquelle elle s’adresse. Plusieurs auteurs attirent l’attention sur l’utilité d’intégrer ces diverses approches dans une prise en charge multimodale pouvant être déclinée de manière appropriée aux différents moments du parcours de soin du patient.

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