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Med Sci (Paris). 35(6-7): 495–496.
doi: 10.1051/medsci/2019098.

Le travail est-il toujours bon pour la santé ?

Marcel Goldberg1*

1Unité Cohortes épidémiologiques en population-Inserm-UVSQ16 avenue Paul-Vaillant-Couturier94800Villejuif, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Asbestose, Phénomènes biomécaniques, Cancérogènes environnementaux, Emploi, Polluants environnementaux, Ingénierie humaine, Femelle, France, Comportements à risque pour la santé, État de santé, Humains, Mâle, Tumeurs, Maladies professionnelles, Exposition professionnelle, Facteurs socioéconomiques, Chômage, Travail, étiologie, toxicité, mortalité, effets indésirables, statistiques et données numériques

 

Il est bien établi que le chômage est associé à un mauvais état de santé, se traduisant notamment par une surmortalité de 60 % des chômeurs [1] ().

(→) Voir le Faits et chiffres de P. Meneton et al., m/s n° 8-9, août-septembre 2017, page 785

Cela signifie-t-il pour autant que le travail est bon pour la santé ? On aimerait le penser, mais ce n’est pas toujours le cas, et il existe de nombreuses situations où conditions de travail et expositions professionnelles sont à l’origine de problèmes de santé divers.

Chacun sait que l’amiante cause des cancers et que les accidents du travail causent des morts. Mais ces exemples connus de tous ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. Sans remonter à Ramazzini et son De morbis artificum diatriba publié en 17001, il existe en effet une ancienne et abondante littérature sur les risques pour la santé occasionnés par l’environnement professionnel, et de très nombreux facteurs de risque d’origine professionnelle de nature variée ont été identifiés : substances chimiques, bruit, température, vibrations, rayonnements, agents biologiques, contraintes physiques et posturales, charge mentale et de stress, horaires et rythme de travail, etc. Certains de ces facteurs concernent une fraction très importante de la population : ainsi, environ 25 % des hommes retraités ont été exposés à l’amiante [2], tandis qu’environ 2 millions de salariés (1,7 million d’hommes et 300 000 femmes) sont exposés au moins à un agent cancérogène pour l’appareil respiratoire durant leur carrière professionnelle ; en 2013, 11,4 % de la population française active, soit plus de 3 millions de personnes, étaient régulièrement exposées aux solvants oxygénés pendant leur travail, et 34 % des salariés étaient exposées en 2016 à au moins trois des cinq contraintes physiques les plus fréquentes (rester longtemps debout, rester longtemps dans une posture pénible, effectuer des déplacements à pied longs et/ou fréquents, devoir porter ou déplacer des charges lourdes, subir des secousses ou des vibrations) [3].

Ces conditions de travail et d’exposition à des nuisances diverses ont des conséquences importantes et les maladies d’origine professionnelle sont nombreuses et diverses : cancers, affections respiratoires, maladies cardio-vasculaires, affections articulaires et troubles musculo-squelettiques, troubles psychologiques et dépressifs, troubles dermatologiques et allergiques, asthme, troubles de la reproduction, troubles de l’audition, etc. Pour ne citer que quelques exemples, environ 15 % des cancers du poumon chez les hommes sont occasionnés par une exposition professionnelle à l’amiante et 10 % de tous les cancers masculins par des expositions à des cancérogènes professionnels ; 3,5 % des infarctus du myocarde sont induits par le stress au travail, ce qui correspond pour la France à 3 400 à 4 000 cas chaque année ; environ 15 % des asthmes de l’adulte sont d’origine professionnelle. Les troubles musculo-squelettiques occasionnés par des contraintes biomécaniques sont la première cause d’arrêt de travail et de sortie prématurée de l’emploi [4]. Globalement, la fraction de la mortalité totale attribuable à des facteurs professionnels a été estimée entre 5 et 7 %, ce qui à l’échelle mondiale occasionnerait 1 à 2 millions de décès par an [5] ; ce sont donc plus de 30 000 décès qui seraient attribuables chaque année, en France, à des facteurs professionnels.

Outre le poids considérable de la pathologie d’origine professionnelle sur la santé de la population, il faut souligner que les facteurs professionnels sont aussi un des déterminants majeurs des inégalités sociales de santé. Ces inégalités sont bien documentées et concernent à un degré variable pratiquement tous les domaines de la médecine, les catégories sociales les moins favorisées étant quasiment toujours plus concernées. De nombreux travaux « d’épidémiologie sociale » ont mis en évidence le rôle de déterminants des inégalités de nature diverse, notamment les comportements à risque pour la santé (tabac et alcool, sédentarité, etc.) : ce serait parce que les ouvriers fument plus et consomment plus d’alcool que les cadres qu’ils souffrent plus fréquemment de cancer. S’il est clair que ces facteurs contribuent aux inégalités sociales de santé, ils ne suffisent pas à expliquer leur ampleur. Ainsi, à titre d’exemple, on estime que, même pour les cancers très fortement liés à des comportements à risque personnels (tabac et alcool pour les cancers du poumon, de la vessie et du larynx), la contribution des facteurs d’origine professionnelle aux inégalités sociales est considérable : de l’ordre du quart à la moitié des différences sociales sont expliquées non par des comportements individuels mais par l’exposition à des cancérogènes en milieu de travail [4]. La raison en est que les expositions professionnelles pathogènes sont distribuées dans la population de façon très inégalitaire. Ce sont essentiellement les travailleurs manuels qui sont exposés aux produits chimiques, aux contraintes ergonomiques et biologiques, etc. Ainsi, selon l’enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels), si, en 2010, environ 2 % des cadres étaient exposés à au moins un produit chimique cancérogène, ce pourcentage s’élevait à 25 % chez les ouvriers qualifiés ; environ 10 % des cadres étaient exposés à au moins une pénibilité de nature biomécanique, chimique ou organisationnelle, ce pourcentage atteignant 70 % des ouvriers qualifiés et non qualifiés ; avoir été exposé à au moins 3 nuisances ne concerne pratiquement aucun cadre, mais près de 30 % des ouvriers. Et, contrairement à l’opinion générale, ce ne sont pas les cadres qui sont les plus concernés par le stress au travail : s’ils sont près de 12 % dans ce cas, ce sont entre 24 et 31 % des employés et ouvriers qui sont exposés au stress professionnel [6].

Devant un tel tableau, qui repose sur des données robustes, pour la plupart bien établies depuis longtemps, on ne peut donc qu’être surpris de la méconnaissance et de la sous-estimation de l’importance de la maladie professionnelle, non seulement dans le grand public, mais également dans le monde médical. Et s’étonner aussi de la quasi-absence de financements consacrés à la recherche sur les risques professionnels, alors que leur coût pour la société est estimé dans différents pays comme allant de 2 à 14 % du PIB.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Bernardino Ramazzini (1633-1714) était un professeur de médecine italien qui, dans son « Traité des maladies des artisans », introduisit pour la première fois la notion de pathologies professionnelles.
References
1.
Meneton P, Plessz M, Courtin E, et al. L’impact du chômage sur la santé. La cohorte Constances, un outil d’études prometteur . Med Sci (Paris). 2017; ; 33 : :785.–789.
2.
Goldberg M, Banaei A, Goldberg S, et al. Past occupational exposure to asbestos among men in France . Scand J Work Environ Health. 2000; ; 26 : :52.–61.
3.
Évaluation des expositions professionnelles : un levier pour la prévention . Bull Epidemiol Hebd. 2018; :12.–13 : 22 mai..
4.
Goldberg M, Melchior M, Leclerc A, Lert F. Épidémiologie et déterminants des inégalités sociales de santé. Apports récents et problèmes actuels . Rev Epidemiol Sante Publ. 2003;; 51 : :381.–401.
5.
Rushton L.. The global burden of occupational disease . Curr Environ Health Rep. 2017; ; 4 : :340.–348.