2008


ANALYSE

14-

Stratégies fondées sur la définition de populations à risque

Pour cibler une population à risque, l’idéal est de pouvoir mettre en évidence un ou des facteurs de risque commun(s) à cette population, ceci permettant d’avoir une probabilité plus importante de trouver des enfants avec des plombémies élevées. L’identification de groupes à haut risque est difficile en population générale « tout-venant ». Les stratégies de dépistage de populations à haut risque sont le plus souvent définies après la mise en évidence d’une contamination environnementale importante (sites industriels notamment) ou suite à l’apparition d’un cluster de cas. Certains groupes à risque sont faciles à identifier : les enfants des travailleurs exposés au plomb (rôle important du médecin du travail), les enfants récemment adoptés, la fratrie d’un cas...
Une bonne définition d’un groupe à risque au sein d’une population n’est pas le garant d’un dépistage efficace, encore faut-il convaincre le groupe à risque de l’utilité du dépistage et proposer une organisation du dépistage qui permette de toucher l’ensemble de la population cible. Cela nécessite une préparation et une organisation qui facilite au maximum l’accès au dépistage (gratuité, prise de sang sur le site par un professionnel sachant effectuer le prélèvement chez les enfants, forte implication des équipes médicosociales).

Enfants de travailleurs exposés au plomb

Les principales stratégies fondées sur la définition des populations d’enfants de travailleurs exposés au plomb, réalisées en France sont présentées sur la figure 14.1.
Ce type de dépistage concerne les enfants dont les parents exercent une activité à risque qui induit un apport de poussières chargées en plomb au domicile. Des dépistages systématiques ont été organisés en direction de diverses professions.
Figure 14.1 Entrées par activité professionnelle des parents

Travailleurs des fonderies de plomb

Lors de plusieurs dépistages organisés autour de sites pollués, les enfants dont les parents travaillaient dans une usine utilisant du plomb ont été inclus dans le dépistage, indépendamment de leur résidence à proximité du site (Bourg Fidèle 1998 et 2002, Arnas 1999). Ces dépistages ont montré un effet significatif de la profession du parent sur la plombémie de façon constante.
Les deux campagnes de dépistage réalisées dans le Loiret 1995 et 2001 ciblaient spécifiquement les enfants des travailleurs de deux sites étudiés : elles ont montré un lien entre la plombémie des enfants et la plombémie des parents.

Ferrailleurs

Plusieurs dépistages ont été réalisés parmi des gens du voyage ayant une activité de ferraillage (Annemasse 1998, Toulouse 2003, Bordeaux 2000, Nan-tes…). Ce sont des campagnes de dépistage de petites tailles quasi uniquement réalisées, à ce jour, autour de cas de saturnisme signalés par la PMI ou les médecins généralistes.
L’organisation du dépistage a été adaptée à la population cible et a nécessité une collaboration étroite avec les associations des gens du voyage. Des supports de communication spécifiques (plaquettes, affiches...) ont été développés pour sensibiliser les gens du voyage (Essonne, Loire Atlantique).
Des plombémies souvent élevées ont été retrouvées lors des campagnes réalisées, particulièrement chez les garçons de plus de 8-10 ans, âge à partir duquel les enfants commencent à participer aux activités professionnelles.
Ainsi, à Toulouse en 2003, suite au signalement de l’intoxication d’un enfant de 12 ans présentant une plombémie de 163 µg/l, un dépistage a été organisé au sein d’un quartier accueillant la population tsigane. Sur 52 plombémies réalisées, 11 se sont révélées supérieures à 100 µg/l, soit un taux de 21 %. La plombémie maximale de 220 µg/l a été relevée chez un garçon âgé de 16 ans. Des adultes étaient également contaminés (Chochon et Remesy, 2003renvoi vers).
La forte contamination des sols par des métaux lourds est généralement rapportée. Cette contamination est liée à des activités de démontage des batteries, de découpe et manipulation de ferrailles et de brûlage de matériaux (câbles) pour en séparer les métaux. Parfois, cette contamination peut être liée à l’historique du site lui-même ou à son emplacement (ancienne activité industrielle, décharge sauvage, proximité de centres routiers...). D’autres activités épisodiques comme le décapage de ferronneries peuvent également être à l’origine d’une exposition au plomb.
L’organisation sociale des différentes communautés de gens du voyage conduit parfois à ce que même en présence d’une plateforme de traitement adaptée sur une aire (éloignement, aire cimentée, récupération des eaux, clôture...), l’activité de ferraillage, parce que pratiquée dans le cercle familial, demeure à proximité immédiate des caravanes et des aires de jeu des enfants et continue de constituer une source d’exposition (poussières, vêtements, contacts main-bouche, véhicules contaminés...).
Dans ces études, les difficultés rencontrées sont de divers ordres :
• ancrée dans une culture de l’immédiateté, la population des gens du voyage est peu sensible aux messages de prévention sanitaire, l’appui des associations représentatives est indispensable pour intégrer cette problématique dans celle plus large de l’accès à la santé et aux soins ;
• la conduite des enquêtes environnementales se heurte parfois aux difficultés de financement des prélèvements, des analyses de sols ou des études de risque non expressément prévus par la réglementation axée essentiellement sur le traitement palliatif des peintures cérusées ;
• lors de l’identification d’une source de pollution, la prise en charge des travaux de dépollution est complexe (décapage de surface des sols), la mise en place de solutions alternatives (création d’équipement) fait parfois l’objet d’enjeux administratifs ou politiques (cautionnement d’activités nocives) ;
• il existe un décalage entre les solutions proposées par l’administration et les attentes des familles fidèles à leur mode de vie.
Par ailleurs, les modes d’exposition aux composés du plomb chez les ferrailleurs restent mal documentés, les techniques employées étant elles-mêmes mal connues.
Ces spécificités, à la fois en termes d’exposition, de mode de vie et de prise en charge du risque conduisent les services à limiter les actions de dépistage autour des cas index tout en développant parallèlement des actions de prévention.

Poterie et céramique

Campagne de Soufflenheim (Bas-Rhin)

Un signalement de 3 cas de saturnisme infantile (2 enfants de potier fréquentant l’atelier parental et un apprenti potier de 17 ans) dans la commune de Soufflenheim dans le Bas-Rhin a été fait en 2004. Connaissant l’utilisation du plomb pour cette activité artisanale qui est la principale activité de cette commune, il a été décidé de mettre en place une campagne de dépistage du saturnisme infantile. Il s’agissait de vérifier si une contamination environnementale plus large avait eu lieu. Le dépistage a été réalisé par le médecin de PMI auprès des enfants des 2 classes de petite section de maternelle de la commune. Lors de sa consultation, le médecin de PMI complétait pour chaque enfant un questionnaire recherchant les facteurs de risque, prescrivait une plombémie et prenait rendez-vous pour la réalisation de la prise de sang. Les prélèvements ont été réalisés sur le site de la commune grâce au déplacement du laboratoire. Cette campagne de dépistage s’est déroulée au cours du 1er semestre 2005. Au total, 53 enfants ont bénéficié d’une prise de sang (taux de participation de 76 %). Un enfant avait une plombémie supérieure à 100 µg/l. L’enquête environnementale réalisée au domicile de l’enfant et sur son lieu de garde n’a pas mis en évidence une source de plomb environnemental : les contrôles de plombémie réalisés par la suite chez cet enfant révélaient des taux inférieurs à 100 µg/l. Cette campagne de dépistage du saturnisme infantile a été suivie d’une étude de modélisation environnementale. Des mesures de concentrations de plomb dans l’air, de dépôts de plomb dans l’environnement ainsi que dans les zones les plus touchées par cette pollution ont été réalisées à Soufflenheim. Les résultats des mesures de concentration dans l’air étaient tous inférieurs aux limites de quantification de l’appareil de mesure. Les concentrations estimées dans les sols liées aux émissions atmosphériques étaient environ 8 fois inférieures aux valeurs habituellement trouvées au niveau des sols agricoles français. Une modélisation de la dispersion atmosphérique du plomb à partir des valeurs mesurées à l’émission (cheminées) n’a pas pu être réalisée en raison de l’impossibilité de procéder aux mesures à l’émission. En raison des résultats « rassurants » des mesures environnementales, l’étude s’est arrêtée à cette étape et la campagne de dépistage n’a pas été reconduite.
La légitimité de la campagne de dépistage suite à l’émergence d’un cluster de cas en 2004 (seuls cas du département pour cette année) a été reconnue par les élus locaux associés à la démarche. Une sensibilisation des médecins du secteur avait été réalisée. L’absence de cas dépisté lors de cette campagne malgré un fort taux de participation, n’a pas rendu nécessaire le renouvellement de ce dépistage.

Étude de faisabilité Languedoc-Roussillon

En 2004 et 2005, des cas groupés de saturnisme ont été diagnostiqués parmi les enfants des salariés d’une même entreprise de poterie artisanale dans l’Aude. Sur 6 enfants dépistés dont 2 fratries de 2 enfants, 5 présentaient un résultat de plombémie de primodépistage compris entre 114 et 240 µg/l. Suite à cet épisode, un groupe de travail régional a été constitué et une étude de faisabilité d’un dépistage a été entreprise sur un secteur géographique du Gard et de l’Hérault, comprenant 16 entreprises ayant au moins un salarié suivi par la médecine du travail et 42 entreprises artisanales de poterie ou de céramique (Cire Languedoc-Roussillon, consultable sur le RESErenvoi vers). Le dépistage devait concerner les enfants de 6 mois à 6 ans ayant un parent exerçant une activité dans le secteur de la poterie ou la céramique, qu’il soit salarié ou artisan. Il a été proposé aux familles de recourir à la consultation de secteur de PMI pour une consultation médicale de dépistage et une prescription de dosage de plombémie. La prise de sang pouvait être réalisée dans le laboratoire d’analyse médicale choisi par les parents. L’information des parents a été faite :
• dans les entreprises, au moment de la consultation de médecine du travail habituelle, et lors de réunions collectives sur le risque professionnel d’exposition au plomb et le risque d’intoxication secondaire familiale ;
• chez les artisans indépendants, par une communication orale réalisée par l’inspection médicale régionale du travail et la Cire lors d’une assemblée générale de l’association des céramistes du Languedoc-Roussillon, et par un courrier d’invitation au dépistage.
Les résultats ont été décevants, puisque aucun enfant ne s’est présenté en consultation de PMI. Deux salariés ont toutefois demandé un dosage de plombémie pour leurs enfants, prescrit par leur médecin traitant après l’entretien avec le médecin du travail. Les trois plombémies réalisées étaient inférieures à 50 µg/l, malgré des niveaux de plombémie paternelle montrant une surexposition (433 et 235 µg/l).
Plusieurs hypothèses ont été formulées pour expliquer ce manque d’adhésion :
• un effectif d’enfants très faible ;
• une proposition de recours à la PMI inhabituel (versus le médecin traitant) ;
• une perception du saturnisme professionnel par le salarié associée à un risque d’inaptitude temporaire et à une perte de revenus, voire d’emploi ;
• une mauvaise connaissance par les artisans de la présence effective de sels de plomb dans les produits utilisés ;
• l’absence de signes cliniques chez l’enfant ;
• la crainte d’un geste invasif pour l’enfant (prise de sang).
Le groupe de travail régional a considéré que les résultats de l’étude de faisabilité n’étaient pas en faveur d’une généralisation des modalités de dépistage au niveau régional. Il a été suggéré la réalisation d’études sur la perception du risque de saturnisme chez les professionnels exposés, afin d’adapter les messages de prévention.

Enfants adoptés en provenance de l’étranger

Le système de surveillance des plombémies enregistre les motivations de la prescription de la plombémie. Parmi les « autres facteurs de risque », certains médecins ont indiqué en clair que le motif de la prescription était le fait que l’enfant avait été adopté à l’étranger. Cette pratique de dépistage est récente puisqu’on ne trouve des situations d’adoption parmi les cas de saturnisme qu’à partir de 2003 (tableau 14.I).

Tableau 14.I Nombre d’enfants adoptés avec plombémie ≥ 100 µg/l selon les années

Année
Nombre d’enfants adoptés avec plombémie ≥ 100 μg/l
2003
1
2004
6
2005
20
Elle semble correspondre à la recommandation faite par l’Agence française de l’adoption concernant les « bilans de santé à l’arrivée en France d’un enfant adopté à l’étranger ». Parmi les prélèvements sanguins, le document de l’Agence indique : « numération formule sanguine, dosage du fer sérique et de la ferritine (complété, selon le pays, d’une électrophorèse de l’hémoglobine ou encore d’un dosage de la plombémie) ».
Une recherche des situations d’adoption a été faite sur l’année 2005 pour l’ensemble des enfants testés qui étaient enregistrés dans la base nationale des plombémies en mai 2007, quel que soit le résultat de leur plombémie. Ces données n’étaient toutefois pas complètes et ne représentent qu’environ les 2/3 du dépistage. Le tableau 14.IIrenvoi vers montre les principaux pays d’origine pour lesquels sont prescrites des plombémies lors des adoptions et le résultat de ces dépistages1 .
La proportion de plombémies supérieures à 100 µg/l est très élevée pour les enfants venant d’Haïti et de Chine. Il faut toutefois modérer ces chiffres car il est probable que la complétude des données était meilleure dans la base pour les plombémies élevées que pour les plombémies basses (certains Centres antipoison saisissent prioritairement les plombémies élevées et la déclaration obligatoire des cas permet aussi de les obtenir plus rapidement). Les plombémies des enfants étrangers adoptés étaient modérées, le maximum étant de 202 µg/l.

Tableau 14.II Enfants adoptés avec plombémie≥ 100 µg/l selon le pays d’origine (d’après InVS)

Pays de naissance
Nombre d’enfants adoptés testés en 2005
Nombre de plombémies ≥ 100 μg/l
% de plombémies ≥ 100 μg/l
Haïti
25
13
52
Chine
36
6
17
Russie
14
1
7
Madagascar
4
0
0
Autres
14
0
0
Non précisé
17
0
0
Total
110
20
18
L’intérêt de ces dépistages peut être questionné puisque l’exposition est antérieure à l’arrivée en France : aucune action environnementale n’est possible (sauf s’assurer que l’enfant n’aura pas de surexposition en France, ce qui est peu probable vu l’encadrement des conditions d’adoption) et une prise en charge médicale spécifique n’est pas indiquée pour les plombémies modérément supérieures à 100 µg/l.
On peut également s’intéresser au fait que ce dépistage n’est pas proposé aux enfants entrant en France dans le cadre du regroupement familial ou dans le cadre d’un asile politique, ces enfants pouvant venir des mêmes pays que ceux des enfants adoptés. Si de plus l’intoxication est liée aux habitudes alimentaires (poteries traditionnelles, théières avec soudures au plomb, consommation d’aliments du pays contenus dans des conserves avec des soudures au plomb), l’intoxication persistera en France. Ce dépistage apporterait donc un bénéfice direct pour l’enfant et sa famille dans ce cas.

Dépistage de populations en fonction d’indicateurs de pauvreté

Même si le dépistage du saturnisme s’adresse généralement à des familles ayant des revenus modestes, qui souvent peuvent vivre dans des conditions de précarité, cette situation est le résultat du ciblage du dépistage sur l’habitat ancien dégradé. Il n’existe pas véritablement d’actions de dépistage en France qui soient fondées sur des indicateurs de pauvreté comme préconisé aux États-Unis (dépistage systématique des enfants bénéficiant de l’aide médicale ou alimentaire). Il ne semble pas souhaitable de suivre l’exemple des États-Unis, l’intoxication étant liée aux conditions mêmes du logement. L’importante flambée du prix de l’immobilier fait que des personnes a priori « non pauvres » peuvent se retrouver dans un habitat insalubre faute de pouvoir se loger ailleurs. Il est donc plus pertinent de travailler sur l’habitat ancien dégradé et/ou insalubre afin de ne pas passer à côté du véritable facteur de risque.

Bibliographie

[1] chochon a, remesy mc. Cas d’intoxication au plomb chez les Tsiganes ferrailleurs. SCHS Toulouse. 2003; Retour vers
[2]réseau d’échanges en santé environnementale (rese). Intranet du ministère de la Santé. Retour vers

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