2008


ANALYSE

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Dépistages au long cours en région parisienne

Les stratégies locales de dépistage « au long cours », c’est-à-dire fondées sur des stratégies pérennes, avec des résultats pluriannuels et un nombre important de cas dépistés, sont relativement rares, et situées dans les zones repérées (Paris, Seine-Saint-Denis, région lyonnaise, Nord-Pas-de-Calais...). Parmi les communes à l’échelle desquelles ces stratégies ont été mises en œuvre, il est intéressant d’examiner le cas des communes de Paris et d’Aubervilliers : elles représentent en effet à elles deux 35 % des cas de saturnisme survenus en 2005, et ont déployé l’une et l’autre des moyens conséquents en matière de dépistage.

Expérience parisienne

Le dépistage du saturnisme infantile a été initié par le service de PMI parisien dès 1987, après que la découverte de quelques cas d’intoxication ait attiré l’attention sur une pathologie jusque là méconnue. Les équipes hospitalières pédiatriques, le centre antipoison, le laboratoire d’hygiène, le service de PMI de Paris ont collaboré dès le départ pour comprendre la nature et prendre la mesure du problème posé par ces intoxications.
Après des investigations préliminaires auprès des familles et des enfants domiciliés dans des habitats vétustes et insalubres, et la recherche des différentes sources possibles de plomb toxique, la responsabilité des peintures anciennes, riches en plomb acido-soluble, s’est imposée d’évidence dans la survenue de cette nouvelle pathologie des jeunes enfants. L’analyse de la littérature scientifique sur les troubles induits et leur symptomatologie ainsi que les recommandations du CDC d’Atlanta sur les mesures à mettre en œuvre pour dépister les enfants exposés et maîtriser le processus d’intoxication, ont servi de référence pour initier un programme de dépistage d’envergure.
Le service de PMI et le laboratoire d’hygiène de la ville de Paris (LHVP) ont été initialement les principaux promoteurs de ce programme de dépistage du fait de l’importance du dispositif des centres de consultation de protection infantile, dont le public comportait de nombreux enfants potentiellement exposés. Les équipes de PMI ont été, et sont toujours, les principaux acteurs du dépistage des enfants intoxiqués par le plomb à Paris. L’équipe du LHVP assure les dosages biologiques et les enquêtes environnementales des enfants intoxiqués. Cette étroite coopération a d’emblée facilité la mobilisation des acteurs, qui ne s’est jamais interrompue.

Étapes successives du dépistage à Paris

Le dépistage du saturnisme à Paris a évolué avec le développement des connaissances sur la maladie, les processus d’intoxication par les peintures et les procédures de réduction du risque et a accompagné les modifications du cadre réglementaire qu’il a contribué à faire évoluer. On peut décrire plusieurs phases différentes.

Phase initiale : identification du problème de santé publique

Les premiers cas d’intoxication d’enfants domiciliés dans l’est parisien ont été signalés en 1985 au médecin de PMI responsable du 11e arrondissement par une équipe de l’hôpital Trousseau. En juillet 1986, la première investigation a recherché l’intoxication chez l’ensemble des habitants, adultes et enfants, des deux adresses concernées. Les résultats ont apporté deux notions fondamentales : la pathologie ne concerne que les enfants, et elle a un caractère chronique, les chélations dont certains d’entre eux avaient bénéficié n’ayant pas ramené la plombémie au dessous du seuil d’intervention de l’époque (250 µg/l).
En février 1987, l’équipe de PMI du 11e arrondissement et le LHVP explorent les plombémies d’enfants fréquentant les centres de PMI du quartier et habitant des logements vétustes et dégradés et les comparent à celles d’enfants recrutés en population générale par le service des bilans de santé de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) situé dans le même arrondissement. La comparaison des plombémies montrait une différence très nette entre le groupe des enfants recrutés en PMI, fortement exposés, avec 9 % de plombémie supérieure au seuil de 250 µg/l, et le groupe témoin, dans lequel aucun enfant ne dépassait ce seuil. La responsabilité des peintures anciennes et dégradées riches en plomb acido-soluble est confirmée comme agent toxique en cause.

Début du dépistage dans l’est parisien

Ces deux études préliminaires ont convaincu les responsables du service de PMI et du LHVP d’engager une campagne de dépistage systématique dans les centres de PMI des arrondissements du nord est parisien (10e, 11e, 18e, 19e, 20e) ayant une forte concentration d’immeubles vétustes, dégradés et insalubres.
Mobilisées par les investigations préliminaires, et convaincues de l’utilité de leur action, qui est à ce stade centrée sur le repérage d’enfants intoxiqués nécessitant un traitement chélateur, les équipes se sont engagées dans ce travail avec l’enthousiasme des pionniers.
La première phase de cette campagne a consisté à établir, en collaboration avec l’équipe du département de santé publique de l’hôpital Bichat et les équipes pédiatriques hospitalières, un protocole simple précisant les facteurs de risque et la symptomatologie à rechercher par l’interrogatoire pour indiquer la réalisation d’une plombémie. Trois types de critères sont utilisés : les signes cliniques sont peu spécifiques (anémie rebelle au traitement martial, troubles du comportement, douleurs abdominales et constipation tenace), la présence d’un cas dans l’entourage fait explorer les fratries et les voisins d’immeubles, les caractéristiques de l’habitat (vétuste, peinture dégradée avec présence d’écailles au domicile et dans les parties communes) et le comportement de l’enfant avec les écailles (pica). Une plombémie était proposée à tous les enfants présentant un facteur de risque ou un état clinique évocateur. Ceux qui présentaient un taux supérieur ou égal à 250 µg/l étaient orientés vers les services hospitaliers pour la prise en charge thérapeutique.
Simultanément, les médecins de PMI ont informé l’ensemble des acteurs médicaux et sociaux susceptibles d’assurer auprès des familles concernées le travail d’explication et de conviction indispensable pour les accompagner dans les démarches de soins proposées par les équipes de PMI. Dans le 11e arrondissement, une centaine de professionnels de santé, de travailleurs sociaux, de travailleuses familiales et aides ménagères intervenant au domicile et d’animateurs intervenant dans des associations d’alphabétisation, ont découvert la maladie et ses facteurs de risque, ses modalités de survenue et les principes du dépistage, du traitement et des mesures préventives.
Les équipes de PMI ont utilisé ce protocole d’investigation par l’interrogatoire et la clinique pour l’ensemble des enfants fréquentant les centres de consultation de protection infantile. Appliqué de façon systématique à une population probablement exposée depuis plusieurs années, ce dépistage a connu une efficacité remarquable. Cette période se caractérise par une proportion importante d’enfants diagnostiqués, malgré un seuil d’intervention à l’époque élevé (plombémie 250 µg/l) et orientés vers une prise en charge hospitalière, et par une part importante des formes graves (figure 9.1).
Une enquête environnementale était effectuée par le LHVP pour tous les enfants intoxiqués afin d’identifier les sources d’intoxication, et d’aider les familles à mettre en œuvre les mesures de prévention et de maîtrise des processus d’intoxication (Comité technique plomb, 1994renvoi vers). Des informations individuelles et collectives, à l’aide d’un diaporama d’éducation pour la santé édité pour la circonstance par la CPAM de Paris, expliquaient aux familles les causes de l’intoxication, les mesures de prévention et les modalités de prise en charge thérapeutique.
Enfin, les consultations de PMI ont organisé le suivi des enfants toujours exposés (Delour 1989renvoi vers; Delour et Squinazi 1989arenvoi vers et brenvoi vers ; Blondin et Squinazi, 1989renvoi vers).
Figure 9.1 Répartition des plombémies de primodépistage en fonction des seuils d’intervention (d’après Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris)

Premières difficultés

Ce travail de dépistage porté par une intense mobilisation a rencontré de nombreuses difficultés, qui ont dû chacune faire l’objet d’actions particulières.
La première fut de convaincre les familles de pratiquer des examens sanguins pour des enfants le plus souvent asymptomatiques, alors qu’elles ne connaissaient pas le problème et n’exprimaient aucune demande d’ordre sanitaire. Ces familles savaient que le résultat débouchait assez souvent sur une hospitalisation de 24 heures pour une plomburie provoquée, elle-même susceptible de se prolonger par des hospitalisations de cinq jours à répétition pour un ou plusieurs enfants de la même famille. Rapidement s’est installée une stratégie de déni destinée à échapper aux débours importants induits par ce parcours de soins. En effet, si la plombémie effectuée au LHVP était gratuite, les familles souvent bénéficiaires d’aides médicales ou dépourvues de mutuelles payaient à l’hôpital les consultations, les bilans et l’hospitalisation. Il a fallu mettre en place en urgence des procédures de dispense d’avance de frais pour mettre fin à cet évitement.
L’organisation de séances de prélèvements dans les locaux des consultations de PMI par les infirmières du LHVP facilita l’observance des familles aux prescriptions non seulement des plombémies de dépistage, mais aussi à celles du suivi, renouvelées pendant plusieurs années faute de mesures efficaces au niveau des conditions d’habitat.
Les services hospitaliers, saturés par le flux d’enfants adressés pour des plomburies de 24 heures, durent mettre au point une méthode de plomburie provoquée sur cinq heures, réalisable en hospitalisation de jour, et plus économique (Iniguez et coll., 1995renvoi vers).
Le plus difficile fut d’engager la réflexion sur la prise en charge des causes de cette maladie. La question des conditions de logement des familles concernées se posa d’emblée aux soignants, contraints d’admettre leur impuissance sur la cause du problème, d’expliquer comment vivre dans un environnement dangereux, et de renvoyer vers cet environnement des enfants qu’il fallait cependant guérir. Cette absence d’offre de solution a rendu difficile le suivi à long terme des enfants exposés dont la plombémie devait être contrôlée même en l’absence d’intoxication. Cette situation paradoxale a toujours entretenu le haut niveau d’engagement des équipes impliquées pour faire émerger des solutions efficaces. La première démarche parisienne dans ce domaine a été portée par le secteur associatif. Médecins sans Frontières et Migrations Santé ont réalisé le premier programme expérimental de suppression des peintures au plomb, mettant ainsi l’accent sur le vrai niveau de prise en charge du problème dans sa globalité, et initiant le dialogue avec les instances en charge des questions de logement (Bourdillon et coll., 1990renvoi vers; Fassin, 2001renvoi vers; Naudé et Fassin, 2004renvoi vers).

Bilan de la première étape et la généralisation du dépistage

Après quatre ans d’action intensive, les évaluations menées par le service de PMI, le LHVP, le service de santé publique de Bichat vont infléchir le cadre d’intervention.
L’analyse de la cohorte d’enfants suivis par la PMI indique alors que les mesures d’information et d’éducation à la santé contribuent à réduire l’évolution des plombémies, et à maîtriser le processus d’intoxication pour la majorité des enfants. Cependant, certains connaissent des aggravations, et d’autres interrompent leur suivi pour le saturnisme tout en continuant à fréquenter la consultation de PMI (Fontaine et coll., 1992renvoi vers).
Une étude menée sur un échantillon représentatif de la population fréquentant l’ensemble des centres de PMI parisiens a permis d’évaluer l’efficacité du dépistage et d’estimer la prévalence de l’intoxication dans cette population. Elle a montré que l’application du protocole proposé aux équipes permettait de repérer deux enfants sur trois au seuil de 150 µg/l (seuil d’intervention recommandé depuis octobre 1991 par les CDC) et trois enfants sur quatre au seuil de 250 µg/l (seuil d’orientation vers le secteur hospitalier). Parmi les critères de risque utilisés dans le protocole, seuls le pica, la présence d’écailles et/ou un cas dans l’entourage donnaient lieu à une prescription systématique de plombémie. C’est l’insuffisance de connaissance des conditions d’habitat qui expliquait pour la plupart des cas l’absence de proposition d’une plombémie. Elle a par ailleurs estimé la prévalence des enfants au seuil de 150 µg/l dans la population de la PMI à 10 %, sur l’ensemble du territoire parisien avec bien sûr une proportion plus élevée dans le nord est (Alfaro et coll., 1993renvoi vers).
Ces informations ont permis de procéder à une évolution de la stratégie de dépistage en PMI. D’une part, il a été étendu à l’ensemble du dispositif de PMI parisien (70 centres de protection infantile, plus de 50 000 enfants suivis dont une forte proportion de moins de deux ans). D’autre part, les critères d’indication de la plombémie ont été élargis, notamment à des habitats anciens dont le niveau de dégradation pouvait être mal estimé. L’absence d’écailles et de pica, en particulier, ne devait plus faire hésiter à poser l’indication d’une plombémie, le rôle des poussières ayant été largement démontré. La procédure en vigueur, qui comportait toujours la vérification de la présence de plomb dans les écailles et les poussières au domicile des enfants ayant une plombémie ≥ 150 µg/l a conforté les prescripteurs dans la validité de leurs indications.
L’abaissement du seuil d’intervention (CDC, 1991renvoi vers) et l’élargissement des critères de dépistage ont contribué à augmenter le nombre d’enfants testés, intoxiqués ou non, et a doublé la taille de la cohorte des enfants en deçà du seuil du recours hospitalier, suivis par les seules équipes de PMI. Avec le temps, elle s’accroît aussi des nouveaux arrivants dans les immeubles à risque et des jeunes fratries des cas suivis. Pour faciliter l’organisation des convocations pour le suivi des plombémies par les équipes de consultation, le LHVP, qui effectue l’ensemble des prélèvements pour les services de la ville de Paris, et qui gère la base des données biologiques dans un fichier déclaré à la Cnil, édite pour elles des registres d’informations nominatives classées par centre de PMI et par adresse.
Les équipes hospitalières font, quant à elles, le bilan de leurs stratégies thérapeutiques ; elles s’efforcent de limiter le nombre et la durée des hospitalisations et des chélations, utilisent l’hospitalisation à domicile, et valident l’utilisation de la chélation per os (Yver et coll., 1991renvoi vers; Dolfuss, 2001renvoi vers).
Les efforts pour mobiliser le secteur de la médecine libérale sont entrepris. Deux études conduites en 1994 par le Syndicat de formation thérapeutique en médecine générale (SFTG) confirment que le dépistage dans la patientèle des cabinets libéraux a un faible rendement (4/164 enfants exposés et intoxiqués à seuil de 100 µg/l) (Simel, 1995renvoi vers). Une campagne d’information est alors organisée en direction des médecins pédiatres et généralistes libéraux. La diffusion par la mairie de Paris et l’Union régionale des médecins libéraux (URML) d’une plaquette explicative sur les données médicales, les acteurs mobilisés et les procédures de prise en charge faisant suite à un dépistage est accompagnée d’une série de séances d’enseignement post universitaires organisées en relation avec les instances professionnelles. La mobilisation des praticiens libéraux qui suivra ces mesures ne sera pas significative.
Le service des actions médicosociales scolaires du département de Paris se mobilise également auprès des enfants scolarisés en maternelle. Une recherche systématique des facteurs d’exposition, par l’interrogation des parents au cours du bilan de grande section de maternelle en vue d’une proposition de dépistage, est engagée dans les arrondissements du nord-est parisien pour les enfants non suivis par les consultations de PMI.
Enfin, l’origine des enfants intoxiqués, majoritairement l’Afrique sub-s-aharienne, suscite des recherches d’anthropologues de la santé sur les représentations de la maladie et les modalités de recours simultané de ces familles aux ressources de la biomédecine occidentale et de la médecine traditionnelle dans une tentative d’améliorer les conditions d’une bonne observance des prescriptions (Epelboin et coll., 1990renvoi vers).

Émergence des actions sur le logement

La publication des résultats des travaux de l’équipe d’Aubervilliers intervient simultanément à celle des résultats de l’évaluation du programme parisien en septembre 1993 (Ginot et coll., 1993renvoi vers). La recherche des immeubles contaminés par la détection de plomb dans les poussières ou les peintures des parties communes permet de repérer des intoxications modérées qui échappent au dépistage en PMI. Cette stratégie confirme l’importance des actions à engager à partir de l’habitat, seules capables de maîtriser efficacement les causes de la maladie et d’endiguer le développement de la cohorte d’enfants à suivre. En l’absence, à cette période, de procédures volontaristes sur l’habitat, et de réglementation spécifique, le recours aux procédures usuelles en cas d’insalubrité s’imposait, tant les caractéristiques des habitats des enfants dépistés et de leurs familles étaient celles de l’habitat insalubre dans la très grande majorité des cas (Dourlens, 2002renvoi vers et 2003renvoi vers).
Entre les années 1992 et 1996, les services de la ville de Paris ont collaboré, sur la base d’une procédure interne, pour que les conditions d’habitat des enfants intoxiqués soient traitées par les services compétents. Les familles dont un ou plusieurs enfants présentaient une intoxication « active », c’est-à-dire une plombémie supérieure ou égale à 150 µg/l, voyaient leur situation examinée par une double commission, médico-sociale d’une part, qui validait un dossier constitué d’attestations médicales de l’intoxication, des résultats de l’enquête environnementale effectuée par le LHVP (Squinazi et coll., 1989renvoi vers) confirmant la présence de plomb toxique, et d’un dossier social permettant d’instruire une demande de logement. Ce dossier, transmis aux services du logement de la ville de Paris, faisait alors l’objet d’une autre procédure, qui visait à obtenir un arrêté préfectoral d’insalubrité après avis de la commission des logements insalubres. Cette qualification permettait d’engager des procédures de relogement de la famille occupante, et de contraindre le bailleur à remédier aux facteurs d’insalubrité. Cette procédure complexe a nécessité de la part des services une certaine inventivité, notamment pour transmettre dans des conditions éthiques des informations de type sanitaire à des instances administratives. Malgré sa lourdeur, les résultats positifs furent au rendez-vous. Les relogements obtenus pour certaines familles redynamisèrent la mobilisation des équipes et des familles pour le dépistage et le suivi par la perspective de voir une réelle prise en charge globale du problème s’installer dans la durée.

Comité de pilotage départemental et mobilisation conjointe des services de l’État et de la collectivité parisienne

En avril 1996, le Préfet mobilise les services de l’État, conformément aux dispositions de la circulaire du 2 décembre 1993, pour constituer, avec les services de la collectivité parisienne, le comité départemental de pilotage de la lutte contre le saturnisme infantile. La structure de cette instance s’appuie sur l’organisation préexistante des services de la ville de Paris auxquels s’adjoignent la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) pour la commission santé, et la Direction de l’urbanisme et de l’équipement (Dule) pour la commission logement, qui se nomme alors, de façon volontariste, commission opérationnelle. Car il s’agit bien d’agir concrètement sur la cause principale de ce problème du logement insalubre. L’intervention prend la forme d’une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (Mous) qui permet d’engager sur l’ensemble du territoire parisien des mesures de réduction du risque, de proposer, si possible, des relogements. Des mesures spécifiques au saturnisme sont également désormais introduites dans l’ensemble des opérations d’amélioration de l’habitat (Opah) qui sont engagées. Les dispositions de la loi du 28 juillet 1998 confortent les actions déjà engagées, et leur donnent une assise qui permet d’améliorer l’efficacité du dispositif coordonné par le comité départemental de pilotage. Les opérateurs sanitaires et sociaux financés dans le cadre de programme national assurent une coordination cohérente entre les familles, les équipes qui effectuent les dépistages et le suivi des questions sanitaires, et les services intervenant sur les logements. Malgré l’intérêt de cette procédure pour la santé des enfants, il fut parfois difficile de convaincre les familles d’accepter la réalisation des mesures d’urgence sans craindre que la réduction des facteurs de risque ne ruine leurs chances d’un relogement.
Enfin, le 30 mai 2003, dans le cadre de la convention publique d’aménagement conclue entre l’État et la ville de Paris, celle-ci confie à la Société immobilière d’économie mixte de Paris (Siemp) le programme parisien de réduction du saturnisme et de l’habitat insalubre. La Siemp dispose d’un opérateur sanitaire et social spécifique et coordonne son action avec les équipes de dépistage. Les interventions concernent les familles logeant dans les immeubles les plus dégradés, grands pourvoyeurs d’intoxications et bien connues des équipes de dépistage.

Impact sur le dépistage des actions sur le logement

La lecture critique des résultats du dépistage parisien permet d’établir un lien entre le niveau d’activité des équipes et le contexte de leur action et de décrire plusieurs périodes successives.
La période initiale (fin des années 1980) est centrée sur le dépistage des intoxications graves accessibles au traitement chélateur. Le seuil d’intervention est à 250 µg/l et la prise en charge se limite aux enfants ayant atteint ou dépassé ce taux. L’action sur le logement est à peine invoquée comme un horizon à atteindre, mais l’heure est à l’urgence sanitaire.
À partir de 1992, le dépistage en PMI se généralise sur l’ensemble du territoire parisien. Le nombre de primodépistages n’augmente pas sensiblement, car la fréquence des situations à risque dans ces nouveaux territoires est faible. C’est le suivi de la cohorte d’enfants exposés ou malades qui présente les difficultés les plus importantes, car l’absence de réponse aux attentes des familles dans le registre du logement rend l’observance des prescriptions difficile.
C’est pourquoi l’action visible et systématique sur les conditions de logements et les causes de l’intoxication engagée dès 1992 par les services de la ville de Paris constitue un facteur de motivation pour les équipes et les familles. La réalité des relogements obtenus déclencha une nouvelle mobilisation des équipes, et surtout des familles. Pour constituer les dossiers de demande de logement, ou pour les réactualiser, car beaucoup avaient déjà un dossier ouvert dans les services compétents, les familles acceptent pour leurs enfants un primodépistage, en particulier des fratries qui y avaient échappé, ou un contrôle des dépistages anciens.
Mais ce sont surtout les mesures développées par le comité départemental de lutte contre le saturnisme et l’application de la loi du 28 juillet 1998 qui ont constitué un puissant activateur du dépistage. La croissance quasi ininterrompue depuis 1996 des chiffres des enfants testés pour la première fois le confirme. Malgré la lenteur des procédures, les échecs de certains dossiers, les équipes médicosociales accompagnent les familles dans leurs démarches. Elles réorganisent leurs interventions pour être en cohérence avec celles des opérateurs sanitaires et sociaux et des équipes du logement et participent au travail de conviction pour la réalisation des mesures d’urgence et des mesures de précaution qui les accompagnent (logement provisoire, contrôle de plombémie après travaux si nécessaire).
Cette coopération rapprochée des services a permis également, en 2002, de mettre à disposition des équipes de PMI, de santé scolaire et des travailleurs sociaux une liste d’adresses identifiées comme présentant des risques d’exposition au plomb. Elles sont constituées à partir des données des services sanitaires (adresses ayant fait l’objet d’une déclaration obligatoire d’intoxication saturnine) et des services du logement (adresses incluses dans les programmes de lutte contre l’insalubrité, ou faisant l’objet d’une prescription au titre de l’insalubrité dans le parc diffus). Ces listes, que les services s’efforcent d’actualiser annuellement, permettent de systématiser la recherche des risques d’exposition des enfants habitant ces adresses et de mieux poser les indications de dosages de plombémie. Malgré leur caractère incomplet, ou approximatif, ces listes constituent une aide non négligeable. Elles ont permis au service de santé scolaire de généraliser à l’ensemble du territoire parisien et dès l’entrée en maternelle la recherche d’enfants exposés.
Cependant, l’analyse des résultats indique que le nombre d’enfants relevant d’une prise en charge sanitaire a considérablement diminué et s’est stabilisé depuis les années 2000 autour d’une centaine d’enfants dépistés par an, porteurs majoritairement d’une forme mineure d’intoxication. La très grande majorité des enfants présente un taux inférieur à 100 µg/l. Toutefois, il faut noter que le nombre d’enfants dépistés ces dernières années le sont de moins en moins par un primodépistage (première plombémie effectuée pour l’enfant). La répartition des déclarations obligatoires selon le rang de la plombémie (primodépistage ou d’une plombémie de contrôle), de 2003 à 2006 montre que les enfants sont dépistés ces dernières années de plus en plus au cours d’un contrôle de la plombémie (qui était inférieure à 100 µg/l au premier test). Ainsi en 2006, les enfants sont dépistés pour la moitié d’entre eux lors de la première plombémie et pour l’autre moitié lors d’un contrôle (figure 9.2).
Figure 9.2 Répartition des déclarations obligatoires (DO) réalisées en PMI à Paris entre 2003 et 2006 en primodépistage ou en contrôle (d’après le Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris)
La politique de lutte contre les logements insalubres, qui a fait disparaître nombre d’immeubles pourvoyeurs d’enfants intoxiqués, les mesures de réduction de risque déclenchées par la déclaration au seuil de 100 µg/l ainsi que la bonne connaissance par les familles des mesures de prévention à déployer au domicile, ont abouti à une modification radicale de la situation sanitaire. Toutefois, lorsque les facteurs de risque d’intoxication persistent et même si la première plombémie est inférieure au seuil de 100 µg/l, il est nécessaire, au vu des résultats observés (figure 9.3), de contrôler la plombémie de l’enfant et de renforcer les mesures de prévention au domicile.
Figure 9.3 Répartition des déclarations obligatoires selon le rang du prélèvement de plombémie au cours du suivi (données cumulées de 2003 à 2006 d’après le Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris)
Les objectifs du dépistage ont sensiblement évolué. En effet, la très grande majorité des enfants dépistés présentent des taux ne relevant pas de ressources thérapeutiques médicamenteuses (figure 9.4). Les seules mesures à proposer pour eux sont des mesures d’hygiène de vie et de contrôle domestique de l’environnement, absolument non spécifiques, et des mesures de réduction du risque secondaires à la procédure de déclaration obligatoire qui pourraient aussi bien être engagées dans le cadre de programmes de réduction d’insalubrité qui n’utiliseraient pas les plombémies des enfants comme indicateurs d’intervention.
Figure 9.4 Répartition des taux de plombémies au primodépistage 1990-2005 (d’après le Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris)

Réflexions générales sur le dépistage parisien

Par la précocité de son engagement, et par les particularités du contexte d’intervention, le service de PMI parisien est à l’origine du diagnostic de 27 % (en 2005) des cas d’intoxication du territoire français. Cette situation peut s’expliquer par quelques éléments spécifiques, à prendre en considération dans une réflexion stratégique sur la conduite du dépistage du saturnisme infantile.
La mobilisation des équipes de PMI s’est organisée dans un contexte où le dépistage avait une utilité sanitaire évidente : tous les enfants dépistés, souvent avec des taux très élevés, avaient une prise en charge hospitalière le plus souvent accompagnée d’un traitement chélateur. Les actions d’information et d’éducation à la santé ont montré leur efficacité, comme la mobilisation des familles pour la maîtrise des processus d’intoxication. Ces actions constituent le cœur de métier de la PMI, et la campagne de dépistage a structuré sous forme de programme systématisé, avec référentiels et outils adaptés, une partie de l’activité de routine du service pour en augmenter l’efficacité (figure 9.1Renvoi vers). La contribution du service de PMI à l’activité de dépistage reste encore à ce jour prédominante (figure 9.5).
Le contexte parisien est à considérer dans ses particularités. Un dispositif de PMI développé est utilisé par une large partie de la population concernée par l’exposition au plomb, car habitant dans l’important parc de logements vétustes et/ou insalubres avant son traitement par les politiques publiques.
Figure 9.5 Prescripteurs du primodépistage à Paris en 2005 (Source : Surveillance du saturnisme en Île-de-France, extractions des données pour l’expertise)
Les premières années du dépistage ont exploré la masse d’enfants exposés depuis de nombreuses années (des intoxications graves chez des enfants de 6 ans et plus témoignent de l’ancienneté du processus). La prise en charge individuelle au seuil de 150 µg/l est intervenue à la fin de cette première phase. Les enfants dépistés sont alors beaucoup plus jeunes, et l’absence de possibilité de recours au traitement médicamenteux est compensée par l’émergence des solutions pour le logement secondaires à un dépistage. Ceci maintient le sentiment d’utilité et d’efficacité des équipes, pour qui l’enjeu des conditions de vie des enfants se confond avec celui de leur santé. La mobilisation des familles, soutenues également par un secteur associatif très actif, s’appuie sur les nouvelles possibilités de solutions pour leurs conditions de logement ouvertes par l’intoxication d’un ou plusieurs de leurs enfants.
Actuellement, ce sont ces enjeux, comme les résultats concrets obtenus – des enfants soignés, des familles relogées, des appartements traités et leurs risques maîtrisés – qui maintient la mobilisation des équipes, malgré la multiplicité des acteurs, la complexité des procédures, l’importance de la charge de travail induit. Le renfort en personnel (infirmières et techniciennes du LHVP, puéricultrices de PMI), les aides logistiques, comme les listes d’adresses, les registres des enfants dépistés et suivis établis par adresse, par arrondissement, par taux, fournis aux consultations et aux médecins responsables des arrondissements par le LHVP pour faciliter le suivi, les documents mis à disposition sur le site de l’InVS, sont une aide dans la complexité du travail. Le protocole de dépistage est parfaitement assimilé par les professionnels, l’usage des listes d’adresses est systématique pour susciter l’évaluation individuelle du risque et la proposition d’un primodépistage.
Mais c’est l’excellente connaissance du terrain et des familles par les équipes qui permet d’ajuster les indications au plus près de la réalité des conditions d’exposition des enfants. Deux éléments confirment l’importance de ce facteur humain dans le dépistage. D’une part, le nombre de diagnostics effectués après plusieurs prélèvements dont le résultat est inférieur à 100 µg/l confirme la vigilance dès lors qu’un risque est identifié (figure 9.2Renvoi vers). D’autre part, le déséquilibre dans l’activité du dépistage entre les différents arrondissements est cohérent avec l’inégale répartition du risque sur le territoire. C’est dans les quartiers du nord-est de Paris où le risque est le plus important que les équipements de PMI sont également les plus nombreux, la fréquentation la plus dense et le recrutement du dépistage le plus actif. Il est cependant difficile d’établir que le niveau de vigilance et de mobilisation des équipes est moindre dans les quartiers où l’exposition est faible même si le recrutement des enfants dépistés est réduit ou nul.

Dépistage mené à Aubervilliers

Aubervilliers est une commune de 70 000 habitants, située en banlieue nord de Paris. Elle est caractérisée par un niveau extrêmement important de pauvreté, et par un parc d’habitat ancien dégradé et/ou insalubre important. Les données Filocom (fichier des logements par commune construit par la Direction générale des impôts) signalent que 26 % des résidences principales privées albertivillariennes sont dans le parc potentiellement indigne.
La municipalité a mis en œuvre depuis longtemps une politique de santé publique avec un important volet santé/habitat, et un programme de résorption de l’habitat insalubre. La ville dispose d’un SCHS, et d’équipes de PMI départementales et municipales.
Les actions de lutte contre le saturnisme infantile se sont mises en place à la fin des années 1980, à l’initiative des équipes locales de PMI, suite au décès par encéphalopathie saturnine d’un enfant de la commune ; le dépistage s’est d’abord organisé selon le modèle parisien.

Mise en place progressive du dépistage

Le dépistage a été initié selon les stratégies habituelles d’interrogatoire en consultation de PMI. La question du diagnostic environnemental s’est posée rapidement, pour laquelle le SCHS a mis en place une recherche de plomb soluble en peintures.
En 1992, une enquête sur échantillon aléatoire de bâtiments est mise en œuvre, visant à connaître la prévalence du problème sur l’habitat ancien de la commune, et à évaluer la pertinence d’un dépistage sur base environnementale.
Les résultats de ce travail (Ginot et coll., 1993renvoi vers et 1995renvoi vers) ont validé l’hypothèse d’un dépistage systématique des enfants demeurant dans un bâtiment après diagnostic environnemental : après mesure de la teneur en plomb soluble des écailles de peintures spontanément accessibles dans les parties communes, et dosage de plombémies pour l’ensemble des enfants demeurant dans le bâtiment, le nombre d’enfants gravement intoxiqués et non-dépistés par interrogatoire en PMI s’est révélé relativement faible, mais le nombre d’enfants moyennement intoxiqués (selon les valeurs alors retenues, soit 150-200 µg/l) et non-dépistés au préalable était beaucoup plus important.
Ce mode de dépistage a donc été mis en place, avec un système conjoint de porte-à-porte réalisé par les infirmières du SCHS et d’interrogatoire en PMI.
Lors de la promulgation des mesures nationales (loi contre les exclusions de 1998 puis mesures réglementaires en matière de saturnisme), l’action publique s’est progressivement redéployée vers la prescription de travaux et l’accompagnement des familles lors de ces travaux.
Dans les dernières années enfin, l’accent a été mis sur la surveillance de la sécurité des chantiers et la prévention des intoxications secondaires à des chantiers mal conduits. Il a en effet été constaté (Anaes, 2003renvoi vers; Société française de santé publique, 2006renvoi vers) que le démarrage précipité de chantiers sans mise en sécurité des enfants, y compris lorsque ces chantiers se situent en parties communes, peut conduire à des aggravations secondaires des niveaux de plombémie.

Organisation au long cours

Le dépistage du saturnisme infantile à Aubervilliers est désormais organisé selon plusieurs principes (la figure 9.6Renvoi vers présente l’organisation fonctionnelle du système) :
• la connaissance d’une base d’adresses considérées comme contenant du plomb fonde un dépistage en PMI ciblé ; ce dépistage est complété par les données d’interrogatoires de la PMI d’une part et par le suivi de situations spécifiques (suivi de chantiers, par exemple) que mène le SCHS, d’autre part ;
• l’articulation entre les équipes de PMI et les infirmières du SCHS (qui interviennent à domicile) permet d’assurer un système de suivi des enfants et vise à réduire la proportion d’enfants perdus de vue ;
• l’articulation entre les deux services vise également à accélérer la mise en œuvre de travaux de réduction du risque, en appui à la démarche d’information et de prévention menée par les professionnels de santé (cf. infra) ;
• dans les cas où l’enfant n’est pas ou plus suivi en PMI, le SCHS assure le dépistage, éventuellement le suivi des prélèvements ultérieurs, et la jonction avec le médecin en charge du dossier (hôpital, médecin libéral ou du centre municipal de santé, santé scolaire…).
Figure 9.6 Organisation générale du dépistage
L’organisation des prélèvements sanguins, condition importante de la réussite d’une politique de dépistage, est organisée selon le schéma présenté en figure 9.7.
Figure 9.7 Organisation fonctionnelle du dépistage
Il faut noter que, du point de vue des familles, le système mis en place vise à diminuer le nombre d’institutions intervenantes : ainsi, l’infirmière qui prélève l’enfant au CMS sur prescription du médecin de PMI ou, éventuellement, du médecin du SCHS, sera en général l’infirmière qui se sera rendue à domicile en cas de besoin, ou dans le cadre de la surveillance des travaux par exemple.

Articulation avec la réduction des risques

La stratégie de dépistage est articulée avec une stratégie de réduction des expositions, dont on citera pour mémoire les principes généraux.
Une politique classique de sensibilisation des propriétaires s’appuie à la fois sur un conseil systématique, sur la mobilisation de l’opérateur d’Opérations programmées de l’amélioration de l’habitat (OPAH), et de l’ensemble des dispositifs urbains (Plan d’éradication de l’habitat indigne ou PEHI, OPAH, Fonds d’intervention de quartier ou FIQ...).
Les travaux palliatifs sont demandés aux propriétaires par le SCHS dès connaissance de l’exposition d’un enfant (sans attendre la présence d’une intoxication), afin de privilégier le « circuit court » ; en parallèle, une chaîne de transmission au Préfet est organisée, avec retour vers le SCHS pour la mise en place éventuelle de travaux d’office.
La mise en sécurité des enfants conduit à prescrire largement l’hébergement de jour et de nuit lors des travaux en parties communes et en parties privées.
L’équipe qui gère la prise de sang et l’articulation avec la PMI d’une part, le diagnostic/cartographie et le suivi de chantier de réduction des risques d’autre part, est unifiée et internalisée au sein du SCHS, afin de réduire le nombre d’intervenants à domicile.
L’ensemble des services municipaux (logement, service social, habitat...) sont mobilisés sur les questions du saturnisme.

Évaluation des résultats

La stratégie mise en œuvre peut s’évaluer à plusieurs niveaux : la pertinence du dépistage, son exhaustivité et l’efficacité globale du programme (incluant le dépistage).

Évaluation de la pertinence globale du dépistage

On étudie le lien entre la densité du dépistage d’une part, la proportion de cas parmi les enfants d’autre part, et la nature de l’habitat, estimée à l’échelle de la section cadastrale par la proportion de résidences principales « potentiellement indignes » (figures 9.8 et 9.9).
Les résultats semblent confirmer une relativement bonne adéquation entre la pénétration du dépistage et ses résultats, et les caractéristiques de l’habitat.
Figure 9.8 Densité de prélèvements
Figure 9.9 Densité des cas dépistés

Évaluation de l’exhaustivité du dépistage

L’estimation globale de la proportion d’enfants ayant bénéficié d’un dépistage sur la commune est de 48 % (Bretin et coll., 2004renvoi vers), ce qui est considérable si l’on se rappelle que la moitié du parc d’habitat de la commune est constitué de logement social d’après 1948, donc « hors cible ».
Une analyse à l’échelle des îlots Insee montre cependant des irrégularités géographiques à l’échelle infracommunale : la proportion d’enfants dépistés (calculée selon des modalités différentes de celles de l’InVS) est inférieure à 40 % dans un certain nombre d’îlots ayant une forte concentration d’habitat d’avant 1948, y compris au sein d’îlots identifiés comme ayant un habitat relativement dégradé : la stratégie de dépistage ne peut donc, à ce jour, être considérée comme exhaustive, y compris à l’égard des segments d’habitat prioritaires.

Évaluation de l’efficacité globale du programme saturnisme

Les résultats globaux du dépistage montrent un recul constant de la proportion d’enfants intoxiqués au dépistage (figure 9.10).
Figure 9.10 Évolution des résultats du dépistage
Une évaluation globale du programme local entre 1992 et 2000 (incluant dépistage, travaux, relogements…) a été publiée (Ginot et coll., 2003renvoi vers) ; cette évaluation montre une efficacité propre des actions menées, indépendante de l’effet « sélection » qui conduit à dépister en début de programme des enfants et des bâtiments plus à risque.
On peut considérer que la politique locale de dépistage s’est appuyée sur 3 types de facteurs favorisants, que résume le tableau 9.I.

Tableau 9.I Facteurs favorisant la politique de dépistage

Niveau du facteur
Facteurs favorisants
« Macro »
Contexte urbain (habitat ancien dense, relativement homogène)
 
Prise en compte par les décideurs politiques locaux de ce contexte, et fort soutien politique
 
Consensus politique local pour une stratégie « proactive »
 
Savoir-faire local préexistant en matière d’impact de l’habitat sur la santé
 
Portage financier (associant décideurs locaux, et services de l’État) stabilisé
« Méso »
Collaboration ancienne PMI/SCHS
 
Engagement des équipes de PMI sur le champ de l’habitat
 
Appropriation des questions de santé par les équipes du SCHS
 
Structuration des équipes (pas de « sous-traitance  », compacité des équipes intervenant à domicile)
 
Chaînage dépistage/travaux et chaînage saturnisme/insalubrité
 
Accompagnement par scientifiques externes (évaluation)
« Micro »
Engagement personnel des intervenants
 
Bonne qualité des prélèvements sanguins (peu de douleur)

Discussion générale sur le programme global de lutte contre le saturnisme

Ces points d’appui s’accompagnent d’une série de questions et de difficultés : outre la persistance d’inégalités de dépistages à l’échelle infracommunale, le tableau 9.II présente quelques unes des difficultés relevant de l’économie générale du programme saturnisme.

Tableau 9.II Questions posées à l’occasion du dépistage, et relative au programme général

Difficulté observée
Question posée
Apparition d’intoxications dans des bâtiments déjà repérés et partiellement traités
Suivi de l’installation de nouvelles familles dans des logements précédemment sans enfant
Apparition d’intoxications modérées dans des logements déjà traités
Suivi à terme des travaux palliatifs et de leur durabilité ; décision de continuer à dépister (fratries) dans ce cadre ?
Faible taux de dépistage probable au sein de certains groupes (populations d’origine asiatique…), hors familles fréquentant PMI
Dépistage organisé de façon médicosociale, avec insuffisante participation des usagers et de leurs représentants ?
Deux questions plus spécifiquement liées au dépistage et à sa mise en œuvre, et récemment apparues, sont à mettre en exergue ici.
D’une part, on observe dans les dernières années une proportion importante de dépistages initialement négatifs (inférieurs à 100 µg/l), et qui deviennent positifs lors l’un prélèvement ultérieur, réalisé en général dans le cadre d’une surveillance de routine (bilan d’activité 2006 de la lutte contre le saturnisme à Aubervilliers). Une part conséquente des enfants repasse ensuite sous la barre des 100 µg/l, mais certains se stabilisent au dessus. Le tableau 9.III donne la répartition des 18 cas incidents de saturnisme de l’année 2006 entre les enfants testés pour la première fois en 2006 et dont la plombémie était ≥ 100 µg/l (enfants « primodépistés ») et d’autre part les enfants déjà testés les années précédentes et ayant franchi la barre des 100 µg/l pour la première fois en 2006 (« entrées secondaires »). Les enfants ont été répartis selon le niveau de plombémie maximale atteint dans l’année 2006.

Tableau 9.III Enfants primodépistés et dépistés secondairement lors d’une surveillance de routine dans l’année 2006

Niveau de plombémie maximale atteint en 2006 en μg/l
Enfants primodépistés
Entrées secondaires dans l’intoxication
[100; 149[
6
6
[150; 199[
3
1
[200; 249[
1
1
≥ 250
0
0
Total
10
8
Le tableau 9.IV donne les résultats par « génération annuelle de dépistage » : il montre que la proportion d’enfants initialement inférieurs à 100 µg/l et passant (là encore de façon pérenne ou non) ultérieurement au-delà de 100 µg/l ne peut être négligée.
Ce phémonène étant également observé à Paris, il sera discuté ci-après.

Tableau 9.IV Évolution du nombre de cas de saturnisme dépistés dans le cadre d’une surveillance de routine

Année de dépistage initial
Enfants primodépistés
Enfants avec plombémie initiale ≥ 100 μg/l (%)
Enfants avec plombémie initiale < 100 μg/l (%)
   
Total
Avec prélèvement ultérieur
Avec aggravation
2000
465
49 (10,5)
416
220
14 (6,4)
2001
316
22 (7,0)
294
157
16 (10,2)
2002
389
23 (5,9)
366
206
16 (7,8)
2003
390
26 (6,7)
364
214
6 (2,8)
2004
366
11 (3,0)
355
201
10 (5,0)
D’autre part, on s’est intéressé (données non publiées) aux 46 bâtiments ayant représenté dans les dernières années (2000 à 2006) deux intoxications ou plus, en les catégorisant de façon grossière selon la présence de trois facteurs de risque (surpopulation, dégradation du bâti avec ou sans arrêté insalubrité ou péril, et repérage de travaux à risque mal conduits). Plus du tiers de ces bâtiments dans lequel deux intoxications ou plus avaient été dépistées n’avait aucun de ces trois facteurs de risque (tableau 9.V). De plus, dans cinq de ces bâtiments, les intoxications étaient réparties sur plusieurs familles, témoignant donc de phénomènes assez larges. Ces éléments pourraient inciter à ne pas limiter le dépistage au seul segment le plus insalubre de l’habitat.

Tableau 9.V Caractéristiques des bâtiments avec 2 cas ou plus d’intoxication

Catégorie de bâtiments
Nombre de bâtiments concernés en tout ou partie
Surpopulation ET dégradation du bâti OU arrêté d’insalubrité OU arrêté CCS (conseil consultatif de secteur)
12
Surpopulation sans dégradation
14
Dégradation (avec ou sans arrêté), sans surpopulation
5
Travaux mal conduits comme seul facteur
2
Aucun facteur identifié
13
En conclusion, la confrontation des deux expériences (Paris et Aubervilliers) permet de dégager plusieurs points. Une baisse du « rendement » du dépistage est observée sur les deux sites. Il est raisonnable de penser qu’il traduit, au moins en partie, l’efficacité des actions médicales, réglementaires, sociales et urbaines menées depuis de longues années.
Le fait que les intoxications sont dépistées majoritairement dans les prélèvements de suivi (et non dans le premier prélèvement) pose de nombreuses questions.
Il est probable qu’une part du phénomène est liée aux variations de la mesure, qui conduit des enfants à « osciller » autour de 100 µg/l. Mais ces variations, qui se sont réduites dans les dernières années avec l’amélioration des techniques de laboratoire, ne peuvent expliquer l’augmentation spectaculaire de cette proportion d’intoxications dépistées au cours des prélèvements de suivi. Faut-il envisager de faire un premier prélèvement plus tôt ? Les travaux palliatifs ayant un caractère insuffisamment pérenne (du moins jusqu’aux dernières modifications réglementaires) ont-ils pu dans certains cas simplement « retarder » l’intoxication ? D’autres facteurs explicatifs doivent assurément être discutés, ce qui dépasse le cadre de ce travail.
Mais il faut retenir que l’estimation de la rentabilité d’un programme de dépistage devrait, à l’avenir, prendre en compte d’autres paramètres que la seule incidence initiale.
S’agissant de l’articulation avec les autres aspects des programmes de lutte contre le saturnisme, ces deux expériences témoignent du lien entre dépistage et mobilisation des acteurs ; ce lien se fonde sur la perception de la réalité du problème sur leur territoire d’action ; de l’inscription de sa prise en charge dans leur activité de routine même au prix d’une forte adaptation des procédures de travail ; des résultats concrets de leur intervention pour le bénéfice des enfants et des familles par la suppression de l’exposition au toxique, et au-delà pour certains, par l’amélioration sensible des conditions de logement. Un dépistage n’a de sens que par les actions correctrices qu’il engage. À Paris, c’est la force des actions de réduction de l’insalubrité et des facteurs d’exposition au plomb qui permet un maintien de l’activité de dépistage tant que le risque environnemental n’est pas encore annulé.
La situation albertivillarienne plaide également en faveur de l’efficacité de démarches alliant dimension sociale, urbaine et médicale. Cette efficacité passe, en particulier, par la recherche de circuits « courts » et de coordinations locales au sein d’équipes dédiées pluridisciplinaires, et par un portage politique et social fort au sein du territoire concerné. La pérennisation à long terme du dispositif de dépistage permet, par ailleurs, de repérer de nouvelles problématiques (importance du suivi prolongé des enfants exposés à des facteurs de risque avérés, émergence des intoxications secondaires), et d’évaluer l’efficacité des démarches de prévention primaire.

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