2008


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Rencontre-débat du 30 mai 2008

Introduction

1 Saluant l’ensemble des participants, Jeanne ETIEMBLE, responsable du Centre d’expertise collective de l’Inserm, explique que la Direction générale de la santé (DGS) a sollicité en 2006 l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et l’InVS (Institut de veille sanitaire), afin de l’aider à réfléchir sur la question du dépistage du saturnisme et d’établir un bilan, à partir des données disponibles et sur la base des actions précédemment entreprises. L’Inserm et l’InVS ont ainsi constitué un groupe de travail regroupant une quinzaine de personnes (scientifiques, médecins, acteurs de santé publique), qui ont cherché à dresser ce bilan pendant plusieurs mois. Cette matinée a vocation à favoriser des échanges entre des acteurs de tous horizons, dans l’objectif de faire émerger des recommandations.
Charles SAOUT, adjoint à la sous-directrice de la Prévention des risques liés à l’alimentation au sein de la DGS, souligne le grand intérêt que porte la DGS à la lutte contre le saturnisme. Si de nombreux travaux ont été conduits sur la question du saturnisme, la DGS a souhaité en effet dresser un bilan d’étape, notamment sur les stratégies de dépistage. L’objectif que se fixent les pouvoirs publics est désormais d’éradiquer le saturnisme.
Philippe BRETIN, de l’InVS (Département santé environnement), rappelle que l’imprégnation des populations par le plomb est en diminution, tant pour les adultes que pour les enfants comme en témoignent les résultats de récentes campagnes de dépistage systématique et enquêtes locales d’imprégnation chez les enfants : les plombémies moyennes et les taux de plombémies élevées sont beaucoup plus faibles qu’attendu. Plus globalement, sur l’ensemble de l’activité de dépistage menée en France, on constate au fil des années une forte diminution du taux d’enfants intoxiqués parmi ceux qui ont été testés : leur part est tombée de 25 % en 1995 à environ 5 % en 2004-2005. Ces résultats sont cohérents avec ce que l’on sait de l’évolution des sources d’imprégnation. Pour l’apport alimentaire, qui demeure la principale source d’exposition de fond de la population, si l’on considérait, il y a quelques années, qu’un enfant de 3 ans ingérait quotidiennement 60 µg de plomb, ce chiffre est tombé à 13 µg aujourd’hui. Les actions de suppression d’îlots insalubres et d’amélioration de l’habitat, le traitement des eaux de distribution publique, la suppression de l’essence au plomb, ont dû participer à cette diminution de l’exposition.
Il n’en demeure pas moins que 400 à 500 intoxications infantiles sont encore détectées chaque année par les actions de dépistage. Ces intoxications ont pour principale cause les peintures au plomb autrefois utilisées dans l’habitat.
Si, à compter de 1993, la DGS a souhaité élargir à l’ensemble du territoire le dépistage du saturnisme, force est de constater que la pratique du dépistage est restée très centralisée : 60 % des actions de dépistage sont encore réalisées en Île-de-France. Au sein de cette région elle-même, le dépistage reste fortement concentré géographiquement, en particulier au Nord-Est de la capitale.
Marcelle DELOUR (PMI, Direction des familles et de la petite enfance de Paris, Comité de pilotage régional du Système de surveillance du saturnisme infantile en Île-de-France) rappelle que le dépistage a été initié, en France, en 1987, de façon ponctuelle et souvent non suivie. Essentiellement porté par les acteurs institutionnels, il est encore relativement peu pratiqué par les médecins libéraux et l’ampleur des populations testées n’est pas à la hauteur des objectifs fixés initialement. L’activité de dépistage a progressé au cours des quinze dernières années : environ 3 000 enfants primo-testés en 1995 contre 10 000 enfants en 2004, mais le rendement de cette activité reste stable à environ 500 cas par an.
Les méthodes de dépistage françaises sont essentiellement orientées sur le repérage individuel et non sur le repérage en population (qui reste limité aux sites industriels).
Le repérage individuel porte sur l’identification des facteurs de risques ou des signes cliniques du saturnisme.
Le repérage systématique des enfants exposés est essentiellement centré sur des quartiers sélectionnés. Il a été envisagé de le développer, pour en faire un repérage des facteurs de risque, susceptible de déboucher sur des actions de dépistage pour l’ensemble des enfants repérés. Cet objectif constituait une recommandation de la Conférence de consensus de 2003. Les acteurs locaux ont toujours utilisé des méthodes assez différentes pour atteindre les enfants présentant un risque d’exposition élevé.
Surtout, malgré les résultats décevants enregistrés, les campagnes de dépistage organisées ne sont pas pérennes et leurs résultats sont souvent modestes. Il apparaît aussi que ces campagnes génèrent des effets indésirables :
réalisation de prélèvements gênants pour les enfants ;
• absence globale de réponse médicale ;
• génération de représentations collectives anxiogènes de l’environnement ;
• risque de ségrégation sociale et urbaine ;
• risque de « sanitarisation » du social.
Le dépistage est massivement mené par les acteurs institutionnels : État, Drass… La participation de la médecine libérale progresse cependant, puisqu’elle a conduit 25 % des actions de dépistage en 2005, contre 14 % dix ans plus tôt.
Luc GINOT (Service communal d’hygiène et de santé d’Aubervilliers) juge important de rappeler également que le plomb est un toxique qui produit des effets à des faibles doses. En outre, l’effet est proportionnellement plus important dans les intoxications faibles. Ce constat légitime la persistance d’une prévention universelle et confère le maximum d’efficacité aux actions entreprises préalablement à l’intoxication. Enfin, il ne peut y avoir de dépistage pleinement opérationnel qui ne soit inclus dans un programme global de réduction des expositions et Luc GINOT insiste, dans le prolongement de cette conviction, sur trois idées :
• en premier lieu, il n’est pas raisonnable de pratiquer un dépistage qui ait pour seule vocation de repérer des enfants dont la plombémie est supérieure à 100 µg/l ;
• en deuxième lieu, la prescription d’une plombémie doit s’accompagner, sans attendre ses résultats, d’une appréciation du contexte environnemental ;
• en troisième lieu, l’absence de seuil implique probablement de revoir foncièrement la redéfinition des indicateurs afin de privilégier une démarche globale de suivi biologique, en se détachant de la focalisation sur les enfants dont la plombémie est supérieure à 100 µg/l.

Table ronde n°1 : Une stratégie de dépistage ne peut être que couplée à une stratégie de réduction des expositions

La table ronde est animée par Jacques CHEYMOL (Société française de pédiatrie, Association française de pédiatrie ambulatoire) et Odile KREMP (InVS).
Jacques CHEYMOL propose aux participants de présenter un exemple d’actions de dépistage et de réduction des risques qui ont été complémentaires.
Morgan PINOTEAU, de l’Association des familles victimes du saturnisme, estime que l’action de dépistage des enfants doit être couplée avec une action de prise en charge de l’habitat qui ne peut se limiter aux travaux palliatifs : il convient aussi de traiter l’insalubrité, de manière suivie et en définissant un protocole précis (qui pourrait être basé sur les recommandations de l’INRS, Institut national de recherche sur la sécurité), interdisant notamment les travaux en site occupé, source de contamination des enfants. Or, ce traitement de l’insalubrité constitue souvent le chaînon manquant dans la prise en charge de l’habitat.
Nicole REIN, de l’Association droit au logement, estime que la législation actuelle (articles L. 1334-1 à L.1334-13 du Code de la santé publique) présente des lacunes importantes. Les propriétaires devant réaliser des travaux palliatifs ont souvent recours à des prestataires non spécialisés et les travaux sont souvent réalisés en site occupé, ce qui présente des dangers supplémentaires de contamination des habitants et notamment des enfants. En outre, ces travaux sont souvent insuffisants : la plupart du temps, les locataires demeurent dans ces lieux insalubres. Certes, la loi SRU de 2000 (loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains) prévoit le relogement des personnes habitant dans des logements ayant fait l’objet d’un arrêté d’insalubrité. Cependant, cette disposition est rarement appliquée. De plus, les préfets, du fait de cette obligation de relogement, rechignent souvent à prendre de tels arrêtés. Enfin, compte tenu du niveau extrêmement élevé des loyers, de nombreux enfants exposés ou intoxiqués n’ont pas la qualité de locataire et ne bénéficient pas, de ce fait, d’une possibilité de relogement. Un des espoirs de l’Association droit au logement est que Madame Boutin, Ministre du Logement, inclue dans sa prochaine loi le relogement obligatoire des enfants atteints de saturnisme.
Anna LE OC MAC, de l’association Médecins du monde, témoigne des méthodes de travail et des difficultés rencontrées par l’association, à travers un exemple. Celui-ci concerne une famille de 4 personnes, rencontrée suite à un travail d’identification des zones à risque dans la commune. Cette famille paie régulièrement un loyer de 410 euros par mois pour l’habitation d’un logement manifestement insalubre. Un médecin a signalé ces conditions d’insalubrité dès 2005. Le 3 avril 2007, Médecins du monde a écrit à la Ddass, de manière conjointe avec la famille, en demandant la réalisation d’un diagnostic sur la présence de plomb dans les parties communes. La famille a également écrit au propriétaire afin de demander la réalisation de travaux dans le logement. En mars 2007, la plombémie du plus jeune enfant a été mesurée à 39,4 µg/l. Fin décembre 2007, une enquête a mis en évidence la présence de plomb dans le logement. À ce jour, des travaux n’ont toujours pas été entrepris. Soulignant le caractère très fréquent de ce type de situation, Anna LE OC MAC déplore le manque total de communication entre les services de l’État et ceux des communes. Elle souligne aussi, outre le défaut d’inscription de la plombémie sur le carnet de santé des enfants, le défaut de suivi du développement psychomoteur de l’enfant après le repérage d’une exposition plusieurs mois auparavant.
Françoise AZAN DELION, du Secours populaire, indique que cette association ne mène pas d’action spécifique concernant le saturnisme. Les bénévoles du Secours populaire constituent plutôt un relais d’information quant aux actions de prévention élémentaires et aux actions de dépistage menées dans une zone géographique particulière.
Denis LAURENT, délégué général de Solidarité nouvelle pour le logement à Paris, explique que cette association a pour projet de mobiliser les citoyens en Île-de-France, en vue de créer des logements pour les populations les plus précaires. Il s’agit aussi, grâce à ses bénévoles, de créer un lien de proximité et de voisinage avec ces populations. Une structure professionnelle, comportant notamment des travailleurs sociaux, soutient l’action de l’association. Celle-ci détient 700 logements en Île-de-France, de manière diffuse, dont 150 dans tous les quartiers de la capitale. Elle mène actuellement une action qui a pour objectif l’éradication du risque de saturnisme, par la mise en place d’actions de prévention. Un premier cas de saturnisme avait été repéré en 2004. Ce diagnostic a constitué un électrochoc pour l’ensemble des membres de l’association, car ce logement n’était pas insalubre. Cela signifie que le risque plomb est potentiellement présent dans la quasi-totalité de son parc constitué de logements anciens dans des copropriétés parisiennes des quartiers aussi bien bourgeois que populaires. L’association cherche désormais à éradiquer au maximum la présence du plomb dans ses logements, par la suppression des plinthes, des placards et par le remplacement systématique des huisseries. Un effort porte, par ailleurs, sur la lisibilité, par les familles, des diagnostics de présence du plomb dans les logements ou les parties communes, par l’élaboration de plans stratégiques. Denis LAURENT rappelle qu’une nouvelle réglementation impose désormais aux propriétaires de réaliser ces diagnostics et de les annexer au bail, au moment de la signature de celui-ci, mais cette contrainte n’aura d’effet que si le risque est pris au sérieux par les propriétaires et les syndics de copropriété.
Jacques CHEYMOL demande quelle stratégie de repérage a conduit au diagnostic du saturnisme en 2004.
Judith SKIRA, de l’association Habitat santé développement, précise que c’est la PMI du quartier, particulièrement active dans cet îlot, qui a repéré les facteurs de risque du saturnisme et a proposé la réalisation d’un diagnostic médical.
Sofia AOUCI, représentant également Habitat santé développement, explique que cette association intervient, en Seine-Saint-Denis, dans le cadre des mesures d’urgence de lutte contre le saturnisme qui peuvent être prises par la Ddass et la DDE ou, à Paris, à la demande de la Préfecture.
Anne LE BAIL, de la Fédération nationale des Centres pact arim (Pacte de Paris), indique que les Centres pact arim travaillent à la réhabilitation de logements et sont impliqués de longue date dans la lutte contre le saturnisme. Anne LE BAIL, citant un exemple d’intervention de l’association, explique que celle-ci fut désignée « assistant-conseil » dans le cadre d’une démarche partenariale concernant 100 immeubles d’avant 1949 dans un quartier parisien sur une durée de 3 ans (1999-2002) visant la réduction de l’exposition au plomb des jeunes enfants. Cette mission illustre comment l’amélioration de l’habitat peut intégrer simultanément l’information faite aux familles et une mise en relation systématique avec les intervenants médicaux et sociaux. Après la réalisation de mesures par le Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris, il a été décidé un décapage complet des plâtres de l’immeuble. En prévision de la réalisation de travaux produisant des risques d’intoxication, tous les logements ont alors fait l’objet d’une visite, afin d’informer les familles et d’inciter à la réalisation d’une plombémie, d’identifier les modes de vie des familles et de déterminer le moment le plus favorable pour la réalisation des travaux et de proposer des solutions pour un hébergement pendant les phases à risque. L’absence d’enfants dans les lieux pendant les travaux a été surveillée et leur plombémie a été vérifiée après les travaux. Il n’a été constaté aucune augmentation de taux de plomb. Anne LE BAIL insiste sur la nécessité de faire de la sensibilisation auprès des professionnels dirigeant ou effectuant des travaux en présence de plomb par l’animation de réunions d’information qui présentent la réglementation de la santé publique et du travail.
Joumana ABDO-HANNA, infirmière à la Société immobilière d’économie mixte de la ville de Paris (SIEMP), indique que celle-ci intervient dans le cadre de la convention publique d’aménagement (CPA) signée avec la ville de Paris. Elle intervient auprès des familles occupant des logements dans des immeubles insalubres, à partir de la liste d’adresses de la CPA. Soit les familles sont hébergées dans un logement-relais pendant la réalisation de travaux palliatifs, lorsque ceux-ci ont été jugés nécessaires et faisables avec retour à l’adresse d’origine une fois les travaux terminés et les parties communes traitées, soit les familles sont hébergées sans retour à l’adresse d’origine lorsque les travaux ne sont pas envisageables pour diverses raisons (état du bâti, insalubrité irrémédiable ….) et quand cela est possible les familles sont relogées directement.
La SIEMP identifie, dans chaque famille, les enfants qui n’auraient pas fait l’objet d’un dépistage ou d’un contrôle récent afin d’inciter la famille à soumettre l’enfant au prélèvement. Au titre des difficultés rencontrées, Joumana ABDO-HANNA confirme, de manière générale, l’existence d’un problème de communication entre certains des partenaires contribuant à la lutte contre le saturnisme.
Jean-Louis SALOMEZ (CHU Lille, Comité technique plomb) demande si le couplage d’une stratégie de dépistage et d’une stratégie de réduction des expositions peut produire des effets négatifs qui auraient été repérés.
Anna LE OC MAC confirme que bien souvent, une plombémie « normale » ne débouche pas sur un diagnostic « plomb » dans les logements ou les parties communes.
En conclusion de la table ronde, et au vu des témoignages présentés, Luc GINOT juge indispensable de « décrocher » la culture administrative de la notion de seuil.
Odile KREMP constate qu’on ne peut dissocier la question des intoxications au plomb et l’habitat. La qualité de l’information fournie aux familles demeure par ailleurs un objectif important. Des progrès sensibles doivent aussi se faire jour dans la collaboration entre les différents services de l’État ou entre ceux-ci et les associations.

Table ronde n°2 : Comment justifier une stratégie de dépistage ciblé et à partir de quels données et outils ?

La table ronde est animée par Marcelle DELOUR (PMI, Direction des familles et de la petite enfance de Paris, Comité de pilotage régional du Système de surveillance du saturnisme infantile en Île-de-France) et Philippe BRETIN (InVS).
Marcelle DELOUR rappelle que la baisse globale des sources d’imprégnation générale s’accompagne malgré tout de la persistance de zones donnant lieu à de fortes expositions, ce qui renforce l’intérêt d’un dépistage ciblé, par opposition au dépistage systématique, dont le rendement apparaît faible et qui n’est généralement pas suivi d’actions médicales. Il convient donc plutôt de miser sur une prévention universelle, en vue notamment de la réduction des risques, sur la base de signes environnementaux, sans réalisation d’un diagnostic préalable des enfants. Ces stratégies de dépistage ciblé sont toutefois d’autant plus difficiles à mettre en œuvre que l’imprégnation générale de la population diminue : il importe, en conséquence, de favoriser l’émergence d’outils d’aide au dépistage, en cherchant parallèlement à accroître la sensibilisation des familles (dans la population générale et parmi les populations exposées).
Philippe BRETIN souligne l’existence d’un hiatus entre l’estimation basée sur l’enquête nationale d’imprégnation de 1995-1996, selon laquelle 85 000 enfants seraient atteints de saturnisme, et les 400 à 500 cas seulement détectés chaque année : ce constat conduit à s’interroger sur l’efficacité des actions de dépistage et sur le repérage qui leur est préalable. À l’évidence, des outils sont nécessaires afin d’identifier les zones présentant les risques les plus élevés. C’est d’ailleurs la stratégie qui a été menée, en province comme en Île-de-France. L’accent doit aujourd’hui être mis sur la qualité de ce ciblage, qui doit progresser à mesure que le risque global se réduit. L’InVS doit lancer en octobre prochain une enquête de prévalence du saturnisme. Dans ce cadre, l’Institut s’efforcera de valider un indicateur de risque d’exposition au plomb, sur la base de données d’origine fiscale, à un niveau géographique « fin », qui pourrait être la section cadastrale.
Le repérage de populations par zones à risque suppose une hétérogénéité géographique forte dans la prévalence des plombémies élevées. En tout état de cause, ce n’est pas la seule réponse à mobiliser, car dans certaines situations, le risque de saturnisme est manifestement diffus, lié à la mauvaise gestion et occupation de certains immeubles. À court terme, la création dans chaque département d’Observatoires nominatifs de l’habitat indigne, qui devrait voir le jour après la parution d’un décret attendu dans quelques mois, fournira sans doute l’occasion d’améliorer le ciblage des zones à risque tant pour le suivi des actions de réduction du risque que pour le dépistage des enfants qui habitent les immeubles non encore traités.
Sylvie DOMSIC, du Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris, confirme que l’exposition au plomb est de plus en plus diffuse, ce qui conduit le Laboratoire à élargir ses investigations à tous les lieux fréquentés par les enfants (lieux de garde, jardins, écoles…). Les facteurs de risque sont identifiés lors des consultations par les responsables de PMI (Protections maternelles infantiles), les médecins et les intervenants du champ sanitaire et social. C’est l’identification de ces facteurs qui donne lieu à la mise en œuvre d’un dépistage. Sylvie DOMSIC conclut sa brève intervention en jugeant indispensable l’inscription de la stratégie de dépistage dans une stratégie de prévention plus globale.
Yves BUISSON, de la Mission saturnisme Montreuil, indique que la ville de Montreuil compte 100 000 habitants et 41 000 logements, parmi lesquels 19 500 logements datant d’avant 1949 (soit environ 44 % des logements de la commune). Ces logements anciens sont répartis dans plusieurs zones géographiques de la commune et la présence d’enfants intoxiqués a été repérée dans les 14 quartiers de la ville. Celle-ci a commencé à s’intéresser au saturnisme en 1991, date à laquelle elle a commandé à l’Irfed (Institut de recherche, de formation et de développement) une étude sur la présence de plomb sur son territoire. Trois cent immeubles touchés ont alors été identifiés. La Mission saturnisme de la ville de Montreuil a été créée en 1999. Elle regroupe des compétences techniques (liées au bâti), médicales (avec la présence d’une infirmière) et d’intervention sociale. De 1991 à aujourd’hui, 1 216 enfants ont été testés à l’initiative de la commune et 218 intoxications (avec un taux de plomb supérieur à 100 µg/l) ont été dénombrées. Parmi ces 218 intoxications, 137 intoxications sont survenues dans 66 immeubles construits en 1915 ou avant ; 19 intoxications sont survenues dans 16 immeubles construits après 1948, ce dernier chiffre étant à considérer avec précaution car certains enfants étaient déjà intoxiqués en emménageant dans l’immeuble. La Mission saturnisme Montreuil cherche actuellement à affiner la prédictibilité des taux d’intoxication à terme, à partir du taux d’intoxication lors du premier dépistage. Elle a ainsi mis en évidence que 10,6 % des enfants affichant, lors du premier dépistage, une plombémie comprise entre 60 et 99 µg/l, dépassaient le taux de 100 µg/l lors du deuxième ou du troisième contrôle.
La Mission saturnisme Montreuil a par ailleurs produit un film vidéo d’une dizaine de minutes, qui est projeté dans des salles de quartier. Réalisé en neuf langues, ce film semble constituer un outil efficace de sensibilisation. L’an dernier, 81 actions de dépistage ont ainsi été réalisées à la demande des familles, suite à la projection du film. Celui-ci permet aussi d’initier une relation avec les familles, en dehors du cadre, plus rigide, de délivrance d’une « prestation ».
Françoise FLEURY, du Comité médical pour les exilés (Comede), indique que les outils développés par le Comede ne sont pas des outils de ciblage mais des outils d’information des familles. Un guide a ainsi été élaboré par le Comede en 2005 (2e édition en date de 2008), avec le concours de l’Inpes (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé). Le Comité élabore aussi des livrets de santé multilingues, qui abordent différentes questions parmi lesquelles le droit d’accès à la santé pour les populations exilées. Il est à noter que lorsque les familles sollicitent une aide extérieure en matière de santé, elles n’évoquent pas une situation spécifique mais un problème global qui appelle souvent plusieurs réponses coordonnées. En tout état de cause, il ne fait pas de doute, aux yeux de Françoise FLEURY, que de nombreux migrants sont touchés par des intoxications au plomb dans l’habitat insalubre. Ce constat ne doit pas, toutefois, conduire à se désintéresser des populations migrantes vivant dans d’autres types d’environnement.
Catherine DOLLFUS, médecin pédiatre à l’hôpital Trousseau, constate, depuis deux ans, une très nette baisse des moyens dont disposent les PMI, notamment en Seine-Saint-Denis : certains bébés ne peuvent ainsi faire l’objet d’une consultation que six mois après leur naissance. Il en résulte d’importantes difficultés, ne serait-ce que pour réaliser les vaccinations obligatoires dans les délais requis. Catherine DOLLFUS constate également que les populations migrantes sont présentes de plus en plus largement sur le territoire français : les services de PMI vont être confrontés à des problèmes de santé auxquels ils n’étaient pas confrontés jusqu’ici, dont le saturnisme.
Françoise DEJONC, médecin de PMI et membre du Bureau du Syndicat national des médecins de PMI (SNMPMI), souligne que les PMI sont fortement mobilisées dans la lutte contre le saturnisme, même si elles sont soumises à un contexte défavorable du point de vue de la démographie médicale et si leurs moyens peuvent varier fortement d’un département à un autre. Les PMI s’attachent en tout cas à pratiquer des dépistages sur une base géographique plutôt que sur une base ethnique. Elles militent activement pour l’amélioration des conditions de vie des enfants, lorsque cela paraît nécessaire.
Marcelle DELOUR retient de la table ronde que l’ensemble des acteurs s’efforce d’utiliser des outils pertinents, qui doivent cependant être encore améliorés de façon permanente. L’accent doit être mis sur la prévention universelle, en regroupant des facteurs de risques de diverses natures, parmi lesquels la manière d’occuper l’habitat ne doit pas être négligée. Cela suppose, a minima, une bonne connaissance des familles par les acteurs médico-sociaux.

Table ronde n°3 : Au-delà des bonnes pratiques, doit-on s’interroger sur une démarche globale de santé ?

La table ronde est animée par Luc GINOT (Service communal d’hygiène et de santé d’Aubervilliers) et Christophe DECLERCQ (Observatoire régional de la santé du Nord–Pas-de-Calais).
Christophe DECLERCQ explique que la question des « bonnes pratiques » s’articule autour de quatre questions sous-jacentes :
• l’adhésion des familles (question déjà largement abordée au cours de la rencontre) ;
• l’assurance qu’une réponse adaptée sera proposée aux familles, faute de quoi le repérage pourrait être perçu comme une stigmatisation ;
• la mobilisation pérenne de moyens suffisants, notamment sur le plan humain, et la nécessité de bonnes conditions de circulation de l’information entre les acteurs ;
• la nécessité de veiller à atteindre un taux de participation satisfaisant aux dépistages, en s’attachant à identifier un éventuel « taux de perte » élevé parmi certains types de familles.
Constatant que la notion de seuil n’est plus opérante, Luc GINOT estime aussi qu’il convient de se préparer à une évolution des concepts en matière de dépistage, au profit d’une notion de suivi biologique et environnemental de l’enfant, un peu à l’image de l’approche privilégiée dans le cas du diabète. Cela suppose de ne plus apprécier la situation épidémiologique d’une communauté en référence au « gold standard » que constitue une prévalence d’une plombémie supérieure à 100 µg/l, mais plutôt de comparer la plombémie moyenne d’un enfant à celle d’une population de référence. Enfin, du point de vue de l’action publique, d’autres paramètres doivent être pris en compte, par exemple la proportion d’enfants ayant fait l’objet d’un dépistage et pour lesquels des mesures environnementales ont été prises.
François BOURDILLON, Président de la Société française de santé publique, considère également qu’il convient aujourd’hui de changer de stratégie, en adoptant pour « porte d’entrée » l’état de l’habitat. Cela suppose de banaliser à l’extrême le diagnostic « plomb » dans les logements, information qui pourrait ensuite être capitalisée au plan national, et accessible, via Internet, à tout un chacun. Pour le reste, la politique de dépistage est trop souvent centrée, en France, sur l’identification des cas positifs, alors qu’un suivi doit être mis en œuvre pour l’ensemble de la population, dans le cadre d’une politique d’éducation pour la santé. Vu la stagnation du nombre de cas identifiés, la stratégie médicale devrait être de banaliser la plombémie dans les zones de forte prévalence.
Répondant à une question de Jean-Louis SALOMEZ (CHU Lille, Comité technique plomb), Robert GARNIER, du Centre anti-poisons (Paris) précise qu’une plombémie n’est jamais négative. Dans certains cas, elle est inférieure à la limite de détection, ou bien elle est non quantifiable lorsqu’elle est comprise entre la limite de détection et la limite de quantification du laboratoire. En tout état de cause, le plomb est ubiquitaire et sa détection dépend plus de la sensibilité de la méthode utilisée pour le dosage que de son degré de présence. Le seuil de 100 µg/l avait un sens pédagogique et non médical. Il tenait compte de la précision des laboratoires, qui s’est améliorée, et de l’imprégnation générale de la population. L’étude réalisée prochainement par l’InVS mettra peut-être en évidence une plombémie moyenne comprise entre 15 et 25 µg/l pour les enfants français, ce qui ouvre le débat concernant le seuil de déclenchement d’actions de prise en charge.
Jean-Louis SALOMEZ observe en tout cas que le dépistage constitue une opération dont le résultat est binaire (le sujet fait partie ou non de la population ciblée), reposant sur une décision quant au seuil de partage des deux populations. Une règle de décision devra donc être définie. Par ailleurs, si la nécessité d’apport d’une « réponse globale » n’est guère contestable, il reste à savoir quel(s) acteur(s) sera ou seront chargé(s) de la mettre en œuvre. Une chose est sûre : le modèle d’intervention ne peut être centré sur un acteur mais doit reposer sur une interface entre acteurs. Or, il n’est pas facile d’assurer l’existence de cette interface, ne serait-ce qu’en raison des difficultés légitimes de mise en commun des dossiers, pour des raisons juridiques et du fait d’habitudes anciennement acquises. De nouvelles modalités de coordination sont donc à inventer, de même que des modèles d’organisation en réseau.
Ayant travaillé sur l’évolution du saturnisme infantile, Anne-Jeanne NAUDE (Iris/EHESS)2 observe que l’abaissement régulier, au cours des 40 dernières années, des seuils déclenchant la prise en charge d’enfants atteints de saturnisme, traduit un choix politique de santé publique d’ailleurs largement influencé par les CDC (Centers for Disease Control and Prevention) d’Atlanta. En 1985, ce seuil était fixé à 250 µg/l et les taux constatés chez les enfants atteignaient souvent 1 000 µg/l, ce qui donnait lieu alors à une prise en charge essentiellement hospitalière. On parle aujourd’hui de pathologies chroniques, dans une logique tout à fait distincte, qui tend à supplanter une politique de prise en charge médicale par une politique de prévention mettant l’accent sur le logement. La nature de la maladie elle-même a changé : il ne s’agit plus de traiter des encéphalopathies aiguës mais plutôt des effets à long terme tels que le retard scolaire ou l’imprégnation in utero, pour les femmes enceintes.

Conclusions

Au terme de la rencontre, Jean-Louis SALOMEZ (CHU Lille, Comité technique plomb) souligne qu’il importe de continuer à pratiquer le dépistage du saturnisme : sa nécessité n’a nullement été remise en cause aujourd’hui.
La nécessité du couplage du dépistage avec des mesures de nature environnementale, notamment sur l’habitat, a par ailleurs été amplement démontrée par les témoignages des acteurs du terrain : ces deux « entrées » se complètent parfaitement.
La notion de dépistage ciblé paraît également faire l’objet d’un large consensus, puisque aucun participant n’a souligné la nécessité d’un dépistage généralisé.
Il reste néanmoins à préciser les conditions dans lesquelles ce ciblage doit être organisé. De ce point de vue, les débats ont convergé vers la nécessité de prendre en compte de manière prioritaire les facteurs liés à l’habitat. Un bon ciblage ne pourra, en tout cas, faire l’économie d’une excellente connaissance du terrain, ce qui conduit à considérer les outils tels que des fichiers et des bases de données comme des outils complémentaires d’un maillage territorial.
Enfin, une question demeure irrésolue : celle du seuil. Ce débat a été ouvert aujourd’hui et il sera intéressant de mesurer ses évolutions.
Associations et institutions ayant participé à la rencontre : Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) ; Association des familles victimes du saturnisme (AFVS) ; Centre anti-poisons de Paris (CAP Paris) ; CHU Lille ; Comité médical pour les exilés (Comede) ; Comité technique plomb (CTP) ; Comité de pilotage régional du Système de surveillance du saturnisme infantile en Île-de-France ; Direction des familles et de la petite enfance de Paris ; Direction générale de la santé (DGS) ; Droit au logement (DAL) ; Fédération nationale des Centres pact arim (FNC pact arim) ; Habitat santé développement (HSD) ; Hôpital Armand Trousseau (Paris) ; Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ; Institut de veille sanitaire (InVS) ; Institut de recherche interdisciplinaire/École des hautes études en sciences sociales (Iris/EHESS) ; Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris (LHVP) ; Médecins du monde (MDM) – Mission Banlieue-Saturnisme ; Mission saturnisme Montreuil (MSM) ; Observatoire régional de la santé du Nord–Pas-de-Calais ; Pacte de Paris ; Protection maternelle et infantile (PMI) ; Secours populaire français (SPF) – Fédération de Seine-Saint-Denis ; Service communal d’hygiène et de santé d’Aubervilliers ; Société française de pédiatrie (SFP) ; Société française de santé publique (SFSP) ; Société immobilière d’économie mixte de la ville de Paris (SIEMP) ; Solidarité nouvelle pour le logement (SNL) ; Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile (SNMPMI)
Liste des présents : Joumana ABDO-HANNA (SIEMP) ; Sofia AOUCI (HSD) ; Françoise AZAN DELION (SPF, Fédération de Seine-Saint-Denis) ; Jérôme BOILLAT (AFVS) ; François BOURDILLON (SFSP) ; Philippe BRETIN (InVS) ; Yves BUISSON (MSM) ; Catherine CHENU (Inserm) ; Véronique CHOPIN (MDM – Mission Banlieue-Saturnisme) ; Jacques CHEYMOL (AFPA, SFP) ; Christophe DECLERCQ (Observatoire régional de la santé du Nord–Pas-de-Calais) ; Françoise DEJONC (SNMPMI) ; Marcelle DELOUR (PMI, Direction des familles et de la petite enfance de Paris, Comité de pilotage régional du Système de surveillance du saturnisme infantile en Île-de-France) ; Catherine DOLLFUS (Hôpital Armand Trousseau) ; Sylvie DOMSIC (LHVP) ; Ilham ELHOUITI (MDM – Mission Banlieue-Saturnisme) ; Anne ETCHEVERS (InVS) ; Jeanne ETIEMBLE (Inserm) ; Françoise FLEURY (Comede) ; Robert GARNIER (CAP Paris) ; Luc GINOT (Service communal d’hygiène et de santé d’Aubervilliers) ; Odile KREMP (InVS) ; Anne LE BAIL (Pacte de Paris) ; Anna LE OC MAC (MDM – Mission Banlieue-Saturnisme) ; Marie-Thérèse LABRO (Inserm) ; Denis LAURENT (SNL) ; Camille LECOFFRE (InVS) ; Geneviève MACARY (LHVP) ; Alain MELLET (FNC pact arim) ; Anne-Jeanne NAUDÉ (Iris/EHESS) ; Nadia NIKOLOVA (CAP Paris) ; Morgan PINOTEAU (AFVS) ; Nicole REIN (DAL) ; Priscille RIVIÈRE (Inserm) ; Maryvonne ROINÉ BAUDIN (SPF, Fédération de Seine-Saint-Denis) ; Christel ROUGY (DGS) ; Catherine SALE (Agence gestion intercalaire, SIEMP) ; Jean Louis SALOMEZ (CHU Lille, CTP) ; Charles SAOUT (DGS) ; Judith SKIRA (HSD)
Liste des excusés : Olivier CHANEL (Groupement de recherche en économie quantitative d’Aix-Marseille) ; Slavica COQUOZ (AFVS) ; Benoît COTTRELLE (Drass Auvergne) ; Philippe GLORENNEC (École des hautes études en santé publique) ; Tarik EL MRINI (IRDS/Drass Alsace) ; David FRIEDRICH (Ddass Vienne) ; Patrick MONY (AFVS) ; Catherine ROUSSEAU (Ddass, Lyon) ; Marie-Josèphe SAUREL-CUBIZOLLES (Inserm)

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