Du déterminisme génétique aux tests

2008


ANALYSE

2-

Susceptibilité génétique aux pathologies communes cardiovasculaires

On s’attend à ce que la mise en évidence des déterminants génétiques d’une maladie puisse faciliter l’identification des individus présentant un risque accru et fournir une base raisonnable pour la médecine personnalisée. Toutefois, dans le domaine des pathologies communes cardiovasculaires, après 20 ans de recherches centrées sur cette question, peu de progrès ont été réalisés. Il en est de même pour toutes les maladies multifactorielles.
Il est difficile de mettre en évidence une relation génotype-maladie qui soit stable et suffisamment forte pour avoir un intérêt clinique. Ce manque de succès est souvent attribué aux insuffisances méthodologiques des approches précédemment utilisées en recherche, et la situation est supposée s’améliorer grâce aux grands progrès récents réalisés dans le domaine de la génomique. Cet optimisme est renforcé par la disponibilité de nouvelles technologies permettant un débit de génotypage très élevé et à bas prix. Des « méga-études », construites autour de bioressources sont en cours qui fourniront le matériel nécessaire à des explorations génétiques portant sur des centaines de milliers d’individus. Les stratégies puissantes et de mieux en mieux planifiées mises en place semblent ouvrir une ère nouvelle pour la recherche génétique sur les maladies multifactorielles et font supposer que le test génétique deviendra une partie essentielle de la médecine du futur. Pourtant, une quantité d’informations considérable a été produite au cours des 20 dernières années qui tempère cet enthousiasme au moins chez ceux qui sont au courant de ces travaux et suggère que l’importance de la génétique en biologie et en médecine puisse se situer davantage dans la connaissance fondamentale qu’elle fournit que dans la possibilité qu’elle offre de classer les individus en bonne santé et les malades selon leur risque de maladie ou leur réponse potentielle à un traitement.
Dans le cadre de ce chapitre, un test génétique désignera une analyse réalisée chez un individu, visant à identifier des variations de séquence héritables de son ADN génomique qui pourraient avoir un intérêt pour prévenir ou identifier une maladie ou pour adapter son traitement. Un tel intérêt médical n’est pas établi seulement par la démonstration d’une association entre une variation génétique et une caractéristique phénotypique pertinente pour la maladie elle-même, mais par l’utilité1 de sa caractérisation pour le malade ou la société.

Intérêt des tests génétiques en pathologie cardiovasculaire

La mise en évidence et le traitement des facteurs de risque constituent une composante importante de la médecine cardiovasculaire. Hypertension, dyslipidémies, diabète, obésité, motivent une proportion importante des actes médicaux dans le but de réduire le risque de survenue ou de récidive de complications cliniques : infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux (AVC) ou artériopathies des membres inférieurs. Cette « tradition » de la médecine cardiovasculaire largement fondée sur la notion épidémiologique de facteur de risque stimule une recherche qui vise à identifier de nouveaux facteurs prédictifs qui permettraient d’affiner la prise en charge des malades ou des sujets à risque. Dans ce contexte, la caractérisation génétique a suscité beaucoup d’intérêt pour de multiples raisons dont les principales sont les suivantes :
• en premier lieu, il existe des arguments convaincants suggérant que la composante génétique des pathologies communes cardiovasculaires et de leurs facteurs de risque est importante, au moins pour les formes survenant prématurément ;
• les facteurs génétiques, à la différence des phénotypes, ne sont pas affectés d’une variation intra-individuelle, ce qui a priori les rend plus fiables et implique qu’ils peuvent être mesurés une fois pour toutes ;
• s’ils sont liés à une maladie de manière reproductible, on peut penser que les déterminants génétiques l’affectent de manière causale. Une telle relation causale est beaucoup plus difficile à démontrer pour les facteurs phénotypiques dont les variations peuvent très bien être secondaires au processus pathologique. Si ce dernier est infra-clinique, les modifications secondaires peuvent avoir un intérêt diagnostique important, mais elles n’apportent pas d’information sur l’étiologie de la maladie. Dans le domaine de l’athérosclérose, il est parfois très difficile de savoir si une caractéristique, par exemple inflammatoire ou thromboembolique, est primaire ou secondaire par rapport à la maladie ;
• la séquence de l’ensemble du génome humain est à présent à peu près intégralement connue et notre connaissance de la variabilité génétique croît exponentiellement grâce à quelques grands projets de recherche internationaux en cours2  ;
• l’ADN génomique qui est utilisé pour la caractérisation de la variabilité génétique est accessible à partir d’un simple échantillon de matériel biologique comportant des cellules nucléées : racine de cheveux, salive, biopsie, tissus conservés… Les lignées blanches sanguines sont aisément isolées à partir d’un prélèvement de quelques millilitres de sang et permettent la préparation d’une quantité importante d’ADN, en théorie largement suffisante pour caractériser l’ensemble de la variabilité génétique d’un individu (plusieurs millions de polymorphismes). De plus, le matériel génétique est particulièrement résistant et se conserve très bien ;
• les techniques d’analyse génétique ont fait des progrès : un grand nombre de tests peuvent être réalisés simultanément sur beaucoup d’individus. Les tests génétiques se prêtent bien à l’automatisation et sont réalisables dans des laboratoires de moins en moins spécialisés. Les résultats sont très fiables, les coûts ont baissé. Il n’est pas illusoire de penser que le coût de l’analyse simultanée de plusieurs dizaines de milliers de polymorphismes génétiques chez un individu, si elle s’avérait justifiée à grande échelle, pourrait coûter moins de 100 euros, à relativement court terme ;
• l’intégration des banques d’ADN, la distribution et la circulation des échantillons, les analyses génétiques et la communication des résultats de ces analyses3 seraient d’un point de vue technique aisément incorporables dans l’infrastructure médicale d’un pays comme la France.
Tous ces avantages potentiels par rapport aux tests phénotypiques expliquent le grand intérêt actuellement porté aux tests génétiques et à leurs applications dans le domaine cardiovasculaire. Mais comme nous l’avons signalé, cet intérêt n’est pas nouveau, les progrès techniques récents ne doivent pas nous empêcher de tirer des enseignements de ce qui a déjà été réalisé en utilisant des approches plus laborieuses.

Applications potentielles des tests génétiques et évaluation au cas par cas

Les tests génétiques sont potentiellement utilisables dans des situations très diverses d’un point de vue génétique et clinique. Et même si des similitudes peuvent être observées, la combinaison d’un ensemble de caractéristiques très hétérogènes fait que dans leur relation avec la maladie, chaque gène et chaque variant doivent être considérés en propre. En effet, la composante génétique d’une pathologie multifactorielle fait intervenir de nombreux éléments :
• hétérogénéité : plusieurs gènes, plusieurs variants de ces gènes peuvent être impliqués dans le processus pathologique ;
• effets faibles : souvent peu reproductibles, responsables d’une fraction parfois négligeable de la variabilité du trait ;
• fréquence : les variants associés au trait pathologique peuvent être fréquents ou rares. Le nombre des variants génétiques qu’ils soient rares ou fréquents est très variable d’une population à une autre. Ce qui, étant donné les interactions possibles (voir ci-dessous), complique l’extrapolation des résultats acquis dans une population particulière à d’autres populations et impose de nombreuses réplications dans des groupes d’origines ethniques diverses (figure 2.1Renvoi vers) ;
• risques relatif et attribuable : les variants génétiques responsables des maladies mendéliennes sont rares mais leur effet est fort (risque élevé chez les porteurs mais faible dans la population). L’inverse est vrai pour les polymorphismes qui sont par définition fréquents mais ont un effet faible au niveau individuel. Leur grande fréquence explique leur importance potentielle en termes de risque attribuable dans la population. La figure 2.2Renvoi vers montre quelques exemples de risque attribuable (fonction du risque relatif et de la prévalence du génotype à risque dans la population) pour quelques variants génétiques associés à des pathologies communes. Par exemple, si l’on considère l’apolipoprotéine ApoEe4 et l’infarctus du myocarde (IM), le risque attribuable suggère que si l’effet du polymorphisme était supprimé, cela s’accompagnerait d’une réduction de 5 % du nombre des infarctus dans la population, pour l’hypercholestérolémie familiale ce pourcentage est inférieur à 1 % ;
• dominance : elle se rapporte aux effets phénotypiques associés à la présence d’un (hétérozygote) ou deux (homozygote) allèles ;
• pléiotropie : un variant peut affecter plusieurs phénotypes. Dans des cas extrêmes, il peut être protecteur vis-à-vis d’une pathologie tout en affectant péjorativement un autre trait ;
• pénétrance : il s’agit de la probabilité de développer la maladie en présence d’un génotype. Elle n’est pas constante et varie en fonction de l’âge, du sexe et de nombreux autres facteurs ;
• épistasie : des variants affectant plusieurs gènes peuvent influencer le même trait ;
• effets haplotypiques : ils reflètent la co-présence de variants particuliers sur un même allèle, qui peuvent lui conférer des propriétés spécifiques. La transmission des haplotypes peut être suivie dans des familles de génération en génération. Leur fréquence peut également être inférée dans des populations d’individus, même si en absence d’information familiale, l’attribution d’une paire d’haplotypes particuliers à un individu n’est pas toujours possible ;
• interaction entre gènes : l’effet d’un allèle peut dépendre de la présence d’autres allèles à des loci différents. On parle d’allèle modificateur lorsque ce type d’interaction correspond à la modification de l’effet d’un gène majeur associée à la présence d’un polymorphisme ;
• interaction gène-environnement : les effets génétiques sont en général variables suivant le contexte environnemental. La notion d’environnement est généralement prise dans un sens très large. Beaucoup de facteurs modificateurs sont dits environnementaux alors qu’ils ont en fait une composante génétique (obésité, activité physique, nutrition…) ;
• développement et vieillissement : il existe une dépendance étroite entre l’expression d’un caractère génétique et le stade de développement de l’organisme qui le porte. Ceci est bien connu et résulte de mécanismes complexes et multiples. Les états pathologiques chroniques évoluent également et sont soumis de manière variable à des influences génétiques. L’athérosclérose en est un excellent exemple car son évolution s’étale souvent sur des dizaines d’années et les lésions passent par des stades où le risque de complication est élevé – lésions jeunes, non structurées, riches en lipides – ou au contraire relativement faible – lésions âgées, fibreuses peu sujettes à la rupture. En sachant qu’à tout moment, des lésions à différents stades d’évolution coexistent. L’expression des facteurs génétiques qui favorisent la complication des plaques – érosion, rupture, thrombose – dépend donc de leur stade évolutif.
Figure 2.1 Trois composantes majeures du modèle génétique : nombre de gènes, fréquences alléliques et effets
Figure 2.2 Risque attribuable à des variants génétiques pour quelques pathologies communes
Les notions génétiques classiques d’hétérogénéité, de dominance et récessivité, de pléiotropie, d’épistasie, de pénétrance, d’interaction entre gènes et entre gènes et environnement, d’effet modificateur expriment le fait qu’un effet génétique ne peut être interprété indépendamment de son contexte. Ceci n’est pas pour surprendre le clinicien qui s’adresse toujours à un patient en particulier, mais c’est le degré de complexité et l’introduction de concepts avec lesquels il est peu familier qui peuvent le laisser à juste titre perplexe. Les définitions admises des facteurs de risque classiques ont toujours visé à être très opérationnelles. C’est ce qui a permis de mettre en œuvre des stratégies de prévention réalistes. Il n’est pas évident qu’une telle « simplicité » soit concevable lorsqu’il s’agit de facteurs génétiques. D’autre part, le fait que les effets génétiques puissent dépendre de nombreux autres facteurs relativise fortement une de leurs caractéristiques jugée a priori essentielle, c’est-à-dire leur stabilité ; en effet, si un génotype est constant, sa relation avec la maladie l’est beaucoup moins.

Athérosclérose

L’athérosclérose est une pathologie chronique complexe typique passant souvent inaperçue avant de se compliquer et qui affecte un nombre considérable de personnes. Si les tendances se poursuivent, elle sera la première cause de morbidité et de mortalité dans le monde en 2020. Elle a de multiples expressions cliniques : angine de poitrine, infarctus du myocarde, mort subite, accident vasculaire cérébral, artériopathie oblitérante des membres inférieurs. Elle présente une étiologie complexe dans laquelle interviennent des facteurs environnementaux et génétiques. Tabagisme, dyslipidémies diverses, hypertension artérielle, obésité, diabète sont des facteurs qui prédisposent (facteurs de risque) à l’athérosclérose et à ses complications, et s’intéresser à l’étiologie de l’athérosclérose suppose de s’intéresser aux facteurs génétiques ou non génétiques qui affectent ses facteurs de risque. Le champ d’investigation est donc très vaste. La fréquence des complications de l’athérosclérose diffère très fortement d’une population à une autre comme le montre la figure 2.3Renvoi vers (Tunstall-Pedoe et coll., 1994renvoi vers), et les études épidémiologiques réalisées dans des populations migrantes ont permis de démontrer l’influence considérable de l’environnement pour expliquer ces variations. Les différences de risque entre homme et femme (figure 2.3Renvoi vers) sont également en partie liées à des différences d’exposition à des facteurs environnementaux, mais d’autres caractéristiques encore largement inconnues peuvent contribuer à ces différences.
Figure 2.3 Infarctus du myocarde, fréquence pour 100 000 standardisée sur l’âge dans les différents pays couverts par le projet MONICA (d’après Tunsdall-Pedoe et coll., 1994renvoi vers)
Le rôle de l’environnement semble donc essentiel dans l’étiologie de l’athérosclérose et des cardiopathies ischémiques ; pourtant, des travaux réalisés chez des jumeaux ont démontré une héritabilité assez forte de la maladie (Marenberg et coll., 1994renvoi vers), en particulier lorsqu’elle survient à un âge précoce (figure 2.4Renvoi vers).
Figure 2.4 Risque relatif de décès par cardiopathie ischémique (CI) chez des individus, en fonction de l’âge de décès par CI de leur jumeau. Registre des jumeaux suédois, sexe masculin
De nombreuses études familiales ont en outre démontré une héritabilité importante de la plupart des facteurs de risque de l’athérosclérose (tableau 2.Irenvoi vers), ce qui a suscité un nombre considérable de travaux visant à comprendre les mécanismes biologiques impliqués dans le contrôle de ces facteurs, en particulier les déterminants génétiques précis qui affectent leur variabilité.

Tableau 2.I Héritabilité de quelques facteurs impliqués dans la physiopathologie de l’athéroscléros

Facteurs
Héritabilité * (%)
Total cholestérol
40-60
HDL cholestérol
40-60
LDL cholestérol
50-60
Triglycérides
35-50
Lp(a)
70-90
Pression artérielle
15-40
Corpulence
25-60
Glycémie
25-30

* L’héritabilité reflète le pourcentage de variabilité du phénotype qui pourrait être attribuable à des facteurs génétiques HDL : High Density Lipoprotein ; LDL : Low Density Lipoprotein ; Lp(a) : lipoprotéine (a)

Systèmes biologiques impliqués dans la physiopathologie de l’athérosclérose

Les systèmes et fonctions suivants dont l’implication dans la physiopathologie de l’athérosclérose et de ses complications est bien connue ou fortement soupçonnée, ont été très étudiés d’un point de vue génétique :
• métabolisme des lipides : absorption, synthèse endogène, transport, stockage, oxydation, catabolisme ;
• métabolisme des hydrates de carbone : régulation de la glycémie et de l’insulinémie, glycation, diabète ;
• interaction des monocytes et d’autres cellules circulantes avec les cellules endothéliales, adhésion, transmigration ;
• inflammation, immunité innée et acquise ;
• coagulation, thrombose, agrégation plaquettaire, fibrinolyse ;
• motricité et trophicité de la paroi vasculaire, hypertrophie, hypertension ;
• apoptose et mécanismes de réparation des tissus ;
• angiogénèse.
Ce chapitre est principalement centré sur les gènes dont la variabilité affecte l’expression et/ou la fonction des protéines impliquées dans le métabolisme des lipoprotéines. Il s’agit en effet du système biologique majeur dont le dysfonctionnement est responsable de l’athérosclérose. D’autre part, c’est celui qui a été le plus exploré du fait de la possibilité d’accéder facilement à des phénotypes circulants très informatifs mesurables dans le sang circulant et parce que le nombre de gènes candidats explorables est important. Néanmoins, nos conclusions seront en grande partie valables pour d’autres systèmes biologiques. Le lecteur pourra se référer à diverses revues récentes qui traitent de ces systèmes.

Polymorphismes génétiques affectant le métabolisme des lipoprotéines

L’implication des lipoprotéines dans la physiopathologie de l’athérosclérose a fait l’objet d’un nombre considérable de travaux épidémiologiques et expérimentaux. À la fin des années 1980, il était déjà établi que :
• le cholestérol des lipoprotéines de faible densité (LDLc) dans le plasma est un facteur de risque important des cardiopathies ischémiques ;
• le niveau de LDLc est fortement héritable (Rao et coll., 1979renvoi vers) ;
• l’hypercholestérolémie familiale (FH), une pathologie génétique monogénique causée par des mutations du gène du récepteur des LDL (Goldstein et Brown, 1979renvoi vers), est associée à une augmentation importante du LDLc plasmatique et du risque de cardiopathie ischémique, mais explique seulement une petite fraction de cette pathologie dans la population ;
• les phénotypes plasmatiques de l’ApoE, E2, E3, E4 sont génétiquement déterminés, fréquents, associés à des taux plasmatiques de LDLc différents (Sing et Davignon, 1985renvoi vers), et expliquent une fraction beaucoup plus grande de la variabilité du LDLc plasmatique que les anomalies génétiques plus sévères mais beaucoup plus rares associées à la FH ;
• beaucoup de gènes et de protéines bien caractérisés sont impliqués dans le métabolisme du LDLc, offrant une source importante de gènes candidats à explorer.
L’ensemble de ces connaissances fournissait déjà, il y a 20 ans, des arguments forts pour entreprendre des études cliniques et épidémiologiques visant à identifier les déterminants génétiques de l’athérosclérose et de ses complications. Il est à présent établi qu’un grand nombre de gènes contribuent à la variabilité des lipoprotéines. Toutefois, excepté pour la lipoprotéine (a) dont la variabilité phénotypique est presque entièrement déterminée par un polymorphisme du gène Apo(a) (Berglund et Ramakrishnan, 2004renvoi vers), les polymorphismes des gènes étudiés jusqu’à présent n’expliquent qu’une partie de la variabilité génétique des phénotypes des lipoprotéines plasmatiques. Ceci peut être dû au fait que peu d’études ont convenablement exploré la contribution simultanée des plusieurs polymorphismes aux phénotypes lipidiques. Une autre raison est qu’une fraction significative des gènes et des polymorphismes potentiellement impliqués connus ou inconnus n’a pas été encore évaluée.

Hyper LDL-cholestérolémies génétiques

L’exemple de l’hypercholestérolémie familiale (FH) a été très instructif (Goldstein et Brown, 1979renvoi vers). Les mutations du gène du récepteur des LDL réduisent considérablement ou suppriment sa fonction, ce qui a pour conséquence une élévation importante du LDLc circulant qui corrélativement est associée à une augmentation importante du risque de cardiopathie ischémique. Plus de 1 000 mutations différentes du récepteur des LDL responsables de FH ont été identifiées jusqu’à ce jour (Austin et coll., 2004renvoi vers). Comme dans beaucoup d’autres maladies génétiques monogéniques, une importante hétérogénéité des manifestations cliniques existe et ceci même chez des individus portant la même mutation, par exemple au sein de la même famille en fonction des différents contextes génétiques (gènes modificateurs) et environnementaux (nutritionnels par exemple).
Une autre pathologie monogénique affectant le taux circulant de LDLc, ressemblant à la FH mais en général moins sévère, est causée par une mutation de l’apolipoprotéine B (ApoB) (Innerarity et coll., 1987renvoi vers). Cette affection nommée « Familial defective ApoB 100 (FDB) », contrairement à la FH, n’est pas due à un grand nombre de mutations différentes mais à un seul variant situé en position 3 500 de la protéine R3500Q qui induit une liaison défectueuse des LDL à leur récepteur avec pour conséquence une hypercholestérolémie, en général plus modérée que dans la FH, et un risque accru de cardiopathie ischémique. Il a été postulé que la mutation R3500Q de l’ApoB s’est produite en Europe il y a environ 6 750 ans (Myant et coll., 1997renvoi vers) ; elle est donc absente ou rare (du fait des migrations) dans les populations d’origine non européenne. De manière analogue, certaines mutations du récepteur des LDL peuvent être absentes dans certaines populations et fréquentes dans d’autres en rapport avec un effet fondateur (Leitersdorf et coll., 1989renvoi vers; Bétard et coll., 1992renvoi vers). Des mutations dites « privées » de ce type existent dans de nombreuses populations et pour de nombreuses caractéristiques ou maladies. Il existe d’autres formes d’hypercholestérolémie héréditaire encore plus rares présentes dans des familles au sein desquelles aucune anomalie du récepteur des LDL ou de l’ApoB n’avait pu être mise en évidence. La caractérisation génétique de ces formes qui impliquent des gènes a priori insoupçonnés, l’un d’entre eux (PCSK9) ayant récemment été identifié (Abifadel et coll., 2003renvoi vers), contribue de manière importante à la compréhension de la régulation du métabolisme du cholestérol et peut fournir de nouvelles pistes thérapeutiques. Ceci souligne l’intérêt cognitif de la recherche génétique qui ne doit pas être confondue avec les applications cliniques fondées sur la connaissance de la variabilité génétique et l’application des tests.
D’un point de vue clinique, au-delà de l’aspect recherche, l’avantage du diagnostic moléculaire des hypercholestérolémies familiales, c’est-à-dire l’identification de la mutation responsable, par rapport à la mesure simple de LDLc n’est pas évident. Le LDLc est facilement mesuré et en plus de l’effet de la mutation lui-même, sa mesure intègre également d’autres sources de variation liées à la présence de variants affectant d’autres gènes et de facteurs environnementaux (le LDLc est un phénotype intégrateur), ce qui est un avantage important. Cependant, le génotype peut être obtenu très tôt au cours de la vie chez les sujets appartenant à des familles présentant une forme génétique d’hypercholestérolémie, éventuellement avant qu’une élévation du LDLc plasmatique ne soit détectable. En théorie, cela pourrait conduire à un diagnostic et à une prévention précoces. Dans la pratique pour justifier le diagnostic moléculaire, il faudrait démontrer d’une part que la connaissance du génotype est plus utile qu’un LDLc plasmatique régulièrement mesuré (ceci d’autant plus que les contrôles de LDLc sont de toute façon nécessaires pour vérifier l’efficacité du traitement) et d’autre part qu’il est judicieux de mettre en place un traitement chez une personne en absence de toute anomalie phénotypique.
Comme pour de nombreuses autres affections monogéniques, c’est le diagnostic d’exclusion qui est souvent le plus utile. Il peut s’agir soit du génotypage de la mutation connue pour être présente dans la famille, soit du génotypage d’un panel de mutations incluant la majorité des formes présentes dans la population dont le sujet testé est issu, soit du séquençage intégral du gène lorsqu’aucune information est disponible a priori. La première approche est simple, peu onéreuse et peut être recommandée, la deuxième dépend du nombre de gènes connus potentiellement impliqués (peu nombreux dans les formes majeures d’hypercholestérolémie) et de la connaissance, qui peut être très variable, des mutations présentes dans la population dont le sujet étudié est issu. Le séquençage intégral du gène le plus vraisemblablement impliqué, en l’occurrence celui du récepteur des LDL dans le cas des hypercholestérolémies familiales, ne paraît pas justifié par un intérêt clinique, mais peut être utile d’un point de vue de recherche. Si l’hypercholestérolémie n’est pas liée aux principaux gènes candidats, récepteur LDL et ApoB, ce qu’une analyse de ségrégation peut révéler dans certaines familles suffisamment informatives, la recherche du variant responsable peut devenir très lourde mais justifiée par les arguments indiqués plus haut, nécessitant par exemple une analyse complète du génome dans des familles où la pathologie est suffisamment fréquente (Abifadel et coll., 2003renvoi vers).
L’intérêt de connaître précisément la caractéristique moléculaire responsable de l’hypercholestérolémie pour adapter son traitement n’est pas non plus évident. Même s’il semble établi que différents types de mutation peuvent affecter de diverses manières la réponse aux médicaments hypocholestérolémiants (Heath et coll., 1999renvoi vers), cela n’implique pas qu’il soit nécessaire d’identifier la mutation pour correctement adapter le traitement, qui de toute manière repose sur la réponse du taux de LDLc.

Polymorphisme de l’ApoE

Les données cliniques et épidémiologiques montrent qu’il existe un lien direct et proportionnel entre le niveau circulant de LDLc et le risque de cardiopathie ischémique. Plus le niveau de LDLc est élevé, plus le risque est fort, et inversement l’effet bénéfique des médicaments hypolipidémiants sur le risque est proportionnel à la réduction du LDLc. Des différences faibles de niveau du taux circulant de LDLc peuvent donc affecter le risque de maladie et ceci quel que soit le niveau de référence. Cela suggère que des facteurs génétiques qui influenceraient le taux de LDLc, même de manière modeste, pourraient affecter le risque de maladie. Une bonne illustration est fournie par le polymorphisme de l’ApoE (Sing et Davignon, 1985renvoi vers; Mahley et Rall, 2000renvoi vers). L’ApoE joue un rôle important dans le transport des lipides, elle est présente dans plusieurs lipoprotéines – chylomicrons, VLDL (Very Low Density Lipoproteins), IDL (Intermediate Density Lipoproteins) et HDL (High Density Lipoproteins) – et possède une grande affinité pour le récepteur des LDL, accélérant ainsi par sa présence la clairance des lipoprotéines circulantes. L’ApoE influence également le métabolisme des lipoprotéines auxquelles elle est associée indépendamment de son interaction avec ses récepteurs. Le gène de l’ApoE est polymorphe, en particulier, il porte deux polymorphismes non-synonymes fréquents qui sont en déséquilibre complet de liaison (ils sont statistiquement fortement associés) et génèrent trois allèles (haplotypes) nommés e2, e3 et e4. Ces trois allèles ont des fréquences variables d’une population à l’autre, e3 étant toujours l’allèle le plus commun tandis que e4 est plus commun que e2 (Hallman et coll., 1991renvoi vers). Les trois isoformes protéiques correspondantes, E2 (Cys112-Cys158), E3 (Cys112-Arg158) et E4 (Arg112-Arg158) ont différentes propriétés fonctionnelles. L’isoforme E2 a une affinité très basse pour le récepteur des LDL comparée aux deux autres isoformes, ce qui a pour conséquence un catabolisme retardé des VLDL et des chylomicrons. Paradoxalement, cette hypo-fonctionnalité est bénéfique car elle a pour effet d’induire une production accrue des récepteurs des LDL et donc indirectement une clairance accrue des lipoprotéines les plus athérogènes. Chez les patients atteints d’une hyperlipidémie de type III, une pathologie héréditaire très rare associée à une augmentation de certaines lipoprotéines de type VLDL, le génotype homozygote e2e2 est toujours présent, mais seulement une minorité des sujets porteurs de ce génotype développe une hyperlipidémie de type III. D’autres facteurs, génétiques, métaboliques ou environnementaux, encore largement inconnus sont nécessaires pour que la maladie s’exprime. Les patients présentant l’hyperlipidémie du type III ont un risque élevé de cardiopathie ischémique, mais en général comme nous l’avons déjà signalé, ce n’est pas le cas pour les individus e2e2 qui au contraire ont un risque réduit (tableau 2.IIrenvoi vers).

Tableau 2.II Niveau moyen de LDLc (cholestérol des lipoprotéines de faible densité) chez des patients atteints de cardiopathie ischémique et chez des témoins, et risque relatif de cardiopathie ischémique dans chaque classe génotypique (étude ECTIM)

Génotype
CI *
Témoins
Risque relatif (CI *)
Nombre de sujets
Moyenne de LDLc (écart-type)
Nombre de sujets
Moyenne de LDLc (écart-type)
e2e2
5
1,31 (0,49)
8
0,89 (0,34)
0,78
e2e3
124
1,40 (0,37)
168
1,38 (0,37)
0,77
e2e4
32
1,36 (0,31)
27
1,39 (0,35)
1,21
e3e3
740
1,55 (0,38)
796
1,51 (0,40)
1,00
e3e4
321
1,57 (0,38)
304
1,53 (0,34)
1,08
e4e4
41
1,49 (0,55)
30
1,72 (0,44)
1,35
 
p < 0,0001
p < 0,0001
p < 0,005

CI : patients présentant une cardiopathie ischémique

Les moyennes de LDLc sont données séparément chez les malades et chez les témoins. La comparaison des moyennes entre cas et témoins est peu pertinente car de nombreux patients reçoivent des hypolipidémiants. Malgré cela, la relation avec le polymorphisme de l’ApoE est observée dans les 2 groupes. Les risques relatifs (en réalité odds ratios) résultent de la comparaison de la distribution des génotypes chez les cas et chez les témoins en prenant le génotype e3e3 (le plus fréquent) comme référence.

Nous avons ici l’exemple d’un génotype (e2e2) qui habituellement est bénéfique vis-à-vis du risque de cardiopathie ischémique mais qui parfois au contraire peut être délétère. Les six génotypes de l’ApoE affectent parallèlement le LDLc plasmatique et le risque de cardiopathie ischémique (tableau 2.IIrenvoi vers). Du fait de sa fréquence, et en dépit de son impact individuel relativement faible (cf. les odds-ratios/risques relatifs dans le tableau 2.IIrenvoi vers), le polymorphisme de l’ApoE est responsable d’une fraction beaucoup plus grande de la variabilité du LDLc et du risque de cardiopathie ischémique attribuable à une composante génétique dans la population que les mutations du récepteur des LDL responsables de FH. Cependant, parce qu’il a un impact individuel faible, il n’y a aucune bonne raison d’entreprendre un dépistage systématique de ce polymorphisme, et son utilisation comme test génétique pour l’évaluation du risque de cardiopathie ischémique n’est pas justifiée.
En dehors de son impact sur le risque cardiovasculaire, l’allèle e4 de l’ApoE est connu pour fortement affecter le risque de maladie d’Alzheimer (figure 2.2Renvoi vers). Le surcroît de risque individuel conféré par la présence des génotypes e4e4 et e3e4 est beaucoup plus grand dans le contexte de cette pathologie que pour les cardiopathies ischémiques. L’absence de traitement ou de mesure préventive efficace implique que le dépistage systématique ou ciblé ne soit pas en général proposé dans le dépistage des sujets à risque de maladie d’Alzheimer.
Le polymorphisme de l’ApoE présente donc à lui seul plusieurs caractéristiques qui démontrent la complexité potentielle des associations entre polymorphismes génétiques et maladies multifactorielles : effets faibles, fréquence élevée, pléiotropie (cardiopathies ischémiques et maladie d’Alzheimer), interactions pouvant induire des effets paradoxaux (e2e2, hyperlipidémie de type III, et risque coronarien), fréquence très différente d’une population à une autre, effet haplotypique...

HDL et transport reverse du cholestérol

Un grand nombre de facteurs influence le transport reverse du cholestérol dont l’expression phénotypique la plus connue est le taux de cholestérol associé aux lipoprotéines de haute densité (HDLc) circulant. Une relation inverse forte existe entre HDLc et risque de complication de l’athérosclérose. Comme pour l’hypercholestérolémie familiale, la découverte des gènes impliqués dans des maladies rares responsables d’hypo-HDLémies a fortement contribué à la connaissance du métabolisme des lipoprotéines (Rust et coll., 1999renvoi vers). Plusieurs caractéristiques environnementales sont connues pour affecter le métabolisme et le taux circulant d’HDLc, telles que l’obésité, l’activité physique, la consommation d’alcool, le tabagisme (Tregouet et coll., 2002renvoi vers). L’influence connue de ces facteurs sur le risque de maladie coronarienne (CHD) peut être en partie expliquée par leur effet sur le métabolisme des HDL et cet effet peut être modulé par des facteurs génétiques (interaction gène-environnement). Il existe, comme pour le LDL, un déterminisme génétique important du taux de HDL circulant (tableau 2.Irenvoi vers) qui semble largement expliqué par des polymorphismes génétiques communs ayant un effet modeste. Plusieurs gènes candidats ont été étudiés en rapport avec les taux circulants de HDLc ; sans essayer d’être exhaustif, nous pouvons mentionner ApoE, CETP, LPL, HL, LIPC, PLTP, ApoA-I-II-IV-V, SRB-I, ABCA1 (Rust et coll., 1999renvoi vers) dont les effets sur le taux de HDLc ont été rapportés dans de nombreuses études. Au sein de ces gènes, les polymorphismes fonctionnels sont très fréquents ; en effet, presque tous les gènes examinés portent des polymorphismes qui affectent un phénotype intermédiaire, en outre des interactions avec des facteurs environnementaux expliquent une partie significative de l’expression phénotypique de ces polymorphismes (Corbex et coll., 2000renvoi vers). Nous ne détaillerons pas davantage l’analyse de ces polymorphismes, une revue plus détaillée est disponible (Cambien, 2005renvoi vers). Cependant, à partir des études publiées à ce jour, il est possible de conclure que les effets marginaux sur la pathologie sont faibles ou inexistants et ne justifient pas la réalisation de tests génétiques à visée de dépistage.

Plus de gènes et plus de marqueurs

L’idée de combiner plusieurs facteurs pour améliorer la prédiction en épidémiologie cardiovasculaire n’est pas nouvelle ; elle est même à la base d’une approche extrêmement répandue de la prévention fondée sur l’évaluation conjointe des facteurs de risque et le calcul du risque multifactoriel. Combiner plusieurs facteurs génétiques entre eux et avec des facteurs non génétiques ne paraît pas poser de problème pratique ou conceptuel a priori, et il est même courant de ne pas faire de distinction entre les différents facteurs de risque, qu’ils soient génétiques ou non. Cette absence de distinction est fondée sur un raisonnement purement statistique qui ne tient pas compte de la nature biologique du facteur en cause. Or, il est évident qu’un test n’est pas uniquement caractérisé par son pouvoir prédictif.
Étant donnés le rôle fondamental joué par le métabolisme des lipoprotéines, l’hypothèse multigénique qui sous-tend la composante génétique de l’athérosclérose et le grand nombre de polymorphismes fonctionnels identifiés dans les gènes candidats étudiés, il était logique d’essayer d’aller plus loin en étudiant simultanément le polymorphisme de plusieurs gènes en relation avec les phénotypes lipoprotéiques. Knoblauch et coll. (2004renvoi vers) ont étudié 93 polymorphismes de 13 gènes impliqués dans le métabolisme des HDL dans 250 familles comprenant 1 054 individus. L’héritabilité des phénotypes étudiés dans cette étude était de 26 % pour le LDLc, 38 % pour l’HDLc et 28 % pour leur rapport. Comme le montre le tableau 2.IIIrenvoi vers, les gènes étudiés semblent, dans cette étude, expliquer une part importante de l’héritabilité de ces phénotypes.

Tableau 2.III Fraction de l’héritabilité du LDLc, du HDLc et de leur ratio attribuable à différents gènes (d’après Knoblauch et coll., 2004renvoi vers)

Gènes
Héritabilité (%)
LDLc
HDLc
LDL/HDL ratio
ABCA1
ns
10
ns
APOB
8
ns
ns
ApoE
50
ns
36
CETP
28
25
27
LDLR
5
6
ns
LIPC
9
53
31
LPL
ns
6
ns

ns : non significatif (seules les valeurs significatives sont indiquées)

Ces résultats sont d’autant plus surprenants qu’ils sont fondés sur une mesure unique de facteurs connus pour être affectés d’une variabilité biologique non négligeable. En outre, les gènes étudiés ne représentent qu’un sous-ensemble des gènes candidats affectant le LDLc et le HDLc et les polymorphismes inclus dans l’analyse (choisie dans la littérature et dans les bases de données publiques) n’expliquent qu’une partie de la variabilité des gènes étudiés. L’étude réalisée par Morabia et coll. (2003renvoi vers) est assez similaire. Les auteurs ont centré leur investigation sur 11 gènes impliqués dans le transport reverse du cholestérol dans deux groupes de 185 sujets sélectionnés aux extrémités de la distribution du rapport HDL/LDL dans une population. Ils ont identifié 265 polymorphismes par séquençage des 11 gènes chez 95 individus. Les résultats ont montré des différences de fréquences génotypiques entre les deux groupes pour des polymorphismes localisés dans les gènes de l’ApoE, de la PLTP (phospholipid transfer protein), d’ABCA1 (ATP-binding cassette, sub-family A), de la LPL (lipoprotein lipase), de LDLR2 (low density lipoprotein receptor-2), de l’HL (3-hydroxy-3-methylglutaryl-CoA lyase) et de SRBI (sca-venger receptor class B type 1). Le choix de groupes d’individus aux extrémités de la distribution d’un phénotype quantitatif associé à la maladie est une approche puissante, car comme le notent les auteurs, les phénotypes extrêmes sont susceptibles d’incorporer l’épistasie et les interactions entre les gènes et les covariables. Si de tels effets existent, l’approche utilisée aura tendance à amplifier les associations et à les rendre plus aisément détectables. Ceci a l’avantage d’accroître la sensibilité de l’analyse pour détecter des effets mais est certainement inadéquat pour estimer la force de ces derniers. Une surestimation de la force des associations (et de leur signification statistique) est présente dès que l’on sélectionne parmi un grand nombre d’associations celles qui sont les plus significatives (Göring et coll., 2001renvoi vers). Ce type de problème complique l’interprétation de nombreux résultats et il ne fera que croître dans l’avenir dans la mesure ou de plus en plus de facteurs seront testés. Cela imposera de suivre des règles très strictes pour rapporter des résultats. Les deux études mentionnées plus haut (Morabia et coll., 2003renvoi vers; Knoblauch et coll., 2004renvoi vers), parmi d’autres, pointent néanmoins dans la bonne direction, car il semble évident qu’une approche multigénique du déterminisme génétique des dyslipidémies et de l’athérosclérose s’impose. Néanmoins, ces deux études font ressortir la nécessité d’une validation extérieure. La multiplicité des tests rendant encore plus essentielles les études de réplication. D’autre part, les travaux réalisés jusqu’à présent ne s’intéressaient qu’aux effets marginaux et cumulatifs des facteurs génétiques, une autre étape devra incorporer l’évaluation des interactions possibles d’une manière plus explicite, mais ceci exigera des études de plus grande taille telles que celles qui sont initiées actuellement.
En ce qui concerne la réalisation clinique des tests multiples, elle est techniquement possible et financièrement concevable mais l’utilité de tels tests reste à prouver, dans un domaine comme celui des lipoprotéines en particulier, où des phénotypes très informatifs sont disponibles ; il n’est en effet pas évident que l’information cumulative fournie par plusieurs polymorphismes fournira un supplément d’information utile.

Absence du bon phénotype intermédiaire

Indépendamment de la compréhension profonde de son fonctionnement, ce qui fait du métabolisme des lipides un paradigme intéressant pour la génétique des traits complexes est la possibilité de mesurer de nombreux phénotypes tels que lipides plasmatiques, lipoprotéines, apolipoproteines, enzymes, protéines de transfert, qui informent sur la fonction des sous-ensembles impliqués dans le métabolisme des lipoprotéines plasmatiques et aident à caractériser des entités pathophysiologiques. Comme nous l’avons déjà signalé, lorsque de bons phénotypes intermédiaires sont disponibles, l’avantage clinique du génotypage des gènes candidats n’est pas évident. Ceci nous amène à conseiller de ne pas négliger les recherches visant à identifier de nouveaux phénotypes intégrateurs qui pourraient souvent rendre les tests génétiques inutiles. Mais quand la variation génétique affecte le risque de cardiopathie ischémique par des mécanismes que nous ignorons ou que nous ne pouvons pas évaluer d’un point de vue phénotypique, dans un contexte clinique ou même de recherche, la situation est différente. La variabilité génétique (même du génome entier) peut être évaluée à partir d’une goutte de sang, et les recherches portant sur les conséquences de cette variabilité sont essentielles pour découvrir de nouveaux mécanismes de la maladie et orienter vers des phénotypes insoupçonnés qui pourront être explorés et éventuellement rendus accessibles par des recherches ciblées. C’est pourquoi la génétique est si importante pour comprendre l’architecture des traits complexes.

Test génétique idéal ?

Un test génétique pourrait être particulièrement intéressant s’il était associé à une importante élévation du risque et si sa fréquence était élevée de telle sorte que le risque relatif (individuel) et le risque attribuable (collectif) qui lui sont associés soient tous les deux élevés. Actuellement, nous n’avons aucun exemple d’un tel variant dans le domaine de l’athérosclérose et des cardiopathies ischémiques ; cependant, nous ne pouvons pas exclure que de tels variants seront découverts un jour (le fait d’avoir des doutes sur ce point ne doit pas empêcher les recherches allant dans ce sens). Dans cette perspective, il est intéressant de discuter l’exemple d’un tel variant dans un autre domaine de pathologie, la thrombose veineuse. Un polymorphisme fonctionnel fréquent affecte la séquence du facteur V de coagulation. Ce polymorphisme, Leiden R506Q, est un facteur fort de prédisposition à la thrombose veineuse profonde (DVT). La mutation du facteur V Leiden a été découverte chez des patients présentant une résistance à la protéine C activée (Bertina et coll., 1994renvoi vers), donc encore une fois grâce à un phénotype intermédiaire. La mutation FV R506Q a une fréquence de 2 % à 11 % dans les populations européennes (Juul et coll., 2002renvoi vers). Le risque de DVT chez les hétérozygotes est au moins 3 fois plus élevé que dans la population générale, tandis que l’on estime que chez les homozygotes le risque relatif de thrombose est de 50 à 80 (Caprini et coll., 2004renvoi vers). Dans des contextes particuliers, tels que l’utilisation de contraceptifs oraux, ou certaines interventions chirurgicales, le polymorphisme Leiden du facteur V peut même être associé à un risque très élevé chez les hétérozygotes. Différents scénarios ont été envisagés pour diagnostiquer et suivre les porteurs du facteur V Leiden et les membres des familles exposées. La conclusion est cependant que : « actuellement il ne semble pas y avoir d’indication suffisante pour justifier le dépistage et la prise en charge clinique des porteurs de FV R506Q » (Humphries et coll., 2004renvoi vers). Bien sûr, cette réserve repose sur un ensemble d’arguments cliniques, familiaux et épidémiologiques et toute caractéristique génétique qui est candidate pour un test doit être examinée en fonction d’une série de critères qui lui est propre. Néanmoins, si nous ne pouvons pas justifier l’application clinique d’un test génétique tel que celui du facteur V Leiden, qui est fréquent et associé à un risque relatif important, comment pourrons-nous jamais justifier l’utilisation de tests dans des situations beaucoup plus courantes où le risque relatif est de 1,5 ou moins ? Il est possible que seuls des tests combinant plusieurs marqueurs permettent d’identifier des individus à haut risque de maladie. Toutefois, outre le fait que les tests reposant sur une combinaison de génotypes soulèvent des questions difficiles de validation, d’interprétation et de mise en pratique, l’exemple du facteur V Leiden montre qu’un risque relatif élevé et une grande fréquence ne sont pas en soi suffisants pour justifier un dépistage génétique, même lorsque des mesures préventives peuvent être mises en place comme c’est le cas pour la thrombose veineuse. Peut-être que l’exemple du facteur V Leiden révèle une réticence profonde, non clairement formulée et justifiée vis-à-vis des tests génétiques appliqués aux maladies communes et que les arguments avancés ne sont pas toujours bien fondés. Une jeune femme homozygote pour le variant facteur V Leiden, victime d’un accident thromboembolique grave à la suite de la mise en place d’un traitement contraceptif ne serait-elle pas en droit de se plaindre du fait que la médecine disposait d’un test simple qui aurait pu éventuellement lui éviter l’accident4  ?

Causalité simple et complexe

Pour l’étude de la génétique des dyslipidémies, on dispose d’excellents phénotypes intermédiaires, ce qui rend l’analyse génétique plus facile. La relation entre taux circulant de LDLc et athérosclérose est compatible avec un modèle causal relativement simple. Dans une telle situation, le phénotype intermédiaire LDLc est très instructif et peut être employé pour sélectionner les polymorphismes génétiques importants qui seront étudiés plus avant en relation avec la maladie. Un phénotype intermédiaire tel que le LDLc intègre des informations provenant de sources multiples, génétiques et non génétiques, et constitue un test « idéal » qui relativise fortement l’intérêt des tests génétiques portant sur les gènes qui exercent leur effet par son intermédiaire. Cependant, en général pour un trait complexe postuler un modèle causal simple n’est pas réaliste, même comme approximation. Par exemple, l’expression d’un grand nombre de facteurs inflammatoires est induite au sein des lésions d’athérosclérose. Si une relation causale entre le génotype et la maladie impliquant ces facteurs existe, comme plusieurs études le suggèrent, elle sera masquée partiellement ou totalement par la variabilité du marqueur inflammatoire induite par le processus pathologique donc secondaire. Comme nous l’avons déjà signalé, ce genre de confusion est très commun dans la recherche sur l’athérosclérose et ceci est vrai même lorsque l’étude est prospective dans la mesure où ceux qui développeront des complications au cours du suivi ont en moyenne plus d’athérosclérose à l’inclusion dans l’étude et/ou sont davantage exposés aux facteurs de risque qui peuvent affecter la variabilité des phénotypes intermédiaires d’intérêt, que ceux qui resteront indemnes de complication.
La distinction formelle entre ce qui est primaire et secondaire dans un processus complexe est souvent exagérément simplificatrice, car par exemple, ce qui est secondaire peut fort bien contribuer à exagérer ou au contraire à atténuer le processus pathologique. Ceci est bien connu en immunologie mais est peut-être insuffisamment perçu dans le domaine de l’athérosclérose où pourtant l’implication de processus inflammatoires et immunitaires est jugée très importante. La figure 2.5Renvoi vers illustre ce point. Elle repose sur une interprétation des observations faites dans les modèles de souris knockout d’athérosclérose (Cambien et Tiret, 2005renvoi vers). En effet, le knockout de plus de 100 gènes candidats chez la souris prédisposée à l’athérosclérose par l’inactivation du gène de l’ApoE (double knockout) affecte l’expression de l’athérosclérose chez ces souris. Cette observation étonnante ne semble interprétable que si la pathologie reflète des modifications complexes impliquant des modifications de l’expression de nombreux gènes en plus de celle du gène originellement muté.
Figure 2.5 Effets directs et indirects de la variabilité génétique

Recherche des effets faibles et des interactions

Comme dans d’autres domaines de pathologie, un nombre considérable d’études a rapporté des associations faibles et/ou contradictoires entre des polymorphismes génétiques et les cardiopathies ischémiques ou leurs facteurs de risque. Cette situation est souvent imputée à la taille insuffisante des études réalisées. Quand de nombreux résultats portant sur la même pathologie deviennent disponibles, il est habituel de réaliser des méta-analyses afin d’évaluer la réplicabilité des résultats. Des méta-analyses rapportant des associations significatives entre le risque de cardiopathie ischémique et des polymorphismes ont été rapportées pour les gènes de l’ApoB (Chiodini et Lewis, 2003renvoi vers), de l’ApoE (Wilson et coll., 1996renvoi vers), de l’ACE (Angiotensin-Converting Enzyme) (Samani et coll., 1996renvoi vers), de eNOS (endothelial Nitric Oxide Synthase) (Casas et coll., 2004renvoi vers), de MTHFR (MethyleneTetraHydroFolate Reductase) (Wald et coll., 2002renvoi vers), et de PAI-1 (Plasminogen Activator Inhibitor-1) (Iacoviello et coll., 1998renvoi vers) avec des risques relatifs compris entre 1,2 et 1,44. Cependant, de telles méta-analyses conduites sur des études fortement hétérogènes en termes d’effectif et de qualité des phénotypes mesurés, ne sont pas exemptes de biais potentiels et elles ne devraient pas être considérées comme fournissant des réponses définitives. Il paraît plus scientifiquement pertinent pour réunir des effectifs importants de rassembler des études dont les protocoles sont suffisamment proches et de réaliser les analyses génétiques et statistiques sur l’ensemble. Un bon exemple d’une telle approche dans le domaine cardiovasculaire est le projet Morgam, financé par la Communauté européenne, qui est basé sur le réseau préalablement établi à partir des registres Monica de l’OMS. Le projet devrait prochainement inclure près de 3 000 cas incidents d’infarctus du myocarde et 1 000 accidents vasculaires cérébraux ainsi que des témoins (Evans et coll., 2005renvoi vers). Indépendamment du recours à des technologies complètement nouvelles et très pointues, un aspect important de la génomique des traits complexes est l’apparition des méga-études. Des initiatives nationales au Royaume-Uni, au Japon, en Estonie, et au Canada vont rapidement conduire à la constitution de ressources épidémiologiques très importantes (plusieurs centaines de milliers de participants dans la plupart des cas) reliées à des biobanques avec l’espoir que ces études fourniront la puissance suffisante pour identifier de manière fiable des effets faibles et des interactions gène-gène et gènes-environnement. La mise en évidence de telles associations faibles et/ou complexes aura-t-elle une répercussion clinique à travers la mise en œuvre de tests génétiques ? La question est ouverte.

Exploration globale du génome dans des familles

Plusieurs analyses du génome entier ont été réalisées dans des familles présentant plusieurs membres atteints de cardiopathie ischémique (Francke et coll., 2001renvoi vers; Broeckel et coll., 2002renvoi vers; Gretarsdottir et coll., 2003renvoi vers; Pajukanta et coll., 2003renvoi vers; Wang et coll., 2004renvoi vers). Ces études de liaison génétique (qui doivent être distinguées des études d’association réalisées chez des individus non apparentés) sont fréquemment réalisées chez des frères et/ou sœurs affecté(e)s et visent à identifier des régions du génome au sein desquelles existent des variations génétiques qui coségrègent avec la maladie. Ainsi par exemple, Broeckel et coll. (2002renvoi vers) ont étudié le génome entier de 513 familles pour identifier des régions chromosomiques liées à l’infarctus du myocarde et ont identifié une liaison significative (p = 0,00015 avant correction ; p < 0,05 après prise en compte du nombre de tests effectués). Le gène, et le polymorphisme responsable s’il existe, n’ont pas encore été identifiés. Un autre exemple est la découverte de l’implication possible du gène de la phosphodiestérase 4D (PDE4D) dans l’athérosclérose. En utilisant l’importante ressource familiale constituée en Islande, Gretarsdottir et coll. (2003renvoi vers) ont effectué une analyse du génome entier dans 179 familles comportant 476 patients présentant un accident vasculaire cérébral, et ont identifié une liaison significative avec un marqueur situé sur le chromosome 5q12. Pour affiner la cartographie du gène en cause, ils ont exploré la région incriminée à l’aide de 98 marqueurs très informatifs chez 864 patients islandais affectés d’un accident vasculaire cérébral et chez 908 témoins, et ont ensuite réalisé une série d’études génétiques et expérimentales complémentaires qui ont conduit à l’identification de plusieurs haplotypes dans le gène de PDE4D qui seraient responsables de la liaison observée. Cette étude est très intéressante par sa méthodologie, mais le résultat suggère un modèle complexe d’association et n’est pas facile à interpréter et à extrapoler.

Explorations globales en population

Comme nous l’avons signalé, il existe actuellement une tendance très forte à réaliser des études de grande envergure non plus dans des familles mais dans des populations, qui portent sur des gènes candidats ou qui utilisent un nombre considérable de marqueurs anonymes visant à explorer le génome dans son intégralité et sans hypothèse a priori.
Yamada et coll. (2002renvoi vers) ont employé une stratégie en deux étapes pour identifier des polymorphismes génétiques liés au risque d’infarctus du myocarde dans la population japonaise. Ils ont examiné 112 polymorphismes de 71 gènes candidats chez 909 sujets et ont ensuite étudié les 19 polymorphismes les plus significatifs dans une étude plus grande comprenant 2 858 hommes (1 784 avec infarctus et 1 074 témoins) et 1 294 femmes (590 avec infarctus et 704 témoins). Cette stratégie leur a permis de sélectionner trois polymorphismes qu’ils ont considéré être associés significativement à la maladie : connexin 37 (C1019T) chez les hommes et PAI-1 (4G/5G) et stromelysin-1 (5A-1171/6A) chez les femmes. Toujours au Japon, Ozaki et coll. (2002renvoi vers) ont étudié 92 788 polymorphismes (SNPs) chez 94 individus ayant eu un infarctus et 658 sujets témoins. Les marqueurs les plus associés avec la maladie (p < 0,01) ont ensuite été étudiés dans une étude plus vaste constituée de 1 133 individus ayant eu un infarctus et 1 006 témoins. Cette stratégie a permis d’identifier 1 SNP dans le gène de la lymphotoxine-a (LTA A252G) associé à l’infarctus avec un niveau de signification statistique qui semblait acceptable étant donné le grand nombre de tests réalisés.
Du fait des progrès technologiques et de la disponibilité récente d’études et de ressources biologiques appropriées, le nombre des études d’association visant à explorer le génome entier va augmenter dans les années qui viennent dans le domaine de l’athérosclérose. Jusqu’ici, les études de ce genre n’ont pas fourni les résultats qu’on attendrait si des facteurs génétiques forts existaient. En ce qui concerne les effets plus modestes et les interactions, il faudra attendre les résultats des études d’association portant sur le génome entier et utilisant les puces de génotypage à haute densité de dernière génération. De telles études ont été initiées, en particulier au Royaume-Uni où le Wellcome Trust finance un grand programme portant sur huit maladies communes et incluant des milliers de malades et de témoins5 .

Paucimorphismes

Un domaine encore largement inexploré concerne celui des variants rares mais dont les effets quoique importants ne sont pas suffisamment forts pour générer une agrégation familiale qui permettrait de les identifier par des analyses de liaison familiale. Ces paucimorphismes (fréquence < 0,01) (Day et coll., 2004renvoi vers) revêtent un intérêt potentiel considérable car ils pourraient être associés à un risque accru médicalement significatif (dont l’identification pourrait être utile pour le patient et sa famille), et d’autre part leur mise en évidence pourrait permettre d’identifier de nouveaux mécanismes impliqués dans les maladies communes et éventuellement de nouvelles cibles thérapeutiques. Le variant ApoB R3500Q dont nous avons déjà parlé est une illustration parfaite de paucimorphisme. Il fut identifié chez un patient présentant une affinité basse des LDL pour leur récepteur. La disponibilité de ce phénotype intermédiaire a donc été essentielle pour le mettre en évidence et ce phénotype a suggéré un gène candidat. En raison de sa faible fréquence, il est imaginable qu’en l’absence du phénotype intermédiaire le variant ApoB R3500Q n’aurait pas été découvert. Nous pouvons spéculer qu’il existe un certain nombre de paucimorphismes pour lesquels aucun phénotype intermédiaire n’est connu et qui restent à découvrir. Le développement de nouvelles stratégies épidémiologiques et l’utilisation de nouvelles technologies adaptées à la mise en évidence de tels déterminants génétiques devraient être des priorités de recherche. Une observation intéressante a été faite récemment qui semble confirmer l’importance des allèles rares dans le métabolisme du cholestérol des HDL. Cohen et coll. (2004renvoi vers) ont examiné la séquence de trois gènes candidats (ABCA1, APOA1, et LCAT) chez des patients présentant des taux très bas d’HDLc et ont constaté que les variants rares non synonymes étaient significativement plus fréquents chez ces sujets que chez des témoins ; des études expérimentales ont ensuite confirmé la fonctionnalité des variants identifiés.

Génétique des systèmes

Il est frappant qu’une fraction importante des centaines de gènes qui ont été étudiés en relation avec l’athérosclérose, ses facteurs de risque ou ses complications sont porteurs de polymorphismes fonctionnels qui ont souvent un impact profond sur la quantité de protéines produite ou sur sa fonction. Il paraît paradoxal dans ces conditions de ne pas observer d’effet plus marqué sur le risque de maladie. Cette dilution des effets génétiques « proximaux » qui conduit à une quasi-absence d’effet sur la maladie peut être comprise si nous supposons que la variabilité génétique affecte des systèmes biologiques complexes au sein desquels de multiples interactions existent. Il devient de plus en plus évident que la compréhension de la génétique des traits complexes comme l’athérosclérose et les cardiopathies ischémiques exigera une approche centrée sur les systèmes biologiques qui permettra de modéliser les interactions existant entre les gènes et entre les gènes et les sources de variation non génétiques (Cambien et Tiret, 2005renvoi vers). Une telle approche conduit à s’intéresser à la génétique globale des systèmes biologiques dont le dysfonctionnement est impliqué dans la pathologie ; ceci impose une parfaite connaissance de la variabilité génétique et non génétique de leurs divers composants et des phénotypes pertinents qui permettent d’évaluer la fonction de ces systèmes. Cette conception se distingue fortement des approches passées. La plupart des études publiées supposaient en effet que la relation génotype/maladie peut être décomposée en une série d’effets additifs et qu’il est donc justifié d’étudier indépendamment les implications de la variabilité de chaque gène candidat et même de chaque polymorphisme sur le phénotype. Cette représentation simplificatrice ne nous paraît plus défendable.
En conclusion, l’athérosclérose (comme toutes les maladies), ses facteurs de risque et ses complications sont influencés à la fois par des facteurs environnementaux et par des facteurs génétiques. Ces derniers ont fait l’objet de nombreuses recherches au cours des 20 dernières années. Initialement, principalement centrées sur les gènes candidats, ces recherches visent à présent également à explorer l’ensemble du génome afin d’identifier des gènes inconnus ou dont l’implication dans la maladie est a priori insoupçonnée. Malgré la mise en évidence d’associations entre certains variants et la maladie, la conclusion que l’on peut tirer de ces travaux est que, hors d’un contexte familial ou phénotypique très particulier, aucun test génétique ne peut actuellement être préconisé pour le diagnostic ou la prédiction des cardiopathies ischémiques et des autres complications de l’athérosclérose, ou pour orienter la prescription des nombreux médicaments utilisés dans le traitement de ces maladies.
À la suite des progrès récents en génomique et du fait de la disponibilité de nouvelles technologies extraordinairement puissantes pour explorer la variabilité du génome, de nouvelles stratégies de recherche ont récemment été mises en place. Elles visent à tester un nombre considérable de marqueurs (plusieurs centaines de milliers) dans de vastes populations pour pouvoir identifier des effets faibles et des interactions de manière fiable. Les conséquences médicales de tels travaux sont difficiles à prévoir. La composante génétique de l’athérosclérose, de ses facteurs de risque et de ses complications fait intervenir un nombre important de facteurs génétiques à effet faible et il est évident que des tests génétiques pertinents ne peuvent être que multigéniques, prenant en considération lorsque c’est nécessaire plusieurs polymorphismes par gène. Si de tels tests pouvaient être conçus et justifiés à grande échelle, leur réalisation technique ne poserait pas de problèmes majeurs et ils ne seraient pas très onéreux. Leur interprétation par le médecin pourrait être problématique, mais une interprétation automatique par des algorithmes informatiques serait tout à fait concevable.
Cependant, c’est en termes d’utilité médicale que l’on doit considérer les tests génétiques et non en termes de faisabilité. C’est au niveau scientifique et dans la modélisation de la composante génétique des traits complexes qu’à notre avis se situe le problème principal. Comment les milliers d’informations générées par les nouvelles technologies seront traitées et interprétées pour aboutir à une décision médicale ? Comment ces tests seront-ils validés ? Est-ce que l’on ne va pas voir leur utilisation se développer principalement hors du champ de la médecine ? Ces questions concernant les nouveaux tests, il faut se les poser dès à présent, car les enjeux économiques sont importants, et l’on risque de voir leur usage se généraliser très rapidement, sans que l’on sache si leur utilisation dans le domaine des pathologies complexes est justifiée par un quelconque bénéfice médical.

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