Enjeux sociétaux des tests génétiques

2008


ANALYSE

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Relation médecin-patient

La question de la relation médecin-patient est un thème classique des travaux en anthropologie médicale et en sociologie de la médecine. Elle se repose aujourd’hui de façon forte du fait du développement d’activités médicales qui recourent à des techniques d’investigation de plus en plus sophistiquées, qui articulent travail de recherche et travail clinique, et dont l’objet ne se limite plus au diagnostic et au soin au sens classique de ces termes, mais à la prédiction et à la prévention de certaines maladies. Les tests génétiques font clairement partie de ces nouveaux champs d’intervention de la médecine. Il n’est donc pas surprenant qu’ils suscitent des interrogations quant à leurs effets sur la relation médecin-patient, de la part non seulement des chercheurs en sciences sociales mais aussi des praticiens. La littérature analysée est composée, majoritairement, d’articles récemment publiés par des cliniciens sur ce sujet, ainsi que de textes et d’ouvrages en sciences sociales.
Trois questions ont été posées au départ de cette analyse :
• comment l’approche génétique transforme-t-elle la perception des maladies ?
• dans quelle mesure l’information génétique peut-elle modifier la relation entre le médecin et son patient ? Est-ce que cette relation est différente dans les consultations génétiques ?
• quel est le point de vue des patients, des familles et des associations de malades dans l’utilisation des tests génétiques ?
La première question, extrêmement vaste, ne peut être traitée en tant que telle et de façon pertinente sur la base de la littérature retenue. Elle apparaît en revanche en filigrane dans différents articles pour rendre compte des modifications induites par les tests génétiques sur la relation médecin-patient. C’est dans cette perspective qu’elle sera abordée. La troisième question ne sera pas abordée ici. C’est donc principalement sur la deuxième question que porte ce chapitre.
La littérature engage une réflexion, basée sur les pratiques concrètes des praticiens, sur les spécificités de l’information génétique et leurs conséquences sur la relation médecin-patient. La plupart des auteurs situe ces conséquences à deux endroits : celui de la confidentialié de l’information d’une part ; celui du consentement éclairé d’autre part. Dans le prolongement de ces constats, de nombreux auteurs soulignent la nécessité d’un cadrage particulier du travail médical relatif aux tests génétiques (c’est-à-dire à la réalisation des tests et à la communication des résultats aux patients).
Dans une première partie, et pour bien saisir la nature des débats qui ont cours au sein du milieu médical sur la confidentialité de l’information génétique et sur le consentement éclairé, on rappellera brièvement le modèle traditionnel de la relation médecin-patient et les aménagements dont il a fait l’objet. Dans une deuxième partie, on fera état des spécificités de l’information génétique, telles qu’elles sont perçues par les praticiens, et des inflexions nouvelles qu’elles introduisent, selon eux, dans la relation médecin-patient. Dans une troisième partie, on présentera les grandes lignes du travail médical que les praticiens estiment nécessaire compte tenu de ces transformations de la relation médecin-patient.

Modèle traditionnel de la relation médecin-patient et aménagements

Le modèle traditionnel de la relation médecin-patient est celui du colloque singulier. Un médecin individuel interagit avec un patient individuel au cours d’une consultation dont l’objet est médical (c’est-à-dire que l’interaction porte sur une maladie réelle dont souffre un patient réel). Dans ce modèle, le patient est supposé vulnérable du fait de sa maladie, c’est-à-dire qu’on considère qu’il n’est pas en possession des moyens cognitifs et moraux nécessaires à la résolution de son problème. C’est le médecin qui possède cette autorité cognitive et morale. Pour pouvoir exercer cette autorité en toute connaissance et en toute conscience (critères d’efficacité et de bienveillance de l’action médicale), le patient est invité à délivrer toutes les informations sur son état au médecin. En contrepartie, le médecin est tenu de respecter la confidentialité des informations qui lui sont confiées. Ce modèle traditionnel repose sur une asymétrie des rôles entre le médecin et le patient, asymétrie jugulée par la confiance que le patient accorde à son médecin, confiance garantie par le respect par ce dernier de la confidentialité de l’information. Ce modèle est confirmé par la jurisprudence, qui conçoit la relation médecin-patient comme un contrat de confiance (Sudell, 2001renvoi vers)1 .
Ce modèle traditionnel a connu un certain nombre d’aménagements, et tout d’abord sur la question de l’autorité morale du médecin. Historiquement, c’est la révélation, dans le cadre du procès de Nuremberg, des expérimentations humaines menées par les médecins nazis, qui a amené à reconsidérer la question de l’autorité morale du médecin et a établi le principe du consentement éclairé. La multiplication d’interventions qui relèvent davantage de la recherche que de la clinique, le développement des mouvements de patients, la montée d’un discours sur la responsabilité de l’individu par rapport à sa santé, pour ne citer que ces trois éléments, ont par la suite progressivement installé ce principe dans la relation médecin-patient. Ce principe a transformé les rôles respectifs du médecin et du patient. Désormais, le médecin est tenu d’obtenir le consentement éclairé du patient quant aux décisions médicales le concernant. L’irruption du consentement éclairé dans la relation médecin-patient impose au médecin de délivrer les bonnes informations à son patient pour que celui-ci puisse décider en connaissance et en conscience. Tout le problème est de définir ce qu’est une bonne information. Deux modes d’évaluation sont traditionnellement mobilisés. Le premier est le Professional Custom Standard, encore appelé Bolam Principle, qui postule que les bonnes informations sont celles qui sont conformes aux opinions d’un ensemble de praticiens compétents. Le deuxième est le Prudent Person Test, qui énonce que les bonnes informations sont celles qui permettent de renseigner suffisamment une personne raisonnable (Kegley, 2002renvoi vers). Il y a donc une redistribution des compétences et des prérogatives du médecin et du patient. Le médecin ne juge et ne décide plus seul en son âme et conscience, mais doit s’appuyer sur les avis que ses pairs porteraient sur la situation. Par ailleurs, il doit tenir compte de l’adéquation entre les informations qu’il délivre au patient et les capacités cognitives et morales de celui-ci à prendre des décisions à partir de ces informations. Cela ne veut pas dire que l’asymétrie des rôles entre le médecin et le patient a complètement disparu. Le médecin a toujours l’autorité cognitive pour juger de l’état du patient et proposer une solution, mais cette autorité repose maintenant sur l’état des connaissances du milieu professionnel auquel il appartient, et il doit partager ces connaissances avec le patient à qui l’on reconnaît désormais une capacité d’autonomie et d’auto-détermination2 .
Cette première brèche dans le modèle traditionnel de la relation médecin-patient s’est doublée d’une deuxième brèche concernant la nature même de l’objet de cette relation. Jusqu’à présent, il était entendu que cet objet est de nature strictement médicale. Plus précisément, il s’agit de la maladie telle qu’elle est définie par la médecine. C’est cette conception de la maladie qui va se transformer, du fait notamment de la chronicisation d’un nombre croissant de conditions. La maladie n’est plus considérée comme une stricte entité médicale (« disease »), mais comme un état, une situation vécue par le patient, situation que celui-ci ne se représente pas nécessairement comme le fait le médecin (« illness »). La sociologie de la médecine, dans les années 1970, s’est essentiellement constituée autour de cette notion de représentation de la maladie, représentation qui engage non seulement des connaissances médicales mais aussi des éléments psycho-sociaux. Cette nouvelle conception de la maladie a été par ailleurs théorisée et relayée par le milieu médical lui-même ; ainsi par exemple, des travaux de Kleinman (1978renvoi vers), qui a repris à son compte la distinction entre « disease » et « illness ». À la première brèche dans l’autorité morale du médecin vient donc s’ajouter une deuxième brèche dans son autorité cognitive : il n’a plus le monopole de la définition de ce qu’est une maladie, laquelle doit désormais intégrer la représentation que le patient en a, et de fait, les conséquences autres que médicales de la maladie sur la vie du patient.
Pour résumer, on est donc aujourd’hui dans le cadre d’un modèle de relation médecin-patient toujours fondée sur une interaction entre deux individus, mais dans laquelle l’asymétrie originelle entre les deux parties a été en partie amendée.

Relation médecin-patient et tests génétiques

Les tests génétiques introduisent-ils des modifications supplémentaires dans la relation médecin-patient, et si oui, pour quelles raisons et de quelles manières ? La littérature aborde cette question en s’interrogeant sur les spécificités de l’information fournie par les tests génétiques. Trois éléments sont principalement discutés :
• l’existence de tiers concernés par l’information génétique relative à un patient ;
• la présence d’incertitudes fortes sur l’information génétique en tant qu’objet de la relation médecin-patient ;
• l’importance du questionnement existentiel, identitaire et ontologique face à l’information génétique.
Pris individuellement, aucun de ces éléments n’est propre à l’information génétique. C’est leur cumul qui lui confère un statut particulier. Ainsi, même les rares auteurs qui estiment que l’information génétique n’est pas fondamentalement différente d’une information non génétique, recommandent que toute information médicale qui cumule ces caractéristiques, et donc en particulier l’information génétique, soit traitée avec précaution. In fine, tous les auteurs s’accordent pour dire que l’information génétique préfigure sans doute une nouvelle forme de relation médecin-patient, voire remet profondément en cause le modèle contractuel dans le cadre duquel cette relation a été pensée jusqu’ici.

Question des tiers concernés par l’information génétique relative à un patient

Les tests génétiques sont susceptibles de fournir des informations concernant des tiers autres que la personne qui consulte. En soi, l’existence de telles informations n’est pas propre aux tests génétiques. En revanche, c’est la nature des liens entre la personne et les tiers concernés qui, selon de nombreux auteurs, confère sa particularité à l’information génétique.
Les tests génétiques sont en effet susceptibles de révéler soit une maladie génétique héritée et/ou héréditaire qui pourrait affecter des apparentés, soit une prédisposition génétique à une maladie présente dans la famille. Dans ces cas, les consultants sont enclins à juxtaposer génétique et hérédité, c’est-à-dire à se représenter les maladies génétiques comme des maladies qui ne peuvent et que ne peuvent défaire les liens de parenté organique. L’expression « Le gène est dans la famille » que les patients utilisent souvent traduit cette représentation des maladies génétiques. De ce fait, l’existence, chez une personne, d’une mutation héritée et/ou héritable, est considérée comme un fait que cette personne ne peut modifier, quelle que soit l’action qu’elle entreprend. Cet argument a été mobilisé dans certains procès (par exemple le procès Safer versus Estate of Pack aux États-Unis)3 , où il a été avancé que, quelles que soient les actions entreprises par la personne chez qui on a découvert une mutation héritée et/ou héritable, ces actions sont sans effet sur le fait que cette mutation est susceptible de se retrouver chez des apparentés et avoir des conséquences pour ces apparentés4 . Un tel argument perturbe le contrat qui lie le médecin et le patient de deux façons. Tout d’abord, cela crée une tension entre le principe de confidentialité de l’information médicale et le principe de bienveillance et d’assistance que le médecin doit à tout malade. Surtout, cela remet en question le principe d’autonomie et d’auto-détermination du patient, qui se trouve en situation de détenteur d’une information qui concerne d’autres que lui-même avec qui il a des liens qu’il ne lui suffit pas de rompre pour les faire disparaître. Cette situation, comme l’ont relevé de nombreux auteurs (Rapp, 1999renvoi vers; Twomey, 2002renvoi vers; Doukas, 2003renvoi vers), exerce une charge morale inédite sur le patient, qui se trouve responsable de fait vis-à-vis de ses apparentés (Rapp parle de « moral pionner »). Une importante littérature critique existe en sciences sociales sur cette moralisation de l’information génétique, et sur les contraintes qu’elle impose au patient. Sans être coupable de ses gènes, le patient n’en est pas moins considéré, et ne se considère pas moins comme responsable, non seulement vis-à-vis de lui-même mais également vis-à-vis de sa famille (Cunningham-Burley et Kerr, 1999renvoi vers; Hallowell et coll., 2003renvoi vers). D’individu autonome, le patient devient une personne dont l’identité individuelle dépend de celle de ses apparentés. Rompre cette dépendance exige souvent des décisions radicales, comme on a pu le constater dans certains cas : ignorer la génétique, ou encore ne pas chercher à connaître son statut de porteur ou non d’une mutation (Callon et Rabeharisoa, 2004renvoi vers).
En résumé, la façon dont l’information génétique affecte des tiers autres que le patient soulève la question suivante : doit-on considérer que l’information génétique est d’abord une information privée qui doit être traitée comme telle, ou une information collective qui doit être partagée avec les apparentés potentiellement concernés? Dans ce dernier cas, qui doit délivrer cette information et dans quelles conditions ?
Les réponses apportées à cette question s’étendent sur un continuum qui va du respect strict du cadre contractuel qui régit la relation médecin-patient à l’abandon de ce cadre, en passant par des configurations intermédiaires qui permettraient de « sauver » ce cadre. Du côté respect ou sauvetage du contrat, deux solutions ont été proposées par la jurisprudence :
• la relation médecin-malade ne doit pas être « polluée » par des relations d’une autre nature (les relations entre le malade et sa famille par exemple), ces relations étant du ressort exclusif du patient qui doit régler par lui-même la question de la divulgation des informations génétiques susceptibles de concerner ses apparentés ; le médecin doit s’en tenir à son rôle d’informateur pour que le patient puisse, en toute connaissance et en toute conscience, prendre les décisions qu’il juge pertinentes (procès Pate versus Threlkel, Sudell, 2001renvoi vers);;
• l’information génétique est d’abord une information privée dans le cadre de la relation médecin-patient (à la différence par exemple d’une information qui révèle l’existence d’un foyer épidémique) ; toutefois, compte tenu de la gravité des conséquences potentielles pour des tiers, le médecin ne doit pas faillir à l’exigence de bienveillance et d’assistance à tout malade, et est en droit d’informer non seulement le patient mais également les apparentés concernés.
Dans ces deux solutions, le principal problème est donc la répartition de la charge morale entre le médecin et le patient qui permette de préserver au mieux la relation contractuelle dans laquelle ils sont mutuellement engagés.
À l’opposé, certains auteurs proposent d’abandonner le modèle contractuel pour lui substituer un modèle où le médecin n’a plus affaire à un patient individuel mais à un « patient collectif », et où son rôle se double de celui de médiateur au sein de ce collectif. Ce modèle a donné lieu à l’élaboration d’une nouvelle forme d’engagement collectif, dont le « family covenant » inventé dès le début des années 1990 par Doukas (2003renvoi vers) constitue l’un des exemples les plus aboutis. Dans ce nouveau modèle, il est demandé au patient, bien avant la réalisation des tests :
• d’identifier les tiers vis-à-vis desquels il estime avoir une responsabilité, quelle que soit la nature des liens qu’il a avec ces personnes (liens biologiques, liens affectifs, liens de dépendance…) ;
• d’entreprendre avec et dans ce collectif une discussion sur les informations que les uns et les autres souhaiteraient partager ; il est demandé à ce collectif de tenir son engagement ou, le cas échéant, d’en rediscuter à l’issue des résultats des tests.
Dans ce processus, le médecin joue le rôle de facilitateur, de médiateur, de soutien à l’ensemble du collectif avant, pendant et après la réalisation des tests. Comme les deux solutions précédentes, celle-ci ouvre une brèche dans l’autorité morale du médecin qui n’est plus maître du jugement et de la décision de rétention ou de divulgation des informations concernant son patient. Mais plus fondamentalement encore, ce que cette solution remet en cause par rapport aux deux solutions précédentes, c’est le modèle même de contrat entre un médecin individuel et un patient individuel. Ici, le patient ne peut exister en dehors du collectif dans lequel il est pris, et ne peut déterminer seul ce qui est bon pour lui au détriment de ce qui l’est pour les autres.

Présence d’incertitudes fortes sur l’information génétique en tant qu’objet de la relation médecin-patient

La présence d’incertitudes n’est pas un fait nouveau en médecine, mais un fait qui a déjà été largement documenté et analysé par les sciences sociales (Fox, 1957renvoi vers et 2000renvoi vers; Star, 1983renvoi vers). Bien que prenant toujours plus appui sur des connaissances scientifiques, la médecine en tant que telle n’est pas une science, mais une pratique fondée sur la clinique et sur l’intervention thérapeutique, et dans laquelle intervient incontournablement la « normativité du vivant » (Canguilhem, 1966renvoi vers). Pour le médecin, une première incertitude concerne le processus pathologique, et plus précisément le fait que chaque cas (chaque patient), parce qu’il est unique, réalise (au sens bachelardien) un tableau clinique singulier de la pathologie en question. À cette incertitude fondamentale s’ajoute une incertitude liée au développement de nouveaux champs de connaissances et de nouvelles technologies. Leur accroissement accéléré au cours des dernières décennies rend impossible pour le clinicien individuel la maîtrise de l’ensemble de ces connaissances et de ces techniques. À l’incertitude liée aux limites du médecin est associé un autre type d’incertitude, qui tient cette fois à la limite des connaissances médicales elles-mêmes. Non seulement le médecin ne peut pas tout savoir, mais ce savoir lui-même présente toujours, à un moment donné, des failles.
Ces différentes incertitudes sont présentes dans les tests génétiques et les activités médicales qui les accompagnent. Mais on trouve également d’autres types d’incertitudes qui rendent l’information fournie par les tests génétiques délicate à interpréter5 , ce qui n’est pas sans effet sur la relation médecin-patient.
Tout d’abord, des incertitudes persistent sur le sens à accorder à la présence de mutations du fait de nombreuses inconnues sur l’étiologie et les mécanismes pathologiques dans lesquels s’inscrivent ces mutations, notamment dans le cas de maladies multifactorielles (interactions gène-environnement, mais également hétérogénéité génétique). L’information génétique a donc ceci de particulier qu’elle porte sur une entité biomédicale – la mutation – dont le statut est souvent indéterminé.
Ensuite, des incertitudes demeurent sur la frontière entre recherche et clinique, ce qui ne facilite pas toujours le maniement de l’information génétique dans le cadre de la relation médecin-patient. Les mutations dites « non-sens » ou « faux-sens », par exemple, sont des objets de recherche, qui soulèvent en même temps la question de leur révélation aux personnes chez qui on les a découvertes.
Enfin, des incertitudes perdurent sur l’utilité médicale des tests et de l’information génétique. En l’absence de stratégies curatives et/ou préventives, cela a-t-il un sens clinique d’annoncer un risque potentiel ou une prédisposition à une maladie ? Et quand bien même de telles stratégies seraient partiellement disponibles, les conséquences psychologiques de l’annonce ne seraient-elles pas dramatiques ?
Bien d’autres incertitudes existent sans doute, décuplées par l’évolution rapide et la complexité croissante des connaissances et des techniques dans ce champ d’activités. Celles citées ci-dessus montrent que l’information génétique constitue un objet particulièrement instable de relation entre le médecin et le patient. Que dire au patient, quand et sous quelle forme ? Si ces questions sont inhérentes à l’exercice de la médecine, elles prennent ici une tournure particulièrement saillante et mettent à rude épreuve le principe de bienveillance et d’assistance que tout médecin doit à tout patient. Symétriquement, l’information génétique, du fait du nombre et du degré élevés d’incertitudes qui lui sont attachées, peut plonger le consultant dans une situation psychologique qui met en défaut sa capacité d’auto-détermination. Autrement dit, les incertitudes relatives à l’information génétique peuvent embarquer le médecin et le patient dans une relation où la gestion de l’autorité cognitive et morale de l’un et de l’autre devient le problème commun principal.

Importance du questionnement existentiel, identitaire et ontologique face à l’information génétique

Cette troisième caractéristique de l’information génétique est une conséquence directe des incertitudes mentionnées ci-dessus.
Celles-ci interrogent d’abord le statut des personnes : malades, indemnes, porteurs sains, asymptomatiques, présymptomatiques… Prenons par exemple le cas d’une famille cliniquement prédisposée au cancer du sein, et dans laquelle la recherche de mutations chez un individu n’a pas abouti à l’identification de mutations. Est-ce parce que c’est un gène encore inconnu qui est en cause et que la technique ne permet pas d’identifier, gène dont l’existence est communément admise par les scientifiques ? Ou est-ce parce que c’est une mutation relativement rare d’un gène connu qui est en cause (il y a près d’un millier de mutations dans le cas de BRCA1), mutation que l’on ne recherche pas systématiquement ? Ou encore est-ce parce que cet individu est tout simplement indemne de la prédisposition ? Autre exemple : même dans le cas de maladies monogéniques à pénétrance complète comme le cas paradigmatique de la maladie de Huntington, une incertitude demeure sur l’âge de déclenchement de la maladie et sa sévérité. Serai-je malade ou non ? Quand et comment le serai-je ? Ces questions se rapportent directement à l’existence même des personnes, voire à leur identité. Ainsi, certains auteurs parlent de l’émergence, chez ces personnes, d’une « psychological identity » (Welkenhuysen et coll., 2002renvoi vers) différente de celle des personnes « normales ».
Mais au-delà se posent parfois des questions ontologiques. On sait par exemple que la notion de risque se prête à de multiples interprétations et représentations de la part des médecins et de la part des patients6 . Plus généralement, le risque, la prédisposition, qui se trouvent au cœur de l’information génétique, soulèvent un ensemble de questions extrêment complexes sur la frontière entre le pathologique et le normal. Qu’est-ce par exemple qu’une personne à risque ? Qu’est-ce qu’une personne qui présente une prédisposition génétique à une maladie ? Ces questions, parfois teintées d’essentialisme génétique, reviennent souvent dans la bouche des consultants : car l’essentialisme génétique, même s’il est constamment dénoncé et battu en brèche par les connaissances qui se développent aujourd’hui, même s’il n’est mobilisé que comme un élément parmi d’autres et sous des formes variées par les personnes (Lock, 2006renvoi vers), n’en est pas moins présent dans les représentations des maladies génétiques. Ainsi, l’information génétique déborde très largement de la seule sphère médicale et convoque, dans la relation médecin-malade, une série de considérations et de préoccupations d’autres natures. Le point ici n’est pas de dire si ce débordement est justifié ou non, mais de constater qu’il existe sous différentes modalités et que, de ce fait, la qualification de l’objet même de la relation entre le médecin et le malade, son caractère médical ou non médical, est un problème pratique.
Face à cette situation se pose la question de l’action non seulement au plan médical mais aussi par rapport à la façon dont la personne peut et veut vivre son statut d’« individu à risque ». Dans une revue récente de la littérature sur l’évaluation des services génétiques, Wang et coll. (2004renvoi vers) estiment que l’on ne peut séparer la réalisation d’un test génétique du conseil qui doit l’accompagner avant, pendant et après. Pris ensemble, le test et le conseil génétiques sont évalués par rapport à des critères non seulement médicaux, mais également des critères relatifs à la manière dont le patient va interpréter, ressentir le résultat du test, prévoir sa vie actuelle et future. L’évaluation d’un test et d’un conseil génétiques, selon ces auteurs, est nécessairement médicale et psycho-sociale, et doit intégrer une appréciation, de la part du médecin, d’éléments concernant le contexte dans lequel vit le patient. Cela est encore plus critique lorsque le test et le conseil concernent un enfant mineur, puisque c’est alors la vie même de la famille qui doit être considérée (Twomey, 2002renvoi vers). Cela explique, comme on l’a dit précédemment, l’importance des travaux en psycho-sociologie dans ce domaine d’activités. Cela explique aussi l’insistance de nombreux auteurs pour que le curriculum médical intègre les « medical humanities » (le modèle souvent cité étant celui de l’Université de Buffalo).
Les différents principes qui régissent la relation médecin-patient doivent être reconsidérés. Le principe de confidentialité de l’information doit être redéfini sur de nouvelles bases dès lors que « le patient » n’est plus seulement l’individu qui consulte mais aussi ses apparentés potentiellement concernés. Le principe du consentement éclairé prend une importance singulière, non seulement comme forme de régulation de ce qui, dans les tests génétiques, relève du travail de recherche et du travail médical mais aussi comme modalité de partage de l’autorité cognitive et morale entre le médecin et le patient. Le principe d’autonomie et d’auto-détermination du patient doit être repensé dès lors que celui-ci n’est plus le seul à être concerné par l’information relative à son état. Le principe de bienveillance que tout médecin doit au patient devient critique lorsque l’enjeu n’est plus strictement médical mais déborde sur des questions concernant la vie et l’identité du consultant. Le modèle traditionnel de la relation médecin-patient, dont l’objet est supposé être de nature strictement médicale, se trouve donc fortement questionné.
Face à cette situation, la plupart des praticiens estime que les tests génétiques ne peuvent être considérés comme des actes biologiques ordinaires mais comme des services à la personne qui, dans leur réalisation même, doivent associer cette personne à l’élaboration, l’appréciation, l’ajustement de l’action. D’une certaine façon, c’est aussi le modèle traditionnel de l’information qui se trouve donc remis en cause. Ici, cette information est travaillée conjointement par les différentes parties prenantes, et se trouve de fait transformée par ce travail conjoint. Une partie de la littérature va de ce fait s’intéresser à l’organisation concrète des services génétiques (entendu comme les tests et les conseils qui l’accompagnent) qui permet de mettre en œuvre cette nouvelle forme de relation médecin-patient.

Relation médecin-patient et travail médical dans le cadre des consultations génétiques

À quelques exceptions près, sur lesquelles on reviendra, la majorité des auteurs estime que les consultations génétiques nécessitent une conception du travail médical différente de la conception classique, et ce pour les raisons évoquées ci-dessus. Quelles que soient les spécialités des auteurs, tous s’accordent sur deux points :
• les consultations génétiques constituent un travail médical spécifique, qui doit être effectué par des spécialistes formés, équipés et expérimentés ;
• les consultations génétiques doivent inclure la réalisation des tests et les conseils pré- et post-tests, l’organisation de l’ensemble pouvant varier d’un contexte à un autre. En tout état de cause, la réalisation des tests génétiques et l’interprétation de leurs résultats ne peuvent être considérées comme des actes biologiques ordinaires, mais comme de véritables services médicaux qui n’ont de sens que dans la durée et la proximité avec le patient, et qui doivent être régulés comme tels.

Consultations génétiques et intégration et/ou coordination des différentes ressources et compétences

Tous les auteurs insistent sur la complexité des tests génétiques, de leur validation, de leur réalisation et de leur interprétation, et estiment de ce fait que les consultations génétiques ne peuvent être menées que par des spécialistes intégrés et/ou adossés à des dispositifs cliniques et des équipes pluridisciplinaires (Kristoffersson, 2000renvoi vers; Haan, 2003renvoi vers; Keku et coll., 2003renvoi vers).
La figure professionnelle centrale des consultations génétiques est, de l’avis de la majorité, le généticien-clinicien (Abramovicz, 2001renvoi vers). De nombreux auteurs plaident pour la reconnaissance pleine et entière de cette profession comme une véritable spécialité médicale. Le généticien-clinicien est considéré comme un spécialiste ayant des compétences et une expérience que peu d’autres professionnels s’estiment en mesure de revendiquer (Welkenhuysen et coll., 2002renvoi vers). D’abord parce que la sophistication et les transformations rapides des connaissances en génétique exigent une expertise que les médecins et les spécialistes traditionnels ne possèdent pas nécessairement (du fait notamment de leur formation). Ensuite parce que la complexité de certaines situations cliniques nécessite de mobiliser une expérience que les médecins et les professionnels de santé n’ont pas toujours.
Pour de nombreux auteurs, les dispositifs cliniques et les équipes pluridisciplinaires devraient, dans l’idéal, intégrer les différentes compétences et les différents équipements nécessaires à la réalisation des tests, à leur interprétation, et à l’accompagnement des malades et des familles. Certains par exemple plaident pour qu’au plan matériel et humain soient coprésents le laboratoire, des moyens permettant de créer et de tenir à jour un registre des malades et/ou des personnes vus en consultation, des généticiens-cliniciens, des spécialistes de maladies ou d’organes, des psychologues, des assistants... Certains vont jusqu’à penser qu’il est difficilement concevable de détacher l’activité clinique de l’activité de recherche pour les tests et les conseils génétiques. C’est un modèle d’organisation qui est adopté dans les services spécialisés, notamment en France. Au minimum, une coordination entre ces différentes compétences et ces différents moyens est souhaitée. En tout état de cause, certains auteurs estiment qu’un système de validation portant sur cet ensemble intégré et/ou coordonné d’activités, de compétences et de ressources doit être établi au niveau international (Kristoffersson, 2000renvoi vers).
Cette question de validation fait l’objet de nombreux articles, et fournit parfois l’occasion d’une prise de position par rapport aux autotests génétiques. Certains auteurs sont farouchement opposés à ces autotests parce qu’ils priveraient, selon eux, le patient du conseil génétique (Englert, 2001renvoi vers). C’est explicitement le modèle consumériste qui, selon ces auteurs, sous-tend le développement de ces autotests, modèle rejeté parce qu’il serait dangereux pour le patient. Mais au-delà de la position de principe, ces articles ne fournissent pas d’éléments qui permettraient d’avancer dans la réflexion sur la régulation du développement, de la diffusion et de l’usage des autotests génétiques. Autrement, la plupart des auteurs pense que le développement et la diffusion de ces autotests dans le domaine médical sont inéluctables, et estime que la question de la régulation est absolument centrale sans, là non plus, apporter des éléments concrets de discussion. Au final, le sentiment général qui se dégage de ces articles est que les professionnels sont soit prêts à s’engager, soit engagés de fait dans la mise en œuvre du modèle intégré et/ou coordonné décrit ci-dessus. À côté de cette forme de régulation professionnelle des tests génétiques, le problème de la régulation des autotests, s’il est jugé urgent, est implicitement remis entre les mains du politique.

Consultations génétiques et ajustement à différents contextes d’usage

Outre la question de leur organisation, les consultations génétiques soulèvent aussi celle de l’utilité médicale des tests. Sur ce plan, les tests prédictifs, tests d’un type nouveau par rapport aux tests traditionnels que sont le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire, suscitent de nombreuses réflexions7 . Un certain nombre d’auteurs propose d’aborder cette question en distinguant différents modèles de maladies selon un ensemble de critères : caractère multifactoriel de la maladie, hétérogénéité génétique, pénétrance, sensibilité et spécificité des tests, existence de stratégies curatives et/ou préventives, état des connaissances… Pagon (2002renvoi vers) par exemple distingue, de façon classique, deux modèles : les maladies mendéliennes et les maladies complexes. Evans et coll. (2001renvoi vers) distinguent cinq modèles, l’utilité médicale des tests allant, selon eux, décroissant du premier au dernier modèle de la liste : modèle de la néoplasie endocrinienne multiple de type 2 ; modèle de l’hémochromatose ; modèle du cancer colorectal ; modèle du cancer du sein et de l’ovaire ; modèle de la maladie d’Alzheimer. Dans le même ordre d’idée, une enquête menée auprès de généralistes flamands (Welkenhuysen et coll., 2002renvoi vers) montre que ceux-ci estiment que l’acceptabilité des tests varie selon les maladies. Le classement proposé est comparable à celui de Evans et coll. (2001renvoi vers), c’est-à-dire par ordre d’utilité décroissant : le cancer de la thyroïde, le cancer du sein, la maladie de Huntington et la maladie d’Alzheimer.
Ces modèles de maladies ne se différencient pas uniquement au plan des situations médicales. Ils sont également différents selon les contextes dans lesquels les demandes sont formulées, ainsi que les expériences des personnes et des familles. C’est ce que l’on propose d’appeler « contextes d’usage ». Il est communément admis par exemple que dans le modèle Huntington, compte tenu de la pénétrance complète du gène, de l’incertitude relative à l’âge de déclaration de la maladie et à sa sévérité, son caractère incurable et létal, la principale conséquence de la découverte d’une mutation et de sa révélation est d’ordre psychologique pour la personne porteuse, peut avoir des impacts sur ses choix de vie, notamment sur ses choix de reproduction, ainsi que sur son choix de divulguer ou non l’information à sa descendance. L’équipe médicale doit donc savoir déployer un savoir-faire pré- et post-test en termes d’accompagnement de la personne, et éventuellement de sa famille, sur le long terme. À l’autre extrême de la classification proposée par Evans et coll. (2001renvoi vers) se trouve le modèle de la maladie d’Alzheimer pour laquelle la présence d’une mutation a une faible valeur prédictive, et pour laquelle aucune stratégie préventive de la maladie n’existe. Dans ce cas, les auteurs jugent que l’utilité du test est extrêmement faible compte tenu du travail possiblement invasif que cela suppose dans la vie de la personne et de sa famille alors même que le niveau d’incertitude est élevé. Entre ces deux extrêmes se trouve le modèle du cancer du sein et de l’ovaire, qui se distingue du modèle précédent par la place importante que joue l’expérience qu’a la personne de la maladie dans sa famille.
Cette hétérogénéité des contextes d’usage se manifeste par une pluralité des définitions et des classifications des tests génétiques fournies par la littérature. La plupart des auteurs tendent à proposer une définition large des tests génétiques. Ainsi, Keku et coll. (2003renvoi vers) proposent la définition suivante :
« Genetic testing involves the analysis of DNA, RNA, chromosomes, proteins, and metabolites to detect abnormalities that may predict actual or future disease ». Il peut donc s’agir de tests diagnostiques ou de tests prédictifs ; de tests portant sur des maladies génétiques, héritées et/ou héréditaires ou non, ou de tests portant sur des prédispositions à des maladies communes ; de tests portant sur des maladies mendéliennes ou de tests portant sur des maladies complexes ; de tests réalisés pour des motifs liés à la reproduction, à la prédiction d’une maladie, ou à la réponse à un traitement (pharmacogénétique). Plus largement, on pourrait même considérer qu’il s’agit d’un processus dans lequel, à un moment ou à un autre, il est fait recours à des analyses et des outils issus de connaissances relatives au génome humain.
Cette définition large donne lieu à une série de sous-catégorisations différentes, mais dont on peut dire qu’elles intègrent toutes, quoique de façon différente, des critères liés aux contextes d’usage des tests.
Keku et coll. (2003renvoi vers) par exemple, proposent de distinguer les tests et les consultations génétiques qui les accompagnent selon les motifs pour lesquels ils sont demandés (soit par les patients, soit par les médecins référents) : reproduction/prédiction d’une maladie. Abramovicz (2001renvoi vers) propose une catégorisation un peu différente, mais qui porte aussi sur le contexte d’usage. Il distingue par exemple :
• la détection de porteurs, avec différentes situations : un antécédent de maladie récessive dans la famille ; une maladie récessive liée à l’X ; une maladie récessive autosomique fréquente dans la population ;
• le diagnostic prénatal pour des maladies graves et incurables ;
• le diagnostic préimplantatoire pour des maladies graves et incurables et des couples infertiles ;
• l’analyse présymptomatique et les tests prédictifs, avec là encore des situations différentes : modèle Huntington/modèle polypose.
L’idée selon laquelle le contexte joue un rôle important dans le travail médical est également partagée par les rares auteurs qui estiment qu’il n’y a pas de différence de nature entre les tests génétiques prédictifs et les tests non génétiques. Green et coll. (2003renvoi vers) par exemple récusent l’exceptionnalité des tests génétiques en montrant que certains d’entre eux ne sont que des exemples extrêmes de tout test qui présente une faible valeur prédictive, qui porte sur une maladie grave et incurable susceptible d’affecter les apparentés, qui risque de provoquer de ce fait un stress psychologique important. Autrement dit, les tests génétiques, sans être différents de tests non génétiques, permettent malgré tout d’expliciter un nouveau modèle de travail médical.
Quels que soient les tests, les auteurs insistent sur le fait que la réalisation des tests ne saurait s’accomplir sans un conseil génétique pré- et post-test approprié et que cet ensemble constitue un service à la personne qui ne se limite pas à des considérations médicales. C’est la raison pour laquelle tous plaident pour un service à la personne qui déborde très largement de la seule opération technique que constitue la réalisation du test.
En conclusion, l’analyse de la littérature sur les tests génétiques et la relation médecin-patient permet de faire trois remarques.
La première est que les tests génétiques, pour les raisons invoquées ci-dessus, transforment non seulement la relation médecin-patient, mais également l’objet même de cette relation qui ne saurait se réduire à une stricte question médicale. De ce fait, les consultations génétiques transforment également la nature du travail médical et les compétences et moyens qui doivent être mis en œuvre pour mener à bien ce travail. L’opinion largement partagée des praticiens est que ce travail ne saurait consister uniquement à réaliser des tests, mais doit nécessairement inclure un service à la personne et à la famille sous forme de conseil pré- et post-test. Pour cette raison, la position adoptée par les professionnels sur les autotests est relativement claire et consensuelle : le développement de ces autotests étant fortement probable, on ne peut laisser faire les seuls mécanismes du marché. Il faut une organisation et une régulation professionnelle pour déterminer quels tests sont valides et utiles, dans quels contextes, et avec quels types de services. De façon assez classique, les praticiens défendent donc un mode de régulation professionnelle. En particulier, si tous estiment qu’il faut associer, dans ces discussions, les différentes parties prenantes, et notamment les pouvoirs publics et les associations de patients et de familles, il n’en reste pas moins que tous pensent qu’un modèle consumériste n’est pas souhaitable.
La deuxième conclusion que l’on peut tirer est que les tests génétiques, même pour ceux qui pensent qu’ils ne diffèrent pas des tests non génétiques, présentent des spécificités, ou plutôt une accumulation de caractéristiques qui en font des objets exemplaires pour penser le travail médical, son organisation, et la régulation des produits médicaux. Sur ce dernier point et s’agissant des autotests par exemple, une note du Parliamentary Office of Science and Technology (2003renvoi vers) estime que ces autotests, qu’ils soient génétiques ou non, doivent faire l’objet d’une évaluation de leur utilité médicale, et non seulement d’une validation de leur sécurité, de leur qualité, et de leur performance comme cela est le cas aujourd’hui en Europe. Le risque, en l’absence de cette évaluation de l’utilité médicale de l’autotest, est l’inflation des doctor-tests à la suite de l’obtention, par les patients, des résultats. Les autotests génétiques, sans être fondamentalement différents des autotests non génétiques, présentent un certain nombre de caractéristiques qui rendent encore plus indispensable l’évaluation de leur utilité médicale. La recommandation du Parliamentary Office of Science and Technology est que ces autotests génétiques bénéficient de la même régulation que celle des produits médicaux. Comme les quelques auteurs qui relativisent l’exceptionnalité des tests génétiques, cette note ne se sert pas moins des spécificités de ces tests pour plaider pour une amélioration du système de régulation et d’administration des autotests de façon générale. Il ne faut donc pas négliger le fait que la discussion sur les tests génétiques ouvre aussi la voie, pour les différents acteurs concernés, d’une discussion générale sur l’amélioration et la régulation des produits et des services médicaux.
La troisième conclusion concerne le statut des entités biomédicales sur lesquelles portent les tests génétiques (mutation, prédisposition…). Non seulement les connaissances sur ces entités sont loin d’être stabilisées, mais de plus, leur caractère pathologique ou normal ne peut être déterminé de façon univoque et en toute généralité. Comme certains auteurs l’ont très bien montré (Keating et Cambrosio, 2003renvoi vers), ce que l’on appelle « régulation » dans ce type de situation ne se limite pas à un mécanisme, imposé de l’extérieur, pour valider ex post des pratiques changeantes. Elle s’étend à l’ensemble des opérations et des procédures (standardisation industrielle, élaboration collective de classifications et de recommandations, conférences de consensus…) qui rend possibles la production, la mise en circulation et l’appropriation de connaissances et d’outils de travail sur ces entités biomédicales. Ce constat est partagé par un certain nombre d’auteurs. Comme l’estiment Holtzman et coll. (1997renvoi vers) par exemple, le plus grand défi que posent les tests génétiques est finalement la poursuite, en clinique, de la production et de la régulation de telles connaissances et de tels outils.
L’évolutivité et l’instabilité de ce champ de connaissances et de pratiques d’une part, les débats que les tests génétiques suscitent sur le travail médical, sur la relation médecin-patient, sur les rapports entre science, médecine et marché d’autre part, ne peuvent être appréhendés que de façon nécessairement partielle dans le cadre d’une expertise collective comme celle-ci.

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