2008


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Tests génétiques Questions scientifiques,médicales et sociétales

Ce rapport présente les travaux du groupe d’experts réunis par l’Inserm dans le cadre de la procédure d’expertise collective (annexe 1), pour répondre à la demande de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) concernant les aspects scientifiques, médicaux et sociétaux des tests génétiques. Ce travail s’appuie sur les données scientifiques disponibles en date du dernier trimestre 2006. Près de 600 articles ont constitué la base documentaire de cette expertise.
Le centre d’expertise collective de l’Inserm a assuré la coordination de cette expertise collective.

Groupe d’experts

Jean-Claude ameisen, Président du Comité d’éthique de l’Inserm, EMI–U 9922, Faculté de médecine Xavier Bichat, Paris

François cambien, Génétique épidémiologique et moléculaire des pathologies cardiovasculaires, Inserm U 525, Faculté de médecine Pitié-Salpêtrière, Paris

Benoît dervaux, Labores/Cresge (Laboratoire de recherches économiques et sociales/Centre de recherches économiques, sociologiques et de gestion), Lille

Sophie douay, Laboratoire d’études et de recherche en droit social, Université de Lille 2, Lille

Jean-Paul gaudilliere, Cermes (Centre de recherche médecine, sciences, santé et société), Inserm U 750, Villejuif

Claire julian-reynier, Épidémiologie et sciences sociales appliquées à l’innovation médicale, Inserm U 379, Institut Paoli Calmettes, Marseille

Vololona rabeharisoa, Centre de sociologie de l’innovation, École des Mines de Paris, Paris

Michel roussey, Département de médecine de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Sud, CHU, Université de Rennes I, Rennes

Hagay sobol, Cancérologie, Inserm U 599, Institut Paoli Calmettes, Marseille

Céline verstuyft, Pharmacogénétique, métabolisme et pharmacodynamie, EA 276, Faculté de médecine St-Antoine, Université Pierre et Marie Curie, Paris

Ont présenté une communication

Ségolène aymé, Service information sur les maladies rares, Inserm SC11, Paris

Marc delpech, Laboratoire de biochimie et génétique moléculaire, Inserm U 567 et UMR 8104 CNRS, Institut Cochin, Paris

Michel goossens, Laboratoire de biochimie et génétique moléculaire et Inserm U 841, Hôpital Henri Mondor, Créteil

Michel vidaud, Laboratoire de biochimie et génétique moléculaire UMR 745, Université Paris Descartes, Paris

Alexandra durr, Neurologie et thérapeutique expérimentale, Inserm U 679, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

Pascale guicheney, Institut de myologie, Inserm U 582, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris

François thépot, Adjoint du directeur médical et scientifique, Agence de la biomédecine, Saint-Denis la Plaine

Ont rédigé une note de lecture

Henri atlan, Centre de recherche en biologie humaine, Jérusalem

Bertrand jordan, CNRS, Marseille-Nice Génopole

Alex mauron, École de médecine, Université de Genève

Arnold munnich, Département de génétique et Inserm U781, Hôpital Necker-Enfants-Malades, Paris

A effectué une relecture critique du document

Josué feingold, Consultation de génétique clinique, Département de génétique et cytogénétique, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris

Coordination scientifique, bibliographique et logistique

Fabienne bonnin, attachée scientifique, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Catherine chenu, attachée scientifique, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Jeanne étiemble, directrice, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Cécile gomis, secrétaire, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Anne-Laure pellier, attachée scientifique, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Marie-Josèphe saurel-cubizolles, chargée d’expertise, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Chantal rondet-grellier, documentaliste, Centre d’expertise collective de l’Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris


Note de lecture

Ce rapport est bienvenu à plus d’un titre. Il arrive à un moment particulier de l’histoire de la génétique. Les technologies de l’ADN sont devenues de plus en plus performantes et elles permettent le développement de biotechnologies diverses, parmi lesquelles les tests génétiques occupent une place importante. Mais en même temps, les analyses de génomes de plusieurs espèces, dont l’espèce humaine, ainsi que de nouvelles découvertes inattendues en biologie moléculaire et cellulaire (prions, possibilité de clonage reproductif de mammifère par « reprogrammation » de génomes de cellules adultes déjà différenciées, plasticité cellulaire…) ont montré les limites des représentations du déterminisme génétique dominantes pendant plusieurs décennies. L’importance des mécanismes épigénétiques avait été oubliée au profit d’un néo-préformationnisme où le génome fonctionnait à la manière d’un programme d’ordinateur (métaphore du « programme » génétique souvent confondue avec la réalité du code du même nom). Les gènes étaient censés contenir la totalité de l’information déterminant le développement, ainsi que les structures et les fonctions, normales et pathologiques, des organismes. Mais des mécanismes épigénétiques sont de plus en plus reconnus aujourd’hui dans la régulation d’activités diverses des gènes, y compris dans la cancérisation. L’organisme contrôle les gènes au moins autant que les gènes contrôlent l’organisme. Dans le contexte de cette nouvelle biologie dite « post-génomique », ou « génomique fonctionnelle », ou « protéomique », ou « biocomplexité », il est important de bien délimiter la place des technologies du gène. Les nombreux échecs des essais de thérapies géniques ont renforcé la déception de ceux qui avaient espéré que le chemin serait facile depuis la connaissance du gène d’une maladie – dans les rares cas de maladies monogéniques à forte pénétrance – jusqu’au traitement de cette maladie par transgenèse. Sur le plan théorique, certains ont été tentés de voir dans la « fin du tout-génétique » (Atlan H., Inra Editions, 1999) la fin de la génétique elle-même, d’autant plus que la définition même de ce qu’est un gène est devenue multiforme, dépendant du niveau d’analyse, moléculaire, fonctionnel, cellulaire, organismique. Autrement dit, la remise en question des représentations classiques simplistes sur les déterminismes génétiques a produit chez certains un scepticisme conduisant à jeter, si l’on peut dire, le bébé-gène avec l’eau du bain. Mais en même temps, la conviction que notre avenir et celui de notre descendance sont inscrits dans nos gènes, notamment pour ce qui concerne les maladies futures, est encore très forte dans le grand public, et joue parfois le rôle d’une véritable superstition « génétique ». Des tentatives de diffuser et banaliser la pratique de tests génétiques de toutes sortes profitent évidemment de cette crédulité. Il était donc important d’entrer dans les détails de différentes sortes de déterminismes génétiques, maladies monogéniques dominantes ou récessives, à forte ou faible pénétrance, maladies polygéniques et gènes de prédispositions, caractères phénotypiques mal définis, tels que traits comportementaux, corrélés de façons plus ou moins rigoureuses avec des marqueurs génétiques dont les fonctions sont inconnues et peuvent être inexistantes. Il est évident que la seule qualification de « test génétique » n’a pas la même valeur diagnostique et prédictive dans toutes ces situations.
Le but de ce rapport était donc de faire le point, de façon différentielle suivant les situations, sur la crédibilité à accorder à des annonces plus ou moins sensationnelles de mise au point – et de mise sur le marché – de tests génétiques, en évitant deux écueils opposés : confiance aveugle en la valeur prédictive du « génétique » en toutes circonstances, et méfiance tout aussi aveugle, généralisée à partir de cas malheureusement réels, de tromperies sur la marchandise.
Ce but a été atteint en grande partie. On peut pourtant regretter que le rapport n’aborde pas du tout la question des tests génétiques appliqués au diagnostic ou à la prédiction de troubles du comportement. Qu’il s’agisse de maladies mentales relativement bien définies – malgré les différences d’écoles – ou de comportements considérés comme anormaux (agressivité, instabilité, troubles de l’attention, états dépressifs divers…) ou encore de traits de caractère et de comportements non pathologiques (orientations sexuelles…), des marqueurs génétiques sont régulièrement recherchés, et parfois « trouvés », avec publications dans des journaux scientifiques reconnus. Or, dans ce domaine, le caractère problématique de cette approche est encore plus grand, en son fondement pourrait-on dire, car le trait phénotypique supposé être déterminé génétiquement, même en partie, est très mal défini. Les comportements, normaux ou pathologiques, font partie d’ensembles non homogènes qui ne sont pas définis de façon univoque, malgré les efforts des classifications psychiatriques, au contraire, malgré tout, de ce que l’on observe même dans les maladies multifactorielles comme les diabètes, les cancers, ou les maladies cardiovasculaires. Dans ces conditions, la recherche de corrélations entre génotype et phénotype n’a plus aucun sens, dès lors que le phénotype lui-même est mal défini et dépend d’appréciations plus ou moins subjectives. Cette question a été abordée récemment à propos de la mise sur le marché, pour le moins abusive, de tests génétiques dits « de l’autisme », qui a donné lieu à un avis du comité d’éthique de l’Inserm. Le rapport gagnerait certainement à être complété par une analyse des problèmes particuliers que pose la recherche de déterminants génétiques de comportements normaux ou pathologiques.

Henri Atlan

Professeur émérite de biophysique
Directeur du Centre de recherche en biologie humaine, Jérusalem


Note de lecture

Les tests génétiques, et les informations « objectives » qu’ils apportent, sont en passe de changer nombre de nos pratiques médicales et extra médicales. Même si leur objectivité n’est parfois qu’apparente, il est indéniable qu’ils répondent à nombre de questions de manière incomparablement plus précise que les méthodes précédemment employées. Cette précision même pose parfois problème, dans la mesure où elle ne laisse plus place à un « doute raisonnable » qui évitait parfois des révélations douloureuses ou des choix difficiles. Il est donc extrêmement utile de tenter un état des lieux sur ce secteur et son évolution. Le rapport présente des thématiques qui sont souvent abordées sous différents aspects, sa lecture sera utile aussi bien pour les professionnels que pour ceux, simples citoyens, qui cherchent à appréhender l’ensemble de ces nouvelles techniques et de leurs applications.
Un point important me semble rester en suspens, et devrait à mon avis faire l’objet d’une étude ultérieure (mais passablement urgente) : celui des « autotests », effectués par des laboratoires situés dans les nombreux pays qui admettent ce type de pratique commerciale. Le rapport mentionne ces autotests, mais sans développer le sujet ; or cette possibilité est maintenant ouverte, et nombreux seront sans doute ceux qui souhaiteront profiter de cette « liberté ». On peut raisonnablement penser qu’il sera bientôt possible de faire réaliser de nombreux tests génétiques en dehors de tout encadrement, en envoyant un prélèvement à une entreprise (étrangère) ayant « pignon sur Internet », laquelle fournira le résultat en quelques jours ou quelques semaines, à un coût nettement inférieur à mille euros. Du coup, le beau modèle du test génétique comme « acte médical intégré » risque d’être complètement déstabilisé, et on voit bien l’effet catastrophique que pourrait avoir l’annonce, sans aucun encadrement, d’un résultat mettant en jeu le pronostic vital du demandeur ou de sa descendance. Il ne semble pas réaliste de tenter d’empêcher les citoyens français de faire ainsi appel à ces firmes spécialisées, s’ils en ressentent l’envie ou le besoin et sont prêts à en assumer les frais. Comment faire en sorte qu’ils aient conscience du besoin d’une aide à l’interprétation des résultats ? Comment leur offrir cette aide, – tout en tentant de les persuader de passer par le chemin de l’acte médical intégré – à condition que celui-ci soit offert dans des conditions d’accessibilité et de délai raisonnables ?
Il existe déjà en France une situation de ce type, celle des tests de paternité : étroitement encadrés dans notre pays par l’autorité judiciaire, ils sont librement disponibles sur Internet à des tarifs parfois inférieurs à cent euros. Il serait certainement intéressant d’effectuer une étude capable de mesurer le niveau réel de recours à ces tests « privés », son évolution dans le temps et les conséquences qu’ont ces résultats « bruts » sur les situations familiales et les relations de parenté. Un tel examen aiderait certainement à envisager de manière réaliste l’impact possible des autotests dans le domaine de la génétique médicale, sujet d’une future étude dont la nécessité va certainement se faire sentir si l’on songe, par exemple, à la récente affaire du « test génétique de l’autisme » dont la commercialisation (aux États-Unis) est envisagée par l’entreprise française Integragen.

Bertrand Jordan

Généticien, directeur de recherche émérite au CNRS
Coordinateur-fondateur Marseille-Nice Génopole


Note de lecture

Dans ce rapport, le groupe d’experts propose un tour d’horizon des applications diagnostiques actuelles de la génétique médicale, des espoirs que ces applications font naître et des décisions de politique publique liées à la mise en œuvre, à plus ou moins large échelle, de ces méthodes. Le document se présente d’emblée comme une synthèse de ce domaine d’application de la génétique médicale, probablement unique en langue française. Bien entendu, les aspects proprement scientifiques et techniques du document et de ses recommandations ne font pas l’objet de cette note, mais c’est plutôt sous l’angle éthique que j’ai lu ce document en accord avec mon propre domaine d’expertise.
Le document s’ouvre sur un chapitre introductif de caractère historique et philosophique, qui développe les implications de la notion de déterminisme génétique. En effet, des formes plus ou moins simplistes de cette notion sont souvent présentes dans « l’air du temps ». De telles idées sont par exemple véhiculées par le traitement sensationnaliste de certaines « découvertes » de la génétique comme le gène de l’homosexualité ou le gène de la violence… Ce chapitre distingue avec pertinence trois questions bien réelles qui se cachent derrière ce discours. Premièrement, l’idée que la biographie d’une personne est inscrite quelque part dès la conception, idée métaphysique qui renvoie à des discussions philosophiques séculaires sur le déterminisme en général et sur la causalité. La seconde question est plus spécifiquement scientifique, c’est celle de savoir si la biographie d’un individu possède en quelque sorte une inscription biologique. Enfin la troisième concerne l’évaluation du message réellement fourni par les découvertes scientifiques actuelles. Ce chapitre présente un tour d’horizon historique des doctrines inspirées peu ou prou par telle ou telle version du déterminisme génétique : darwinisme social, eugénisme, lecture populaire de la théorie du « gène égoïste ». Historiquement, ces dérives éthiques ont souvent, mais pas toujours, été liées à des doctrines racistes ou xénophobes, ou encore à des préjugés tendant à justifier la stratification sociale des sociétés modernes. Sans avoir le côté strident ou violemment idéologique de jadis, certaines de ces controverses continuent aujourd’hui autour de l’importance relative donnée à la génétique et à l’environnement. Toutes ces notions appellent d’ailleurs un véritable travail philosophique, comme aussi la notion de gène « normal » ou « anormal », travail dont le chapitre rend compte en faisant référence à la littérature pertinente. Un certain nombre de notions fondamentales de génétique médicale et populationnelle sont ici rappelées, de manière à mettre en perspective les pouvoirs de prédiction de la génétique, chapitre complété par quelques informations concernant l’épigénétique et les pièges de la causalité.
La place donnée à des enjeux théoriques fondamentaux dans ce rapport, dont l’usage principal sera pratique, doit être saluée. En effet, c’est un véritable guide de lecture qui est ainsi fourni, en particulier aux usagers de ce document qui ne seraient pas des spécialistes des pratiques diagnostiques discutées en détail. Deux chapitres concernent respectivement les tests génétiques chez l’enfant et ceux pratiqués en anténatal, deux chapitres de la génétique médicale qui sont évidemment très riches en questionnements éthiques. C’est particulièrement le cas des dépistages néonataux (DNN) qui ont d’ores et déjà une longue histoire (les Guthrie cards apparaissent en 1963) et qui ont été dès l’origine l’objet d’une réflexion éthique fournie. Tant les critères éthiques classiques justifiant le DNN que les controverses plus récentes visant parfois à réviser ces critères sont présentés de façon très détaillée. Des problèmes éthiques assez inédits posés par le DNN de l’hémochromatose sont particulièrement intéressants et marquent peut-être un tournant dans la réflexion éthique sur les dépistages génétiques. Le chapitre concernant les tests génétiques en anténatal est particulièrement remarquable par la clarté avec laquelle il présente les différentes options de diagnostic et de dépistage possibles. Le fait de traiter ensemble les diagnostics prénatal, préimplantatoire et préconceptionnel, ainsi que le diagnostic prénatal avec ou sans signe d’appel, contribue beaucoup à clarifier un domaine qui est traditionnellement traité de manière beaucoup plus fragmentée. Sur chacune de ces modalités diagnostiques, la littérature bioéthique internationale est citée de façon très complète. On relève en particulier un traitement exhaustif des différentes controverses à la fois techniques, éthiques et de santé publique qu’ont suscité les diverses modalités de dépistage de la mucoviscidose. Le traitement du diagnostic préimplantatoire rappelle que celui-ci peut être mis en œuvre avec des finalités diverses, dont l’évaluation éthique doit être différenciée. Quant au diagnostic préconceptionnel, c’est-à-dire en fait le dépistage populationnel des hétérozygotes, il est présenté en partant des exemples classiques des campagnes de dépistage des hémoglobinopathies et ainsi que de certaines maladies métaboliques telles que le Tay-Sachs. Là encore, le lecteur trouvera un recensement complet des avis de comités d’éthique et de sociétés professionnelles concernant ces programmes.
Après un chapitre consacré aux tests génétiques pour les pathologies cardiovasculaires, un chapitre très substantiel est voué à l’oncogénétique. Les pratiques actuelles et futures de la consultation d’oncogénétique, de l’identification de populations à haut risque jusqu’au conseil génétique conduit avec les individus ainsi identifiés, sont traitées en présentant les différents modèles possibles de consultation et en recensant les activités actuelles dans ce domaine en France.
La pharmacogénétique est un domaine un peu plus futuriste, car si la recherche dans ce champ a fait d’énormes progrès depuis l’identification des acétyleurs lents de l’isoniazide dans les années 1950, les applications pratiques de ces découvertes sont peu nombreuses à ce jour. Il n’en reste pas moins qu’une bonne connaissance de la pharmacogénétique est essentielle pour comprendre les directions futures en recherche pharmacologique et les espoirs suscités par cette discipline dans le domaine de la qualité des soins. Un certain nombre de disciplines médicales où la pharmacogénétique peut apporter un « plus » en termes de prévention des accidents graves liés à des réactions individuelles aux médicaments sont présentées dans ce chapitre.
Les diagnostics et dépistages génétiques constituent un sujet particulièrement fascinant pour des sciences sociales qui s’intéressent aux pratiques de santé, puisqu’il mobilise des représentations collectives très riches sur la santé et la maladie, la fatalité, l’inné et l’acquis, le normal et l’anormal. Ce chapitre présente une remarquable revue de la littérature des sciences sociales, tant sur les motivations et les représentations de la population générale que celle des groupes humains particulièrement concernés par les tests génétiques. D’autres études ont cherché à préciser l’influence des tests génétiques sur les comportements en matière de procréation, ainsi qu’en matière de santé et de prévention. On peut seulement regretter que le domaine francophone participe de manière relativement modeste à ce chantier de sciences sociales en plein essor au plan international.
Un chapitre fait le point des effets des tests génétiques sur la relation médecin-patient. On est ici dans le domaine de l’anthropologie médicale, qui a relevé précocement le statut ambigu du probant dans la consultation génétique. Souvent celui-ci, dépositaire de renseignements pertinents pour les membres de sa famille, est invité à prendre un rôle actif vis-à-vis de ses proches et à devenir une espèce de « pionnier moral ». Ceci suscite une controverse quant au statut de l’information génétique personnelle. Faut-il lui appliquer le modèle de l’information médicale privée, protégée par le secret, ou faut-il plutôt la considérer comme une ressource collective à partager avec ses proches sous les termes d’un « family convenant » ? Le rôle crucial de l’incertitude dans l’information génétique, comme les questions d’identité qui surviennent souvent chez les personnes affectées par les tests génétiques, soulèvent des questions anthropologiques complexes. Ainsi, comment tenir à distance un essentialisme génétique constamment réfuté en théorie mais qui apparaît malgré tout à la surface dans les représentations des maladies génétiques ? Comment, en tant que professionnel de la génétique, participer de façon constructive au projet de vie de l’individu à risque ? Les traits distinctifs de la consultation génétique et du savoir-faire particulier qu’elle exige sont ici analysés avec finesse.
La question du contrôle de qualité et de la réglementation des tests génétiques fait l’objet d’un substantiel chapitre. Les experts ne s’y contentent pas de recenser des politiques publiques en la matière mais partent d’un point de vue sur la régulation des technologies inspiré par les sciences sociales. Sur cette base, ils examinent en détail l’exemple de la régulation des tests pour la mutation du gène BRCA1 qui a été au centre d’une longue controverse au plan mondial. Divers modèles de réglementation sont analysés et le chapitre conclut sur des recommandations mettant en avant la nécessaire intégration du laboratoire de génétique médicale dans la pratique clinique, un modèle qui se distancie de celui du laboratoire de « biologie médicale », tout au moins comme il est conçu en France.
Le chapitre juridique trace les grandes lignes de quatre approches possibles pour une réglementation des tests génétiques par le droit. La première est celle qui s’inspire directement des droits fondamentaux de la personne humaine. C’est celle qui a été principalement mise en œuvre en France. La seconde met l’accent sur le statut particulier de l’information génétique et des droits de la personnalité qui s’y rattachent (« genetic privacy »). La troisième met en place un certain nombre de garde-fous procéduraux qui reposent en grande partie sur l’assurance qualité et l’expertise professionnelle. Enfin la dernière fait confiance à la liberté du marché encadrée par des « bonnes pratiques ». Cet article de droit comparé est complété par un tour d’horizon des différents textes français touchant les tests génétiques souvent de manière indirecte. Les experts insistent néanmoins sur les limitations d’une approche qui serait purement nationale.
Le chapitre sur les tests génétiques et les assurances a le mérite de situer la protection assécurologique contre des risques dans son contexte général. Celui-ci relève à la fois des dispositifs de protection sociale en général et la fonction sociale des différentes modalités de l’assurance. Contrairement à une abondante littérature sur ce sujet, les experts font une analyse précise des mécanismes actuariels en jeu, en particulier le problème de la sélection contraire et les difficultés tant du « risk underwriting » que d’un équilibre qui mélange les différentes catégories de risques. Ils ne dissimulent rien des arbitrages sociaux complexes que l’intervention des tests génétiques dans les assurances exigera nécessairement.
Il y a également un chapitre qui propose une revue exhaustive de la littérature sur l’économicité des tests génétiques en termes d’analyse coûts/efficacité, analyse encore relativement rare pour les tests génétiques.
Le document conclut sur des propositions concrètes qui visent à garder les tests génétiques dans un contexte médicalement intégré, à réaffirmer la nécessité d’une évaluation scientifique de toute nouveauté dans ce domaine et enfin qui insiste sur la nécessité de consulter directement tous les milieux concernés par cette problématique, à commencer par les patients et autres personnes directement touchées.
En conclusion, l’Inserm fournit aux décideurs politiques et de santé publique un document très solidement étayé sur le plan scientifique. Le point des connaissances et des techniques y est fait de façon exhaustive, avec pondération et sans parti pris. Les recommandations concrètes proposées sont raisonnables et modérées ; elles pourraient être utilement étudiées par d’autres pays européens. Si ce texte appelle une légère critique, c’est la relative modestie des sources françaises et francophones dans les références en bioéthique et en sciences sociales. À vrai dire, il s’agit moins d’une critique aux experts que d’un constat des limites de la bioéthique universitaire et des sciences sociales intéressées par la médecine dans nos pays. En effet, la bioéthique est, chez nous, handicapée par un véritable malentendu structurel. Car pour beaucoup, la bioéthique, c’est d’abord ce que font les commissions d’éthique, en particulier les comités nationaux, voire même le législateur (on pense aux « lois de bioéthique » françaises). Ce n’est que secondairement que la bioéthique renvoie aux universitaires qui la cultivent comme une discipline académique à part entière. Ainsi par exemple, l’allergie que suscite le terme « éthicien » dans les pays francophones (à l’exception peut-être du Québec) est un symptôme parlant. Elle tend à marginaliser la réflexion d’éthique appliquée, en en faisant une activité pratiquée un peu à contrecœur par des « vrais philosophes », ou alors un commentaire moral, pour ne pas dire moralisateur, formulé par des patrons de médecine ou encore par des intellectuels publics. Il en résulte une certaine fragilité de la bioéthique universitaire dans nos pays et il n’est donc guère surprenant que les auteurs de ce document aient eu des difficultés à référencer des analyses bioéthiques qui seraient à la fois de qualité indiscutable et intéressées à des problématiques locales ou nationales.
À cette petite réserve près, j’espère que ce document trouvera un large public, également hors des frontières de l’Hexagone. On pense bien entendu à des décideurs et organismes responsables de politiques publiques dans ce domaine dans les divers pays européens. Mais on songe aussi à un lectorat universitaire et étudiant. En effet, sa qualité pourrait en faire un document pédagogique utile dans des cours avancés de génétique médicale, d’épidémiologie génétique, de bioéthique, ou encore dans le cadre de formations continues dans les disciplines précitées, ou destinées aux cadres d’organisations publiques ou privées appelés à faire des choix responsables dans ce domaine.

Alex Mauron

Professeur de bioéthique
École de médecine, Université de Genève


Note de lecture

Les tests génétiques visent à confirmer le diagnostic d’une affection génétique chez un sujet malade, à préciser le statut des apparentés et le risque encouru par un enfant né ou à naître, et à déterminer si un sujet à risque est ou non porteur du gène responsable, avant que n’apparaissent les premiers symptômes. Les tests génétiques ne peuvent être prescrits et réalisés que dans l’intérêt des personnes. Ils doivent faire l’objet d’une explication préalable lors d’une consultation dédiée à cet effet ainsi que d’un consentement écrit du sujet (article L145-15.1 du Code de la santé publique).
Ni oracles, ni prêtres
Les généticiens ont-ils supplanté les cartomanciennes et autres diseuses de bonne aventure dans l’imagination de nos contemporains ? Comment en est-on venu à accréditer l’idée selon laquelle la génétique allait permettre de tout comprendre, de tout prévenir, de tout éviter, même le pire ? C’est sans doute que dans l’esprit de beaucoup, la génétique est la spécialité des origines et du destin. Le généticien, une sorte d’oracle qui voit clair dans ce qui s’est passé et par conséquent dans ce que nous réserve l’avenir. Sa boule de cristal, c’est le grand dictionnaire en 46 volumes, un par chromosome, dont la lecture lui est confiée, dont lui seul saurait détecter « les fautes » d’orthographe, causes de maladie dans une simple prise de sang. L’identification des gènes de maladie rend effectivement possible l’exécution de tests génétiques permettant la confirmation d’un diagnostic chez une personne présentant déjà des symptômes ou la détection, parmi les membres de sa famille, des personnes porteuses du gène défectueux et susceptible de transmettre ou de déclarer la maladie.
Toutefois, ces tests génétiques ne sont pas des examens biologiques comme les autres et leur résultat revêt une dimension symbolique considérable. Par un subtil glissement sémantique, voilà « la faute d’orthographe » trop souvent devenue « péché originel ». Voilà le généticien devenu homme moral, qui dit le vrai du faux, le bien du mal. Comme un homme de religion ! Nous voilà embarqués dans une sorte de régression collective où « mal » et « maladie » ne font plus qu’un, comme au Moyen Âge ! Et voilà la génétique devenue un enjeu moral, un moyen de pression idéologique, ou l’occasion de prises de position à caractère confessionnel, voire même de passage à l’acte, au nom de telle chapelle, de telle divinité...
Non, les maladies génétiques ne sont ni une punition du ciel ni l’exécution d’une sentence divine. Les généticiens ne sont ni des oracles ni des prêtres. Ils n’ont pas qualité pour tout décider à la place de la société des hommes ni pour se substituer au législateur. Dans sa pratique quotidienne, le généticien doit se garder de franchir la ligne jaune de la laïcité. Il doit veiller sur le pacte républicain. Bien sûr, nous avons tous – médecins, malades, parents –notre histoire, notre passé, nos convictions qui font de nous ce que nous sommes. J’ai entendu plusieurs parents merveilleux me dire que « la trisomie 21 est un don du ciel ». Chacun encaisse les coups comme il peut. Libre à chacun de donner aux épreuves qui nous frappent le sens qu’il veut, avec les mots qui l’aident. La rage de comprendre est propre à notre espèce.
Ce qui compte en réalité pour nous, c’est de remplir notre mission d’information de manière complète et bienveillante, de nous assurer que, par-delà les points aveugles de l’inconscient et du déni, par-delà les barrières linguistiques et culturelles, nos messages ont bien été entendus. Le reste est l’affaire de chacun.
Une même carte génétique pour tous
L’imagination de nos contemporains sait faire, à l’occasion, des emprunts au jargon scientifique et se donner des allures d’actualité... Comme les chercheurs ont doté la collectivité d’une carte génétique (traduction ambiguë de l’anglais « gene map » qui signifie en réalité « topographie des gènes »), voilà que beaucoup s’imaginent bientôt fichés pour leurs caractéristiques génétiques. D’autres se voient déjà titulaires d’une carte génétique individuelle, comme une carte de crédit, une carte « vitale » dont la puce contiendrait – à la manière d’une carte de groupe sanguin – leur identité génétique, à la disposition des compagnies d’assurances ou des agences de recrutement... Il y a quelques années, un comédien célèbre et sympathique est venu me voir, accompagné de son médecin pour me demander « d’établir sa carte génétique ». Il n’avait naturellement pas la moindre idée de ce qu’est une carte génétique, un interminable catalogue positionnant des gènes sur des chromosomes. Il n’était pas loin d’imaginer que j’allais relever ses empreintes génétiques avec le tampon encreur de mon bureau, comme le préposé aux cartes d’identité relève les empreintes digitales dans un commissariat...
Il m’a fallu lui expliquer – je ne rate pas une occasion de répéter – qu’il n’y a pas lieu d’établir la carte génétique de tout un chacun, pour la simple raison que la carte des gènes est la même chez tous les hommes d’hier ou d’aujourd’hui, quelles que soient leur race, leur religion, la couleur de leur peau, de leurs yeux ou de leurs cheveux.
Si la place qu’occupent les gènes sur les chromosomes est la même pour tous, les gènes peuvent en revanche connaître des variations tantôt silencieuses, tantôt prédisposant aux maladies, tantôt compromettant gravement leur fonctionnement. Ces dernières sont appelées des mutations, mais ce n’est pas parce qu’une mutation est observée chez un individu qu’il tombera nécessairement malade : cette défaillance peut parfaitement être palliée par le gène présent, en regard, sur l’autre chromosome de la même paire ou par des gènes situés ailleurs. De sorte que l’étude systématique de l’enchaînement des constituants élémentaires de nos gènes (encore appelé séquençage du génome) pourrait bien se révéler non seulement d’un coût exorbitant et d’une complexité informatique insoupçonnée, mais aussi très décevante en termes de prédiction pour l’avenir de l’individu. De surcroît, n’oublions pas que, mises bout à bout, toutes les expériences de par le monde n’ont pas encore permis d’achever la lecture du génome d’un seul individu...
Frères et sœurs, cousins et cousines
Les risques sont élevés et l’intérêt des tests génétiques est grand pour les membres d’une famille lorsque l’un des leurs est frappé par une maladie génétique. En effet, les anomalies génétiques observées chez le malade sont caractéristiques de sa constitution, mais, du fait de leur nature, ces caractéristiques peuvent être partagées par d’autres membres de la famille. Aussi, porter un diagnostic de maladie génétique est un séisme qui secoue en réalité toute une famille, car les apparentés du sujet sont également exposés au risque de partager cette caractéristique.
Informer une personne à risque de son statut de porteur a des conséquences toutes différentes selon le mode de transmission de la maladie. Dans le cas d’une affection récessive autosomique, comme la mucoviscidose, la constatation du statut de porteur chez un frère ou une sœur par exemple n’a aucune conséquence pour leur propre santé car ils sont protégés par le gène normal de la même paire. Ses enfants n’encourent de risque que si le conjoint est également porteur, ce qui est d’autant plus rare que la maladie est moins fréquente. En cas de maladie liée au sexe, comme la myopathie ou l’hémophilie, où seuls les garçons sont malades et où les filles peuvent être porteuses, constater que la sœur ou la tante maternelle d’un malade est porteuse n’a pas non plus de conséquences sur leur propre santé, mais les expose au risque d’avoir, à leur tour, un garçon atteint.
Pourtant la révélation des résultats du test génétique revêt toujours une dimension symbolique et une charge émotionnelle considérables qui ne cessent pas de me surprendre. La transmission totalement aléatoire de cette particule de vie vient interférer, s’enchevêtrer même pour leur donner sens, avec les liens familiaux qui unissent le sujet au malade. Ce trait du hasard sans conséquence biologique se trouve soudain investi d’une signification inattendue qui refaçonne les liens, les distend ou les rapproche comme si le sujet interprétait un simple coup de dés comme un signe du ciel, un arbitrage du destin. À cet instant, il reste sourd à nos commentaires probabilistes relatifs à l’extrême banalité du statut de porteur sain. Nous avons beau clamer que chacun de nous est porteur sain d’une bonne cinquantaine de gènes de maladies héréditaires, rien n’y fait ! L’annonce des résultats du test sidère le sujet au même titre qu’une annonce diagnostique, le réveille en sursaut et lui assigne une place dans la lignée, en le situant tantôt dans le clan des victimes, tantôt dans celui des rescapés.
Quand elle concerne un mineur et malgré nos explications rassurantes, la révélation du statut de porteur sain est accueillie par les parents du sujet comme le signe d’un acharnement du destin, une menace pour la descendance, comme une véritable catastrophe tenue pour responsable des tracas les plus anodins. Pour l’enfant, cette information est une cause d’anxiété considérable et de graves perturbations au point que nous nous abstenons désormais de tester les apparentés mineurs lorsqu’ils sont bien portants. Si le sujet mineur n’est pas exposé au risque de développer lui-même une maladie génétique et si le risque ne concerne que sa descendance, il n’apparaît pas judicieux de chercher à connaître son statut génétique avant l’âge adulte. La loi interdit du reste le diagnostic génétique chez les mineurs bien portants de moins de 15 ans. Les mêmes réserves doivent être faites pour les enfants en voie d’adoption. On comprend que les parents adoptifs souhaitent un enfant en bonne santé, mais la réalisation de tests pour éliminer certaines maladies paraît très discutable, qu’elle soit faite à la demande des futurs parents ou d’organismes intervenant dans l’adoption.
Toute vérité n’est pas bonne à dire
Les résultats du test génétique viennent souvent disculper des apparentés épargnés par la maladie ! J’ai le souvenir précis de frères et de sœurs profondément soulagés d’apprendre qu’ils partageaient avec le malade le gène de sa maladie. « Super ! On est toutes les deux comme Bernard » m’ont répondu d’une seule voix deux jeunes filles lorsque je leur ai annoncé qu’elles étaient toutes deux porteuses de la maladie liée au sexe dont leur frère était atteint.
Toutefois, si la majorité des apparentés à risque souhaite connaître leur statut, tous ne sont pas demandeurs et certains y sont hostiles. Du reste, nul n’est tenu de se soumettre à un test génétique et nul ne peut obtenir le concours d’un tiers contre sa volonté, même si l’issue de l’enquête génétique est subordonnée à sa coopération et même si l’avenir d’autrui en dépend ! En termes de droit français, le respect du secret médical et de la vie privée le disputent à l’obligation de porter assistance à une personne en danger et peut parfois l’emporter sur elle. Le problème s’est posé, il n’y a pas si longtemps, dans le contexte bien différent de la contamination intra-conjugale par le virus du sida.
Chacun peut refuser de prendre connaissance des résultats d’un test génétique, même si ce refus doit être lourd de conséquence. Une femme très chic, mère de deux jeunes filles en âge de procréer, que j’avais fait venir pour l’informer de son statut de porteuse d’une redoutable maladie liée au sexe masculin, la maladie de Hunter, m’a dit un jour d’un ton péremptoire « j’ai accepté la prise de sang pour faire plaisir à ma sœur, mais je tiens de mon médecin, en qui j’ai toute confiance, que je ne suis pas porteuse du gène de la maladie. Je vous demande donc de bien vouloir clore ce dossier et ne plus me parler de ce test... ». C’était son droit, même si une lourde menace pesait sur la descendance de ses filles. Il m’appartenait de trouver les moyens de les informer sans transgresser la loi. Sauf à faillir au secret médical, je ne pouvais m’adresser à ces jeunes filles que je ne connaissais pas. C’est une tante qui a fait le lien. J’aurais pu prier les parents du patient d’être mon porte-parole auprès de ces jeunes filles, mais c’était les charger d’une douloureuse nouvelle au moment précis où ils avaient à faire face à la maladie pour eux-mêmes et leur enfant. Des raisons très diverses peuvent du reste conduire à décliner ce genre de mission : la difficulté de parler de sa propre histoire, fut-ce à des proches, le souhait de parcourir seul un chemin douloureux, le refus d’imaginer un être cher confronté à une épreuve comparable ou simplement une mésentente familiale. En règle générale pourtant, les proches se prêtent de bonne grâce à la tâche d’émissaire qui leur est confiée et conduisent avec délicatesse les sujets à risque vers le généticien.
La question et la demande
Mais quelle question latente se dissimule au juste sous la demande immédiate et bien réelle d’un test génétique ? De quoi est-il question au juste dans cette quête d’information sur l’état de la recherche, sur les possibilités de dépistage et de traitement ? Derrière la demande d’un test génétique pointent souvent un questionnement beaucoup plus personnel et une véritable demande d’écoute et d’attention. Comme dans toute consultation de génétique, nos visiteurs ont en réalité besoin de parler. De la maladie de leur frère, de leur sœur, de leurs parents, de la culpabilité et de l’angoisse qu’elle suscite. Ils ont besoin de parler d’eux-mêmes, mais n’osent pas se l’avouer ! Les malheureux s’imaginent que pour être entendus de moi, il faut avoir à demander quelque chose de l’ordre de la technique... Il me faut alors savoir ne pas emboîter le pas à la demande immédiate, laisser de côté la charrue moléculaire... Vers ces laissés pour compte, il faut savoir tendre l’oreille comme le bon vieux médecin de famille, le médecin « de la famille »... Savoir entendre la petite voix qui dit : « après tout, toi et tes collègues, vous vous êtes occupés de mon frère aujourd’hui malade ou décédé, mais qui s’est occupé de moi ? qui se préoccupe de ma situation ? ». À preuve la réaction de cette mère à qui je demandais des nouvelles du frère de l’enfant malade : « il ne manquerait plus qu’il y ait des problèmes avec lui ! Il manquerait plus qu’il moufte, lui qui a la chance d’être bien portant ! Avec tous les soucis que nous cause son frère »...
Le risque de la prédiction
À côté des maladies où les porteurs du gène sont sains, il existe un groupe de maladies dites dominantes, particulièrement nombreuses où le fait d’être porteur du gène altéré signifie que la maladie va très probablement se déclarer et implique le risque de la transmettre une fois sur deux à sa descendance. Les tests génétiques permettent d’identifier en toute rigueur, parmi les sujets à risque, ceux qui n’ont pas reçu le gène altéré, de les rassurer définitivement, eux et leurs descendants et de suspendre toute surveillance spécifique. Chez le sujet à risque présentant déjà des troubles, les tests ne font que confirmer le diagnostic. Mais chez les sujets reconnus porteurs alors qu’ils sont encore en bonne santé (diagnostic présymptomatique), les bénéfices des tests génétiques sont plus discutables. En effet, l’expression d’un gène varie tellement d’un individu à l’autre et dans une même famille qu’il est en réalité impossible de prédire la date de début des troubles, leur gravité et leur évolutivité. Bien sûr, si le résultat est assorti de mesures thérapeutiques, diététiques ou préventives de nature à enrayer la maladie, à infléchir le cours du destin, le test présymptomatique présente un réel intérêt pour le sujet porteur et la tâche du médecin est plus simple. Il est alors possible d’offrir un meilleur suivi et un traitement mieux adapté : saignées répétées pour prévenir la cirrhose et le cancer du foie chez le sujet porteur du gène de l’hémochromatose, ablation chirurgicale des polypes pour prévenir un cancer du côlon chez un jeune homme porteur du gène de la polypose familiale, surveillance étroite et précoce de femmes porteuses de gènes de prédisposition au cancer du sein ou de l’ovaire.
Mais que penser d’un test génétique présymptomatique lorsqu’il conduit, comme c’est le cas dans la chorée de Huntington, à annoncer une mauvaise nouvelle à un sujet bien portant sans pouvoir assortir cette annonce de la moindre mesure thérapeutique ou préventive ? S’agit-il bien d’une parole médicale au sens où l’entend l’Écriture : « Soigner, vous soignerez ! ». N’est-ce pas plutôt une malédiction ? Où est le bénéfice réel d’une telle information pour le sujet ? Bien sûr, c’est un enfer de vivre avec un doute sur son statut. Mais c’est aussi le doute, l’inconnu qui nous fait aller de l’avant... Le risque de la prédiction, c’est précisément que l’avenir se confond avec le présent ! Un enfer aussi. Tout l’enjeu des équipes en charge des tests génétiques pré-symptomatiques est de déterminer si le test génétique est une bonne ou une mauvaise chose pour le sujet et d’évaluer si les arguments couramment invoqués pour justifier le test (mariage, projet d’enfants, choix de vie, orientation professionnelle) pèsent suffisamment lourd au regard du séisme que représente le fait de quitter une situation probabiliste pour vivre désormais dans la certitude de porter le gène de la maladie... La grand-mère d’un bébé décédé d’une forme néonatale de maladie de Steinert m’a dit lorsqu’elle a appris qu’elle lui avait transmis la maladie : « j’ai tué mon petit-fils ».
Le temps de la réflexion
Rien n’est plus facile que de prescrire une prise de sang, ça prend trente secondes ! Les tests génétiques eux-mêmes sont rapides et seront un jour robotisés. Ce qui nous prend du temps en réalité, ce sont les heures passées auprès des gens à leur expliquer ce qu’on va faire, à les informer de ce qu’ils peuvent attendre du test, à envisager avec eux le retentissement des résultats. Voilà une tâche aussi délicate que celle de réaliser un examen génétique ! C’est dans l’information préalable plus que dans le test lui-même que réside la difficulté de notre métier.
En matière de tests, il n’y a pas de règle générale. Chaque cas est un cas particulier et il n’est pas concevable que tous les sujets d’une fratrie soient simultanément soumis au test. Il faut savoir donner à chacun le temps de la réflexion. Chacun a son histoire, sa place dans la filiation.
La mère d’une jeune élève infirmière devenue aveugle à l’âge de 20 ans des suites d’une forme de rétinite pigmentaire récessive (la maladie de Stargardt) est venue me voir pour me demander de déterminer si son fils, âgé de 17 ans, allait déclarer aussi la maladie. Comme je m’étonnais de son impatience et m’interrogeais sur les bénéfices prévisibles de ce test pour le jeune homme, elle me répondit un peu sèchement : « nous avons payé trois ans d’études d’infirmière à notre fille et voilà qu’elle est aveugle : elle ne voit même plus les veines des patients et ne peut plus lire les graduations sur une seringue. Tout est à refaire ! Aujourd’hui, notre fils veut s’orienter vers l’électrotechnique, un métier qui exige une excellente vue. Il faut travailler sur des circuits imprimés. S’il doit devenir aveugle lui aussi, je préfère le savoir et l’orienter d’emblée vers une formation différente : kinésithérapeute ou standardiste... ». Très croyante et engagée dans les mouvements associatifs d’accompagnement et d’écoute des personnes en détresse, cette femme remarquable me donnait toutefois l’impression de parler en son nom. Comme son fils approchait de l’âge de la majorité, j’ai demandé à le voir pour me faire une idée plus précise de ce qu’était sa demande. Ce garçon n’a manifesté aucune impatience à me rencontrer. Il est venu me voir plusieurs mois plus tard et rien dans son attitude ne dénotait le moindre empressement à connaître son statut. « Tu as en effet 25 % de risque d’avoir reçu de tes parents les deux gènes de rétinite pigmentaire comme ta sœur. Mais un tas de facteurs mal connus peuvent venir influencer l’expression de ces gènes. Si je constate que tu as reçu les gènes altérés comme ta sœur, je n’aurai pas grand-chose à te proposer et je ne pourrai pas même te dire quand ni sur combien d’années ta vue va baisser ». Après m’avoir écouté en silence, le jeune homme était moins pressé que jamais de connaître son statut. Sa mère, elle, était plutôt contrariée de la tournure que prenaient les événements. Quand je l’ai reçu, seul à seul, il m’a dit avec ses mots : « je comprends bien les problèmes liés à mon orientation. Si je m’oriente vers un métier qui n’exige pas une excellente vue, je ne suis pas obligé de passer le test. Je crois que je vais faire kiné car je ne veux ni compromettre mes études, ni apprendre que je vais devenir aveugle. Si je suis kiné et que je deviens aveugle, j’aurai un métier et si je ne deviens pas aveugle, je serai bien content ! Je n’ai pas envie de savoir, en tout cas pas tout de suite ! On verra bien (sic) dans un an ou deux ».
Pour une charte des bonnes pratiques en matière de tests génétiques
Prescrire un test génétique, déterminer les caractéristiques génétiques d’une personne ne peut se réduire à un examen biologique courant, comme le dosage du cholestérol ou du sucre dans le sang. Il s’agit d’un acte clinique et biologique majeur, réalisé dans l’intérêt du sujet et de ses proches. Le développement prévisible des tests justifie pleinement l’encadrement législatif qui se met en place. Une personne souhaitant se soumettre à un test génétique qui lui a été recommandé ou qu’elle a sollicité de son plein gré doit préalablement être pleinement informée sur la maladie, ses manifestations, son mode de transmission et les possibilités de sa détection, de sa prévention et de son éventuel traitement lors d’une consultation médicale dédiée à cet effet. La consultation préalable à tout test génétique doit permettre de recueillir par écrit le consentement de la personne qui s’y soumet. Le candidat au test génétique doit bénéficier du temps de la réflexion puis, correctement informé sur l’intérêt du test, sur ses limites et ses implications, il doit pouvoir décider d’y recourir ou d’y renoncer. Il doit conserver à tout moment et jusqu’à l’instant du résultat, le droit d’en connaître ou d’en ignorer la teneur. Le résultat du test doit être rendu par le médecin prescripteur au seul intéressé, dans le respect du secret médical, lors d’un entretien individuel et confidentiel dédié à cet effet. Il ne peut être divulgué à une tierce personne, même proche, et ne peut être rendu par courrier ou par téléphone. Lorsque l’affection revêt un caractère familial, le sujet doit avoir la possibilité de s’entretenir individuellement avec le médecin prescripteur, idéalement accompagné d’un(e) psychologue.
En l’absence de traitement, la justification du test, les bénéfices attendus et l’éventualité d’un résultat défavorable doivent être soigneusement pesés et discutés lors de l’entretien préalable. Le sujet reconnu porteur doit bénéficier d’un accompagnement l’aidant à accepter le résultat défavorable et à faire face à la réalité nouvelle. Le sujet reconnu non porteur doit également pouvoir bénéficier d’un accompagnement qui l’aide à quitter définitivement son statut de sujet à risque avec lequel il a longtemps vécu. Il n’est pas judicieux de chercher à connaître le statut génétique d’un sujet mineur avant l’âge adulte s’il n’en tire aucun bénéfice immédiat.
L’éradication des maladies génétiques, un objectif chimérique
L’essor de la génétique suscite à l’évidence un enthousiasme mêlé d’inquiétudes. Ces inquiétudes ne sont pas dénuées de fondement. La génétique a un passif. Aujourd’hui encore, un danger subsiste que soit fait de l’exploitation du génome une utilisation perverse. La génétique a été et pourrait être encore utilisée comme alibi de systèmes totalitaires aboutissant à la destruction et à l’extermination. On ne peut l’oublier. Quand en 1883, Francis Galton créa le terme d’eugénisme, il s’agissait « de limiter la fécondité excessive de ceux qui ont socialement échoué »... Implicite à cette réflexion était l’illusion que l’échec social avait vraisemblablement une base génétique. La définition de l’eugénisme se modifia et devint l’amélioration du patrimoine génétique, afin d’éliminer « les mauvais gènes » dont on craignait qu’ils se répandent du fait de l’assistance portée aux malades et aux faibles. La version la plus douce de l’eugénisme tenta de limiter la fécondité des individus « tarés » et aboutit à la stérilisation de dizaines de milliers de malades mentaux. La version la plus brutale de l’eugénisme fut celle du régime nazi qui conclut à la nécessité de remplacer la sélection naturelle par une action volontaire en vue de l’élimination de masse.
Ces velléités d’éradication génétique et de purification ethnique, d’hier ou d’aujourd’hui, sont non seulement monstrueuses mais encore absurdes. D’abord parce que les altérations des gènes surviennent à chaque génération. Des enfants naissent atteints de maladies génétiques dont leurs parents n’étaient pas porteurs. Ensuite, parce que le grand réservoir des gènes de maladies est représenté par les porteurs sains, qu’on appelle des hétérozygotes. L’éradication des maladies génétiques est donc une préoccupation eugénique totalement chimérique. On peut éradiquer la poliomyélite ou la variole. On ne peut pas éradiquer les maladies génétiques.
Cette menace eugénique subsiste aujourd’hui. Non pas tant du fait des pratiques relatives à la procréation médicalement assistée, numériquement marginale, que de l’utilisation très large qui pourrait être faite des connaissances de la génétique dans un but de rationalisation, de catégorisation des hommes en « malades » ou « bien portants ». Fort heureusement, la loi de Bioéthique de 1994 atteste de la maturité et des vertus républicaines de notre société « nul ne peut porter atteinte à la dignité de l’espèce humaine » dit l’article 16.4 de la loi. « Tout agissement conduisant à des pratiques eugéniques est interdit ». « Le fait de mettre en œuvre une pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est puni de 20 ans de réclusion criminelle ».
Le dépistage de masse : un objectif illusoire
Le dépistage de masse pourrait éventuellement être envisagé, dans l’intérêt des individus et dans le respect de la loi si une population entière était exposée à un risque élevé de maladies génétiques, du fait de la fréquence d’une mutation donnée dans cette population. Le problème s’est déjà posé dans certaines régions du globe et pour certaines communautés. En réalité, le nombre des maladies génétiques différentes est si élevé, la diversité des mutations est si grande et le brassage des populations dans le monde occidental est tel qu’aucune nation ne s’est résolue au dépistage de masse des maladies génétiques, pas même pour la mucoviscidose qui paraît la première maladie concernée au regard de la fréquence des malades (1/500 naissances) et des porteurs dans la population (1/50 individus). Mais pour cette maladie comme pour les nombreuses maladies génétiques moins fréquentes, quel peut être le bénéfice d’un dépistage de masse, si l’on ne dispose d’aucun traitement ni d’aucune mesure préventive de nature à enrayer l’évolution de la maladie ?
Et si le but du dépistage de masse devait être de reconnaître les porteurs sains des gènes de maladies dans le but d’informer les couples de leur risque d’avoir des enfants malades, comment mettre sur pied – au plan économique comme logistique – le dépistage de toutes les mutations possibles pour toutes les maladies génétiques connues ? Cette discussion conduit tout droit à de délicats problèmes de coût-bénéfice en santé publique et à des problèmes plus délicats encore de médecine à deux vitesses. En France et dans l’espace européen, s’ouvrent de façon parfaitement légale, des laboratoires de génétique de droit privé offrant un éventail de tests génétiques non remboursés, pour le dépistage des porteurs sains d’une douzaine de maladies génétiques fréquentes. Les couples désireux d’avoir des enfants peuvent désormais choisir, par exemple, entre l’achat d’un nouveau téléviseur et la réalisation de tests génétiques pour une affection qu’ils redoutent particulièrement... (en dehors, bien sûr, du cas particulier où une maladie génétique précise a été identifiée chez un apparenté, justifiant un test remboursé par l’assurance maladie).
Si aucun dépistage génétique de masse n’est organisé de manière systématique en France, il est en revanche proposé aux femmes enceintes qui le souhaitent un test de dépistage de la trisomie au moyen de marqueurs sériques. Par ailleurs, deux maladies génétiques, curables quand elles sont dépistées et traitées tôt (la phénylcétonurie et l’hyperplasie congénitale des surrénales), font l’objet d’un dépistage néonatal systématique en maternité par simple piqûre du nouveau-né au talon (test de Guthrie). Aujourd’hui, 20 millions de français ont, sans le savoir, bénéficié de ce test de dépistage qui a sauvé 7 000 enfants d’une arriération mentale profonde...
La médecine prédictive n’est pas pour demain
Le concept de médecine prédictive ou probabiliste repose sur l’hypothèse selon laquelle on pourrait prédire la survenue de maladies avant l’apparition des premiers symptômes. Ce concept concerne tout particulièrement les maladies communes que sont le diabète, l’hypertension artérielle, l’obésité, l’arthrite rhumatoïde et bien d’autres. Dans ces maladies courantes, une prédisposition génétique est fortement soupçonnée mais l’apparition de la maladie résulte en réalité de l’interaction de facteurs génétiques hérités avec des facteurs liés à l’environnement du sujet. Or, il faut bien reconnaître que nous sommes encore loin d’avoir démonté la complexité de ces maladies et achevé l’inventaire de tous les gènes en cause dont aucun ne peut être tenu pour seul responsable. Aussi, prétendre aujourd’hui identifier exhaustivement dans une population les individus exposés au risque de diabète ou d’infarctus du myocarde revient à prendre des paris sur l’issue d’une compétition sportive dont on ignorerait les règles du jeu, le nom et le nombre des joueurs... Bien sûr, cette complexité va se réduire à mesure que les outils de la génétique vont se simplifier et s’automatiser, mais, pour l’heure, la médecine prédictive reste une abstraction. Bien des incertitudes planent encore sur le bien-fondé scientifique de l’hypothèse comme sur la fiabilité des résultats attendus. Bien des doutes subsistent sur les bénéfices individuels et collectifs de ces pratiques qui n’ont de médical que le nom, car pour appartenir au champ de la médecine et non à celui de la médisance, il faudrait encore que ces prédictions soient assorties de mesures thérapeutiques, diététiques ou préventives de nature à faire reculer le spectre de la maladie annoncée. Ce qui reste à démontrer.
Ayons l’honnêteté de reconnaître qu’en matière de risque prédictif, comme du reste de traitement, la génétique suscite aujourd’hui dans l’opinion publique comme sur les marchés financiers, un enthousiasme – une excitation même – hors de proportion avec ses résultats, qui restent somme toute modestes au regard des souffrances endurées et des espérances que l’on a placées en elle.
Ce qui est vrai pour les maladies l’est aussi pour nos conduites. Il n’y a pas – il n’y aura pas – un gène de l’homosexualité, un gène de la violence, un gène de la schizophrénie, un gène de l’autisme... La personne humaine ne peut être réduite à son génome et nous sommes fort heureusement loin d’être déterminés par nos seuls gènes. Aussi, je crains fort qu’on fasse dire ou faire à la génétique bien plus qu’elle ne peut. Il y a dans cette manie d’invoquer la génétique à tout instant quelque chose de grossièrement simpliste, et même de grotesque qui finira par nous desservir. Je crains que cet engouement disproportionné procède en réalité d’une certaine abdication de notre responsabilité d’homme, assortie de la tentation macabre de se faire peur, comme dans un film à suspense ou le « train fantôme » d’une triste fête foraine...

Arnold Munnich

Département de génétique et Inserm U781,
Hôpital Necker-Enfants-Malades, Paris


Avant-propos

Les progrès de la biologie moléculaire et les avancées des biotechnologies ont contribué à une augmentation rapide de l’offre de tests génétiques dans le domaine des maladies héréditaires. Sur les 12 000 maladies héréditaires recensées dans le OMIM1 , 2 000 peuvent être étudiées au niveau moléculaire. Dès lors qu’un test totalement fiable pour le diagnostic de maladie héréditaire est mis à disposition, il devient possible pour les patients de connaître avec certitude l’origine de leur maladie et les risques d’atteinte pour leur famille. En France, près de 1 000 maladies héréditaires peuvent désormais faire l’objet d’un test diagnostique qui est effectué dans le cadre d’une consultation de conseil génétique.
En France, tous les tests génétiques dans le domaine médical sont des actes intégrés dans le système de santé. Les tests pratiqués sur prescription médicale, dans un contexte essentiellement hospitalier, sont le plus souvent pris en charge par l’établissement de soins. Certains actes de génétique moléculaire réalisés en vue d’un diagnostic prénatal sont inscrits à la nomenclature des actes de biologie médicale (NABM). Pour d’autres actes techniquement complexes et dont les stratégies sont évolutives, la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (Dhos) a mis sur pied un financement par appels d’offres. Des réseaux se sont ainsi progressivement développés autour de pathologies ou d’un groupe d’affections (par exemple, en oncogénétique) et sont devenus des centres de références.
L’Assurance maladie finance un programme de dépistage néonatal systématique de cinq maladies génétiques : depuis plusieurs années, la phénylcétonurie, l’hyperplasie congénitale des surrénales, l’hypothyroïdie (maladie à hérédité complexe), la drépanocytose (dans certaines populations à risque), et plus récemment, la mucoviscidose.
D’autres applications des avancées scientifiques et techniques se dessinent, en particulier la mise en évidence de susceptibilités génétiques à des maladies multifactorielles (hypertension, diabète…) aidée par la mise au point de sondes ADN ou de biopuces. De telles applications ne sont pas sans soulever des questions car leur utilité médicale n’est pas évidente.
La Cnamts a demandé à l’Inserm d’effectuer, à partir de la littérature existante, une analyse des enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux du développement de nouveaux tests génétiques et en particulier des tests de susceptibilité aux maladies multifactorielles. Outre la question de l’utilité clinique de ces tests et du bénéfice réel pour les individus, se pose également celle de leur éventuelle mise en œuvre dans le système de santé.
À la suite de cette sollicitation, l’Inserm a mis en place un groupe multidisciplinaire réunissant des experts compétents en épidémiologie, santé publique, économie de la santé, droit et organisation des soins, éthique médicale, pharmacogénétique et en génétique des différentes affections concernées par le développement de tests.
Le rapport, issu de l’analyse de la littérature scientifique et médicale sur les questions posées, est structuré en plusieurs parties :
• une première partie présente les données scientifiques, médicales, éthiques, économiques, associées à la mise en application des progrès de la génétique, en particulier dans le domaine cardiovasculaire et du cancer ainsi qu’en pharmacogénétique ;
• une deuxième partie développe les tests utilisés dans le cadre du diagnostic et du dépistage chez l’enfant ou en période anténatale ;
• une troisième partie fait appel aux sciences humaines et sociales et traite en particulier, la relation médecin-patient, l’impact de l’information génétique sur les croyances et comportements, les aspects juridiques et l’accès à l’information génétique pour les assureurs.
Dans une dernière partie, le groupe d’experts dégage les principaux constats et il présente quelques principes généraux sur lesquels pourraient s’appuyer les professionnels de santé face au développement de nouveaux tests.
Le rapport comporte également cinq communications qui viennent compléter l’analyse :
• un point des connaissances sur la génétique des maladies cardiaques monogéniques ;
• la pratique bien définie des tests présymptomatiques pour la maladie de Huntington et un point des connaissances sur les tests prédictifs dans les autres maladies neurodégénératives ;
• une analyse du dispositif français de diagnostic par les tests génétiques ;
• le contrôle de qualité des tests diagnostiques de maladies rares et la coopération internationale ;
• l’encadrement législatif et réglementaire des tests à visée médicale en France.
Quatre personnalités ont accepté d’apporter leur contribution sous forme des notes de lecture situées au début du document.
Ce rapport ne prétend pas aborder et encore moins répondre à toutes les questions concernant les évolutions des tests génétiques. On peut en effet à juste titre se demander si le modèle du test génétique comme « acte médical intégré » pourra s’appliquer aux « autotests » dont l’utilité clinique n’est pas démontrée. Cependant, les personnes ayant effectué des tests en libre accès peuvent solliciter ensuite une consultation médicale et les retombées pour l’Assurance maladie risquent d’être importantes. La réflexion mérite donc d’être poursuivie dans un cadre élargi à d’autres partenaires.

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