2007


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Communications

Relations entre les habitudes alimentaires et la croissance des enfants dans les populations migrantes

L'action conjuguée d'un certain nombre de facteurs environnementaux (pouvoir d'achat de la famille, dimension de la famille, conditions sanitaires, milieu pathogène et accès aux soins médicaux, soins apportés à l'enfant et ambiance psycho-affective, qualité du régime alimentaire, habitudes liées à l'origine géographique et aux traditions familiales) est susceptible d'avoir une influence sur la croissance des enfants et des adolescents. L'immigration envisagée sous ses aspects anthropobiologiques est un domaine encore peu exploré. Les travaux portant sur la croissance des enfants des migrants, sur leur alimentation et leur santé, sont rares, mais indispensables car à l'heure où les médias commencent à parler « d'épidémie » d'obésité et où l'on déclare que 15 % des enfants d'une classe d'âge sont en surpoids, les différentes communautés sont touchées inégalement par le phénomène (tableau Irenvoi vers).

Tableau I Fréquences d'enfants en surpoids (indice P/T2>90e percentile des références en vigueur) selon l'origine de leurs parents

Origine géographique des parents
Fréquence d'enfants en surpoids (%)
Vietnam
4
Chine
27
Maghreb
23
Afrique subsaharienne
9

Alimentation exclusivement lactée des premiers mois

Dans les pays industrialisés, l'allaitement maternel résulte désormais plus d'un choix de la mère que d'une tradition et il existe une grande disparité de comportements, qui auront des conséquences sur la croissance et la santé des enfants. En effet, si globalement en France, 60 % des mères nourrissent leur enfant au sein au moins durant leur séjour à la maternité, cette pratique varie en fonction de l'origine géographique de la mère (tableau IIrenvoi vers).

Tableau II Fréquence d'enfants nourris au sein à la naissance, durée moyenne de l'allaitement maternel en France et dans le pays d'origine

Origine des parents
Allaitement maternel à la naissance (%)
Durée allaitement maternel en France
Durée allaitement maternel au pays
France
51
3 mois
-
Vietnam
8
1 mois
9 mois
Chine
1
1 semaine
14 mois
Maghreb
79
3 mois
4 mois
Afrique subsaharienne
89
6 mois
18-24 mois
Les mères asiatiques allaitent peu leur nourrisson lorsqu'elles vivent en France, ce changement comportemental est retrouvé en Europe et aux États-Unis. Elles pensent que le lait de vache est plus nutritif. Les mères maghrébines ou africaines qui n'allaitent pas sont plus rares et avancent plutôt une raison médicale ou une lactation insuffisante. La durée de l'allaitement maternel exclusif tend à diminuer par rapport au pays d'origine. Ce phénomène est particulièrement évident chez les Asiatiques qui ont allaité les frères et sÅ“urs aînés nés au pays pendant plusieurs mois. Or, de nombreuses analyses médicales avancent que le lait humain aurait un effet préventif sur le surpoids et l'obésité, ainsi que sur les maladies respiratoires et les maladies cardiovasculaires durant l'enfance.

Alimentation diversifiée de l'enfant d'origine maghrébine

Chez l'enfant d'origine maghrébine, le rebond d'adiposité (qui apparaît normalement vers 6 ans et considéré comme prédictif d'un surpoids persistant à l'âge adulte lorsqu'il survient avant 6 ans) apparaît vers 4 ans dans 45 % des cas. Parmi les parents de ces enfants, on observe une fréquence de diabète de type II de 9 % : elle est de 4,5 % dans la population de plus de 20 ans dans les pays du Maghreb, ce qui est déjà un chiffre en augmentation, et une prévision de 6,4 % de la population est annoncée pour 2025.
L'alimentation diversifiée est caractérisée par la fréquence élevée d'enfants de moins de 7 ans prenant une collation en milieu de matinée (lait et biscuits) et une forte consommation de produits à base de glucides simples (tableau IIIrenvoi vers). Il faut remarquer, d'autre part, que 31 % des enfants qui mangent quotidiennement des confiseries se situent tous dans le groupe des buveurs de sodas.

Tableau III Caractéristiques de l'alimentation diversifiée chez l'enfant franco-maghrébin

Consommation quotidienne
Fréquences (%)
Collation
81
Sodas
58
Confiseries
31
Viande-poisson
100
Produits laitiers (2/jour ; 59 %>4)
100
Fruits et légumes
100
Les apports énergétiques moyens estimés pour la tranche d'âge 4-6 ans, comparés aux apports nutritionnels conseillés (ANC) pour la population française1 ne sont pas statistiquement différents (tableau IVrenvoi vers).

Tableau IV Apports nutritionnels moyens estimés pour l'enfant d'origine maghrébine âgé de 4-6 ans, vivant en France

 
Apports estimés
Apports conseillés
Énergie (Kcal)
1 812 (200)
1610 ns
Protéines (%)
14 (2)
12-14 ns
Glucides (%)
61 (7) Simples : 54 % Complexes : 46 %
50-55 (p<0,04)
Lipides (%)
25 (6)
30-35 (p<0,04)
ns : différence non significative, p<0,04 : différence significative au seuil de 4 %, entre parenthèses : écart-type
Les apports glucidiques représentent 61 % des apports énergétiques quotidiens, moyennes significativement supérieures aux valeurs recommandées. Une répartition précise entre glucides complexes et glucides simples est difficile à argumenter scientifiquement, mais il est généralement conseillé de limiter les sucres et les produits sucrés à 10 % de l'apport glucidique, la grande majorité des apports énergétiques devant provenir des glucides complexes. Or ici, la consommation de glucides est supérieure aux apports conseillés, et le rapport sucres rapides (54 %) sucres lents (46 %) est déséquilibré.

Alimentation diversifiée de l'enfant d'origine chinoise

L'allaitement artificiel (99 % des cas), responsable d'un développement pondéral plus rapide, dénote un changement de comportement radical par rapport au pays d'origine. Soixante quinze pour cent des enfants (tableau Vrenvoi vers) ne prennent que trois repas par jour ; ils ne prennent pas de goûter, qui devrait permettre de mieux équilibrer la répartition des repas de la journée et être l'occasion de consommer un produit laitier. Or, 72 % des enfants ne consomment qu'un produit laitier par jour ; 8 % n'en consomment plus du tout après la diversification. En Chine, on considère que le lait est un fortifiant dont n'ont besoin que les nourrissons et les personnes malades. Il en résulte des apports en calcium significativement inférieurs aux recommandations. De plus, 33 % ne consomment pas de fruits, et ont des apports en vitamine C insuffisants. En revanche, 84 % boivent systématiquement des sodas, de l'ordre de plusieurs verres par jour. On observe (tableau VIrenvoi vers), là encore, une mauvaise répartition des glucides avec 30 % de sucres simples versus 70 % de glucides complexes.

Tableau V Caractéristiques de l'alimentation diversifiée chez l'enfant franco-chinois

Consommation quotidienne
Fréquences (%)
3 repas
75
> 2 produits laitiers (8 % : 0)
28
Fruits frais
67
Viande-poisson
100
Sodas
84

Tableau VI Apports nutritionnels moyens estimés pour l'enfant d'origine chinoise âgé de 4-6 ans, vivant en France

 
Apports estimés
Apports conseillés
Énergie (Kcal)
1 307 (229)
1 610 ns
Protides (%)
18 (2)
12-14 ns
Glucides (%)
58 (6) Simples : 30 % Complexes : 70 %
50-55 (p<0,04)
Lipides (%)
25 (6)
30-35 (p<0,04)
ns : différence non significative, p<0,04 : différence significative au seuil de 4 %, entre parenthèses : écart-type

Alimentation diversifiée de l'enfant d'origine subsaharienne

Trente six pour cent des enfants de moins de 6 ans de la cohorte étudiée présentent une anémie par carence en fer et 20 % ont des caries multiples sur la dentition déciduale.
La carence en fer est actuellement la principale carence en micronutriments. En Afrique, 56 % des enfants de 0 à 4 ans sont touchés par l'anémie, 12 % dans les pays industrialisés où la prévalence de l'anémie est 3 fois plus importante chez les enfants des familles issues de l'immigration subsaharienne.
L'alimentation des enfants est caractérisée par une faible consommation de viande (60 % des recommandations pour la tranche d'âge, et donc des apports en fer inférieurs aux ANC), de légumes (apports en b-carotène<ANC). En revanche, l'alimentation est très abondante en produits laitiers (bonne couverture en calcium) et excessive en glucides simples (sucres et sirops ajoutés dans les biberons ou les verres). La faible ingestion de fer héminique (peu de viande) et la forte ingestion de calcium (beaucoup de lait) pourraient être à l'origine de la carence en fer et de l'anémie ferriprive chez ces enfants (tableau VIIrenvoi vers).

Tableau VII Caractéristiques de l'alimentation diversifiée chez l'enfant franco-africain

Consommation quotidienne
Fréquences (%)
Viande (quantité < ANC)
100
Légumes (quantité < ANC)
100
Fruits frais
96
Produits laitiers
100
Sodas-sucres-sirops
83
Depuis 25 ans, la prévalence carieuse a chuté de 50 % dans tous les pays de l'Europe occidentale, grâce en particulier aux campagnes de prévention en faveur d'une prise régulière de fluor par voie orale chez le tout-petit, puis du dentifrice fluoré à partir de 3-4 ans, et à une limitation des sucres rapides. Mais 20 % des enfants d'origine subsaharienne présentent des caries multiples de la dentition lactéale. On sait que les caries sont associées à la nutrition. Or, non seulement les très jeunes enfants consomment précocement des sucres rapides, mais encore ont-ils l'habitude de garder en permanence un biberon de lait sucré dans la bouche. Le rôle de l'alimentation dans le processus cariogène pourrait être lié non seulement au type d'aliment mais encore aux comportements individuels.
Il est intéressant de remarquer qu'aucune différence n'a été observée entre la consommation alimentaire quotidienne des filles et des garçons de moins de 7 ans, quelle que soit l'origine des familles, dans une période où les parents (et la mère en particulier) sont entièrement responsables de la gestion des repas. Il semble que la différenciation sexuelle des comportements apparaisse plus tard, lorsque le jeune commence à régir seul une partie de sa consommation.

En conclusion,

on peut dire que l'immigration ne s'accompagne pas des mêmes effets dans toutes les sociétés. Du point de vue comportemental, le fait migratoire se traduit généralement par un compromis entre la persistance d'habitudes traditionnelles et l'adoption de nouvelles habitudes, le plus souvent jugées comme étant bénéfiques pour la santé des enfants. Les conséquences positives sont l'absence de malnutrition protéino-énergétique et de retards de croissance liés à l'insuffisance d'apports énergétiques. Mais les conséquences jugées négatives de ces conduites sont les apparitions des pathologies des pays industrialisés (surpoids, caries dentaires précoces...) souvent liées aux excès, qui sont une nouvelle forme de malnutrition.

Françoise Rovillé-Sausse

UMR 5145 Éco-Anthropologie, Muséum National d'Histoire Naturelle, Paris


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