Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques

2007


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Principaux constats
• Les troubles abordés dans cette expertise sont la dyslexie, la dysorthographie et la dyscalculie. Le trouble spécifique du langage oral encore appelé « dysphasie » et le trouble de la coordination motrice appelé « dyspraxie » ne sont pas traités dans cette expertise mais ils peuvent néanmoins interférer avec les apprentissages scolaires.
• Les experts ont analysé selon la procédure d'expertise collective Inserm (annexe 1) environ 2 600 publications et référencé 1 500 articles dans l'ouvrage de l'expertise publiés pour 40 % d'entre eux depuis les années 2000. Les analyses effectuées par le groupe d'experts répondent au cahier des charges défini avec le commanditaire de l'expertise mais ne prétendent pas apporter de réponses à toutes les questions du domaine considéré. Les sujets que les experts n'ont pas pu développer dans le cadre de cette expertise ne doivent pas être considérés comme ayant moins d'importance et certains mériteraient même un travail d'expertise à part entière car la littérature est abondante. Pour d'autres, ce sont les publications qui manquent et la recherche doit être développée.
• La dénomination « spécifique » est appliquée à des troubles dont l'origine est reconnue comme neuro-développementale. Ils sont répertoriés dans la classification internationale des maladies (CIM-10) sous la rubrique F81.0 pour le trouble spécifique de la lecture (dyslexie) ; F81.2 pour le trouble spécifique du calcul (dyscalculie) ; F81.8 pour le trouble spécifique de l'expression écrite (dysorthographie). Même si les critères qui définissent les troubles spécifiques dans cette classification sont insatisfaisants pour les chercheurs et les cliniciens, il s'agit de la seule norme internationale disponible. Ils présentent au moins l'intérêt, lorsqu'ils sont appliqués, de fournir une base de comparaison entre différentes études. Rappelons qu'une classification des troubles n'est pas une classification des personnes. Il convient donc de dire « un enfant présentant une dyslexie » plutôt qu'un « dyslexique ».
• Pour appréhender les troubles spécifiques des apprentissages scolaires, le groupe d'experts a jugé nécessaire de faire tout d'abord un état des lieux sur la chronologie d'acquisition du langage oral et les mécanismes qui président aux apprentissages de la lecture, de l'écriture et du calcul chez l'enfant. Il souligne l'importance que le progrès des connaissances sur les fonctions sollicitées pour l'apprentissage de la lecture, de l'orthographe et du calcul soit mis à la disposition des enseignants sous forme d'outils facilement accessibles et que des collaborations se poursuivent entre les enseignants et les chercheurs.
• L'acquisition de la parole et du langage entre 0 et 3 ans a une forte influence sur le développement des apprentissages scolaires. Un trouble spécifique du langage oral est donc important à prendre en considération avant 5 ans et si possible dès 3 ans.
• La compréhension est la motivation de l'apprentissage de la lecture. Pour savoir lire, dans une écriture alphabétique, un enfant doit être capable de maîtriser les correspondances entre graphèmes (lettres ou groupes de lettres) et les phonèmes (sons de la parole). Pour cet apprentissage, les entraînements répétés aux correspondances graphèmes-phonèmes sont indispensables. Par ailleurs, d'autres activités peuvent être proposées pour susciter la motivation à la lecture.
• On ne dispose pas en France d'une étude représentative de la population générale sur la prévalence de la dyslexie : il faudrait donc mettre en place ce type d'étude. Différents travaux estiment cette prévalence de la dyslexie (modérée à sévère) à un peu moins de 5 % des enfants à partir du CP (les prévalences sont généralement établies pour les enfants de 10 ans dans les études internationales). Les enfants atteints de dyslexie représenteraient selon certains auteurs environ un quart des enfants présentant des difficultés en lecture. Les données issues des études sur la dyslexie ne peuvent donc être généralisées à l'ensemble des enfants rencontrant des difficultés de lecture.
• La dyslexie se manifeste chez un enfant, après le début de l'apprentissage de la lecture au CP, par l'absence de maîtrise des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes. La distinction entre un simple retard d'apprentissage et une dyslexie ne peut pas être clairement établie à ce stade. Cependant, des facteurs (probables mais non certains) peuvent être en faveur d'une dyslexie : persistance d'un trouble du langage oral ; membres de la famille atteints de dyslexie.
• La dysorthographie est aujourd'hui essentiellement étudiée chez les enfants atteints de dyslexie. Existe-t-il des dysorthographies qui ne seraient pas liées à un trouble spécifique de la lecture ? La littérature ne permet pas de répondre à cette question. Des études portant sur les mécanismes cognitifs et les déterminants de la dysorthographie isolée sont donc à promouvoir. Dans ce type d'étude, il faudrait évaluer en même temps les performances en orthographe et en lecture.
• Il semble que la dyscalculie se rencontre plus rarement que la dyslexie mais les données manquent sur la prévalence. Les enfants atteints de dyscalculie ont une mauvaise compréhension des principes qui régissent les activités de dénombrement qui constituent le socle sur lequel se construisent toutes les habiletés arithmétiques ultérieures. Ils ont également des difficultés atypiques de mémorisation et d'apprentissage des tables d'addition et de multiplication.
• La dyslexie, la dysorthographie et la dyscalculie sont des troubles persistants qui peuvent se rencontrer chez des élèves au collège et au lycée malgré les rééducations prodiguées antérieurement. Ils constituent un handicap. Il est important que les professeurs soient informés et formés pour favoriser la mise en place des adaptations indispensables au maintien des élèves dans l'enseignement scolaire ordinaire.
• L'association des trois troubles n'est pas rare. Ce constat a des conséquences en termes d'actions pédagogiques pour l'enseignant, de prise en charge pour le clinicien et de pistes d'études pour le chercheur.
• Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, ensemble ou isolément, peuvent également être associées à des troubles de la coordination (dyspraxie), ou des troubles du graphisme (avec ou sans lien avec une dyspraxie) ou encore aux troubles déficit de l'attention/hyperactivité. Dans plus de la moitié des cas, la dyslexie fait suite à un trouble spécifique du langage oral appelé « dysphasie ». Ce constat amène les chercheurs à explorer des mécanismes sous-jacents communs impliquant de manière variable les principaux systèmes sensori-moteurs.
• Dyslexie, dysorthographie et dyscalculie peuvent être également associées à des troubles émotionnels (troubles anxio-dépressifs) et comportementaux, secondaires à la situation de difficultés scolaires rencontrées ou s'inscrivant dans une véritable co-morbidité. Cette deuxième éventualité laisse ouverte la question de la pluralité et de l'inter-relation des déterminismes. Au plan pratique, pour le groupe d'experts, chaque trouble doit être abordé spécifiquement, et l'enfant pris en charge dans sa globalité. L'analyse du développement psychique de l'enfant et de ses interactions avec son environnement fait naturellement partie de cette prise en charge qui combine approches pédagogiques (à l'école) et de soins (rééducatives et psychothérapiques).
• Les travaux de recherche sur les mécanismes explicatifs des troubles concernent essentiellement la dyslexie. La présence d'un dysfonctionnement du développement d'aires cérébrales normalement impliquées dans la représentation et le traitement des sons de la parole (la phonologie) est l'hypothèse admise pour la dyslexie. Cependant, depuis le début des années 2000, de nombreuses publications ont proposé de nouvelles hypothèses pour rendre compte des associations entre dyslexie et autres troubles développementaux. Pour les troubles développementaux de type troubles envahissants du développement (TED), la littérature actuelle ne permet pas de savoir si les mécanismes sous-jacents aux troubles des apprentissages associés à des TED sont de même nature que pour les troubles spécifiques des apprentissages.
• L'hypothèse de la nature familiale de la dyslexie est évoquée depuis longtemps. Les études de jumeaux menées au plan international ont permis d'estimer que lorsqu'un jumeau monozygote est atteint de dyslexie, la probabilité que l'autre jumeau le soit est de 70 %. La recherche des gènes qui pourraient être impliqués est encore récente mais apporte des résultats concordants : les gènes répertoriés sont impliqués dans la migration (aux étapes précoces du développement cérébral) des neurones qui sont situés dans des aires cérébrales recrutées bien plus tard dans l'apprentissage de la lecture. S'agit-il pour autant de la découverte « des gènes de la dyslexie » ? Il s'agit tout au plus d'allèles qui augmentent le risque de développer une dyslexie en fonction de l'interaction avec de très nombreux autres facteurs (biochimiques, traumatiques, linguistiques, socio-éducatifs, psychologiques...). Cela ne signifie pas non plus que la cause primaire est toujours génétique, d'autres facteurs sont susceptibles d'être impliqués de manière isolée ou ensemble. Tout paradigme d'un déterminisme exclusivement biologique n'a donc aucune justification.
• Par définition, le diagnostic de dyslexie ne peut être fait lorsque le trouble a pour cause primaire un retard global, un handicap sensoriel, un déficit éducatif, une difficulté linguistique, des troubles mentaux avérés. Ceci ne signifie cependant pas que les facteurs affectifs, familiaux, socioéconomiques et culturels ne jouent aucun rôle dans la survenue et la sévérité d'une dyslexie. Il est notamment établi que l'expression de la dyslexie chez l'enfant résulte à la fois des dysfonctionnements cérébraux et cognitifs (dont les causes peuvent être multiples) et de l'influence de nombreux facteurs environnementaux parmi lesquels l'environnement linguistique, la plus ou moins grande régularité du système orthographique, les méthodes pédagogiques utilisées et bien d'autres facteurs. Il est indispensable qu'à l'avenir des études soient réalisées pour préciser le rôle des interactions entre ces différents facteurs dans la survenue d'une dyslexie.
• Le repérage des élèves ayant des difficultés d'apprentissages scolaires est effectué par les enseignants au sein de la classe et par les parents. Mais la nature de ces difficultés (retard ou trouble spécifique) reste à évaluer. Les enseignants (en particulier les maîtres E) souhaitent disposer d'informations et de formations sur les outils qu'ils pourraient utiliser.
• Le dépistage systématique lors de l'examen obligatoire au cours de la sixième année (article L.541-1 du code de l'éducation), réalisé par les médecins et infirmières de l'Éducation nationale ne peut pas concerner la dyslexie puisque l'apprentissage de la lecture n'a pas commencé. En revanche, il peut identifier les enfants atteints d'un trouble spécifique du langage oral (éventuellement déjà mis en évidence à l'examen de 4 ans). Un trouble spécifique du langage oral diagnostiqué au niveau de la maternelle est un facteur de risque de dyslexie dans 50 % des cas. Des outils de dépistage ont été élaborés et plusieurs sont utilisés dans le cadre de ce dépistage systématique1 .
• Après le signalement d'une difficulté d'apprentissage évoquée par un enseignant, l'enfant peut bénéficier d'un dépistage individuel de première intention. Ce dépistage individuel peut être réalisé au sein de l'école par les médecins de l'Éducation nationale, les psychologues et enseignants spécialisés appartenant au réseau d'aide aux élèves en difficulté (RASED) s'ils sont formés aux outils. Cet examen contribue à définir les évaluations complémentaires nécessaires pour poser un diagnostic.
• Le diagnostic est réalisé à l'aide de plusieurs outils spécifiques qui consistent en des batteries de tests. Il peut nécessiter les compétences de plusieurs professionnels réunis au sein d'une équipe pluridisciplinaire. Pour cela, une quarantaine de centres de références ont été créés au sein des centres hospitaliers universitaires.
• Après le diagnostic d'une dyslexie, dysorthographie ou dyscalculie, l'évaluation précise des fonctions déficitaires et la recherche de troubles associés, une prise en charge individuelle est généralement proposée. Elle comprend : des remédiations effectuées par des professionnels spécialisés (plusieurs fois par semaine) parfois dans le cadre de réseaux pluridisciplinaires, ciblant précisément les fonctions déficitaires ; une prise en charge pédagogique pour permettre à l'enfant de poursuivre les apprentissages dans les domaines préservés. Les effets de cette prise en charge doivent être régulièrement évalués et ré-ajustés si besoin. Les troubles associés ne doivent pas être ignorés. Chacun nécessite un travail spécifique mais la prise en charge concerne toujours l'enfant dans sa globalité. Ceci pose la question de la coordination des différents intervenants.
• Il est difficile de se prononcer sur les méthodes de rééducation et d'entraînement proposées aujourd'hui pour la dyslexie car la plupart n'ont pas fait l'objet d'études scientifiques de validation. Les plus fréquentes sont de type orthophonique et portent le plus souvent sur l'entraînement des capacités phonologiques de l'enfant. D'autres rééducations ont pour objectif de permettre à l'enfant de développer des stratégies de compensation pour contourner son handicap. Le fait que le programme de rééducation soit fondé sur un bilan précis des compétences et faiblesses de l'enfant, qu'il se déroule de manière interactive avec un professionnel formé plaide en faveur de son efficacité. Il convient néanmoins de recommander des études rigoureuses sur les multiples méthodes qui se développent actuellement et qui n'ont pas toujours de fondement théorique.
• La prévention est un domaine encore peu exploré. Des études récentes et rigoureuses réalisées en langue anglaise ont évalué les effets des entraînements pédagogiques comme réponse de première intention à l'école sur des enfants à risque de dyslexie (issus de familles atteintes de dyslexie) ou sur des enfants en difficultés d'apprentissage de la lecture. Cette prévention intervient en amont de tout diagnostic. Les résultats de la recherche indiquent que les effets positifs sont obtenus à partir d'entraînements de courte durée, mais répétés chaque jour, avec de petits groupes à besoins similaires, les interventions précoces (dès les premières manifestations de difficultés de lecture) étant les plus efficaces. Pour les enfants n'ayant pas manifesté d'amélioration, une prise en charge individuelle complémentaire devra alors être mise en Ĺ“uvre après un diagnostic. Des études expérimentales sembleraient judicieuses à promouvoir en France pour tester les avantages d'une telle stratégie préventive.
• La prévention doit aussi concerner les aménagements et les adaptations pédagogiques pour permettre aux enfants atteints de dyslexie, dysorthographie et dyscalculie de suivre les enseignements dans toutes les matières scolaires et tout au long de la scolarité en milieu ordinaire sans subir les conséquences de leur handicap. En particulier, le décret relatif aux aménagements des examens et concours de l'enseignement scolaire et supérieur devrait pouvoir s'appliquer aux élèves atteints de troubles spécifiques sévères des apprentissages qui, en position de candidat à un concours, sont en situation de handicap. La mise en application du décret, encore très inégale sur le territoire, exige une bonne information et préparation des familles.

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