Maladie d’Alzheimer
Enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux

2007


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Cet ouvrage présente les travaux du groupe d'experts réunis par l'Inserm dans le cadre de la procédure d'expertise collective (annexe 1), pour répondre à la demande de la Direction générale de la santé (DGS)1 concernant la maladie d'Alzheimer et ses enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux. Ce travail s'appuie sur les données scientifiques disponibles en date du premier semestre 2007. Près de 2 000 articles ont constitué la base documentaire de cette expertise.
Le Centre d'expertise collective de l'Inserm a assuré la coordination de cette expertise collective.

Groupe d'experts et auteurs

Hélène amieva, Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement, Inserm U 593, Bordeaux

Sandrine andrieu, Laboratoire d'épidémiologie et analyses en santé publique, Inserm U 558, Université Paul Sabatier Toulouse III, Toulouse

Claudine berr, Pathologies du système nerveux, recherche épidémiologique et clinique, Inserm U 888, Hôpital de la Colombière, Montpellier

Luc buée, Maladies neurodégénératives et mort neuronale, Inserm U 837, Centre de recherches Jean-Pierre Aubert, Université de Lille II, Institut de médecine prédictive et recherche thérapeutique, Faculté de médecine, Lille

Frédéric checler, Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire, UMR 6097 CNRS/UNSA, Valbonne

Serge clément, Laboratoire interdisciplinaire solidarités sociétés territoires, CNRS UMR 5193, Université Toulouse-Le Mirail, Toulouse

Jean-François dartigues, Inserm U 593, Université Victor Ségalen Bordeaux II, Centre mémoire de Ressources et de Recherche d'Aquitaine, CHU de Bordeaux, Bordeaux

Béatrice desgranges, Laboratoire de neuropsychologie cognitive et neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire humaine, Inserm-EPHE-Université de Caen Basse-Normandie, E 0218, Caen

Bruno dubois, Fédération de Neurologie, Centre mémoire de Ressources et de Recherche Ile-de-France, Inserm U 610, CHU Pitié Salpêtrière, Paris

Charles duyckaerts, Service de neuropathologie Raymond Escourolle, Hôpital de la Salpêtrière, Paris

Marie-Eve joel, Laboratoire d'économie et de gestion des organisations de santé, Université Paris-Dauphine, Paris

Jean-Charles lambert, Santé publique et épidémiologie moléculaire des maladies liées au vieillissement, Inserm U 744, Institut Pasteur de Lille, Lille

Fatemeh nourhashemi, Pôle gérontologique des hôpitaux de Toulouse, Inserm U 558, Toulouse

Florence pasquier, Clinique neurologique, Centre mémoire de Ressources et de Recherche, EA 2691, CHRU de Lille, Lille

Philippe robert, Centre mémoire de Ressources et de Recherche, Centre hospitalier universitaire, Nice

Ont présenté une communication

François blanchard, Service de médecine interne et gérontologie clinique, Centre hospitalier universitaire, Reims

Marie-Aline bloch, Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), Paris

Danièle ganem-chabenet, Avocat au Barreau de Paris

Lucette lacomblez, Fédération des maladies du système nerveux, APHP, Hôpital de la Salpêtrière, Service de Pharmacologie UMPC Paris VI, Paris

Olivier saint-jean, Service de gériatrie, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris

Coordination scientifique, éditoriale, bibliographique et logistique

Fabienne bonnin, attachée scientifique, Centre d'expertise collective de l'Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Catherine chenu, attachée scientifique, Centre d'expertise collective de l'Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Jean-Luc daval, chargé d'expertise, Centre d'expertise collective de l'Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Jeanne étiemble, directrice, Centre d'expertise collective de l'Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Cécile gomis, secrétaire, Centre d'expertise collective de l'Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Anne-Laure pellier, attachée scientifique, Centre d'expertise collective de l'Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris

Chantal rondet-grellier, documentaliste, Centre d'expertise collective de l'Inserm, Faculté de médecine Xavier-Bichat, Paris


Préface

Face aux enjeux humains et médicaux de la maladie d'Alzheimer, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) renforce son engagement dans tous les domaines de la recherche consacrée à cette affection. De nombreuses équipes et laboratoires de l'Inserm, très investis en recherche fondamentale et clinique, ont contribué à une avancée majeure des connaissances au cours des dernières années. Aller plus loin, exige aujourd'hui de la communauté scientifique une démarche pluridisciplinaire intégrant l'ensemble des neurosciences, les sciences humaines et sociales, l'épidémiologie et l'économie de la santé. Les équipes déjà performantes dans ces domaines doivent mieux encore se structurer en réseaux, notamment dans les centres d'excellence régionaux alliant des compétences complémentaires. Expérimenter de grands programmes de recherche pluridisciplinaire dans un contexte européen et international permettra de renforcer les partenariats entre les différentes institutions de recherche, ainsi qu'entre les secteurs académiques et privés. Le défi à relever est immense !
L'Inserm a répondu favorablement à la demande de la Direction générale de la santé de réaliser une expertise collective sur les enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux de la maladie d'Alzheimer. Présentés au terme de cet ouvrage, les constats et recommandations fondés sur l'analyse des données internationales disponibles à ce jour permettent de proposer les principales pistes de recherche à développer pour mieux connaître, soigner et prévenir cette affection.
Cette expertise tombe à point nommé, au moment où le gouvernement diligente une commission présidée par Joël Ménard, ancien Directeur général de la santé, chargée de dresser un plan d'action contre la maladie d'Alzheimer dont les premières orientations sont communiquées le 21 septembre.
L'évolution de la fréquence de la maladie inquiète les décideurs politiques et l'ensemble de la société. Des études épidémiologiques doivent permettre d'estimer la prévalence réelle de la maladie d'Alzheimer en France, afin d'en planifier la prise en charge. Les études de cohortes en cours sont particulièrement prometteuses pour cerner les facteurs de risque, cibles d'actions futures de prévention.
Parallèlement, et alors que la maladie représente un enjeu économique majeur, les équipes de recherche en économie de la santé sont encore trop peu nombreuses à s'intéresser à cette affection. Elles ont pourtant un rôle déterminant pour éclairer la décision des pouvoirs publics sur la mise en place de nouvelles formes de prise en charge ou politiques de soins.
Les experts réunis par l'Inserm pointent également la nécessité d'améliorer le diagnostic précoce. Le développement de nouveaux outils dans le domaine de la neuropsychologie, capables d'explorer les fonctions cognitives touchées dans la maladie d'Alzheimer, les progrès en neuro-imagerie (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ou imagerie moléculaire), à même de quantifier l'étendue des lésions, et la recherche de biomarqueurs de l'affection sont autant de pistes de recherche devant permettre d'améliorer ce diagnostic précoce. Mais ce progrès devra être envisagé parallèlement au développement de traitements plus efficaces.
Il s'agit là, évidemment, d'un point crucial. La recherche fondamentale (génomique, transcriptomique, protéomique, biochimie structurale, biologie cellulaire...), doit apporter une meilleure connaissance de la physiopathologie de cette affection et permettre ainsi d'identifier de nouvelles pistes thérapeutiques. Quant à l'étiologie de la maladie d'Alzheimer, même si elles demeurent partielles, les connaissances sur ses facteurs de risque ont progressé et permettront d'ouvrir des perspectives d'intervention en matière de prévention.
Le développement des recherches en sciences humaines et sociales, devrait contribuer à changer l'image de la maladie dans la population générale, ainsi qu'auprès des décideurs et des professionnels de santé. Tous les progrès issus de ces différentes approches doivent concourir à une prise en charge optimale dans le respect et la dignité de la personne atteinte de la maladie d'Alzheimer.

Christian Bréchot

Directeur général de l'Inserm


Avant-propos

En France, comme presque partout dans le monde, la maladie d'Alzheimer touche une large proportion de la population, soit environ 6 % des personnes âgées de plus de 65 ans. On estime que plus de 850 000 personnes sont aujourd'hui atteintes, majoritairement des femmes, alors que près de 225 000 nouveaux cas apparaissent chaque année.
Considérée, à tort, comme un effet du vieillissement, la maladie d'Alzheimer a été ignorée pendant longtemps des décideurs politiques. Même si aujourd'hui la situation a nettement évolué, l'image de la maladie dans la population reste très fataliste. S'agissant des soins ou de la recherche, la maladie d'Alzheimer ne se situe pas au même niveau de priorité que des maladies qui affectent des adultes plus jeunes. Cependant, cette pathologie, tout particulièrement à un stade avancé, constitue un véritable enjeu éthique pour notre société en exigeant le maintien d'un lien de solidarité.
Les pouvoirs publics ont mis en place des plans gouvernementaux successifs (2001-2004 puis 2004-2007) dont les objectifs principaux visaient à améliorer la qualité de vie des malades et de leur entourage. Un rapport récent de l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé (Opeps, 2005) a analysé le dispositif législatif réglementaire (volet sanitaire, social et médico-social) et l'action gouvernementale (plans spécifiques...) ainsi que les décrets et circulaires d'application qui mettent en Ĺ“uvre les plans.
Reconnaître la maladie d'Alzheimer comme une cause nationale à l'instar du cancer devrait entraîner un plus large consentement de la société pour sa prise en charge. En dépit des progrès des connaissances sur la physiopathologie, les facteurs de risque et l'évolution de la maladie, les praticiens demeurent mal informés concernant la spécificité de la maladie d'Alzheimer et les soins à prescrire aux patients. De grandes hésitations persistent quant à l'utilisation des traitements dont l'efficacité est difficile à évaluer sur une maladie évolutive. La détérioration progressive des facultés intellectuelles et physiques associée à la maladie nécessite une prise en charge multimodale qui s'inscrit dans la durée. Les proches et tous ceux qui assurent au quotidien une aide informelle ont souvent le sentiment d'être peu soutenus. Il reste une forte hétérogénéité dans le maillage du territoire aussi bien au niveau de l'information, du diagnostic, des moyens, de la coordination de la prise en charge sanitaire et médico-sociale.
Le soutien à la recherche institutionnelle est encore timide alors même que les avancées pourraient avoir des retombées majeures pour mieux comprendre la maladie, la soigner et la prévenir. Il est important de ne pas négliger la recherche en sciences humaines et sociales, permettant de répondre aux besoins à court terme des populations.
La Direction générale de la santé1 a souhaité disposer, à travers la procédure d'expertise collective de l'Inserm, d'un bilan des avancées de la recherche fondamentale, clinique et en sciences humaines et sociales sur la maladie d'Alzheimer, de manière à engager une réflexion prospective sur les évolutions indispensables de la prise en charge à court, moyen et long termes.
L'Inserm a réuni un groupe pluridisciplinaire de 15 experts qui a travaillé sur la grille de questions suivante :
• Quelles sont les avancées en recherche permettant de mieux définir et étudier la maladie d'Alzheimer ? Quelles sont les connaissances en neuropathologie, biologie cellulaire et moléculaire, génétique, neuropsychologie ? Quels sont les apports de l'imagerie cérébrale ? Quelles sont les perspectives innovantes en pharmacologie et immunothérapie ?
• Quels sont les progrès réalisés dans le domaine du diagnostic ? Quel est l'intérêt du dépistage précoce ? Quels sont les outils validés ?
• Quel est le poids des symptômes associés aux déficits cognitifs ?
• Quels sont les modes d'évaluation et l'efficacité des traitements pharmacologiques ?
• Quelles sont les évaluations sur l'efficacité des prises en charge non pharmacologiques ?
• Quelle est la place de l'aide informelle et comment le rôle des aidants est-il évalué dans la prise en charge des malades ?
• Quelle est l'importance de la maladie d'Alzheimer en France ? Quelles sont les données de prévalence et d'incidence ? Quelles sont les tendances évolutives ?
• Quels sont les facteurs de risque et les facteurs protecteurs susceptibles d'intervenir dans l'apparition et l'évolution de la maladie ? Des actions de prévention sont-elles envisageables ?
• Quelles sont les données sur l'accès au diagnostic et à une prise en charge dans la population ? Comment peut-on améliorer le parcours de soins ?
• Quelles sont les données en sociologie pouvant éclairer les actions de santé publique ?
• Quelles approches permettent de prendre la mesure du problème économique posé par la maladie (prise en charge, systèmes de soins) ?
• Quelles sont les politiques de santé publique vis-à-vis de cette pathologie ? Comment doivent se poursuivre les programmes gouvernementaux au vu des nouvelles données scientifiques, médicales et en sciences humaines et sociales ?
Au cours de douze séances de travail, le groupe d'experts a fait une analyse critique des données actuelles en s'appuyant sur près de 2 000 publications scientifiques ainsi que sur différents rapports nationaux et internationaux. Il a centré son propos sur la maladie d'Alzheimer et non sur l'ensemble des démences. Le terme de démence, appliqué à la maladie d'Alzheimer, nuit à son image et à sa spécificité et devrait pouvoir à l'avenir être évité.
Le groupe d'experts a auditionné plusieurs intervenants qui ont abordé les questions difficiles de l'évaluation des traitements médicamenteux symptomatiques et de leur efficacité ainsi que les aspects éthiques et juridiques associés à la maladie. Il a pris connaissance des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), nouvel établissement public administratif destiné en particulier à financer l'accompagnement des personnes âgées et des personnes handicapées. Enfin, il a porté une grande attention aux échanges avec l'association France Alzheimer pour être à l'écoute des patients et de leur famille.
À l'issue de l'expertise, le groupe d'experts a émis un certain nombre de propositions pour améliorer la diffusion des connaissances, le diagnostic précoce de la maladie, le traitement des patients, le soutien aux aidants, l'ensemble s'intégrant dans une meilleure stratégie de prise en charge globale. Le groupe d'experts a identifié des axes de recherche pour approfondir les connaissances sur l'étiologie, les mécanismes sous-tendant la maladie et ainsi envisager de nouvelles pistes thérapeutiques potentiellement plus efficaces. Il a souligné la nécessité de promouvoir le développement des recherches en sciences économiques et sociales pour cette maladie aux retombées sociétales multiples.

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