Maladie d’Alzheimer
Enjeux scientifiques, médicaux et sociétaux

2007


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Recommandations
La maladie d'Alzheimer est très souvent considérée comme un effet du vieillissement ; elle n'en est pas moins une vraie pathologie. Cette confusion explique en partie le retard pris dans sa prise en charge.
La maladie se caractérise par des lésions cérébrales spécifiques mises en évidence en neuropathologie et qui ont pour conséquence le déclin cognitif observé chez les patients. Les travaux de recherche fondamentale en biologie ont permis d'appréhender les principaux mécanismes cellulaires et moléculaires à l'origine des déficiences et d'envisager de nouvelles thérapeutiques à plus ou moins long terme. L'approche utilisant les outils de neuropsychologie a montré son intérêt pour décrire les différents niveaux de déficits cognitifs. Enfin, les progrès réalisés en imagerie cérébrale constituent un atout supplémentaire en recherche pour préciser les altérations structurales et fonctionnelles ainsi que pour l'aide au diagnostic. À l'heure actuelle, ce diagnostic est le plus souvent porté tardivement ou même n'est pas considéré, alors qu'une prise en charge médicale et médico-sociale s'avère importante pour mieux contrôler l'évolution de la maladie.
La recherche scientifique a su extraire la maladie d'Alzheimer de symptômes qualifiés jusqu'alors de démence sénile, terme pour le moins stigmatisant. Il n'en reste pas moins vrai que l'approche « biomédicale » ne peut réduire le malade à son cerveau. Les études en sociologie, en sciences humaines et sociales ont montré que la « personnalité » du patient se maintient au cours de sa maladie et justifie la prise en considération des interactions sociales avec l'entourage. Le regard des autres sur le malade intervient dans les conditions même de la prise en charge. Si l'écart à la norme a des effets majeurs sur le jeu des relations sociales, alors changer les normes peut limiter la stigmatisation. Informer et sensibiliser la population et le corps médical pour changer l'image de cette maladie demeure un objectif déterminant.
Les perspectives d'évolution de l'incidence dans les années à venir justifient d'envisager des changements d'envergure dans l'organisation des prises en charge médicales, médico-sociales et sociales. Des réflexions et des travaux de recherche s'avèrent donc essentiels pour définir les stratégies les mieux adaptées à l'ampleur du problème. Des modèles (annexe 3), expérimentés dans d'autres pays, peuvent servir de point d'appui pour structurer la prévention et la prise en charge aux différents stades d'une maladie. Cependant, la maladie d'Alzheimer présente la particularité d'être difficile à prendre en charge principalement aux deux extrémités du parcours de soins : au moment du diagnostic pour accompagner le patient et sa famille et à la phase de dépendance où sont souvent associées plusieurs pathologies. Le médecin traitant joue un rôle pivot dans la prise en charge médicale mais il est nécessaire qu'il soit relayé aux étapes cruciales et situations d'urgence par des personnes spécialement formées et dont la fonction est de coordonner l'ensemble des démarches et des soins à mettre en œ uvre.
Avoir fait de la lutte contre cette maladie la « grande cause nationale » de l'année 2007 témoigne de l'engagement des pouvoirs publics. L'annonce récente d'un « plan Alzheimer » fait espérer des moyens à la hauteur de l'enjeu et ouvre la perspective d'une articulation pertinente entre recherche fondamentale, recherche clinique, actions auprès des malades et de leur famille en lien avec les associations de patients, et formation des professionnels.
À l'issue de l'analyse et de la synthèse de la littérature scientifique, le groupe d'experts propose quelques lignes directrices, qui ne sont pas exhaustives, pour des actions en santé publique et en recherche. Elles se fondent sur les acquis de la connaissance, l'expérience des experts-praticiens et les lacunes identifiées au cours de l'expertise. Ces propositions trouveront naturellement leur place dans le cadre d'un plan national.

Mieux informer et former

Changer l'image de la maladie dans la population et sensibiliser à la reconnaissance des symptômes précoces

Dans la population, la représentation de la maladie d'Alzheimer est très négative et s'apparente surtout à la peur ; le diagnostic est ressenti comme une catastrophe, le patient est perçu comme un individu passif et la famille reste désarmée. À la détresse, s'ajoute l'absence d'un médicament curatif qui détourne les patients et les familles des consultations médicales et décourage parfois les médecins. Il serait néanmoins très préjudiciable d'en faire une « malédiction ».
Afin d'améliorer l'image que renvoie la maladie à la société, le groupe d'experts préconise la réalisation de campagnes d'information nationales qui associeraient la participation à des fins pédagogiques de quelques personnalités concernées ou elles-mêmes atteintes de la maladie d'Alzheimer (comédiens, journalistes...). Ces campagnes contribueraient à sortir les familles de leur isolement et à valoriser les services et les soins apportés aux patients.
Le groupe d'experts recommande de sensibiliser et d'informer la population quant à la reconnaissance des premiers symptômes caractéristiques de la pathologie (sans s'alarmer pour autant devant un oubli bénin), ceci pour permettre d'établir un diagnostic précoce avec pour corollaire une prise en charge mieux adaptée et plus efficace.

Mieux informer, former, responsabiliser et aider les médecins et professionnels de santé

Dans la grande majorité des cas, c'est au médecin généraliste que s'adressent en premier lieu les patients et leurs proches lorsqu'ils sont confrontés à des symptômes susceptibles d'évoquer la maladie. Parmi ses patients, chaque médecin généraliste en France suit, en moyenne, 5 personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, avec 1 à 2 nouveaux cas par an d'après le réseau Sentinelles1 . Souvent, les médecins se disent démunis devant ce type de pathologie. Il est important qu'ils puissent accéder à une meilleure information sur la maladie et son évolution. Le patient âgé atteint de la maladie d'Alzheimer est fréquemment polypathologique (atteintes cardiovasculaires, pulmonaires, diabète...). Les priorités thérapeutiques sont souvent établies, à tort, en négligeant la maladie d'Alzheimer et aux dépens de sa prise en charge. Cette prise en charge favorisera l'observance des traitements et l'éducation thérapeutique des malades et de leur famille. Le groupe d'experts recommande qu'à travers la formation initiale, la formation continue et les campagnes d'information, les médecins soient mieux préparés à une prise en charge globale de la personne. À ce titre, l'enseignement pourrait être amélioré par la création d'une certification nationale spécialisée sur la maladie d'Alzheimer et les autres démences. L'examen national classant devrait comporter des cas cliniques de maladie d'Alzheimer. Il apparaît également essentiel que les médecins soient mieux formés à la communication, en particulier avec le patient lui-même.
Des recommandations de l'HAS définissant une conduite à tenir viendront en aide aux médecins généralistes confrontés à la maladie d'Alzheimer. En effet, le groupe d'experts recommande de développer des actions à l'égard des médecins généralistes afin de les aider et de mieux les responsabiliser vis-à-vis de la maladie.
Le groupe d'experts insiste également sur le fait qu'un grand nombre de professionnels concernés, qu'il s'agisse de responsables territoriaux, de directeurs de maison de retraite, de personnels travaillant en établissement pour personnes âgées dépendantes sont insuffisamment informés sur les spécificités de la maladie d'Alzheimer. Il est urgent de mieux les sensibiliser à la nécessité de la mise en place de soins adaptés.

Accentuer la sensibilisation à la nécessité d'un diagnostic

Il n'existe pas d'indicateur sanitaire fiable, ni de registre permettant un recensement exhaustif et pérenne des cas de maladie d'Alzheimer en France. Si ces données n'existent pas aujourd'hui, c'est parce que le diagnostic n'est bien souvent pas effectué, même à des stades relativement avancés de la maladie. Une étude sans recherche active des cas conduit à ne comptabiliser que les cas diagnostiqués et pris en charge par le système de soins, et plus certainement les formes sévères que légères voire modérées. Il y a sous-estimation des chiffres pour les sujets vivant en institution et les sujets très âgés, principalement en raison des difficultés diagnostiques, et à l'opposé pour les sujets les plus jeunes.
Le diagnostic est fait en moyenne après 2,5 à 3 ans d'évolution et même plus tard chez les patients de moins de 65 ans pour lesquels la maladie d'Alzheimer est rarement soupçonnée. Le patient n'a pas toujours conscience de ses troubles et ceci constitue une entrave au diagnostic et à sa prise en charge. Une grande enquête européenne a montré que le délai moyen s'écoulant entre les premiers symptômes et le diagnostic était de 24 mois en France, soit le délai le plus long après la Grande-Bretagne, alors que le diagnostic est établi plus tôt en Allemagne, Italie, Espagne et Pologne.
Le groupe d'experts recommande d'inciter tous les médecins à une démarche diagnostique de la maladie d'Alzheimer à l'aide d'un protocole validé. Ceci permettrait au patient et à son entourage de prendre des dispositions et de mieux s'adapter à la situation (désignation d'une personne de confiance, assistance dans la gestion du budget, évaluation des risques liés à la conduite automobile...).
L'intérêt d'un diagnostic précoce se justifie si une prise en charge médicale, médico-sociale et sociale s'avère utile pour le patient et sa famille. Il a été observé que certains médicaments disponibles aujourd'hui ralentissent modérément le déclin cognitif. Toutefois, le traitement semble avoir d'autant plus d'intérêt qu'il débute tôt. Par ailleurs, d’autres modalités thérapeutiques ou d’accompagnement s’avèrent bénéfiques pour le patient ou sa famille si elles sont mises en place dès le début de la maladie.
Cependant, les médecins généralistes, en particulier, et parfois les familles ne sont pas toujours convaincus du bien-fondé d'une prise en charge et en particulier des indications médicamenteuses dans la maladie d'Alzheimer. Le groupe d'experts recommande de sensibiliser les médecins et les familles à l'intérêt d'un diagnostic dès les premiers symptômes pour la mise en place d'une prise en charge appropriée à chaque cas.

Diagnostiquer et mieux prendre en charge la maladie d'Alzheimer et les troubles associés

Les efforts réalisés ces dernières années ont permis de réduire les grandes disparités régionales à la fois en termes de structures d'information, de coordination, de diagnostic, de réseaux gérontologiques, de prise en charge médico-sociale de la maladie d'Alzheimer. Le transfert des nouveaux éléments de connaissance sur la maladie dans le champ de la clinique devrait améliorer l'offre de soins sur le territoire français.

Définir un protocole permettant au médecin généraliste de faire un premier bilan

Parce que le médecin généraliste est le plus souvent confronté aux premières plaintes du patient, le groupe d'experts recommande que tous les médecins généralistes puissent disposer d'un protocole clairement défini pour faire un premier bilan, dans les meilleurs délais, à l'aide d'outils à la fois adaptés et de passation rapide. Il s'agit d'apprécier la détérioration cognitive avec, par exemple, le MMSE (Mini Mental State Examination), le déficit mnésique avec, par exemple, l'épreuve des 5 mots, et le retentissement sur la vie quotidienne avec, par exemple, l'IADL (Instrumental Activities of Daily Living).

Développer l'usage de tests neuropsychologiques et de l'imagerie pour affirmer le diagnostic

Dans le cadre du diagnostic de maladie débutante, un bilan neuropsychologique est indispensable pour évaluer les fonctions déficitaires. Ce bilan nécessite le recours aux outils neuropsychologiques et aux échelles comportementales, en particulier pour évaluer, outre la mémoire épisodique, la mémoire sémantique, les fonctions exécutives et la cognition sociale.
Le groupe d'experts souligne le rôle pivot des professionnels spécialisés en neuropsychologie dans le diagnostic de la maladie et le suivi des patients. Il encourage la reconnaissance des compétences en neuropsychologie impliquant la nécessité d'une formation spécifique à la neuropsychologie, la passation et l'interprétation de tests. Cette reconnaissance contribuerait à un meilleur fonctionnement des consultations mémoire et des consultations de spécialistes libéraux au niveau local (neurologues, psychiatres, psychologues, gériatres, orthophonistes...).
L'imagerie cérébrale est susceptible d'apporter une aide au diagnostic. L'IRM permet d'identifier les altérations morphologiques qui touchent en premier lieu la région hippocampique et s'étendent ensuite au néocortex temporal, puis à l'ensemble du cortex associatif, en accord avec la distribution régionale des dégénérescences neurofibrillaires. Le groupe d'experts recommande, pour l'aide au diagnostic et l'évaluation d'une éventuelle pathologie cérébro-vasculaire associée, le recours à un examen par IRM permettant une analyse de l'atrophie de l'hippocampe et de l'ensemble du cerveau. Il est nécessaire pour cela que les praticiens soient formés à la lecture qualitative des données. Dans l'avenir, l'analyse quantitative de la densité de la substance grise dans l'ensemble du cerveau ou du volume de certaines régions d'intérêt sera applicable en routine. Enfin, en cas de diagnostic incertain, la répétition de l'examen par IRM est préconisée. Une harmonisation de la procédure (orientation des coupes, séquence...) apparaît nécessaire. En situation de contre-indication d'IRM (pace maker, claustrophobie...), un scanner peut s'avérer utile.
En cas de diagnostic difficile, par exemple une démence atypique, la tomographie d'émission monophotonique (TEMP), la tomographie par émission de positons (TEP) et/ou le dosage de biomarqueurs dans le liquide céphalo-rachidien (peptide β-amyloïde et protéine Tau) devront être utilisés.

Développer une organisation des soins adaptée à la spécificité des problèmes posés par la maladie d'Alzheimer

En France, le parcours de soins des patients atteints de maladie d'Alzheimer est complexe, variable selon les individus et leur lieu de résidence, et les modes de prise en charge sont très hétérogènes avec de grandes inégalités dans l'offre de soins. La démarche de soins globale devrait tenir compte de la situation de chaque patient et être adaptée en fonction de son âge, du stade de la maladie, des troubles associés, de la présence éventuelle d'autres pathologies ou encore des conditions de vie du malade.
La maladie d'Alzheimer peut être considérée comme une maladie chronique pour laquelle différents stades sont définis (léger, modéré, sévère). Toutefois, l'évolution n'est pas linéaire, varie selon les individus et leur environnement. Certaines étapes sont particulièrement difficiles à vivre à la fois pour le patient et sa famille. C'est pourquoi la prise en charge de la maladie doit être adaptée ; elle peut être déclinée en différents niveaux en fonction des besoins des patients.
La mise en place d'une gestion des soins cohérente (ou care management) implique qu'une fois le diagnostic posé, tous les patients atteints de maladie d'Alzheimer doivent être accompagnés dans leur parcours et bénéficier d'un suivi défini par des recommandations nationales (en termes de pratiques de soins et de suivi).
Toutefois, le groupe d'experts attire l'attention sur le fait que tous les patients, quels que soient le stade et la sévérité de leur maladie, doivent pouvoir être assistés, de façon parfois transitoire en fonction des conditions, par un « gestionnaire de cas » (case manager). Celui-ci pourra intervenir à différentes occasions : difficulté d'acceptation du diagnostic, aide à la prise de décisions dans la vie quotidienne (ne plus conduire, se faire assister pour la gestion du budget...), difficultés dans le parcours de soins, situation de crise, malaise familial.
Le gestionnaire de cas – par exemple une infirmière – est un professionnel avant tout formé à la maladie d'Alzheimer. Il est disponible, bien accepté par la famille et par le médecin traitant. Il a une bonne connaissance de l'ensemble des ressources disponibles. Son rôle consiste à coordonner le parcours de soins de façon personnalisée. Il va mobiliser tour à tour les différentes ressources en fonction de la complexité de la situation, du contexte social, familial et des étapes auxquelles doivent faire face le patient et sa famille. Ce type d'organisation a été mis en place à titre expérimental dans plusieurs sites en France et est en cours d'évaluation.
Le groupe d'experts recommande une organisation des soins cohérente répondant à un souci d'efficacité et d'équité. Cette organisation suppose une plus grande implication des médecins généralistes, une offre de soins suffisante pour ne pas alourdir les délais, une meilleure coordination avec les neurologues de ville, les psychologues, les orthophonistes et enfin avec les institutions telles que les centres mémoire de Ressources et de Recherche (CMRR) et les centres de consultation mémoire (CM), dont les activités doivent être soutenues. Il souligne également le rôle primordial que peuvent jouer les associations de patients (France Alzheimer), en particulier au stade précoce de la maladie. Enfin, le groupe d'experts recommande d'évaluer l'organisation des soins impliquant un « gestionnaire de cas » dans les secteurs médicaux et sociaux à l'échelle de la population.

Adapter les modalités du traitement médicamenteux à chaque cas

Les objectifs thérapeutiques et de prise en charge ne sont pas les mêmes selon le stade de la maladie et doivent être régulièrement redéfinis. Aux stades légers et modérés, l'objectif est, sinon d'améliorer, de stabiliser l'état du patient pour retarder la dépendance. Aux stades plus évolués, lorsque le patient est très dépendant, l'objectif principal est le confort et la qualité de vie du malade.
Aujourd'hui en France, seulement 30 % des patients atteints de maladie d'Alzheimer sont traités. Les inhibiteurs d'acétylcholinestérase sont indiqués dans la maladie d'Alzheimer aux stades légers à modérés (score au MMSE compris entre 10 et 26 inclus) et la mémantine aux stades modérés à sévères (score au MMSE compris entre 19 et 3 inclus). Ces deux types de traitement pharmacologique ont montré d'après plusieurs études un bénéfice modeste sur le fonctionnement global, les performances cognitives, ainsi qu'une faible efficacité sur les symptômes neuropsychiatriques associés. La question de savoir s'ils retardent l'évolution vers une situation plus péjorative reste débattue.
Dès lors que le diagnostic est porté, le groupe d'experts recommande de définir un protocole de prise en charge s'appuyant sur les recommandations en vigueur (recommandations de l'HAS). L'indication ou l'arrêt du traitement médicamenteux, tant en institution qu'en ambulatoire, sont fondés sur l'évaluation appropriée du rapport bénéfice/risque au niveau individuel.
En complément du traitement pharmacologique, les approches non médicamenteuses proposées aux patients atteints de maladie d'Alzheimer sont multiples. Leur mise en œ uvre est très hétérogène en France. Ces techniques ont pour objectif d'optimiser la prise en charge du malade en ciblant l'amélioration de différents aspects de la maladie : le fonctionnement cognitif, les troubles du comportement, l'autonomie ou le bien-être.
Cependant, ces traitements doivent bénéficier d'une évaluation méthodologiquement correcte, avec un suivi suffisamment long et des critères de jugement adaptés aux objectifs de la prise en charge. À défaut, et dans cette attente, le groupe d'experts ne peut recommander en premier lieu que les approches ayant un fondement rationnel, comme par exemple les techniques de revalidation cognitive et la thérapie par réminiscence.
Pour les patients ambulatoires aux stades légers à modérés de la maladie, il est préconisé l'évaluation de leurs capacités cognitives conservées afin de permettre auprès de ces patients un travail de renforcement cognitif ciblé sur les capacités disponibles (plutôt que sur les capacités déficitaires) et les aider à développer des stratégies de compensation de leurs difficultés dans les activités quotidiennes. Ces stratégies de prise en charge non médicamenteuse nécessitent néanmoins de faire appel à des professionnels spécifiquement formés à la maladie d'Alzheimer, ayant des compétences diverses en neuropsychologie, orthophonie, psychomotricité, ergothérapie..., et relayés par un accompagnant en fonction des besoins du patient.

Mieux prendre en charge les troubles associés

Ce sont probablement les troubles non cognitifs associés à la maladie d'Alzheimer qui vont entraîner le plus de difficultés au décours de la maladie. Qu'il s'agisse des symptômes neuropsychiatriques (apathie, dépression, agitation, troubles du sommeil...), des troubles de la marche et de l'équilibre, les symptômes non cognitifs accélèrent l'évolution de la maladie et la progression vers la dépendance. De plus, ils alourdissent le fardeau des aidants (conjoint, enfants qui apportent une aide dans la vie de tous les jours) et ont des répercussions sur la qualité de vie du patient. Enfin, ils constituent un problème majeur pour les équipes soignantes en institution. À cet égard, le groupe d'experts recommande que soit améliorée la formation des personnels soignants et encadrants des lieux d'hébergement (institutions et Ehpad) aux troubles comportementaux associés à la maladie d'Alzheimer.
La pratique clinique montre que la perte de poids observée au cours de la maladie s'accompagne d'un ensemble de complications (altération du système immunitaire, atrophie musculaire, chutes, fractures, dépendance...), responsables d'une aggravation de l'état de santé, de recours aux hospitalisations d'urgence et d'une augmentation du risque d'institutionnalisation et de mortalité. Le groupe d'experts recommande le dépistage systématique de la dénutrition (des outils simples d'utilisation sont disponibles) dans l'évaluation initiale et le suivi du patient. Il préconise de lutter contre la perte de poids par un diagnostic précoce de l'amaigrissement et une augmentation des apports caloriques. Cependant, il ne faut pas négliger l'éducation des aidants familiaux qui peut avoir une action très positive dans la prise en charge nutritionnelle des patients. Des conseils spécifiques adaptés à chaque cas peuvent améliorer considérablement les apports nutritionnels.
D'une façon générale, le groupe d'experts recommande l'évaluation systématique des symptômes liés à la maladie d'Alzheimer et ceux en lien avec une autre pathologie ou à un environnement inadapté, ceci dès les stades les plus précoces de la maladie et tout au long de son évolution. Il recommande d'appliquer des traitements adaptés (pharmacologique et non pharmacologique) aux troubles non cognitifs associés à la maladie d'Alzheimer selon les recommandations de l'HAS dans le cadre de la prise en charge globale du patient.

Développer des actions de soutien aux aidants

En France, il reste difficile d'estimer le nombre d'aidants de personnes atteintes de maladie d'Alzheimer. En effet, les données de l'enquête « Handicaps, Incapacités, Dépendances »2 (HID) réalisée en 1999 évaluent à 3,7 millions le nombre d'aidants informels de personnes âgées de 60 ans et plus, sans préciser la part des personnes atteintes de maladie d'Alzheimer. Ces aidants sont les conjoints dans la moitié des cas et les enfants (ou leur conjoint) dans près d'un tiers des cas. Les aidants sont âgés en moyenne de 62 ans et sont des femmes dans 66 % des cas. Le nombre d'heures d'aide ainsi apportées est plus élevé que le nombre d'heures d'aide professionnelle, même en cas de dépendance lourde.
L'aidant contribue à l'efficacité de la prise en charge du patient en facilitant l'adhésion à cette prise en charge. Il joue également un rôle déterminant dans le recours aux aides professionnelles. Le groupe d'experts souligne l'intérêt de tenir compte du rôle clé joué par l'aidant dans les modalités de mise en œ uvre d'une prise en charge médicale et médico-sociale. Cependant, lorsqu'il s'agit de personnes qui sont recrutées par la famille ou des aides à domicile, l'un des problèmes majeurs est celui de leur formation. Le groupe d'experts recommande de professionnaliser l'offre d'aide à domicile.
Les répercussions de l'aide au patient sur la santé mentale de l'aidant sont fréquentes, avec des risques élevés de dépression (déclarée dans 30 % des cas), d'anxiété, de troubles du sommeil (déclarés dans 80 % des cas), et de consommation accrue de psychotropes. Un niveau de fardeau élevé est important à repérer car c'est un déterminant majeur de rupture de l'aide à domicile se traduisant par un placement en institution. Le groupe d'experts recommande d'évaluer périodiquement les problèmes rencontrés par les aidants aux moments clés comme l'annonce du diagnostic, le recours aux aides professionnelles, la rupture de l'aide à domicile, le décès de la personne aidée, et la période qui suit le décès. Les conséquences de l'aide sur la vie de l'aidant peuvent être évaluées à travers différentes dimensions (physique, psychologique, socioprofessionnelle et financière). Les experts préconisent de développer des stratégies de soutien aux aidants (gestion du stress, coping3 ...) qu'il faudra évaluer. Ils attirent également l'attention sur la nécessité d'apporter une réponse à une question urgente (mise à disposition d'une ligne téléphonique).
Les pouvoirs publics reconnaissent en la famille une ressource essentielle. En 2002, « l'allocation personnalisée d'autonomie » a donné la possibilité de rémunérer une personne non qualifiée pour l'aide qu'elle apporte à une personne âgée dépendante. Le plan Solidarité grand-âge, présenté en juin 2006, souligne la nécessité d'aider les aidants familiaux, en créant notamment un droit de répit pour ces aidants. Enfin, la Conférence de la Famille 2006 soutient l'objectif de mieux reconnaître, soutenir et valoriser la place des aidants familiaux.
Cependant, dans les années à venir, la « pénurie » d'aidants naturels sera accentuée par les changements socio-culturels déjà amorcés (familles recomposées, réduction de la taille des familles, travail des femmes, éloignement des enfants, délégation des tâches) et l'évolution des modes de vie comme l'activité professionnelle des femmes. Tenant compte des évolutions démographiques et sociologiques, il est donc important d'envisager de nouvelles formes de prises en charge tout en maintenant la relation d'aide de la famille. À cet égard, le groupe d'experts encourage la poursuite de l'adaptation des Ehpad à la prise en charge des patients Alzheimer et du développement d'unités de soins spécialisées Alzheimer pour les personnes présentant des troubles du comportement importants. Par ailleurs, la pratique clinique révèle que dans les consultations mémoire, un tiers des patients y ayant recours sont âgés de moins de 75 ans. S'agissant des consultants de moins de 60 ans, leur proportion atteint 10 %. Le groupe d'experts attire l'attention sur la situation de ces sujets plus jeunes pour lesquels il y a nécessité de filières de soins spécifiques et adaptées. En particulier, il préconise le développement d'unités spécifiques dans les établissements ou encore des structures de type « appartements thérapeutiques » regroupant, dans un environnement particulièrement adapté, 5 à 10 personnes encadrées par des professionnels de santé spécialement formés, tout en veillant à privilégier le lien familial.

Encourager la prévention

À l'heure actuelle, la prévention de la maladie d'Alzheimer demeure encore illusoire. Toutefois, avec le progrès rapide des connaissances, il est possible d'identifier quelques pistes prometteuses, parmi lesquelles l'impact de facteurs de protection et de facteurs de risque.
Certains facteurs de prévention susceptibles de retarder l'expression de la maladie ont déjà été identifiés : l'activité physique et intellectuelle, les activités qui favorisent l'interaction sociale, certaines habitudes alimentaires (consommation de fruits et légumes, de poisson, d'huile d'olive...), le contrôle de facteurs de risque vasculaires et notamment de l'hypertension artérielle sont autant de facteurs qui sont associés à l'apparition plus tardive de la maladie. Le groupe d'experts recommande dans le cadre de la promotion de la santé de développer des campagnes d'information sur les bienfaits de certains comportements alimentaires (en harmonie avec les recommandations du Programme national nutrition santé), d'une bonne hygiène de vie (pratique d'une activité physique en particulier) et de la correction des facteurs de risque vasculaire, autant de paramètres pouvant contribuer à la prévention de la maladie d'Alzheimer.

Promouvoir et développer la recherche dans toutes ses composantes et en réseau

Face à l'importance de l'enjeu que représente en santé publique la maladie d'Alzheimer, la recherche porteuse de grands espoirs doit être soutenue, notamment par le renforcement de la coordination entre recherche fondamentale et recherche clinique, par le développement des recherches en économie de la santé, en sciences humaines et sociales pour mieux appréhender les aspects psychologiques et sociaux de la maladie et par le financement de grands essais de prévention.
Les objectifs principaux de la recherche fondamentale sur la maladie d'Alzheimer sont de mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques impliqués et leurs conséquences, afin de développer des stratégies thérapeutiques plus efficaces et de mettre au point des outils de diagnostic précoce (biomarqueurs). Ces objectifs ne peuvent être atteints que par une recherche pluridisciplinaire et intégrée. La constitution d'un réseau regroupant un nombre limité de centres d'excellence régionaux, sélectionnés par des experts internationaux, alliant des compétences complémentaires en sciences fondamentales et en recherche clinique doit contribuer à la réalisation de ces objectifs. Des moyens financiers doivent permettre de soutenir et renforcer ces laboratoires de recherche (accroissement des postes statutaires, de post-doctorants, création d'équipes labellisées « Recherche Alzheimer »...) et de développer de nouvelles plateformes, en particulier des centres de ressources biologiques (banques de tissus, plasma, liquide céphalo-rachidien...), en soutenant des appels d'offres spécifiques, et en renforçant l'implication des régions (par exemple, via les Contrats de projets État-Région et les Pôles de recherche et d'enseignement supérieur).
Les objectifs principaux de la recherche clinique sont d'identifier des facteurs de risque et de prévention liés au mode de vie, d'évaluer l'intérêt d'un diagnostic précoce et des différents modes de prise en charge, notamment pour les troubles du comportement. La recherche clinique vise également à développer des études pour améliorer la condition des aidants, des études de cohorte et des études économiques destinées à définir les scénarios d'intervention.
Les objectifs principaux de la recherche en sciences humaines et sociales sont de comprendre pourquoi la maladie d'Alzheimer renvoie une image si négative dans la population générale, aux décideurs publics et aux professionnels de santé. La recherche doit permettre de préciser les éléments sociologiques qui n'ont pas permis aux décideurs d'appréhender l'ampleur du problème, qui retardent dans la population générale le recours aux soins et qui entravent la prise en charge à long terme par les médecins. Les sciences humaines doivent également aider à analyser les parcours de soins pour en améliorer la qualité en tenant compte des différences sociales, analyser pourquoi les offres existantes – par exemple le soutien à l'aidant – ne rencontrent pas le succès escompté. L'insuffisance de spécialistes en ce domaine est flagrante.
Le réseau des CMRR est un atout pour faciliter la recherche translationnelle dans ses missions suivantes : constitution de cohortes clinico-pathologiques et épidémiologiques, validation des nouveaux marqueurs, essais thérapeutiques, transfert d'innovation scientifique vers les acteurs de terrain, formation continue des médecins et des personnels de santé. Les CMRR doivent donc attirer et activer une recherche fondamentale de proximité qui facilitera cette transversalité. Des moyens financiers sont nécessaires pour faire vivre les cohortes existantes et assurer l'analyse des résultats (attachés de recherche clinique, techniciens pour les Centres de ressources biologiques, statisticiens...). La création d'une société savante dévolue à la maladie d'Alzheimer permettrait de favoriser encore davantage les échanges entre cliniciens et chercheurs.
Le groupe d'experts propose d'intégrer dans le cadre du plan de développement de la recherche sur la maladie d'Alzheimer les thématiques développées ci-dessous.

Promouvoir des recherches sur les causes et facteurs de la maladie

Les causes de la maladie d'Alzheimer ne sont pas identifiées. Les facteurs susceptibles de favoriser son développement sont de nature génétique, épigénétique et environnementale. De leurs interactions dépend ainsi une prédisposition à développer l'affection.
Il a rapidement été supposé qu'une prédisposition génétique existait pour la maladie d'Alzheimer, ne serait-ce qu'en raison de l'existence de formes familiales monogéniques (moins de 1 % des cas). Trois gènes responsables de ces formes ont été identifiés (APP, PS1 et PS2). Cependant, leurs mutations n'expliquent pas toutes les formes monogéniques. La recherche actuelle vise à identifier les gènes responsables des formes familiales monogéniques par la recherche systématique des familles et à identifier les gènes responsables des formes sans transmission mendélienne classique par la constitution de grandes populations cas-témoins indépendantes.
Ce type de recherche systématique implique :
• la constitution de banques de données biologiques populationnelles ;
• le développement d'outils de génotypage à haut débit (de plusieurs milliers à centaines de milliers de polymorphismes) ;
• la compréhension de l'impact des variations génétiques sur le niveau d'expression et d'activité de la protéine concernée ;
• la compréhension du rôle des déterminants génétiques sur le processus physiopathologique par l'utilisation de modèles expérimentaux.
Ces recherches combinent des approches en génomique, transcriptomique et protéomique, et utilisent des modèles de bioinformatique et biostatistique.
Le groupe d'experts encourage la recherche sur le versant génétique parce que cette recherche peut contribuer à une meilleure compréhension du processus de la maladie et à la désignation de nouvelles cibles thérapeutiques. Elle peut également permettre de mieux comprendre l'efficacité de certains médicaments (pharmacogénétique). Une connaissance exhaustive des déterminants génétiques de la pathologie conduira-t-elle à élaborer des outils d'aide au diagnostic précoce ou à établir une échelle de risque pour prescrire un traitement préventif ? C'est une question qui ouvre sur un autre débat.
L'importance de modifications épigénétiques n'a pas été encore réellement évaluée, même si des outils puissants se mettent actuellement en place, par exemple pour analyser de façon systématique le niveau de méthylation de l'ADN dans un tissu pathologique ou sain. Il s'agit pour la maladie d'Alzheimer d'un axe de recherche à développer.
La recherche épidémiologique étiologique dans la maladie d'Alzheimer est actuellement dominée par des travaux sur les facteurs de risque vasculaires avec une montée en puissance des études sur la nutrition, une bonne part de ces facteurs pouvant se rattacher à des modes de vie. Toutefois, d'autres voies méritent d'être explorées, comme la place des antécédents médicaux ou bien les expositions à certains facteurs environnementaux. Le groupe d'experts recommande de poursuivre les études épidémiologiques étiologiques tenant compte de l'ensemble des facteurs de risque suspectés et de leurs interactions.

Intensifier la recherche sur les facteurs de risque modifiables et développer les études d'intervention

Il est nécessaire d'identifier les facteurs de risque et de protection susceptibles de moduler la durée de la longue phase asymptomatique avant l'apparition des troubles. Leur connaissance permettrait une intervention qui peut avoir des conséquences importantes en termes de santé publique : retarder l'apparition de la maladie, ne serait-ce que d'un an, entraînerait des économies de plusieurs milliards d'euros pour la collectivité.
Dans le cadre d'études de cohortes, de nombreux facteurs ont été suggérés tels les facteurs de risque vasculaires, nutritionnels, les antécédents médicaux, certains facteurs environnementaux. Les facteurs de risque pouvant conduire à des maladies chroniques à des âges avancés peuvent avoir leur origine à des périodes précoces de la vie et se cumuler tout au long de celle-ci. On commence donc à s'intéresser plus globalement à la vie entière du sujet, en particulier à la période 40-50 ans.
Le groupe d'experts recommande de poursuivre les recherches ayant trait à l'identification de facteurs de risque, en particulier ceux liés au mode de vie, par une approche globale du sujet nécessitant la multidisciplinarité des équipes.
Lorsqu'il existe un faisceau d'arguments pour l'implication de certains facteurs dans le déclin cognitif, le groupe d'experts recommande d'initier des études interventionnelles sur de larges échantillons. Il s'agit par exemple de tester l'intérêt des traitements antihypertenseurs ou de la prise en charge du diabète. Pour les facteurs associés au mode de vie, il s'agit de s'intéresser aux facteurs nutritionnels via des modifications des habitudes alimentaires ou une éventuelle supplémentation, la promotion de l'activité physique, des activités intellectuelles ou cognitives, l'élargissement ou le maintien du réseau social.
Les études observationnelles et interventionnelles doivent s'inscrire dans une vision à moyen ou long terme de leur financement. Le groupe d'experts préconise également d'avoir recours aux cohortes françaises déjà existantes.

Promouvoir les recherches sur les mécanismes des troubles pour favoriser le développement de nouveaux traitements

Deux voies métaboliques majeures sont altérées dans la maladie d'Alzheimer :
• l'hyperphosphorylation des protéines Tau, responsable d'une diminution du transport axonal au sein des neurones et qui aboutit à leur dégénérescence. Les dégénérescences neurofibrillaires sont observées notamment dans les structures temporales internes, précocement touchées dans la maladie d'Alzheimer et leur densité est directement corrélée à la sévérité de la démence ;
• la production anormale du peptide β-amyloïde, fragment protéique libéré à partir du précurseur de la protéine amyloïde (βAPP) par l'action de deux enzymes (la β-sécrétase et la γ-sécrétase). Ce peptide s'accumule et s'agrège sous la forme de dépôts ou plaques dites « séniles ». Ces plaques sont constituées par des amas de prolongements neuronaux (dendrites et axones) en dégénérescence et dont le centre est constitué par les dépôts de peptide amyloïde extracellulaires.
La cascade biologique aboutissant à l'apparition des symptômes est donc maintenant mieux connue. Il est par conséquent possible d'envisager de bloquer cette cascade et de freiner, voire de stopper, l'apparition des symptômes alors même que l'on ne connaît pas encore la cause de la maladie. Les recherches sont très avancées dans ce domaine. Elles concernent les cibles suivantes :
• blocage de l'hyperphosphorylation de la protéine Tau par des inhibiteurs de kinases (GSK3, CDK5...) ;
• inhibition des β- et γ-sécrétases par des agents spécifiques ;
• désagrégation des dépôts amyloïdes par des anticorps injectés (immunisation passive) ou développés après injection de peptide amyloïde (immunisation active).
Le groupe d'experts recommande la poursuite des travaux sur le blocage de la cascade biologique qui est responsable de l'apparition du déclin cognitif de la maladie d'Alzheimer. Il est en particulier nécessaire de mener des études pour comprendre la synergie entre les deux voies métaboliques altérées, en lien avec la mort neuronale responsable des symptômes cliniques et de la démence.
Ces travaux s'appuient plus particulièrement sur l'analyse de produits biologiques (tissu post mortem, LCR, plasma et sérum) conditionnés et conservés dans des centres de ressources biologiques et l'exploitation de modèles expérimentaux en utilisant des outils de protéomique, biochimie structurale et biologie cellulaire. Ils permettent d'envisager et de tester de nouvelles pistes thérapeutiques.

Poursuivre les recherches sur les biomarqueurs et en imagerie cérébrale

La compréhension des mécanismes impliqués dans l'étiopathogenèse de la maladie d'Alzheimer a permis d'identifier des marqueurs biologiques de la pathologie. Actuellement, dans les centres experts et les réseaux spécialisés, les dosages dans le liquide céphalo-rachidien de trois biomarqueurs sont explorés pour l'aide au diagnostic de la maladie d'Alzheimer : l'augmentation des protéines Tau totales et des protéines Tau hyperphosphorylées et la diminution du fragment 1-42 du peptide β-amyloïde. Lorsque les 3 paramètres sont modifiés, il serait possible de prédire chez des patients atteints de troubles cognitifs légers l'évolution vers une démence. Ces paramètres restent cependant insuffisants pour faire le diagnostic différentiel de la maladie d'Alzheimer avec une autre démence. Pour cela, d'autres marqueurs devront être développés. Le groupe d'experts recommande de poursuivre les recherches sur les biomarqueurs utiles au diagnostic prédictif de la maladie d'Alzheimer en privilégiant ceux qui pourront être dosés dans le sang périphérique.
L'étude conjointe des altérations morphologiques, métaboliques et cognitives dans la maladie d'Alzheimer au stade pré-démentiel est une méthode qui a déjà permis des avancées dans le domaine de la physiopathologie. Ce type de recherche doit être poursuivi. De nouvelles méthodes d'imagerie cérébrale sont prometteuses. Ainsi, l'imagerie moléculaire en TEP met en évidence l'accumulation des dégénérescences neurofibrillaires et des dépôts β­amyloïdes au moyen de marqueurs spécifiques, l'IRM du tenseur de diffusion étudie la connectivité entre les zones du cerveau et l'IRM fonctionnelle identifie les régions cérébrales impliquées dans un processus cognitif donné ou dans les mécanismes compensatoires. Une approche couplée d'imagerie et de neuropsychologie peut également être mise à profit dans le cadre d'essais thérapeutiques.
Le groupe d'experts préconise d'encourager la recherche en imagerie cérébrale notamment l'IRM fonctionnelle ou l'imagerie moléculaire même s'il est difficile d'imaginer une application en routine aujourd'hui. À l'heure actuelle, c'est l'imagerie morphologique en IRM qui reste la plus facile à mettre en œ uvre. Sa contribution devrait encore s'intensifier avec l'automatisation de techniques de traitement d'image permettant de visualiser l'atrophie cérébrale dans des régions jouant un rôle crucial dans la survenue des troubles cognitifs. Parmi les autres méthodes, la TEP pourrait jouer un rôle important sur le plan clinique dans les années à venir, en particulier en cas de diagnostic difficile.
Le groupe d'experts recommande que ces travaux s'appuient sur des centres de recherche hautement spécialisés dans le domaine de la neuropsychologie, de la neuro-imagerie et des marqueurs biologiques.

Développer les recherches cliniques pour évaluer les modalités d'un diagnostic précoce

Les progrès concernant la connaissance de la maladie, les moyens de bloquer la cascade biologique et d'intervenir sur des facteurs associés, le bénéfice d'une prise en charge précoce et les approches thérapeutiques nouvelles qui visent à ralentir la maladie conduisent à essayer d'identifier les patients le plus tôt possible, dès les premiers symptômes de la maladie. Cette recherche clinique repose aujourd'hui sur différents axes en particulier :
• la mise au point de tests cognitifs à la fois sensibles et spécifiques. Dans le domaine de la mémoire épisodique, symptôme au cœ ur de la maladie d'Alzheimer, s'il existe des tests relativement satisfaisants pour mettre en évidence des difficultés à acquérir des informations nouvelles, des efforts doivent encore être faits pour évaluer toutes les dimensions de la mémoire épisodique (rappel de souvenirs personnels, contexte spatial et temporel, dimension prospective...). De plus, il est important de développer des outils standardisés évaluant d'autres fonctions cognitives, rapidement perturbées dans la maladie d'Alzheimer, comme la mémoire sémantique et les fonctions exécutives. Enfin, certains domaines de la cognition doivent être davantage explorés, tels la cognition sociale ;
• la mise au point d'échelles objectives sur les troubles affectifs et comportementaux présentant une bonne sensibilité dès les stades les plus précoces, et permettant d'évaluer les évolutions des troubles lors des changements de vie ;
• l'évaluation de l'utilisation de marqueurs biologiques, en relation directe avec le processus pathologique spécifique de la maladie d'Alzheimer : augmentation des concentrations de la protéine Tau et de fragments phosphorylés, diminution de la concentration de peptide amyloïde avec l'espoir de réaliser ses dosages dans le sang dans un avenir proche ;
• l'évaluation de l'application en routine de méthodes d'analyses quantitatives en neuro-imagerie morphologique (IRM) et fonctionnelle (TEP) standardisées.
Le groupe d'experts recommande que cette recherche clinique se développe en liaison étroite avec la recherche fondamentale. Il recommande également que des moyens soient donnés pour progresser dans l'identification précoce de la maladie, afin que les patients bénéficient des traitements en développement bien avant le stade de démence. Enfin, ces moyens doivent contribuer à former le réseau d'appui constitué par les centres cliniques régionaux.

Développer les recherches pour évaluer les modes de prise en charge et améliorer les conditions de vie des patients

En clinique, l'équipe soignante est confrontée au choix du médicament à prescrire en première intention, à l'évaluation de l'intérêt pour le patient d'une bithérapie ou encore à l'intérêt d'un changement de médicament. Aussi, le groupe d'experts encourage le développement d'essais stratégiques en thérapeutique menés de façon indépendante à l'initiative des prescripteurs permettant d'évaluer sur des critères cliniquement pertinents les modalités de l'utilisation des médicaments disponibles et leur efficacité à long terme.
Le médecin généraliste est l'interlocuteur privilégié du patient et de sa famille, il enregistre en général la première plainte. C'est lui qui fait le diagnostic ou bien qui oriente vers un centre ou un professionnel spécialisé pour un bilan complémentaire. À ce titre, le groupe d'experts recommande de réaliser une étude sur les avantages et inconvénients d'une détection systématique de la maladie en consultation de médecine générale selon un protocole bien défini. De même, il préconise d'évaluer l'impact d'une prescription initiale par le médecin généraliste des traitements symptomatiques.
En complément du traitement pharmacologique, des thérapies non médicamenteuses très diverses sont proposées aux patients atteints de maladie d'Alzheimer pour traiter les troubles du comportement. Ces troubles augmentent en effet en fréquence et en sévérité au cours de la maladie. Ils contribuent à la perte d'autonomie dans les activités de vie quotidienne et accentuent le risque de dépendance. Présents chez plus de 85 % des patients vivant en Ehpad, ils constituent un problème majeur pour les équipes soignantes. Cependant, les traitements non pharmacologiques actuellement proposés pour les patients ambulatoires et institutionnalisés ne sont pas fondés sur des preuves scientifiques solides. La prise en charge non pharmacologique est de ce fait très hétérogène en France.
Le groupe d'experts recommande d'évaluer avec une méthodologie rigoureuse et spécifique les stratégies non médicamenteuses appliquées aux patients ambulatoires, ceux vivant en Ehpad ou encore ceux accueillis au sein des accueils de jour ou hôpitaux de jour.

Développer des études pour améliorer la condition des « aidants »

La nécessité d'apporter, sous différentes modalités, une aide aux « aidants » est maintenant bien admise. Cependant, l'évaluation de ce type d'intervention repose rarement sur des recherches avec une méthodologie valide. Les rares études publiées dans ce domaine ont pu, dans certains cas, montrer un effet bénéfique des programmes de soutien de l'aidant sur sa capacité à gérer les troubles du comportement du patient aidé et sur son entrée en institution.
Le groupe d'experts recommande de développer des études d'intervention visant à étudier l'effet des services ou des initiatives d'aides aux aidants sur des groupes d'aidants ciblés, tenant ainsi compte de la grande diversité des aidants (conjoint, enfants...). Dans ces études d'intervention, la santé des aidants doit être prise en compte. Ces études doivent donc avoir des critères de jugement pertinents destinés conjointement aux patients aidés et aux aidants.
Il apparaît nécessaire de quantifier cette aide informelle pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer car on s'attend à l'avenir, du fait de l'évolution démographique et des changements socio-culturels, à une diminution de cette aide, qu'il faudra remplacer, pour une grande part, par une aide professionnelle.

Évaluer le problème de santé publique grâce aux données de prévalence et incidence et développer des études de cohortes

Compte tenu du problème majeur de santé publique que représente la maladie d'Alzheimer et du coût pour la société, connaître précisément la prévalence en France et actualiser les données d'observation sont indispensables pour définir des politiques de gestion et de prise en charge. Des enquêtes répétées permettront de repérer l'évolution de la fréquence dans les différentes tranches d'âge, notamment chez les sujets de moins de 65 ans, de plus de 85 ans et en institution.
Les estimations des taux de prévalence des démences (incluant la maladie d'Alzheimer) ont été effectuées à partir des données européennes du groupe Eurodem. Le taux de prévalence des démences chez les sujets de plus de 65 ans est estimé à 6,4 %. En France, on évalue à plus de 850 000 le nombre de patients atteints, avec près de 225 000 nouveaux cas chaque année en France métropolitaine. Avant 60 ans, la prévalence est estimée entre 0,05 et 0,1 %, soit environ 32 000 malades en France. Toutefois, ces données demeurent très incertaines en raison de l'absence d'indicateur sanitaire fiable et de recensement exhaustif.
Le groupe d'experts recommande de tout mettre en œ uvre pour obtenir rapidement des données fiables de prévalence et d'incidence selon l'âge permettant de présenter, dans le cadre d'un programme cohérent, des objectifs précis pour la prise en charge de cette maladie. Ces données sont par ailleurs indispensables pour pouvoir faire des projections selon différentes hypothèses d'intervention.
Les études sur des cohortes de patients ou de sujets à risque dans le cadre d'un suivi longitudinal s'avèrent nécessaires pour la recherche de facteurs de risque, les projets d'intervention sur ces mêmes facteurs, la validation de nouveaux critères de diagnostic précoce, et l'étude d'efficacité de thérapeutiques (médicamenteuses ou non) pouvant ralentir le processus pathologique. Ces études doivent intégrer des centres de ressources biologiques avec constitution de bases de données, de prélèvements sanguins, et, si possible, de liquide céphalo-rachidien et de prélèvements post mortem qui permettront l'étude de la prévalence dans la population des différents types de lésions cérébrales associées à la maladie d'Alzheimer.
En parallèle, des études de cohortes en cours chez des sujets âgés de plus de 65 ans (Paquid, étude des 3 cités), les cohortes françaises existantes qui ont inclus des sujets vers 40-50 ans (Suvimax, Gazel, E3N...) constituent une ressource à exploiter.

Développer des recherches en économie pour définir des scénarios d'intervention

Le vieillissement de la population dans les pays industrialisés fait de la maladie d'Alzheimer un problème économique sérieux. D'après le rapport de l'Opeps, le coût annuel moyen par patient est estimé à environ 22 000 €. Les coûts directs représentent un montant total d'environ 10 milliards d'euros, dont près de 10 % de dépenses médicales (moins de 2 % de dépenses de médicaments) et 90 % de dépenses médico-sociales. En 2004, la dépense était de 12 146 € en moyenne par famille alors que la retraite moyenne était de 10 800 € pour les femmes.
Les études coûts-efficacité, destinées à justifier la prescription de nouveaux médicaments, la mise en place de nouvelles formes de prises en charge ou de nouveaux dispositifs ou politiques de soins, sont limitées en nombre et en qualité. Le groupe d'experts recommande de développer de telles études susceptibles d'éclairer la décision des pouvoirs publics par exemple sur l'arbitrage entre prise en charge à domicile ou en hébergement ou encore l'intérêt économique du diagnostic précoce.
Il manque également des études économiques sur les comportements des intervenants face à cette maladie, qu'il s'agisse des familles ou des services de soins. Les stratégies économiques pour faire face à la maladie, les transferts inter- et intra-générationnels sont rarement étudiés dans une perspective dynamique, qui tienne compte des revenus et du capital du patient et de sa famille et de l'activité professionnelle de l'aidant. La situation particulièrement difficile des populations juste au-dessus des seuils de l'aide sociale doit être prise en compte dans l'analyse. Le groupe d'experts recommande des travaux sur l'évolution des solidarités intergénérationnelles, l'avenir des personnels médico-sociaux, la mise en application du « gestionnaire de cas » afin d'intégrer ces changements dans les scénarios produits. Il recommande des études traitant des conséquences économiques voire de l'efficacité des différentes formes de soutien proposées aux aidants (répit, exonérations de cotisations sociales ou exonérations fiscales...). La gestion économique des épisodes de crise par les différents acteurs mériterait quelque attention, dans la mesure où elle mobilise des ressources importantes.
On ne dispose pas de travaux permettant de montrer par exemple quels sont les critères de sélection des patients dans les différentes structures de soins, le mode de tarification, la gestion économique de parcours de soins théoriquement adaptés à la maladie d'Alzheimer. Le groupe d'experts recommande le suivi longitudinal de cohortes de patients permettant une meilleure connaissance des filières de soins et des coûts associés à chaque filière. Il est important que les travaux économiques récents relatifs aux scénarios sur le financement de la dépendance fassent l'objet d'extensions ciblant la maladie d'Alzheimer.

Développer des recherches en sociologie, sciences humaines et sociales pour mieux intégrer la maladie dans la société

La sociologie est peu présente dans le champ de la recherche sur la maladie d'Alzheimer. L'expérience de la maladie d'Alzheimer est la thématique la plus fréquemment traitée par la sociologie (ou par la psychologie sociale) lorsqu'elle s'intéresse à cette pathologie.
Le patient, dans sa capacité à gérer sa vie de malade, aussi bien du côté de ses difficultés que de ses ressources, est le grand absent de la recherche sur la maladie. Les travaux sociologiques menés dans les pays anglophones montrent que des études sur l'expérience de la maladie sont possibles, et la sociologie française dispose également des outils théoriques pour répondre à ce type de demande. La question de la mesure de la qualité de vie du malade doit être posée sur le plan interdisciplinaire (sociologie, psychologie, médecine...).
Le groupe d'experts recommande que soient menées des études de trajectoires de malades, depuis l'annonce du diagnostic et la manière dont il est reçu jusqu'aux conditions de fin de vie. Les représentations de la maladie « exogènes » - le regard porté par les autres -, qui vont jusqu'à la stigmatisation, doivent être étudiées du point de vue de leur rôle dans la gestion de sa maladie par le patient. Les interactions entre le malade, les membres de sa famille (en particulier les aidants), le voisinage, les professionnels du médico-social doivent faire l'objet de recherches précises, afin de mieux comprendre les besoins en services professionnels, en particulier sur la qualité de ces services.
Il y a tout lieu de penser que des critères sociologiques interviennent dans le fait que la moitié des malades n'est pas diagnostiqué, et que parmi les personnes diagnostiquées, seule une partie d'entre elles reçoit un traitement. Le groupe d'experts recommande des études qui mesurent et permettent de comprendre les différences d'accès au diagnostic, au traitement, à la prise en charge sociale, selon les genres, les catégories sociales, les lieux de vie.
Des monographies de cas seraient pertinentes à comparer : c'est la situation globale du malade, socialement caractérisé dans son cadre de vie (à l'intérieur d'une offre de services précise) qui doit être évaluée afin de comprendre ces inégalités, en particulier géographiques. Pour ces recherches, le groupe d'experts recommande une collaboration interdisciplinaire (sociologie, économie, géographie, épidémiologie).

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