Politiques publiques : réglementation,
programmes et dispositifs

2012


ANALYSE

14-

Réglementation et systèmes de vigilance

Au niveau international, les psychotropes comme les stupéfiants figurent sur des listes annexées à des conventions établies dans le cadre des Nations Unies. La réglementation française actuelle applique cette classification et précise par ailleurs les substances nécessitant une surveillance particulière au niveau national. Le classement repose sur une évaluation du potentiel d’abus et de dépendance ainsi que du risque évalué en termes de santé publique auprès de la population au regard de l’intérêt thérapeutique.
L’objectif de ces dispositions est de réserver l’usage des stupéfiants et des psychotropes aux seules fins médicales et scientifiques et d’encadrer leur utilisation afin d’éviter tout abus ou détournement vers le trafic illicite. Ainsi, ce cadre réglementaire a pour but de limiter le mésusage et l’abus éventuel des médicaments psychotropes.
Les médicaments définis à l’article L.5111.1 du Code de la santé publique (CSP) qui renferment des substances classées comme stupéfiants ou psychotropes seront soumis à des dispositions réglementaires spécifiques destinées à encadrer leur utilisation. Pour être commercialisé, tout médicament doit au préalable obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM). L’obtention de cette AMM est conditionnée à la présentation d’un dossier comportant des données attestant de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité suffisante du médicament. Ces données permettent également de fixer le cadre d’accès au médicament, et en particulier les règles de prescription et de délivrance. Ces conditions suivent éventuellement une réglementation nationale plus contraignante conditionnée par le statut du médicament (classé comme stupéfiant ou psychotrope).

Réglementation et classement internationaux

L’Organisation des Nations Unies a établi plusieurs conventions internationales afin de créer un système international de contrôle pour surveiller la production de stupéfiants et de substances psychotropes, en interdisant tout usage sans autorisation préalable des autorités nationales. Ces conventions sont les suivantes :
• la Convention unique de 1961 sur les stupéfiants, amendée par le protocole de 1972, est de compétence nationale (mise en œuvre au niveau français) (tableau 14.Irenvoi vers) ;
• la Convention de 1971 sur les substances psychotropes est de compétence nationale (tableau 14.IIrenvoi vers) ;
• la Convention de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes est de compétence communautaire (mise en œuvre au niveau de l’union européenne).
Pour l’essentiel, ces conventions mettent en place un dispositif de contrôle permettant d’encadrer la production, l’importation, l’exportation, la détention, l’utilisation de stupéfiants et de psychotropes afin de limiter l’usage exclusivement à des « fins médicales et scientifiques ». Elles posent les bases pour le contrôle de la disponibilité des produits à des fins médicales et scientifiques (tout en empêchant leur diffusion sur le marché illicite).
Les conventions internationales classent les psychotropes et les stupéfiants dans quatre tableaux chacune (tableaux 14.Irenvoi vers et 14.IIrenvoi vers).
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est responsable de l’évaluation des substances relevant des Conventions de 1961 et 1971, en collaboration permanente avec les institutions scientifiques, les centres collaborateurs comme le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm (CépiDC), les services de santé, les organismes de réglementation, les autorités sanitaires et de police, les organismes intergouvernementaux et les organisations non gouvernementales (ONG). Par ailleurs, l’OMS s’appuie sur les compétences de son Comité d’experts de la pharmacodépendance pour l’évaluation du potentiel d’abus et de pharmacodépendance des différentes substances.
L’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) est chargé, quant à lui, d’évaluer les substances relevant de la Convention de 1988. Chaque année, l’OICS publie un rapport (OICS, 2009renvoi vers et 2010arenvoi vers) assorti de rapports techniques sur les évolutions qualitatives et quantitatives au cours de l’année écoulée, et sur l’utilisation des stupéfiants et des psychotropes au niveau international (OICS, 2008renvoi vers et 2010brenvoi vers).

Tableau 14.I Tableau des stupéfiants (Convention de 1961)

Tableau
Dangerosité
Degré de contrôle
Exemples de substances
I
Substances présentant un risque d’abus important (abus et effets nocifs comparables à la morphine, la cocaïne, le cannabis)
Très strict
Les substances de ce tableau sont soumises à toutes les mesures de contrôle applicables aux substances sous cette Convention (art. 2.1)
Cannabis et dérivés, cocaïne, héroïne, méthadone, morphine, opium
II
Substances utilisées à des fins médicales et ayant un faible risque d’abus (risques comparables à la codéine)
Moins strict
Codéine, dihydrocodéine, propiram
III
Préparations contenant des substances classées dans les tableaux I et II à faible risque d’abus ou d’effets nocifs ainsi que les substances non aisément « récupérables » ou extractibles
Léger
Selon l’Organisation mondiale de la santé, ces préparations ne présentent pas de risque d’abus
Préparations à base de codéine, dihydrocodéine, propiram
IV
Substances du tableau I ayant un potentiel d’abus fort et des effets nocifs importants, sans pour autant disposer d’une valeur thérapeutique
Très strict
Conduisant à une interdiction complète de la « production, fabrication, exportation et importation, commerce, possession ou usage d’un de ces produits à l’exception de quantités nécessaires pour la recherche scientifique et médicale » (art. 2.5.b)
Cannabis et résinede cannabis, héroïne

Tableau 14.II Tableau des psychotropes (Convention de 1971)

Tableau
Dangerosité
Degré de contrôle
Exemples de substances
I
Substances dont le potentiel d’abus présente un risque grave pour la santé publique et dont la valeur thérapeutique est faible
Très strict
L’usage est interdit sauf pour des « raisons scientifiques ou médicales »
LSD, MDMA (ecstasy), mescaline, psilocybine, tétrahydrocannabinol
II
Substances dont le potentiel d’abus présente un risque sérieux pour la santé publique et ayant une valeur thérapeutique considérée comme faible à moyenne
Moins strict
Amphétamines et stimulants de type amphétaminique
III
Substances ayant un potentiel d’abus présentant un risque sérieux pour la santé publique mais possédant une valeur thérapeutique moyenne à grande
Ces substances sont accessibles à des fins médicales
Barbituriques (incluantamobarbital), buprénorphine
IV
Substances avec un potentiel d’abus présentant un risque faible pour la santé publique mais présentant une valeur thérapeutique faible à grande
Ces substances sont accessibles à des fins médicales
Anxiolytiques et sédatifs,analgésiques opiacés, incluant allobarbital, phénobarbital, diazépam, lorazépam, témazépam

Réglementation et pharmacovigilance européennes

Les conventions internationales de 1961 et 1971 citées plus haut sont transposées par chaque État signataire des conventions. En revanche, il n’y a pas de transposition de ces deux conventions au niveau communautaire. Deux institutions interviennent à l’échelle communautaire dans le cadre des médicaments psychotropes ou stupéfiants :
• l’Agence Européenne du Médicament (European Medicine Agency, EMA)1 , chargée de l’évaluation des médicaments ;
• l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT2 ou EMCDDA pour European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction) chargé de collecter, analyser et diffuser des informations objectives, fiables et comparables au niveau européen sur le phénomène des drogues et des toxicomanies.
L’OEDT a mis en place en 2008 une base de données sur le statut des psychotropes et des stupéfiants dans les 27 États membres et en Norvège (European Legal Database on Drugs, ELDD)3 , présentant les classements de chaque substance (y compris les précurseurs) et le profil de la législation par pays. Cette base inclut les médicaments commercialisés en Europe, et leur statut tel qu’il est disponible sur les sources d’information officielles (notamment les agences nationales de régulation des médicaments). Cette base de données permet de comparer les grandes lignes des législations nationales, les États étant en effet souverains pour classer de façon plus restrictive une substance donnée en la classant comme stupéfiant par exemple, ou un médicament avec encadrement strict de la prescription et/ou de la délivrance, ou en limitant son accessibilité par une prescription réservée.
Au cours des dernières années, les objectifs de l’OEDT étaient prioritairement focalisés sur les substances illicites de diffusion récente sur l’ensemble du territoire européen. Progressivement, la part des médicaments commercialisés détournés apparaît de plus en plus importante dans les phénomènes d’abus ou de pharmacodépendance. À l’inverse, dans la plupart des structures de régulation du médicament, que ce soit au niveau de l’EMA, ou des agences de régulation nationales (à l’exception de la France pour laquelle a été mis en place un réseau hospitalier spécifique d’évaluation de la pharmacodépendance en 1990 : DPHM4 , 1990), l’abus et la pharmacodépendance sont inclus dans le phénomène de mésusage médicamenteux et intégrés dans l’activité de pharmacovigilance.
Depuis leur création en 1995, l’OEDT et l’EMA échangent leurs informations et ces échanges ont évolué progressivement vers une coopération à part entière. Cette coopération a lieu dans le cadre de la décision 2005/387/JAI du Conseil de l’Union Européenne sur l’échange d’informations, l’évaluation des risques et le contrôle des nouvelles substances psychoactives (UE, 2005renvoi vers). Selon cette décision, les « substances qui entrent dans la composition de médicaments faisant l’objet d’une AMM ou d’une demande d’AMM ne font pas l’objet d’une évaluation des risques et d’une mise sous contrôle dans le cadre de cette décision. Des mesures réglementaires et de santé publique adaptées devraient être prises en ce qui concerne les substances ayant une valeur médicale établie et reconnue qui font l’objet d’un usage détourné ». De même, « ... outre ce qui est prévu au titre des systèmes de pharmacovigilance définis dans les directives 2001/82/CE et 2001/83/CE, l’échange d’informations sur les substances psychoactives qui font l’objet d’un usage abusif ou détourné doit être accru et il convient d’assurer une coopération appropriée avec l’Agence européenne des médicaments (EMA) ». L’EMA est l’un des principaux partenaires au sein du système d’alerte précoce sur les nouvelles substances (Early-Warning System, EWS) et participe à l’évaluation scientifique des risques que présentent ces substances.
Les bases de données du système de pharmacovigilance de l’Union Européenne au niveau de l’EMA – EudraVigilance – et de l’OEDT – European Legal Database on Drugs, ELDD – sur les nouvelles substances, sont utilisées pour permettre cet échange d’informations. La formalisation de la portée et la nature de l’échange d’informations sur l’abus de substances à forte valeur médicale (c’est-à-dire médicaments autorisés dans la Communauté) est un domaine de collaboration en cours d’élaboration, avec un nouvel accord établi le 10 Juin 2010 (EMA, 2010renvoi vers).
Malgré ces réflexions communes, et la mise en place effective d’échanges d’information et d’évaluation scientifique des risques pour la santé publique des substances médicamenteuses psychoactives, les statuts légaux et la classification par rapport au régime de prescription ou de délivrance ne sont pas standardisés au niveau européen. Seule la directive communautaire 2001/83/CE (UE, 2001renvoi vers) propose un schéma de classification (paragraphes 1 et 2, article 70) :
• « 1. Lorsqu’elles autorisent la mise sur le marché d’un médicament, les autorités compétentes précisent la classification du médicament en :
- médicament soumis à prescription médicale,
- médicament non soumis à prescription.
• 2. Les autorités compétentes peuvent fixer des sous-catégories pour les médicaments qui ne peuvent être délivrés que sur prescription médicale. Dans ce cas, elles se réfèrent à la classification suivante :
- médicaments sur prescription médicale renouvelable ou non renouvelable ;
- médicaments soumis à prescription médicale spéciale ;
- médicaments sur prescription médicale restreinte, réservés à certains milieux spécialisés ».
Tous les médicaments commercialisés en France doivent avoir obtenu une AMM de la part d’une autorité compétente soit au niveau national (Afssaps), soit au niveau européen (EMA). L’Afssaps délivre une AMM dans le cadre d’une procédure nationale ou dans le cadre de procédures décentralisées et de reconnaissance mutuelle. Dans le cadre d’une procédure centralisée, l’EMA, basée à Londres, examine les demandes d’AMM, qui, si elles sont accordées, sont valables simultanément dans tous les pays de l’Union européenne, dont la France.
Au cours de la dernière décennie, les agences de régulation du médicament, et en particulier l’EMA, ont établi des recommandations pour anticiper le risque de mésusage, d’abus et de dépendance des médicaments psychotropes. Ainsi, en 2006, le Committee for Medicinal Products for Human use (CHMP) de l’EMA a publié des recommandations pour l’évaluation préclinique des médicaments psychotropes (EMA, 2007renvoi vers).
Les recommandations de l’EMA présentent les différentes approches précliniques (études in vitro et in vivo) à mettre en œuvre lors du développement de substances psychoactives. Elles proposent une démarche et des méthodes expérimentales validées et standardisées comparables à celles recommandées par la FDA (figure 14.1Renvoi vers) (Balster et Bigelow, 2003renvoi vers ; Carter et Griffiths, 2009renvoi vers ; Leiderman, 2009renvoi vers).
Figure 14.1 Recommandations de l’Agence européenne du médicament pour la réalisation d’études précliniques selon les résultats de l’activité in vitro et in vivo d’une molécule en développement (d’après EMA, 2007renvoi vers)
Dans le cas d’une substance susceptible de franchir la barrière hémato-encéphalique, des études précliniques sont recommandées, si cette substance a une activité sur le système nerveux central comparable à celle d’une classe pharmacologique associée à un risque d’abus ou si elle présente un nouveau mécanisme d’action sur le système nerveux central n’ayant fait l’objet d’aucune étude clinique. Le risque d’abus peut être exploré à partir d’études portant sur la liaison des ligands aux récepteurs, d’épreuves fonctionnelles in vitro/ex vivo, d’études faisant appel à une batterie de tests d’évaluation pharmacologique de l’innocuité (tests sur la sédation ou l’excitation), ainsi qu’à partir d’études sur les effets pharmacodynamiques particuliers. La survenue de réactions de sevrage durant des tests de sevrage spontané ou précipité fournit des informations concernant le potentiel d’une substance d’engendrer une dépendance physique. Les études pharmacologiques d’innocuité non cliniques visant expressément à quantifier divers paramètres du syndrome de sevrage incluent des tests d’auto-administration et des tests de discrimination de médicaments. On considère que les paradigmes d’auto-administration, où les animaux testés ont la possibilité de s’auto-administrer la substance à l’étude en effectuant des actions par conditionnement opérant liées à la libération du médicament, fournissent les preuves non cliniques les plus directes du risque d’abus.
Lors des phases de son développement, à côté du potentiel d’abus proprement dit, un médicament psychotrope est également évalué en fonction de sa galénique et de sa présentation, avec comme préoccupation majeure la prévention du mésusage et de ses conséquences éventuellement délétères. En effet, les formes liquides seront considérées comme susceptibles de faciliter le détournement à des fins criminelles (Gaulier et coll., 2004renvoi vers), et l’aspect des formes solides peut être éventuellement attractif (impact des logos pour le marché de rue...). Par ailleurs, les caractéristiques pharmacocinétiques et les excipients entrant dans la composition du médicament sont envisagés de façon spécifique afin de limiter au maximum les conséquences d’un mésusage, s’il survenait que le médicament soit sniffé, injecté ou fumé.

Réglementation et classement en France

Les exigences liées aux conventions internationales ont été transposées en droit français. Pour les stupéfiants, cette transposition a été faite par l’arrêté du 22 février 1990 modifié (Ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale, 1990renvoi vers).
La liste des substances classées comme stupéfiants au niveau national comprend 4 annexes :
• les annexes I et II correspondent aux tableaux I et IV de la Convention internationale sur les stupéfiants de 1961 ;
• l’annexe III comprend les substances des tableaux III et IV et certaines substances des tableaux I et II de la Convention internationale sur les psychotropes de 1971 ;
• l’annexe IV est constituée de substances psychoactives non classées au plan international et de certains précurseurs.
Pour les psychotropes, la transposition a également été effectuée par le même arrêté (Ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale, 1990renvoi vers). Ce classement se fait en 3 parties :
• la première partie correspond aux tableaux III et IV de la Convention internationale sur les psychotropes ;
• la deuxième partie est composée des préparations de substances classées comme stupéfiants en France ;
• la troisième partie est un classement à titre français c’est-à-dire qu’elle regroupe des substances non classées au niveau international.
Le processus national de classement d’une substance donnée5 , comme stupéfiant ou comme psychotrope, se fonde sur les éléments d’appréciation élaborés par l’OMS ainsi que sur les données locales fournies par les professionnels de l’observation et de l’évaluation de la pharmacodépendance, à partir d’études de surveillance régulière ou de recherches ponctuelles.
Le système français d’évaluation de la pharmacodépendance existe depuis 1990 (circulaire ministérielle DPHM/03/09/01) et a été officialisé par la parution du décret n° 99-2 49, et repris par le décret n° 2007-157 (Ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale, 2007renvoi vers) (figure 14.2). Ce dispositif participe à la politique de lutte contre la drogue et la toxicomanie en coordination avec la Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (Mildt). Il dispose d’une capacité d’expertise et constitue un outil d’aide à la décision publique dans le domaine sanitaire et social (alerte sanitaire, classement de nouveaux produits, réduction des risques et prévention). Il représente également un instrument d’information rapide et adapté sur le potentiel d’abus et de dépendance des substances, ainsi que sur les contextes d’usage et les risques de santé publique encourus. La France est ainsi le seul pays européen à posséder un réseau spécialisé de ce type. Ce système repose sur le réseau des Centres d’Evaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance et d’Addictovigilance (CEIP-A), constitué de 13 centres répartis sur toute la France et de centres correspondants (Baumevieille et coll., 2001renvoi vers). L’évaluation des cas d’abus et de dépendance repose sur la déclaration de ceux-ci au réseau des CEIP-A. Cette déclaration est obligatoire lorsque les cas présentent un caractère de gravité, c’est-à-dire s’ils entraînent une hospitalisation ou prolongent une hospitalisation, s’ils sont à l’origine de séquelles ou d’une invalidité, s’ils mettent en jeu le pronostic vital, ou s’ils entraînent le décès (articles R. 5132-113 et 114 du CSP). Le réseau des CEIP-A a constitué différentes bases de données à partir d’approches méthodologiques qu’il a développées (Micaleff et coll., 2008renvoi vers). Les résultats obtenus constituent un faisceau de présomption ou de preuves qui permet d’apprécier le plus objectivement possible le potentiel d’abus ou de dépendance des substances en cause. Ces données éclairent le Directeur général de l’Afssaps ou le ministre de la Santé sur les mesures appropriées à prendre (inscription sur la liste des stupéfiants ou des psychotropes, retrait du marché, modification des conditions de prescription ou de délivrance des médicaments, mise en place de plans de gestion de risques...). Les travaux des CEIP-A contribuent également à l’évaluation européenne et internationale des substances et des médicaments psychotropes puisque l’Afssaps les transmet à différentes instances telles que l’EMA, l’OEDT, l’ONU et l’OMS.
Figure 14.2 Système national d’évaluation de la pharmacodépendance (d’après l’Afssaps)
Par rapport au système classique de pharmacovigilance, principalement fondé sur la notification spontanée des professionnels de santé et désormais des patients, l’activité d’addictovigilance se distingue par une approche originale combinant le principe de la notification spontanée avec des informations complémentaires issues de recueils spécifiques soit sur des populations ciblées, soit sur des conséquences de l’abus et de la dépendance. Par ailleurs, il est important de souligner que l’addictovigilance concerne aussi bien les médicaments que des substances illicites, produits souvent successivement ou simultanément impliqués dans les cas d’abus ou de dépendance, qui dépasse largement le champ de la pharmacovigilance classique.
Les données des CEIP-A représentent l’outil de travail de la Commission Nationale des Stupéfiants et Psychotropes (CNSP). Celle-ci examine l’ensemble des données disponibles sur les substances psychoactives et propose, si besoin, un classement sur la liste des stupéfiants et des psychotropes ou des mesures d’encadrement plus strictes des conditions de prescription et de délivrance des médicaments. Au vu des travaux d’expertise qui lui sont présentés, la CNSP donne un avis sur lequel le Directeur général de l’Afssaps s’appuiera pour prendre des mesures directement applicables (par exemple sur les conditions de l’AMM pour un médicament) ou le transmettra au ministre chargé de la santé (pour le classement d’une substance, médicamenteuse ou non). Nommée pour 3 ans, la CNSP est constituée de personnalités expertes en pharmacologie, toxicologie et addictologie, et de représentants de nombreuses administrations (ministère de la Santé, Mildt, OFDT, Justice, ministère de l’Intérieur, douanes, ministère des Sports...). Lorsqu’un risque sanitaire est identifié dans le domaine de la pharmacodépendance, une enquête est demandée par les autorités compétentes et réalisée sous la responsabilité d’un CEIP-A. L’évaluation nationale du potentiel d’abus et de dépendance des substances psychoactives repose sur plusieurs systèmes de surveillance et d’alertes mis en place par le réseau des CEIP-A.
Les phénomènes d’abus et de pharmacodépendance constituent un aspect particulier de la sécurité d’emploi des médicaments. En vertu de l’article R.5132-99 du Code de la Santé Publique, les cas d’abus et de pharmacodépendance graves doivent faire l’objet d’une déclaration par tout professionnel de santé au CEIP-A de sa région, de façon similaire à ce qui se fait dans le domaine désormais classique de la pharmacovigilance. Cependant, il existe des différences fondamentales avec le contexte habituel de la pharmacovigilance : sous-notification plus marquée (du fait du patient qui aura tendance à cacher son comportement d’abus et des professionnels de santé qui peuvent se sentir responsables), difficultés à identifier la frontière entre abus et mésusages, difficultés à repérer un comportement d’abus qui le plus souvent passe par un nomadisme médical et pharmaceutique ou conduit à des actes frauduleux. Aussi, dans le domaine de l’évaluation du potentiel d’abus des médicaments dans leurs conditions réelles d’utilisation, il apparaît indispensable de disposer d’outils spécifiques pour pallier les limites de la notification spontanée des professionnels de santé.
Ces approches spécifiques utilisent des sources d’information qui peuvent permettre d’appréhender les conséquences de l’usage de substances à travers l’utilisation des systèmes de santé, d’identifier le mésusage des médicaments et les complications liées à l’abus en dehors d’un usage médical. Il existe également des études spécifiques ciblées sur un médicament ou une classe thérapeutique, ou bien sur une population de patients précise (sujets injecteurs, femmes enceintes, détenus...). L’évolution de la consommation des médicaments psychotropes chez les patients sous traitement de substitution aux opiacés est étudiée par Oppidum (Observation des Produits Psychotropes Illicites ou Détournés de leur Utilisation Médicamenteuse) (Thirion et coll., 1999renvoi vers, 2000renvoi vers et 2001renvoi vers ; Bernard et coll., 2002renvoi vers). Osiap (Ordonnances Suspectes, Indicateur d’Abus Possible) identifie les médicaments les plus détournés (Baumevieille et coll., 1997renvoi vers ; Lapeyre-Mestre et coll., 1997renvoi vers ; Llau et coll., 2002renvoi vers ; Boeuf et Lapeyre-Mestrerenvoi vers, 2007 ; Afssaps, 2010arenvoi vers). Drames (Décès en Relation avec l’Abus de Médicaments Et de Substances) permet d’identifier les substances impliquées dans les décès par surdose6 .
Ainsi, ces différents systèmes sont particulièrement complémentaires pour explorer le potentiel d’abus et de dépendance d’un médicament commercialisé en France (Armand et coll., 2004renvoi vers ; Victorri-Vigneau et coll., 2007renvoi vers ; Frauger et coll., 2010renvoi vers). Pour le flunitrazépam, benzodiazépine particulièrement détournée de son usage par les sujets pharmacodépendants, l’importance du détournement et ses conséquences ont pu être estimées à travers ces outils plaçant ce médicament en tête des médicaments détournés au début des années 2000. Le suivi des mesures réglementaires à travers ces mêmes outils a permis d’observer une diminution de son utilisation en termes de prévalence, une diminution du nombre d’ordonnances falsifiées (support sécurisé plus difficile à falsifier), mais également d’identifier la substitution vers d’autres benzodiazépines (Micaleff et coll., 2008renvoi vers).
À côté de ces outils de surveillance permanents, d’autres études se sont progressivement développées afin de répondre à des questions spécifiques : l’enquête sur la soumission chimique (Djezzar et coll., 2009renvoi vers), débutée en 2003 au niveau national, l’étude annuelle Asos (Antalgiques Stupéfiants et Ordonnances Sécurisées), permettant d’apprécier l’utilisation des ordonnances sécurisées pour la prescription des stupéfiants (Afssaps, 2010brenvoi vers), la comparaison de la répartition géographique des ventes en fonction des dosages pour une même spécialité, des études ciblées sur des populations spécifiques ou des médicaments...
Depuis 1990, ce système national d’évaluation de la pharmacodépendance a permis d’apporter des informations utiles pour réglementer la prescription et la délivrance de médicaments grâce à une observation régulière des substances faisant l’objet d’un détournement (Baumevieille et coll., 2009renvoi vers). Jusqu’à fin 2007, 17 substances différentes entrant dans la composition de médicaments étaient concernées par l’application de la réglementation des stupéfiants. Parmi ceux-ci, quatre correspondent à la classification des psychotropes. En effet, 3 substances sont inscrites au tableau IIIrenvoi vers de la classification des psychotropes de 1971 : 2 benzodiazépines (le flunitrazépam et le clorazépate dipotassique) et la buprénorphine (à visée analgésique ou comme médicament de substitution), et une au tableau IIrenvoi vers : le méthylphénidate. Les 13 autres médicaments classés comme stupéfiants (Convention de 1961) sont utilisés dans l’anesthésie générale (alfentanil, fentanyl, rémifentanil et sufentanil), la douleur sévère (fentanyl, hydromorphone, oxycodone, morphine, péthidine), la narcolepsie (oxybate de sodium), le traitement de substitution de la dépendance aux opiacés (méthadone).
L’évolution de la réglementation depuis 1990 s’est appuyée sur les informations issues du réseau national de surveillance, et notamment du réseau des CEIP-A. Les outils spécifiques mis en place pour appréhender le potentiel d’abus des médicaments en condition réelle d’utilisation ont permis de proposer des règles plus strictes de prescription et de délivrance, voire le retrait de certains médicaments (notamment le clorazépate dipotassique à 50 mg) afin de minimiser les conséquences d’abus et de dépendance de ces médicaments. Ces outils utilisent à la fois le principe de la notification spontanée, avec la déclaration obligatoire.

Cadre réglementaire des médicaments, conditions de prescription et de délivrance

L’AMM résume les caractéristiques du médicament, sa composition, ses indications, son mode et ses limites d’utilisation, ses effets indésirables... L’AMM précise également les conditions de prescription et de délivrance du médicament, en tenant compte de la réglementation française sur les stupéfiants et psychotropes.
En France, aucun médicament ne peut être vendu au public en dehors des pharmacies (officines et pharmacies hospitalières). Les catégories de médicaments et les dispositions particulières applicables sont définies dans les articles R.5132-1 et suivants du CSP. Les spécialités sont classées en fonction de leur dangerosité sur les listes I, II ou sur la liste des produits stupéfiants. Certains médicaments inscrits sur les listes I ou II peuvent également être soumis à la législation sur les psychotropes et stupéfiants. Ce classement implique des restrictions particulières de prescription et de délivrance. Les dispositions applicables figurent dans les articles R.5132-29 et suivants du CSP.
Les médicaments des listes I, II et a fortiori de la liste de stupéfiants, présentent des risques en cas d’utilisation inappropriée. De façon générale, ce classement sur liste vise à limiter l’accessibilité directe à ces médicaments, avec une prescription médicale obligatoire, et pour une durée limitée. Ainsi, les médicaments listés ne peuvent être obtenus, selon les cas, que sur prescription d’un médecin, d’un dentiste ou d’une sage-femme. Les médicaments inscrits sur la liste I ne peuvent être délivrés qu’une seule fois par le pharmacien avec la même ordonnance, sauf si le prescripteur mentionne expressément la possibilité d’un renouvellement. En cas de prescription supérieure à un mois, la délivrance des médicaments inscrits sur la liste II peut être renouvelée, même si le prescripteur ne le mentionne pas, jusqu’à douze mois. Dans ce cas, le pharmacien ne peut délivrer, à chaque renouvellement, que la quantité nécessaire à un mois de traitement.
La dernière liste correspond à la liste des stupéfiants qui inclut les substances relevant de la Convention de 1961, comme par exemple la morphine et ses dérivés ou les médicaments classés comme stupéfiants au niveau national.
Par opposition à ces médicaments, ceux pour lesquels une prescription médicale est facultative (PMF) sont appelés « hors liste ». Ces médicaments sont en vente libre en pharmacie, c’est-à-dire qu’ils peuvent être délivrés par le pharmacien sans présentation d’une ordonnance, mais peuvent, bien entendu, être prescrits par les médecins. Certains de ces médicaments contiennent des substances psychoactives, mais leur risque d’abus est théoriquement faible, ou la dose contenue dans les conditionnements destinés à l’automédication est faible (exemple des spécialités pharmaceutiques contenant de la codéine, substance classée au tableau IIIrenvoi vers de la Convention de 1961, à dose exonérée de 20 mg par unité thérapeutique7 ). Ces médicaments ne sont pas pour autant dénués de risque et leur utilisation prolongée ou à fréquence élevée peut être à l’origine d’effets indésirables, et des cas d’abus et dépendance ont été identifiés (Legare, 2008renvoi vers ; Orriols et coll., 2009renvoi vers). Ils sont souvent utilisés en automédication, c’est-à-dire pris par le malade de sa propre initiative ou à celle de son entourage. Le rôle de conseil du pharmacien lors de leur vente est alors fondamental8 .
Le tableau 14.IIIrenvoi vers reprend les différentes catégories de médicaments et les conditions de prescription et de délivrance inhérentes à leur statut spécifique.

Tableau 14.III Statuts légaux, conditions de prescription et de délivrance

Classe
Conditions de prescription et de délivrance
Hors liste
Médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire
Peuvent faire l’objet d’une prescription facultativeAccessibles en officines
Liste I
Délivrance non renouvelable sauf si le prescripteur le mentionne expressément
Médicaments à prescription restreinte (liste I ou des stupéfiants) (Art. R.5121.77 du CSP)
RH : médicaments réservés à l’usage hospitalier
PH : médicaments à prescription hospitalière
PIH : médicaments à prescription initiale hospitalière
PRS : médicaments à prescription réservée à certains médecins spécialistes
SP : médicaments nécessitant une surveillance particulière pendant le traitement
Liste II
Délivrance renouvelable, sauf mention contraire du prescripteur
Liste des stupéfiants
Prescription réalisée sur ordonnance sécurisée
Durée de prescription <28 jours dans tous les cas (pour certains médicaments : restreinte à 7 ou 14 jours)
Délivrance fractionnée
Médicaments d’exception
Concerne des médicaments particulièrement innovants ou coûteux

Les médicaments inscrits sur la liste des stupéfiants présentent des conditions de prescription et de délivrance plus strictes que pour ceux relevant des listes I et II.
Pour les médicaments relevant de la liste des stupéfiants, la durée de prescription est limitée au maximum à 28 jours (voire moins), et la prescription n’est pas renouvelable. Le prescripteur doit obligatoirement rédiger sa prescription en toutes lettres sur un support spécifique, c’est-à-dire une ordonnance sécurisée comportant un filigrane, un numéro de lot et un carré de microlettres interdisant sa falsification. Les ordonnances sécurisées ont remplacé la prescription sur carnet à souche préalablement en vigueur pour la prescription des stupéfiants. Le recours nécessaire au carnet à souche a été abandonné en 1999 suite au plan d’amélioration de la prise en charge de la douleur, pour favoriser l’utilisation d’opiacés majeurs dans les douleurs sévères (Ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale, 1998renvoi vers). La quantité délivrée par le pharmacien est limitée à 7, 14 ou 28 jours de traitement suivant les médicaments. Cette restriction concerne les 13 substances stupéfiantes, plus 4 médicaments de la liste I, soumis à la réglementation des stupéfiants pour la prescription et la délivrance, soit au total 17 médicaments (annexe 7 : tableau I). Par exemple, les stupéfiants injectables sont tous soumis à une durée de prescription limitée à 7 jours dans les indications d’anesthésie et de douleur aiguë. La délivrance par le pharmacien ne peut se faire que par fraction de 7 jours (pour une durée maximale de prescription de 28 jours pour le fentanyl transmuqueux et la buprénorphine ; pour une durée maximale de 14 jours pour la méthadone et le flunitrazépam).
Les médicaments de la liste des psychotropes appartenant à la classe des anxiolytiques ou des hypnotiques sont également soumis à une restriction spécifique par rapport à la durée de leur prescription comme le précise l’arrêté du 7 octobre 1991 (Ministère de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale, 1991renvoi vers). Selon cet arrêté, les médicaments contenant des substances à propriétés anxiolytiques ne peuvent être prescrits pour une durée supérieure à 12 semaines (annexe 7 : tableau II). Le conditionnement extérieur de ces médicaments doit comporter la mention : « Ce médicament ne peut être prescrit pour une durée supérieure à douze semaines ».
Les substances à propriétés hypnotiques et dont l’indication thérapeutique figurant sur l’AMM est « insomnie » ne peuvent être prescrites pour une durée supérieure à 4 semaines (annexe 7 : tableau III). Le conditionnement extérieur de ces médicaments doit comporter la mention à destination des patients : « ce médicament ne peut être prescrit pour une durée supérieure à 4 semaines ». Pour certains hypnotiques, cette limitation est fixée à 2 semaines (flunitrazépam).
En dehors du cadre réglementaire lié au statut du médicament (substance vénéneuse, stupéfiant ou psychotrope), il existe d’autres possibilités de restriction de la prescription. Il s’agit de médicaments innovants et coûteux (médicaments d’exception, qui ne pourront être prescrits que dans une indication très précise, sous peine de non prise en charge par l’Assurance maladie), ou bien de médicaments potentiellement dangereux dont l’utilisation doit être réservée à des situations spécifiques. L’AMM classe un médicament en prescription restreinte dans l’une des 5 catégories suivantes :
• médicament réservé à l’usage hospitalier (RH) : ces médicaments ne peuvent être prescrits, délivrés et utilisés qu’en milieu hospitalier. Il s’agit par exemple du flunitrazépam injectable, du protoxyde d’azote, de la kétamine ;
• médicament à prescription hospitalière (PH) : uniquement prescrits à l’hôpital, ils peuvent être délivrés dans n’importe quelle pharmacie ou, pour certains, dans les seules pharmacies hospitalières ;
• médicament à prescription initiale hospitalière (PIH) : la première prescription doit obligatoirement être rédigée à l’hôpital, mais les ordonnances de renouvellement peuvent être rédigées par un médecin de ville. La délivrance des médicaments est possible, selon les cas, en pharmacies hospitalières ou en pharmacies de ville. Dans certains cas, le nombre de renouvellements est limité et une nouvelle prescription hospitalière est nécessaire après un délai variable (un an généralement). On retrouve dans cette catégorie la méthadone (forme sirop ou gélule) ou le méthylphénidate ;
• médicament à prescription réservée à certains médecins spécialistes (PRS). Il s’agit de médicaments dont l’utilisation est délicate (nécessitant une évaluation clinique et/ou paraclinique spécialisée) ou traitant des maladies complexes. Ils sont délivrés selon les cas en pharmacies hospitalières ou en pharmacies de ville. Entrent dans cette catégorie, le méthylphénidate ou le modafinil ;
• médicament nécessitant une surveillance particulière pendant le traitement (SP) : les malades traités par ce type de médicaments doivent être régulièrement surveillés (prises de sang, examens complémentaires, consultations plus fréquentes). L’ordonnance ne pourra être renouvelée que si ces règles de surveillance sont respectées. La méthadone, dont l’AMM prévoit un suivi régulier de dosages toxicologiques, entre dans cette catégorie.

Plan de gestion des risques et médicaments à risque de mésusage, d’abus ou de pharmacodépendance

Depuis les retraits brutaux au début des années 2000 (cérivastatine en 2001 et rofecoxib en 2004), la surveillance des médicaments a évolué et s’appuie sur la mise en place depuis 2005 de Plans de Gestion des Risques (PGR)9 qui prolongent et élargissent la démarche de pharmacovigilance, principalement pour les nouveaux médicaments. Cette approche élargie de surveillance s’attache à identifier au mieux les enjeux et les méthodes de maîtrise des risques avant la mise sur le marché. De plus, elle intègre la notion d’évaluation constante du rapport bénéfice/risque dans les conditions réelles d’utilisation. Les médicaments psychotropes sont soumis eux aussi aux exigences d’un plan de gestion de risque (PGR) dans différentes circonstances : soit, comme pour la plupart des médicaments commercialisés, au moment du dépôt de dossier d’AMM, pour toute nouvelle substance active, pour une substance bio similaire, pour un médicament générique si des problèmes de sécurité ont été observés avec le princeps, soit lors d’une demande d’extension d’AMM avec changement significatif.
Un plan de gestion des risques peut également être mis en œuvre, si de nouvelles données sur la sécurité d’emploi d’un médicament nécessitent une évaluation plus précise (Cicero et coll., 2005renvoi vers).
Deux exemples de PGR, l’un dans le cadre d’une nouvelle AMM européenne, l’autre dans le cadre de la commercialisation en France d’un générique d’un médicament princeps suivi spécifiquement pour son potentiel d’abus depuis sa commercialisation, permettent d’illustrer les caractéristiques spécifiques abordées dans le contexte d’un médicament psychotrope.
Le premier exemple concerne l’oxybate de sodium ou GHB (gamma-hydroxybutyrate de sodium), découvert dans les années 1960 et commercialisé comme anesthésique. Dès sa découverte, cette substance a fait l’objet d’une utilisation détournée, notamment comme produit dopant dans les milieux du culturisme, puis dans le cadre d’événements festifs, mais aussi de la « soumission chimique », ce qui lui a valu la dénomination courante de « drogue du viol » (Palmer, 2004renvoi vers). Cette utilisation est essentiellement le fait de fabrication illicite de GHB, le plus souvent sur un mode artisanal (la synthèse étant assez facile), avec diffusion dans le marché de rue.
Le GHB est un puissant dépresseur du système nerveux central et entraîne des convulsions à forte dose. Par ailleurs, il facilite la levée de l’inhibition, et entraîne une amnésie antérograde. En raison d’une cinétique d’élimination rapide, le produit est difficilement détectable dans les liquides biologiques après 24 heures.
En dehors de son usage thérapeutique comme anesthésique et de son utilisation détournée (produit dopant, festif, ou d’utilisation criminelle), l’oxybate de sodium a été inscrit en février 2003, au registre européen des médicaments orphelins dans l’indication de cataplexie dans la narcolepsie. La narcolepsie est en effet une maladie rare, avec une prévalence estimée à 4,8 pour 10 000 (soit en France, environ 29 000 malades atteints). En 2004, ce médicament a fait l’objet d’une demande d’AMM dans le cadre d’une procédure centralisée, avec une commercialisation en France en novembre 2006 (Xyrem®).
Préalablement à cette commercialisation, l’oxybate de sodium a fait l’objet d’une attention soutenue de la part de la Commission Nationale des Stupéfiants et Psychotropes en France à partir de 1997, avec la notification de plusieurs cas d’abus et de détournement de Gamma-OH®. Ces faits ont conduit à mettre ce médicament en réserve hospitalière. En 1998, des notifications de cas de décès et la production de GHB clandestin, ont conduit à un classement comme stupéfiant des formes orales de GHB, suivi, en 1999, par une surveillance des précurseurs (Gamma-butyrolactone ou GBL, butanediol ou BDL) après la mise en garde de la Food and Drug Administration (FDA) pour la GBL (Nicholson et Balster, 2001renvoi vers).
Lors de sa commercialisation aux États-Unis dans la narcolepsie, le PGR de l’oxybate de sodium a prévu des conditions restrictives pour limiter un éventuel détournement du médicament : prescription par un spécialiste, délivrance dans une seule pharmacie avec envoi du médicament directement à domicile, mise en place d’un programme d’information et d’éducation (médecins, malades) et mise en place d’un registre des malades traités ainsi que d’un registre des prescripteurs (Fuller et Hornfeldt, 2003renvoi vers ; Fuller et coll., 2004renvoi vers ; McCormick et coll., 2009renvoi vers ; Wang et coll., 2009renvoi vers ; Wang, 2010renvoi vers).
Lors du dépôt d’AMM européen, le PGR retenu au niveau européen a prévu quant à lui les modalités suivantes : une étude sur 1 000 malades, normalement inclus consécutivement et suivis pendant un an, une étude endocrinologique chez 25 malades, une information spécifique, la prescription par un spécialiste, et la mise en place d’un bouchon de sécurité.
Lors des procédures d’AMM européennes, associées à des plans de gestion du risque commun aux 27 pays où le médicament est de fait commercialisable, les seules marges de manœuvre au niveau de chaque État restent limitées à un encadrement spécifique au niveau des conditions de prescription et de délivrance du médicament.
Ainsi, dans le cadre du PGR de l’oxybate de sodium dans l’indication « narcolepsie », des mesures relatives aux conditions de prescription et de délivrance ont été mises en place en France pour limiter le détournement d’usage et évaluer le potentiel d’abus dans les conditions normales d’utilisation : une prescription initiale annuelle par un spécialiste de la narcolepsie (médecins des centres du sommeil, neurologues) puis renouvellement par tout médecin, délivrance dans les pharmacies hospitalières, suivi spécifique des malades traités par la tenue d’un carnet de surveillance avec le remplissage d’une fiche mensuelle et un programme d’information et d’éducation des médecins, pharmaciens et des malades.
Par ailleurs, il a également été prévu de réaliser de façon périodique une comparaison entre les données de vente et le suivi des malades inclus (par le suivi des carnets de surveillance).
Le deuxième exemple concerne la buprénorphine indiquée dans la prise en charge de la dépendance majeure aux opiacés. Depuis l’AMM obtenue dans cette indication en 1996, la buprénorphine a apporté un progrès incontestable dans la prise en charge des patients dépendants. Cependant, de nombreux mésusages ont également été identifiés, conduisant à un trafic important (environ 25 % de la totalité de la buprénorphine vendue en France), avec des conséquences préoccupantes en termes de santé publique. Même si seule une frange marginale des patients traités (5 %) était impliquée dans ce trafic, un plan de réduction des risques avait été réalisé à l’occasion de la mise sur le marché de génériques de la buprénorphine dans la même indication (Gatignol, 2009renvoi vers).
La mise en place des PGR notamment dans le contexte de l’évaluation du rapport bénéfice/risque d’un médicament présentant un potentiel d’abus et de dépendance n’a pas modifié fondamentalement la nature et le contenu des actions mises en œuvre pour le suivi du médicament (notification spontanée renforcée ou ciblée, études cliniques ou pharmaco-épidémiologiques si nécessaire), mais elle a permis une formalisation et une standardisation des exigences en termes d’utilisation et de surveillance d’un médicament psychotrope. Il ne faut par ailleurs pas perdre de vue que c’est le laboratoire produisant ou commercialisant le médicament qui est le maître d’œuvre de ce PGR, avec une validation et un contrôle par les autorités de santé compétentes (EMA ou Afssaps).
En conclusion, l’ensemble des dispositions existantes offre un cadre qui doit être équilibré entre la nécessité d’un accès à des médicaments psychotropes et présentant un potentiel d’abus avéré mais d’un intérêt thérapeutique démontré et la protection de la prescription, de la délivrance et de la disponibilité de ces produits pour éviter le détournement d’usage, pouvant conduire à des abus et dépendances néfastes en terme de santé publique.

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