Pharmacodépendances et mésusages

2012


ANALYSE

9-

Pharmacodépendances et mésusages : relations avec le suicide

Devant l’accroissement des mésusages de médicaments psychotropes, plusieurs études se sont intéressées à leurs conséquences en termes de morbi-mortalité, y compris la détresse psychiatrique (Manchikanti et coll., 2010renvoi vers ; Schepis et Hakes, 2011renvoi vers), mais peu se sont penchées sur le risque suicidaire. La plupart des articles traitent des substances psychoactives dans leur ensemble et ne distinguent pas les médicaments des substances dites « illicites ». De plus, peu d’études permettent de différencier usage, mésusage, abus, dépendance et intoxication volontaire dans un but suicidaire. Ainsi, les données qui suivent, s’appuient souvent sur les études dont la méthodologie permettait d’estimer la prévalence des abus et dépendances aux médicaments psychotropes chez les patients ayant fait une tentative de suicide et les victimes de suicide.

Études menées chez les usagers de médicaments psychotropes

Dans une étude suédoise (Comté de Stockholm) qui a suivi 80 970 sujets hospitalisés pour un trouble psychiatrique entre 1973 et 1986, la dépendance aux médicaments psychotropes multipliait par un facteur supérieur à deux le risque de mort par suicide. Cette augmentation de risque était indépendante des caractéristiques sociodémographiques et d’autres troubles psychiatriques (Allgulander et coll., 1992renvoi vers) (tableau 9.Irenvoi vers). Dans une étude allemande qui a inclus entre 1974 et 1989 tous les sujets abuseurs ou dépendants de médicaments psychotropes ayant eu un contact avec les services de psychiatrie ou de neurologie de Göttingen (n=1 414), le SMR (ratio de mortalité standardisé, calculé par rapport à la mortalité attendue dans la population générale allemande de mêmes âge et sexe à la même époque) était de 2,13 pour les patients mésusant uniquement les médicaments, de 3,43 pour ceux qui présentaient aussi un trouble lié à l’usage d’alcool et de 20,69 pour ceux qui utilisaient également des substances illicites (Poser et coll., 1992renvoi vers). Cette surmortalité était plus prononcée dans les cas de dépendance que d’abus. Les abus et dépendances uniquement aux médicaments psychotropes étaient associés à la perte de 8,8 ans de vie, ainsi qu’au suicide (27,3 % des décès).
Une étude américaine s’est intéressée au mésusage d’inhalateurs indiqués dans l’asthme chez 723 adolescents considérés comme présentant un trouble de la personnalité antisociale et incarcérés à la Missouri Division of Youth Services (Perron et Howard, 2008renvoi vers). Si environ un quart de ces sujets étaient asthmatiques (n=193, 26 %), plus de la moitié (n=373, 51 %) avait utilisé un inhalateur dont 88 (soit 12 % de la population étudiée) pour obtenir un « high ». Ces sujets constituaient un groupe particulier caractérisé par un âge plus précoce de début des conduites antisociales, une plus haute intensité du désarroi psychiatrique, une plus grande intensité des idéations suicidaires, un plus haut niveau d’impulsivité, un usage problématique plus fréquent de substances et de solvants. Cette étude ne permet cependant pas de caractériser l’association entre mésusage d’inhalateurs indiqués dans l’asthme et les idéations suicidaires.
L’étude « Subazur » menée dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse entre octobre et décembre 2004, a sélectionné 32 prescripteurs de buprénorphine à l’aide des bases de données de la Sécurité Sociale (Roux et coll., 2008renvoi vers). Cette étude a inclus 111 patients qui recevaient de la buprénorphine depuis au moins trois mois et qui étaient considérés comme stabilisés par leur médecin. Les caractéristiques de cette population étaient un âge médian de 38 ans (intervalle inter-quartile, IIQ : 34-42), 32 % de femmes, et une dose médiane de 6 mg (IIQ 2-12). Parmi eux, 36 sujets utilisaient la buprénorphine par voie intraveineuse. Il existait une association forte entre la voie intraveineuse et les idéations ou les actes suicidaires avec un risque multiplié par près de trois (OR=2,7 ; IC 95 % [1,1-7,0]).
Chez des patients traités pour un trouble lié à l’usage de substances psychoactives, l’usage de médicaments sédatifs ou de benzodiazépines est associé à un plus grand risque de tentative de suicide (Rossow et Lauritzen, 1999renvoi vers ; Darke et Kaye, 2004renvoi vers ; Wines et coll., 2004renvoi vers ; Maloney et coll., 2007renvoi vers). Cette association n’a pas été étudiée dans la population générale utilisatrice de médicaments benzodiazépiniques. Une revue de la littérature a comparé les substances utilisées par des sujets dépendants aux substances psychoactives dites illicites dans les surdoses considérées comme accidentelles et les tentatives de suicide (Bohnert et coll., 2010renvoi vers). Les tentatives de suicide sont associées à l’usage d’alcool, de cocaïne, de méthadone et de dextropropoxyphène, un analgésique opioïde. Les surdoses accidentelles sont associées à l’usage d’héroïne, de codéine, de médicaments sédatifs, d’autres substances illicites, de polytoxicomanie. Les surdoses non fatales sont associées à la polytoxicomanie, l’usage quotidien d’opiacés, la voie intraveineuse, la dépendance aux médicaments sédatifs. Les sujets qui avaient à la fois des antécédents de surdose et de gestes suicidaires présentaient un usage de substances plus problématique, notamment compliqué d’un usage quotidien de tranquillisant, de dépendance aux sédatifs et aux psychostimulants.
Il existe très peu d’études évaluant le risque de conduites suicidaires dans le mésusage de médicaments psychotropes. Les quelques études disponibles identifient pourtant une augmentation importante de ce risque, y compris chez des sujets dépendants à d’autres substances psychoactives (tableau 9.Irenvoi vers).

Tableau 9.I Augmentation de risque de conduites suicidaires chez les sujets mésusant des médicaments psychotropes

Références
Population étudiée
Caractérisation du mésusage/ dépendance
Augmentation de risque identifiée
Allgulander et coll., 1992renvoi vers
Suède
80 970 sujets hospitalisés pour un trouble psychiatrique
Dépendance aux médicaments psychotropes
Augmentation du risque de suicide : RR=2,38 ; IC 95 %[1,61-3,51]
Poser et coll., 1992renvoi vers
Allemagne
1 414 sujets abuseurs ou dépendants de médicaments psychotropes ayant eu un contact avec la psychiatrie ou la neurologie
Abus et dépendance uniquement aux médicaments psychotropes
Augmentation du risque de décès prématuré : SMR=2,13Augmentation du risque de suicide qui représente 27,3 % des décès
Roux et coll., 2008renvoi vers
France
111 patients traités par buprénorphine depuis au moins trois mois et considérés comme stabilisés
Voie intraveineuse
Augmentation des idées et actes suicidaires : OR=2,7 ; IC 95 % [1,1-7,0]

Études menées chez les victimes de suicide

Peu d’études ont été menées chez les victimes de suicide et la plupart sont anglo-saxonnes. Aucune étude n’a eu un accès direct au mode d’usage des médicaments psychotropes impliqués dans les décès. Leur méthodologie permet d’estimer la probabilité de mésusage de ces produits.
Une première étude américaine a obtenu des analyses toxicologiques pour 333 suicides sur les 346 survenus dans la province de Mobile (Alabama, États-Unis) entre octobre 1990 et septembre 1998 (Dhossche et coll., 2001renvoi vers) (tableau 9.IIrenvoi vers). Les substances recherchées étaient catégorisées en trois groupes : les médicaments susceptibles d’abus, les autres médicaments psychotropes, et un groupe comprenant l’alcool, la cocaïne et le cannabis. Des substances psychoactives ont été identifiées pour 227 suicides (68 %), avec une augmentation des benzodiazépines sur les quatre dernières années. Selon les trois catégories de substances recherchées, les populations présentaient des caractéristiques différentes. Dans le groupe « alcool, cocaïne, cannabis » (n=137), les sujets étaient plus jeunes (moyenne=39 ans, écart-type=14), et plus souvent des hommes que des femmes. Le groupe « psychotropes sans risque d’abus » (n=75) était davantage représenté chez les femmes que chez les hommes. La moyenne d’âge de ces sujets était plus élevée (47 ans, écart-type=17). Près de la moitié de ces sujets (44 %) n’avait consommé aucune substance à risque d’abus. Alcool, cocaïne ou cannabis étaient retrouvés chez 18 % des sujets de ce groupe et les médicaments psychotropes à risque d’abus chez 39 %. Le groupe « médicaments psychotropes à risque d’abus » (n=87) paraissait constituer un groupe intermédiaire entre ces deux groupes, avec une population également plus âgée (moyenne=49 ans, écart-type=19) et plus féminine, mais avec une fréquence élevée d’alcool, cocaïne ou cannabis (34 %). Seulement un tiers d’entre eux (33 %) utilisaient également des psychotropes sans risque d’abus. Il semble donc que certaines victimes de suicide chez lesquelles un médicament psychotrope à risque d’abus a été identifié mésusaient de cette substance.
Devant l’augmentation des morts par surdose impliquant la méthadone, une étude a analysé les 76 décès liés à la méthadone survenus dans le Vermont entre 2001 et 2006 (Madden et Shapiro, 2011renvoi vers). Seulement 3 cas (4 %) parmi ces décès correspondaient à un suicide. La méthadone était obtenue de manière illégale dans 51 des cas (67 %). Les sujets les plus à risque de surdose étaient ceux traités par méthadone pour une douleur chronique et ceux qui la mésusaient. Seulement 3 % des décès étaient survenus chez des patients recevant un traitement de substitution par méthadone. Ainsi, le mésusage de méthadone apparaît associé à un risque accru de surdose létale de méthadone mais celle-ci est plus souvent accidentelle qu’intentionnelle.
Une autre étude américaine menée dans le Kentucky entre 2000 et 2004 s’est intéressée aux 176 décès avec présence de méthadone (Shields et coll., 2007renvoi vers). La moyenne d’âge de ces sujets était de 38 ans (étendue 17-60). Le nombre de cas par an a été multiplié par dix au cours de l’étude (six en 2000 et 68 en 2003). La méthadone a été la seule substance identifiée chez seulement 11 sujets (6,25 %). En particulier, étaient retrouvés de l’alcool (13,6 %), d’autres opiacés (27,8 %), du cannabis (28,4 %), de la cocaïne (21,9 %) et des benzodiazépines (32,4 %), tous susceptibles de mésusage. Des antidépresseurs étaient également présents chez 39,8 % de ces sujets. Les auteurs soulignent que l’interprétation du rôle de la méthadone dans ces décès est problématique. Dans nombre de cas, d’autres substances sont impliquées, telles que les opiacés ou d’autres dépresseurs centraux. De plus, la tolérance individuelle à la méthadone est très variable, en fonction de l’utilisation antérieure (période d’interruption en particulier) et de la prédisposition génétique. La source et la cause de l’utilisation de la méthadone ont été retrouvées pour 95 sujets. Un tiers des sujets utilisaient la méthadone comme antalgique, neuf comme traitement de substitution. Pour 19 sujets (20 %), la méthadone provenait du marché noir ou de l’entourage, avec une certaine probabilité de mésusage. Une intention suicidaire existait chez six sujets. Le rôle de la méthadone et de son mode d’usage est ainsi difficile à déterminer à la fois pour les surdoses accidentelles et intentionnelles.
Enfin, une dernière étude, conduite en Angleterre et au Pays de Galle entre 1996 et 2002, s’est intéressée aux morts par intoxication aux analgésiques et antitussifs opioïdes (hors héroïne/morphine, méthadone et buprénorphine) au travers des dossiers de médecine légale (n=2 024) : 83 % étaient accidentelles, 13 % intentionnelles et 4 % indéterminées (Schifano et coll., 2006renvoi vers). Comparés aux sujets non dépendants de ces substances, les morts chez les sujets dépendants étaient plus susceptibles d’inclure plusieurs médicaments (97,8 % versus 88,7 %), de la codéine (48 % versus 11,3 %) ou de la dihydrocodéine (34,1 % versus 22,1 %), des psychostimulants illicites (17,9 % versus 0), du cannabis (10,1 % versus 0) ou des médicaments anxiolytiques ou hypnotiques (44 % versus 17,8 %) et elles comprenaient moins souvent du dextropropoxyphène1 (18,1 % versus 65,2 %). En revanche, par comparaison aux sujets dépendants de ces produits morts d’une surdose accidentelle, les sujets dépendants victimes de suicide étaient moins susceptibles de présenter plusieurs médicaments (84,6 % versus 95,5 %), de la codéine (29,9 % versus 51,6 %), des substances illicites (41,9 % versus 80 %) ou des médicaments anxiolytiques ou hypnotiques (32,5 % versus 46 %) et ils comprenaient plus souvent du dextropropoxyphène (35,9 % versus 14,7 %). La majorité des sujets dépendants étaient jeunes (85,4 % avaient moins de 45 ans), de sexe masculin (81,8 %) et morts d’une surdose accidentelle (83,1 %).
Toutes ces études suggèrent donc une association entre mésusage de médicaments psychotropes et mortalité par surdose, mais celle-ci semble plus souvent accidentelle qu’intentionnelle (tableau 9.II).

Tableau 9.II Mésusage de médicaments psychotropes chez les victimes de suicide ou d’overdoses

Références
Population étudiée
Nombre de sujets
Moyen utilisé pour tenter de différencier usage et mésusage
Schifano et coll., 2006renvoi vers
Morts par intoxication aux analgésiques ou antitussifs opioïdes
2 024
Comparaison des substances utilisées dans les morts accidentelles et intentionnelles : suicides impliquent moins de médicaments multiples, moins de codéine, moins d’anxiolytiques/hypnotiques, plus de dextropropoxyphèneSujets dépendants de ces substances : 16,9 % de suicide
Shields et coll., 2007renvoi vers
Décès dans lesquels la méthadone a été identifiée
176 dont 6 suicides
Autres substances associées susceptibles de mésusage : alcool (13,6 %), opiacés (27,8 %), cannabis (28,4 %), cocaïne (21,9 %) et benzodiazépines (32,4 %)Origine de la méthadone : 20% d’obtention illégale
Dhosscheet coll., 2001renvoi vers
Suicides avec analyses toxicologiques
333
Définition d’une catégorie « médicaments psychotropes à risque d’abus » (n=87)Fréquence d’alcool, de cocaïne ou de cannabis retrouvée dans cette catégorie : 34 %
Maddenet Shapiro, 2011renvoi vers
Morts pour lesquelles la méthadone a été identifiée
76 dont 4 % de suicide
Obtention illégale de la méthadone : 67 %

Études menées chez les suicidants

L’Oxford Monitoring System for Attempted Suicide a permis d’inclure, entre 1993 et 2006, tous les sujets admis à l’hôpital général d’Oxford pour tentative de suicide qui présentaient également un problème de consommation de substances et qui ont passé un entretien d’évaluation psychosociale (Haw et Hawton, 2011renvoi vers) (tableau 9.IIIrenvoi vers) : 11 426 patients de 15 ans et plus. Les données sur l’usage problématique de substances, défini comme un usage causant du désarroi et/ou contribuant à la tentative de suicide, étaient disponibles pour 9 248 sujets. L’usage problématique concernait 8,7 % des sujets (805), 13,5 % des hommes et 5,3 % des femmes. Les données sur le mésusage étaient disponibles pour 8 690 sujets. Le mésusage concernait 1 434 sujets (16,5 %), 24,7 % des hommes et 19,9 % des femmes. Pour 136 sujets (1,6 %), la substance était une benzodiazépine et pour 14 (0,2 %) un barbiturique.
Une autre étude menée dans six hôpitaux de Glasgow et Dundee, en Écosse, dans le but d’identifier le rôle de la méthadone dans les surdoses non fatales a inclus 33 sujets entre mai 1997 et juin 1998 (Neale, 2000renvoi vers). Leur âge moyen était de 26 ans (étendue 18-36) et ils comprenaient 21 hommes (64 %). Un traitement par méthadone était prescrit à 21 sujets, cinq en avaient reçu dans le passé (dose moyenne=65 mg, étendue=30-110), et 16 en avaient ingéré au cours de la surdose (dose moyenne=110 mg, étendue=35-1 000), toujours associée à d’autres substances. Les auteurs ont distingué quatre sous-groupes. Le premier groupe comprend 13 sujets qui avaient associé leur traitement par méthadone à d’autres substances (non précisées) (dose moyenne=72 mg ; étendue=45-110) : neuf surdoses intentionnelles et quatre accidentelles. Dans le deuxième groupe, trois sujets avaient ingéré la méthadone d’un autre et d’autres substances : une surdose intentionnelle et deux accidentelles. Huit sujets n’avaient pas pris leur méthadone prescrite ce jour-là mais des substances illicites (dose moyenne prescrite de méthadone=52 mg ; étendue=30-65) : deux surdoses intentionnelles et six accidentelles. Dans le dernier groupe, neuf sujets n’avaient pas ingéré de méthadone mais souhaitaient recevoir un traitement par méthadone : deux surdoses intentionnelles et sept accidentelles. Ainsi, pour les auteurs, le mésusage de méthadone est un facteur de risque important de conduites suicidaires. La limite majeure de cette étude est son caractère uniquement descriptif.
Une étude prospective a inclus toutes les intoxications survenues à Oslo (Norvège) entre avril 2003 et mars 2004 (Hovda et coll., 2008renvoi vers) : 3 025 intoxications, 947 hospitalisations chez 780 sujets. L’âge médian des sujets est de 36 ans (étendue 6-89). Un peu plus de la moitié était des femmes (54 %). Les substances utilisées étaient les benzodiazépines (18 %), l’alcool (17 %), le paracétamol (12 %), les opioïdes (7 %) et le GHB (gamma-hydroxybutyrate) (7 %). Les hommes utilisaient plus souvent l’alcool et les substances illicites, les femmes plus souvent les médicaments psychotropes (benzodiazépines ; neuroleptiques ; zopiclone ; antiépileptiques). Pour 29 % des hospitalisations, il existait une intention suicidaire (31 % des femmes et 25 % des hommes). Les benzodiazépines étaient incriminées dans 41 % des tentatives de suicide, l’alcool dans 11 %, les neuroleptiques dans 50 %, les antidépresseurs tricycliques dans 50 %, les antidépresseurs sérotoninergiques dans 47 % et les autres antidépresseurs dans 42 %. Cette étude ne permet cependant pas de distinguer les médicaments psychotropes faisant l’objet d’un mésusage.
Le système DAWN (Drug Abuse Warning Network) est un système de surveillance de santé publique qui enregistre toutes les consultations dans les services d’urgences américains et tous les décès impliquant des substances, afin d’évaluer l’impact de l’usage, du mésusage et de l’abus de substances2 . Ce système est sous la responsabilité de la Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA). Un rapport s’est intéressé aux intoxications médicamenteuses volontaires à but suicidaire chez les adolescents âgés de 12 à 17 ans (SAMHSA/OAS, 2010arenvoi vers). En 2008, 263 871 consultations aux urgences ont impliqué des substances chez les adolescents, dont 23 124 (8,8 %) correspondaient à une tentative de suicide. Parmi les substances impliquées dans les tentatives de suicide, on retrouve les anxiolytiques (26,2 %) dont la moitié était des benzodiazépines (12,6 %), les antalgiques opioïdes (5,1 %) et les psychostimulants (1,5 %). Dans la même année, 3 224 014 consultations aux urgences étaient liées aux médicaments chez les sujets de 25 ans et plus, dont 138 108 (4,3 %) étaient des tentatives de suicide (SAMHSA/OAS, 2010brenvoi vers). Un tiers de ces intoxications volontaires impliquaient également l’alcool (32,8 %), la cocaïne (12,3 %) et le cannabis (7,2 %). On retrouve parmi les psychotropes incriminés les anxiolytiques (45,3 %) avec une majorité de benzodiazépines (33,6 %) et les antalgiques opioïdes (14,4 %). Dans un autre rapport (SAMHSA/OAS, 2004arenvoi vers), les consultations aux urgences dans lesquelles sont impliquées des benzodiazépines, entre 1995 et 2002, ont été étudiées. En 2002, 100 000 consultations aux urgences ont impliqué des benzodiazépines. Elles représentaient le type de médicament le plus fréquemment identifié avec une augmentation de 41 % entre 1995 et 2002 (contre 31 % d’augmentation pour les visites impliquant une substance). Plus des trois-quarts (78 %) des consultations impliquaient au moins deux substances. Les benzodiazépines étaient le plus souvent associées à l’alcool (33,1 %), des substances illicites (cannabis 14,8 %, cocaïne 13,9 %, héroïne 4 %, amphétamine 3,1 %) et des antalgiques opiacés (10,5 %). Les causes sous-tendant ces intoxications ne sont pas mentionnées. Un autre rapport (SAMHSA/OAS, 2004brenvoi vers) s’est intéressé aux consultations impliquant les antalgiques opiacés sur la même période. En 2002, 16 % des consultations aux urgences impliquant des substances étaient liées à ces antalgiques (n=108 320), avec une augmentation de 20 % entre 2001 et 2002 et de 153 % entre 1995 et 2002. Près des trois-quarts de ces consultations impliquaient au moins deux substances. Les antalgiques les plus représentés étaient l’hydrocodone et l’oxycodone. Entre 1995 et 2002, des augmentations étaient observées pour l’oxycodone (512 %), la méthadone (176 %), l’hydrocodone (159 %), la morphine (116 %). La dépendance était le motif le plus fréquemment invoqué (47 %), suivie par les tentatives de suicide (22 %). Ces données, proposées par le système DAWN, en particulier les données sur les associations utilisées, permettent d’estimer l’association entre mésusage et intoxication (SAMHSA/OAS, 2010crenvoi vers). Il reste difficile d’évaluer l’association entre le mésusage de ces substances et le risque de gestes suicidaires.
Enfin, une étude française a été menée au CHU de Bordeaux entre juillet 2001 et décembre 2002, chez les sujets admis pour une intoxication médicamenteuse volontaire (Tournier et coll., 2009arenvoi vers et brenvoi vers). Parmi les 1 974 sujets inclus (2 391 hospitalisations), la plupart (88,4 %) avait ingéré un médicament psychotrope : benzodiazépines (71,6 %), antidépresseurs (24,3 %), antipsychotiques (13,5 %) et thymorégulateurs (5,1 %). La plupart de ces médicaments psychotropes augmentait le risque d’intoxication grave, définie par la survenue d’au moins un critère de gravité (hospitalisation en service d’urgences-réanimation de plus de 48 heures, intubation/ventilation, massage cardiaque externe, administration de substances vasopressives, dialyse et décès) : tricycliques (OR=5,7 ; IC 95 % [3,3-9,8]), lithium (OR=4,3 ; IC 95 % [1,6-11,6]), carbamate (OR=2,7 ; IC 95 % [1,8-4,0]), anticonvulsivants (OR=2,4 ; IC 95 % [1,4-4,3]), antipsychotique de première génération (OR=2,4 ; IC 95 % [1,7-3,5]) et inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine (OR=1,6 ; IC 95 % [1,1-2,3]). Plus d’un tiers des sujets (34,5 %) avaient utilisé des médicaments qui ne leur étaient pas prescrits. Par rapport aux sujets ayant ingéré leur propre traitement, ils avaient moins d’antécédents psychiatriques (hospitalisations, suivi ambulatoire ou tentative de suicide) et avaient ingéré moins fréquemment que les autres des antidépresseurs (OR=0,23 ; IC 95 % [0,16-0,33]), des antipsychotiques (OR=0,34 ; IC 95 % [0,21-0,59]) et des thymorégulateurs (OR=0,24 ; IC 95 % [0,09-0,63]). La fréquence d’utilisation des benzodiazépines était très forte dans les deux groupes. Il est impossible de différencier, chez les sujets qui ont utilisé des benzodiazépines qui ne leur étaient pas prescrites, ceux qui avaient reçu une prescription antérieurement, ceux qui se sont procuré ce traitement auprès d’un proche et ceux qui l’ont acheté au marché noir. Il est également difficile de distinguer un usage thérapeutique, d’un abus, d’une dépendance ou d’une intoxication en vue du suicide.

Tableau 9.III Mésusage de médicaments psychotropes chez les sujets ayant fait une tentative de suicide

Références
Population étudiée
Nombre de sujets
Moyen utilisé pour tenter de différencier usage et mésusage
Neale, 2000renvoi vers
Overdoses non fatales impliquant la méthadone
33
Association d’autres substancesOrigine de la méthadone : 3 sujets avaient consommé la méthadone d’un autre
Hovda et coll., 2008renvoi vers
Toutes les intoxications survenues à Oslo
3 025
Association d’autres substances susceptibles d’abus : les hommes utilisaient plus souvent l’alcool et les substances illicites, les femmes plus souvent les médicaments psychotropes
Tournier et coll., 2009arenvoi vers et brenvoi vers
Toutes les intoxications médicamenteuses volontaires
1 974
Origine des médicaments : 34,5 % avaient utilisé des psychotropes qui ne leur étaient pas prescrits
Système DAWN, 2004-2010renvoi vers
Tous les actes dans les services d’urgences impliquant une substance aux États-Unis
 
Association d’autres substances susceptibles d’abus : les benzodiazépines étaient le plus souvent associées à l’alcool (33,1 %), des substances illicites (cannabis 14,8 %, cocaïne 13,9 %, héroïne 4 %, amphétamine 3,1 %) et des antalgiques opiacés (10,5 %)Motif de la consultation impliquant les antalgiques opiacés : 47 % de dépendance
Haw et Hawton, 2011renvoi vers
Tous les sujets hospitalisés pour tentative de suicide et qui ont un problème de consommation de substances
11 426
Définition d’un usage problématique : 8,7 % Mésusage (non défini) : 16,5 % avec mésusage de benzodiazépine (1,6 %) et de barbituriques (0,2 %)
En conclusion, il semble exister une association entre mésusage de médicaments psychotropes et conduites suicidaires. Néanmoins, peu d’études se sont consacrées à ce sujet et leur méthodologie variable ne permet pas de caractériser cette association. Les différentes substances sont souvent confondues en un unique groupe et l’usage est rarement distingué du mésusage, lui-même exceptionnellement défini. Il s’agirait d’avérer cette association, de préciser les médicaments et les modes d’usage en cause, ainsi que les conduites dont le risque est augmenté.

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