2011


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ANALYSE
Au cours des dernières décennies, des travaux scientifiques de plus en plus nombreux ont abordé la question du stress au travail et des instruments d’évaluation sont apparus, fondés sur plusieurs concepts et modèles. Ces instruments ont eux-mêmes évolué au cours de la décennie 2000 avec l’apparition ou la prise en compte de nouveaux concepts. On parle aujourd’hui de facteurs psychosociaux au travail, cette notion est probablement plus représentative de la multiplicité et de la diversité des facteurs de stress rencontrés en milieu de travail. Ces facteurs recouvrent les contraintes psychologiques, sociales et relationnelles dérivées de l’organisation du travail, englobant ainsi toutes les expositions professionnelles qui ne relèvent pas d’agents physico-chimiques.
En 2009, le Collège d’expertise sur le suivi statistique des facteurs de risques psychosociaux au travail (rapport intermédiaire) réuni à la demande du ministère du Travail a proposé six dimensions pour explorer les problématiques existantes ou émergentes sur les facteurs de risque psychosociaux au travail. Trois de ces dimensions recoupent largement les concepts anciens : les exigences au travail, l’autonomie et les marges de manœuvre, les rapports sociaux et relations au travail. Les trois autres, à savoir les exigences émotionnelles, les conflits de valeur et l’insécurité d’emploi permettent de compléter la description des expositions à des facteurs psychosociaux et sont particulièrement pertinentes chez les non-salariés (indépendants).
En 2007, selon l’enquête Emploi de l’Insee, les travailleurs non-salariés constituaient environ 11 % de la population active. Cette population se caractérise par sa grande hétérogénéité et une variabilité d’effectifs des différentes catégories dans le temps. On retrouve dans cette population, outre les exploitants agricoles et les aides familiaux, les artisans et commerçants, certains chefs d’entreprise, les professions libérales (réglementées ou non), des professions intermédiaires de la santé et du travail social. L’émergence de nouveaux statuts, le cumul d’activités salariées et non-salariées viennent également brouiller la segmentation entre travailleurs salariés et indépendants. Au sein même des différentes catégories, il peut y avoir des groupes aux caractéristiques de travail très variées comme par exemple celui des employeurs qui regroupe des PDG salariés de leur propre entreprise dont la taille peut être considérable et des employeurs de quelques salariés. Les métiers exercés par les non-salariés sont donc très divers et les conditions de travail d’un agriculteur exploitant et d’un avocat sont très éloignées. Les indépendants partagent néanmoins quelques points communs tels que l’absence de subordination salariale et les horaires de travail étendus.
Chez les indépendants, certains métiers sont plus touchés par des problèmes de santé que d’autres comme en témoigne le nombre des affections de longue durée (ALD) d’après les données du Régime social des indépendants (RSI). Au sein de la population masculine, la prévalence des ALD est plus élevée dans le secteur des transports, de l’alimentation et de la restauration, et de la construction. Elle est nettement en dessous de la moyenne pour les professions libérales et les autres artisans et commerçants.
Au terme de l’analyse et de la synthèse de la littérature internationale sur le stress au travail chez les indépendants, et en s’appuyant sur celle beaucoup plus abondante qui se rapporte aux salariés, plusieurs axes de recommandations peuvent être énoncés sur la base des connaissances acquises. Un consensus général émerge sur la nécessité d’inclure la prévention du stress et des risques psychosociaux dans le cadre de la prévention générale des risques professionnels. De même, promouvoir une approche globale de la santé et du bien-être des travailleurs indépendants incluant communauté, contexte, organisation, environnement et politiques de santé apparaît aujourd’hui indispensable à développer en conjonction avec les autres approches.

Politique globale et actions de prévention

La prévention du stress et des risques psychosociaux est pour les salariés du régime général de sécurité sociale, intégrée à la prévention des risques professionnels, ce qui devrait contribuer à la pérenniser au sein des entreprises. Il revient à l’employeur d’évaluer les risques professionnels qui incluent les risques psychosociaux et de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des salariés et protéger leur santé. Ces obligations concernent la santé physique mais également la santé mentale. Le « Plan santé au travail » de 2010-2014, élaboré par la Direction générale du travail (DGT), met l’accent sur la prévention du stress au travail et des risques psychosociaux. Par ailleurs, dans un plan d’urgence en octobre 2009, la DGT a incité les entreprises françaises de plus de 1 000 salariés à négocier des accords paritaires de prévention du stress et les PME et TPE à mettre en place une politique d’information.
Il conviendrait de profiter de cette dynamique pour étendre la prévention des risques professionnels aux travailleurs indépendants exclus du système de médecine du travail, les services de santé au travail ne couvrant que les salariés.

Mettre en place un système de reconnaissance de maladies professionnelles et un référent santé-sécurité pour les indépendants

La notion de maladie professionnelle, apparue en 1919 dans le Code de sécurité sociale, a donné lieu à une liste des maladies indemnisables qui s’est progressivement complétée au fil des années. Les services de médecine du travail pour les salariés ont vu le jour en 1942. Récemment, une tertiarisation de plus en plus massive du monde du travail a contribué à l’apparition de nouvelles contraintes psychosociales.
L’absence de système de reconnaissance des maladies professionnelles chez les indépendants s’associe à une absence de système d’évaluation permettant de mesurer l’ampleur du problème. La connaissance sur les accidents du travail est également très parcellaire. Il est probable cependant que les risques professionnels auxquels sont soumis les indépendants recouvrent en partie ceux des salariés.
Le groupe d’experts recommande de mettre en place un système de reconnaissance des maladies professionnelles et des accidents du travail pour les travailleurs indépendants. À coté de la liste commune des maladies professionnelles, il conviendrait d’identifier les maladies liées aux spécificités des secteurs d’activité des indépendants.
Le groupe d’experts préconise d’avoir en premier lieu un référent « santé-sécurité » au niveau du régime RSI, pour développer une politique générale de prévention chez les indépendants. Ce référent pourrait avoir une mission de conseil pour mettre en place cette politique générale et pour structurer et animer un réseau. Une déclinaison par région et par famille de métiers (restauration/hôtellerie, bâtiment, santé...) serait souhaitable dans le cadre de cellules de prévention pluridisciplinaires afin de répondre au plus près à la demande des indépendants.

Privilégier la prévention primordiale et primaire

En termes d’action de prévention des risques liés aux facteurs psychosociaux, deux grandes familles d’interventions peuvent être envisagées : celles qui agissent en amont sur les facteurs organisationnels et les contraintes du travail (prévention primordiale et primaire) et celles qui s’adressent aux individus pour renforcer leur capacité à résister au stress ou pour traiter les maladies liées au stress et retourner au travail (prévention secondaire et tertiaire).
Les facteurs liés à l’organisation du travail recouvrent les aspects structurels liés aux tâches à accomplir et à l’organisation (la façon dont les processus de travail sont structurés et gérés) y compris les contraintes temporelles (la nécessité d’effectuer des tâches dans des délais courts ou en prenant des risques). La prévention primordiale consiste à prévenir l’apparition des contraintes. Elle est néanmoins particulièrement difficile à mettre en œuvre dans les métiers avec des contraintes inhérentes à l’activité elle-même (par exemple exposition à la souffrance ou la mort pour les professionnels de santé ou travailleurs sociaux). Quand les contraintes inhérentes au métier ou organisationnelles sont déjà présentes et qu’elles débordent les ressources des travailleurs, il s’agit de les réduire par une prévention primaire avant l’apparition des premiers symptômes de stress chronique.
Des facteurs organisationnels sont communs aux salariés et non-salariés dans le même milieu de travail et d’autres sont communs à toutes les catégories d’indépendants (grande quantité de travail, difficultés à concilier travail/vie personnelle, précarité de l’emploi...). Certaines contraintes sont propres aux professions libérales et artisans/commerçants : relations avec le public et exposition aux violences externes. Pour plusieurs professions libérales (médecins, infirmiers, avocats), l’exposition à la souffrance et à la mort constitue une caractéristique spécifique.
Dans le cadre de la prévention primordiale et primaire, le groupe d’experts recommande d’identifier et d’évaluer les facteurs d’organisation du travail et des contraintes spécifiques par métier ou groupe de métiers. Sur la base de cette évaluation, il préconise de proposer un plan de prévention des risques psychosociaux selon chaque métier ou groupe de métiers. Il préconise d’étendre à l’employeur indépendant les contrats de prévention pour l’aménagement des postes de travail présentant des risques particuliers, par exemple l’aménagement d’un poste de travail protégeant de la violence des usagers.

Développer une prévention secondaire et tertiaire adaptée à la situation des travailleurs indépendants et aux différents métiers

La prévention secondaire s’adresse à des travailleurs déjà soumis à un état de stress chronique ; elle vise à inverser, réduire ou ralentir la progression des maladies liées au stress chronique et à accroître les ressources individuelles pour faire face au stress perçu.
La prévention tertiaire s’adresse aux personnes déjà atteintes de différentes pathologies liées au stress chronique (troubles anxio-dépressifs, troubles musculosquelettiques (TMS), pathologies cardiovasculaires...). Il s’agira alors d’éviter que l’état de santé de ces personnes ne se détériore davantage. La prévention tertiaire vise également à favoriser le retour au travail après une tentative de suicide, une dépression ou une absence de longue durée pour maladie cardiovasculaire ou TMS liés au travail.
S’il ne semble pas exister de pathologies propres aux indépendants, la structure des métiers parmi les non-salariés fait que certains risques sont particulièrement présents. Plusieurs problèmes de santé (allergies, TMS, accidents...) peuvent conduire à l’abandon du métier (allergies dans le secteur de la boulangerie, accidents dans le bâtiment...), ce qui peut constituer une source importante d’inquiétude dans des métiers où la reconversion présente un coût psychologique et économique élevé. En outre, l’isolement, les responsabilités économiques, les horaires de travail excessifs particulièrement présents chez les indépendants pourraient être source de stress et faciliter l’apparition des pathologies associées au stress chronique.
Le groupe d’experts recommande des actions de prévention secondaire et tertiaire, centrées sur les risques psychosociaux présents chez les travailleurs indépendants. Les actions collectives ou basées sur les métiers devraient être privilégiées. Il attire l’attention sur la nécessité de suivre en particulier l’état de santé des nouveaux indépendants qui présentent un cumul de risques au cours des premières années de leur installation.
Le groupe d’experts préconise la participation du RSI au dispositif de consultations de pathologies professionnelles ainsi qu’aux consultations « souffrances au travail » pour les indépendants. Il recommande de tester également la participation à ces dispositifs de médecins généralistes formés à la prévention secondaire et tertiaire des risques psychosociaux. Un objectif pourrait être aussi d’envisager pour les travailleurs indépendants des temps partiels thérapeutiques pour permettre le maintien dans l’emploi et le retour plus facile au travail.

Actions d’information et de formation

Il n’existe pas actuellement d’institutions dédiées à la prévention des risques psychosociaux chez les indépendants. Néanmoins, des « réseaux professionnels » existants peuvent être des vecteurs de diffusion d’informations, d’actions de prévention et de protection vis-à-vis des risques du travail.

Développer des actions d’information et d’échanges sur les pratiques professionnelles

Le recours aux structures collectives déjà existantes (chambres de commerce et d’industrie, syndicats, ordres professionnels...) apparaît comme indispensable. Au plan collectif, les expériences rapportées dans les secteurs de la restauration ou de l’agriculture pourraient servir d’exemples.
Ces vingt ou trente dernières années suivant les pays, se sont développées des catégories nouvelles de travailleurs autonomes moins intégrés dans les réseaux sociaux. Pour les moins qualifiés d’entre eux, il y a alors cumul des inconvénients du salariat (forte subordination) et de l’indépendance (insécurité économique) ; cumul potentiellement générateur d’un stress d’autant plus difficile à prévenir que les réseaux sociaux ou institutionnels qui pourraient être vecteur d’action de santé publique font défaut.
Afin de réduire l’isolement de certains travailleurs indépendants, le groupe d’experts recommande d’encourager leur regroupement par métiers pour faciliter des actions d’entraide et de coopération permettant de réduire les situations d’incertitude et de concurrence face au marché. Des associations et coopérations dédiées aux aspects économiques et professionnels (chambres de métiers, artisanat, commerce, associations, ordres et syndicats professionnels) peuvent être des vecteurs d’échanges sur les pratiques professionnelles et de réflexion sur les risques psychosociaux liés aux pratiques inadaptées.
Dans un contexte socio-économique en évolution, le groupe d’experts préconise de promouvoir une réflexion prospective sur l’employabilité et la formation pour faire face aux restructurations du monde du travail.

Développer des actions de formation sur les risques professionnels incluant les risques psychosociaux

Les structures responsables de la formation professionnelle (centres de formation d’apprentis, écoles professionnelles, lycées professionnels...) peuvent être sollicitées pour dispenser une information et une formation sur les risques professionnels en général incluant les risques psychosociaux. De même, les régimes et caisses de santé principales et complémentaires, la médecine libérale généraliste, la presse spécialisée peuvent être impliqués dans l’information et la formation continue.
Le groupe d’experts recommande d’inclure les risques professionnels dans la formation initiale et continue des métiers. L’information et la formation pourraient être également destinées au conjoint qui est très souvent une aide chez les indépendants. Le groupe d’experts recommande d’inclure un volet « santé au travail » dans l’aide à la création d’entreprise.

Recherches avec des outils adaptés aux indépendants

L’analyse de la littérature met en lumière le manque de données sur le statut, les trajectoires, le rapport au travail des indépendants et en conséquence une difficulté à identifier les facteurs psychosociaux à l’origine de stress et de pathologies de même qu’à évaluer l’exposition à ces facteurs de cette catégorie de travailleurs.

Mieux définir les différents aspects du statut et des trajectoires des indépendants

Il s’agit de mieux connaître le contexte des trajectoires professionnelles qui conduisent au statut de travailleur indépendant et d’explorer les notions de choix de métier (facteurs économique, patrimonial, familial, migratoire, santé, genre, âge...), de parcours professionnels et de décrire les allers-retours entre les statuts d’indépendant et de salarié.
Le groupe d’experts recommande d’approfondir les notions d’indépendance et d’autonomie appliquées généralement aux indépendants et de voir leur validité dans le contexte actuel, de même que la question du statut social et celle particulièrement prégnante des revenus et de l’argent, les notions de liberté et de plaisir au travail.

Promouvoir des études sur le rapport subjectif au travail chez les indépendants

Les différentes catégories de travailleurs indépendants n’ont pas le même rapport subjectif au travail. Il s’agit d’explorer les questions de la reconnaissance, du besoin de transmission de valeurs et d’un patrimoine, des règles de l’art et de métier, de ce que représente pour eux le travail bien fait, la possibilité de se projeter au-delà du temps immédiat, la notion de responsabilité et de sécurité. Il serait particulièrement important d’étudier ces questions dans le cadre du phénomène de développement des nouveaux indépendants.
Par ailleurs, il s’agit de comprendre comment on fait pour « tenir » face aux contraintes externes, et d’appréhender le risque de solitude, les stratégies défensives pour faire face à la souffrance (comme les conduites addictives), le risque de confusion entre la vie professionnelle et la vie personnelle.
Le groupe d’experts recommande de mobiliser plusieurs champs disciplinaires (sociologique, psychologique, psychodynamique...) pour comprendre le rapport subjectif au travail des différentes catégories de travailleurs indépendants et les déterminants qui le construisent afin de dégager des éléments utiles pour élaborer des outils adaptés aux enquêtes et à la prévention.

Mieux identifier les sources de stress chez les travailleurs indépendants

Certains facteurs, notamment une forte demande psychologique, un faible soutien social, certaines formes de violence et d’insécurité, et un temps de travail excessif semblent être communs à la population des indépendants. Néanmoins, il faut souligner la diversité des métiers et des situations sociales qui les caractérisent.
Il est important de mieux identifier les sources de stress chez les travailleurs indépendants. Pour cela, il est nécessaire de définir et clarifier les différentes catégories de travailleurs indépendants, ainsi que leurs statuts. Il conviendrait également de mieux connaître les contraintes spécifiques de ces différentes catégories et de prendre en compte les conditions d’exercice de la profession, le contexte de travail, les rapports au métier et les évolutions des métiers.
Le groupe d’experts recommande d’établir une base de données à partir de différentes sources (enquêtes, données administratives, données sur les accidents...) sur les pratiques professionnelles susceptibles de générer du stress et de mauvaises conditions de vie professionnelle et privée.

Améliorer les connaissances sur la santé des indépendants et les liens avec les facteurs de stress

Les indépendants sont exposés à des risques professionnels communs avec les salariés ou spécifiques à leur statut d’indépendant. Les études épidémiologiques menées sur la santé des indépendants sont largement insuffisantes. Quelques données françaises permettent de décrire la santé mentale (morbidité et mortalité) des indépendants et de la comparer à celle des populations salariées. Cependant, les descriptions ne sont jamais très précises et correspondent généralement au premier niveau de nomenclature des secteurs et des professions et, dans de rares cas au second niveau. Il importe également de connaître la prévalence et l’incidence des affections cardiovasculaires, des TMS ainsi que des facteurs et comportements à risque pour la santé dans le groupe des indépendants et dans les sous-groupes qui le composent pour permettre la comparaison avec d’autres groupes socioprofessionnels.
Il faudrait également déterminer si la relation existant chez les salariés entre facteurs de stress et santé (santé cardiovasculaire et santé mentale en particulier...) se retrouve chez les indépendants ainsi que dans les différents sous-groupes d’indépendants. Ces études devraient porter en particulier sur les facteurs émergents tels que l’insécurité, les exigences émotionnelles, le nombre d’heures travaillées et le déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Le groupe d’experts recommande de mener des études spécifiques sur les contraintes et la santé par métiers en ciblant notamment ceux qui restent encore peu étudiés (commerce de proximité, bâtiment et travaux publics, hôtellerie/restauration...) et les métiers très exposés au public avec des exigences émotionnelles importantes (par exemple, services à la personne). Par ailleurs, il est important d’identifier selon les métiers les facteurs de protection pour la santé liés au maintien dans le statut d’indépendant (réseau social et professionnel, formation initiale et continue...).

Adapter les outils d’évaluation aux indépendants dans les enquêtes nationales

La littérature disponible concerne essentiellement les travailleurs salariés. Par ailleurs, les outils utilisés dans les différentes enquêtes ont été élaborés pour évaluer l’exposition des personnes aux facteurs psychosociaux au travail et ses conséquences sur la santé dans un contexte de travail salarié.
Pour mener des études épidémiologiques chez les indépendants et développer des enquêtes nationales incluant ces travailleurs, il est nécessaire d’adapter les outils existants de mesure d’exposition aux facteurs psychosociaux au travail (questionnaires de Karasek, Siegrist...). Ces outils, développés pour des populations salariées, ne se révèlent pas forcément bien adaptés aux populations d’indépendants. Il est important de concevoir des questions relatives aux contraintes spécifiques des indépendants en lien avec les sources potentielles de stress. Par exemple, ces questions pourraient appréhender l’insécurité économique, la dépendance vis-à-vis des clients, les rapports avec les pairs (la pression de la concurrence), les relations avec les salariés (notamment le sentiment de responsabilité en matière d’emploi).
Les nouveaux indépendants cumulent les contraintes classiquement retrouvées chez les salariés avec celles des indépendants. Il est important de connaître les raisons qui font que certains y trouvent des opportunités de développement personnel et de meilleurs revenus tandis que d’autres sont au contraire fragilisés ou précarisés.
Il apparaît nécessaire de comparer les contraintes des salariés et des non-salariés au niveau de plusieurs dimensions et d’avoir une meilleure appréhension de la situation des non-salariés à l’aide de questions spécifiques. Ces questions spécifiques devraient porter entre autre sur l’autonomie réelle. Au sein des indépendants, il convient de distinguer, dans les enquêtes, les nouveaux indépendants par des critères économiques et juridiques.
Le groupe d’experts recommande de développer des items pertinents pour recueillir des informations sur les contraintes des indépendants, dans un premier temps dans des enquêtes spécifiques dans ces populations, puis, dans un deuxième temps d’assurer leur intégration dans les enquêtes épidémiologiques nationales « santé-travail », et dans les dispositifs de suivis statistiques.

Préciser les interactions entre différents types de facteurs de risque

Il serait intéressant de savoir si les mêmes « métiers » ont les mêmes effets au niveau musculosquelettique, cardiovasculaire et psychique selon que les travailleurs sont salariés ou indépendants. Il est admis par exemple que les facteurs psychosociaux au travail jouent un rôle dans les TMS ; cependant, entre salariés et indépendants, ces expositions psychosociales (et, en amont, les conditions d’organisation du travail) sont bien différentes. Ces questions portent sur la survenue des troubles, mais aussi sur leur évolution. Concernant les conséquences de la présence de problèmes chroniques, des questions analogues se posent car les « réponses » (arrêt de travail, recours aux soins) que peuvent apporter les salariés et les indépendants sont différentes.
L’examen de la littérature sur le stress et les diverses affections (TMS, cardiovasculaires, santé mentale...) met en évidence l’intérêt qu’il y aurait à mieux préciser les hypothèses sur les effets conjoints d’une exposition aux facteurs psychosociaux et aux autres facteurs (physiques, chimiques...) y compris l’interaction de ces facteurs de risque professionnels avec les facteurs individuels, et à en tenir compte dans les analyses. En effet, de nombreux travaux mettent « sur le même plan » ces différents types de facteurs de risque sans prendre en compte les hypothèses qui relèveraient plus d’effets d’interaction entre ces différents facteurs que d’effets propres des expositions psychosociales. Dans le même temps, il faudrait tenir compte de l’intervention des facteurs d’organisation du travail et du statut de l’indépendant.
Le groupe d’experts recommande d’aborder, dans les études, les interactions entre les facteurs psychosociaux et les autres types de facteurs de risque et cela en comparaison avec les données chez les salariés.

Prévoir des études d’évaluation (y compris économique) des interventions de prévention

L’essai contrôlé randomisé représente encore aujourd’hui le modèle de référence pour l’évaluation des interventions de prévention du stress au travail, en particulier dans les pays anglo-saxons. Pour certains, ce type d’essai est peu adapté aux évaluations des interventions en milieu du travail dans les domaines des actions sociales. Des méthodologies qui combinent des évaluations quantitatives et qualitatives fondées sur les sciences sociales pourraient être plus compatibles.
Enrichir les connaissances sur les interventions les plus coût-avantageuses permettrait de promouvoir des choix raisonnés parmi les différents types d’intervention envisageables et contribuerait sans doute à développer les initiatives dans ce sens. L’analyse des études disponibles dans la littérature met en avant un certain nombre de points à améliorer pour que ces recherches puissent servir d’outil d’aide à la décision de politiques de prévention.
Les effets de l’intervention peuvent être mesurés dans une évaluation économique sans pour autant que celle-ci soit monétarisée. En effet, les études coût-efficacité peuvent mesurer par exemple le coût d’une intervention par cas de maladie évitée. La monétarisation des effets ne devrait donc pas constituer d’obstacle à l’élaboration d’analyses coût-efficacité.
Les études disponibles ne permettent pas toujours de conclure sur le caractère coût-avantageux de l’intervention étant donné le design de l’étude (absence de groupe de contrôle), ou les outils statistiques mis en œuvre (pas de test statistique de la significativité des différences de résultats entre groupe expérimental et groupe témoin).
Le groupe d’experts recommande de développer des cadres méthodologiques pour l’évaluation quantitative et qualitative de l’efficacité des interventions de prévention du stress au travail (ou plus largement des risques psychosociaux) pertinents pour les contextes des milieux de travail et adaptés aux activités des indépendants.
Le groupe d’experts préconise de promouvoir des recherches respectant les guides de bonnes pratiques de l’évaluation économique appliquées à la santé au travail.
Parmi les études économiques d’interventions en santé au travail disponibles dans la littérature, une grande partie porte sur les troubles musculosquelettiques et très peu sur la santé mentale et les maladies cardiovasculaires. Par ailleurs, les facteurs de risque psychosociaux comportent des spécificités par rapport aux facteurs de risque physiques qui rendent l’évaluation plus ardue. Le groupe d’experts recommande d’encourager les évaluations économiques spécifiques à la prévention des risques psychosociaux, qui représentent un enjeu majeur à la fois financier et de santé publique.

Étudier les attitudes face aux modes d’incitation à la prévention

La question est de savoir comment inciter les travailleurs indépendants à promouvoir la prévention du stress sur le lieu de travail, un thème très peu étudié dans la littérature. Cette analyse pourrait faire le lien entre plusieurs dimensions : les spécificités des différentes catégories d’indépendants dans leur rapport au travail et à la santé (dimension sociologique), la réglementation sur la contribution financière des indépendants au système d’assurance du risque professionnel selon leur statut (chef d’entreprise, profession libérale, artisan, commerçant...) (dimension juridique), et les différents modes d’incitation financière qui jouent sur les comportements d’arbitrage de ces agents économiques vis-à-vis de la prévention sur le lieu de travail selon leur catégorie (dimension économique).
Le groupe d’experts préconise une étude interdisciplinaire pouvant permettre de mieux décrire les marges de manœuvre et les leviers d’action pour promouvoir la prévention du stress au travail, en tenant compte de la grande hétérogénéité des motivations et des systèmes d’incitation des travailleurs indépendants. Une étude pilote sur l’efficacité d’une incitation financière à la prévention (type contrat de prévention des Carsat, Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) pourrait être initiée.

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