2011


ANALYSE

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Impact socio-économique de l’interdiction du téléphone au volant

Les analyses économiques concernant la sécurité routière sont peu nombreuses en France. Longtemps, l’économie de la sécurité routière s’est réduite à une évaluation qualitative et grossièrement quantitative des coûts en jeu dans la sécurité routière (Le Net, 1992renvoi vers; Boiteux et coll., 1994renvoi vers; Quinet, 2000renvoi vers; Boiteux et Baumstark, 2001renvoi vers; Circulaires du ministère de l’Équipement dont celle de 2005renvoi vers).
À l’exception de quelques travaux réalisés pour la plupart au sein de l’Inrets (par exemple Jaeger, 1997renvoi vers; Carnis, 2001renvoi vers; Dahchour, 2002renvoi vers; Lahatte et coll., 2007renvoi vers), l’essentiel des travaux en matière d’économie de la sécurité routière réalisés en France jusque récemment ont porté sur le dénombrement du nombre de morts et de blessés et sur la valorisation de la vie humaine et des blessés (graves ou légers) afin d’intégrer cette dimension dans les analyses de rentabilité des infrastructures de transport. Il s’agissait d’une approche en termes de calcul économétrique appliqué notamment à la rentabilité économique des projets d’infrastructures (Maurice et Crozet, 2007renvoi vers).
Aucune recherche n’a été effectuée à ce jour en France sur l’impact socio-économique d’une interdiction de l’usage du téléphone au volant. Pourtant, le coût de l’insécurité routière est tel qu’une évaluation socio-économique de toutes les mesures susceptibles de le réduire est plus que justifiée. Ainsi le coût de l’insécurité routière est estimé pour la France, sur la base des valeurs tutélaires, à 23,7 milliards d’euros pour 2009, dont 10,7 pour les accidents corporels (Onisr, 2010renvoi vers), et le coût des dommages est estimé pour l’Europe à 2 % du produit intérieur brut de l’Union Européenne par Baum et coll. (2010renvoi vers), ce qui est dans la moyenne des pays développés (Connelly et Supangan, 2006renvoi vers). Une évaluation de l’impact économique d’une interdiction du téléphone au volant se justifie également au regard des conséquences potentielles pour les opérateurs de téléphonie mobile qui ont réalisé un chiffre d’affaires de 22,7 milliards d’euros en 2008, soit 1,1 % du PIB de la France, ou pour les ménages pour qui le mobile, tous services confondus, pèse en moyenne 1,4 % du budget (Idate Consulting and Research, 2009renvoi vers).
De fait, les rares travaux réalisés sur l’évaluation des mesures prises pour lutter contre l’usage du téléphone au volant ont été menés dans les pays anglo-saxons (États-Unis, Canada, Australie). La question de l’évaluation de la pratique liée aux kits mains-libres n’est que peu abordée en tant que telle dans ces travaux qui reprennent simplement les résultats des études comportementales (Redelmeier et Tibshirani, 1997renvoi vers ; Strayer et coll., 2006renvoi vers) qui ne montrent pas que le téléphone mains-libres est plus sûr que le téléphone à la main. Toutefois, Hahn et Prieger (2005renvoi vers), à la suite de Hahn et Dudley (2002renvoi vers), estiment que la littérature fait trop facilement un lien entre usage du téléphone et accidents et qu’il faut décorréler d’autres facteurs, tels que l’âge, le genre, la puissance ou la taille du véhicule... S’appuyant sur une étude de 7 000 personnes ayant donné des informations sur leur utilisation du téléphone et leurs accidents, ils trouvent un risque relatif de 1,4 très inférieur au risque relatif de Redelmeier et Tibshirani (1997renvoi vers) abondamment repris par la littérature, mais le risque mesuré n’est pas exactement le même. Ils trouvent même un risque relatif de 0,73 pour les utilisateurs de téléphone mains-libres. Au final, ils montrent qu’une interdiction du téléphone mains-libres ne conduit pas à une réduction statistiquement significative du nombre d’accidents.
Cependant, même en ne parant pas le téléphone mains-libres de vertus supplémentaires par rapport au téléphone tenu à la main, ce qui est l’hypothèse la plus communément acceptée, Redelmeyer et Weinstein (1999renvoi vers) concluent qu’une restriction sélective au téléphone à la main et pas au téléphone mains-libres donnerait des coûts et bénéfices plus faibles en valeur absolue mais un même ratio coût/efficacité.
Tous ces travaux font référence à des usages du téléphone qui évoluent rapidement, tant en volume qu’en type d’usage. Toutefois, un certain nombre d’enseignements peuvent être tirés de ces études et permettront d’orienter d’autres travaux à réaliser pour la France.

Évaluation socio-économique comme outil d’aide à la décision

L’évaluation socio-économique des projets de transports est née de la nécessité de développer des outils permettant de comparer différentes variantes d’un projet d’infrastructures entre elles et plus globalement d’évaluer son impact potentiel. Faire une évaluation socio-économique d’une mesure de sécurité routière ou plus généralement d’une mesure ou d’une politique de transport suppose de prendre en compte l’ensemble des avantages et des inconvénients liés à la mesure en question et d’en faire un bilan pour la collectivité.

Analyse coût-avantage

La méthode d’évaluation la plus couramment utilisée, tant en France qu’à l’étranger pour évaluer l’impact socio-économique d’un projet de transport, est l’analyse coût-avantage. Elle consiste à faire un bilan actualisé des gains et des pertes liés à une mesure, par exemple l’interdiction du téléphone au volant, pour tous les acteurs impliqués (usagers, entreprises, État ou collectivités locales) et prenant en compte tous les éléments monétaires (financiers) et monétarisables (temps, sécurité, bruit et pollution). Pour répondre en partie aux critiques faites à l’analyse coût-avantage, notamment le fait de produire des indicateurs agrégés, Van Malderen et Macharis (2010renvoi vers) proposent le développement d’analyses de type Mamca (Analyse multi-acteurs multi-critères), afin d’enrichir l’analyse coût-avantage par une meilleure identification des enjeux et des acteurs et par une décomposition des indicateurs et résultats selon les enjeux et acteurs (décomposition systématique du surplus par acteur, c’est-à-dire de la différence entre les gains et les pertes pour chaque acteur, par exemple). Ils ne remettent toutefois pas en cause l’intérêt en soi de l’analyse coût-avantage comme outil d’aide à la décision.
Ainsi, sont intégrés à l’analyse coût-avantage les éléments financiers suivants : les coûts de la mesure ou de la politique (par exemple, coûts liés à la mobilisation des forces de police pour le contrôle ou coût de la campagne d’information) ; les gains ou pertes financiers pour les différents acteurs (ainsi, une interdiction du téléphone éliminerait complètement à la fois les coûts et les gains des appels pour les usagers, les dépenses du système de santé, mais également les gains des garagistes, de certains employeurs et des opérateurs de téléphonie...).
Le temps (gagné ou perdu) est monétarisé par une valeur du temps, souvent prise au niveau du salaire horaire moyen, mais pouvant varier selon plusieurs paramètres (motif du déplacement, urbain ou interurbain...). Pour une interdiction du téléphone au volant ce n’est pas tant l’impact en termes de temps de déplacement gagné ou perdu qui peut être pertinent à mesurer (sauf à penser que les appels non réalisés au volant conduisent à des temps d’arrêt du véhicule pour téléphoner augmentant ainsi le temps de parcours global) que la valeur des appels téléphoniques émis ou reçus. Toutefois, on peut également envisager l’existence de pertes de temps liées à la congestion occasionnée par des accidents du fait du téléphone au volant.
Les gains en termes de sécurité routière sont appréhendés à travers le nombre de vies humaines et de blessés (graves ou légers) épargnés, ces nombres étant valorisés par une valeur de la vie humaine (valeur estimée ou valeur tutélaire, la valeur tutélaire étant la valeur que la collectivité est prête à assumer pour économiser une vie humaine ou éviter un blessé).
Deux principaux indicateurs sont utilisés pour juger de la rentabilité socio-économique d’un projet ou d’une mesure. Le premier est la valeur actuelle nette qui est la somme actualisée (au taux d’actualisation défini par l’État, en fonction de ses capacités d’investissement, aujourd’hui de 4 % en France) de l’ensemble des avantages et inconvénients du projet ou de la mesure sur une période donnée, généralement 30 ans pour un projet d’infrastructure ou 10-15 ans pour un système embarqué dont la durée de vie n’excèdera pas cette durée. Le second est le taux de rentabilité économique, qui est la valeur du taux d’actualisation qui annule le bénéfice actualisé. Si le taux de rentabilité est supérieur au taux d’actualisation retenu par la puissance publique, le projet ou la mesure sera considérée comme intéressante pour la collectivité, d’un point de vue socio-économique.
Dans les rares travaux sur l’évaluation de l’impact du téléphone au volant (Redelmeyer et Weinstein, 1999renvoi vers; Hahn et coll., 2000renvoi vers; Cohen et Graham, 2003renvoi vers; Sperber et coll., 2009renvoi vers), le taux d’actualisation pris en compte est le même, ce qui permet la comparaison, et il est de 3 %. Ce taux de 3 % est également utilisé pour l’évaluation d’autres projets comme dans le cas d’une douzaine de systèmes de sécurité pour véhicules intelligents (Baum et coll., 2010renvoi vers). Ce taux est par ailleurs très proche du taux adopté par la France depuis 2005 qui est de 4 %. Ce taux « assez faible » donne en quelque sorte une priorité au futur ou plutôt à la « bonne » prise en compte des effets attendus dans le futur des mesures prises à un moment donné.

Évaluation socio-économique de l’insécurité routière

La question du coût ou de la valeur des accidents a donné lieu à de nombreux travaux de recherche. Le bénéfice social d’une mesure d’interdiction du téléphone au volant réside dans une diminution du nombre de morts et de blessés et dans une valorisation socio-économique de ceux-ci. Cette valorisation est effectuée sur la base de l’utilisation de valeurs attribuées à la vie humaine ou aux blessés. Ces valeurs peuvent être des valeurs tutélaires, sur lesquelles nous reviendrons, ou des valeurs estimées par différentes méthodes. Ces mêmes méthodes peuvent d’ailleurs servir également à définir les valeurs tutélaires.
Plusieurs méthodes existent pour évaluer les conséquences socio-économiques des morts et des blessés sur la route.
Une méthode couramment utilisée est la méthode du capital humain, qui vise à évaluer les pertes pour la société non seulement en coûts directs, mais également en termes de pertes de production ou de pertes non marchandes, telles que la qualité de vie. On peut ainsi distinguer les coûts humains (frais médicaux, d’ambulance et de réadaptation ; frais de santé dans la durée, pertes liées au travail, qualité de vie, coûts de remplacement de la main d’œuvre, funérailles...), les dégâts matériels de véhicules et les autres coûts (frais de gestion des sinistres pour les assurances, retards, police, autres dégâts matériels, pompiers...). Connelly et Supangan (2006renvoi vers) estiment que les coûts humains représentent plus de 56 % des coûts de l’insécurité routière en Australie en 2003, les dégâts matériels de véhicules 27 % et les autres coûts 17 %. C’est la méthode qui a été utilisée dans les évaluations recensées dans ce chapitre concernant l’interdiction du téléphone au volant.
Dans les approches en termes de capital humain, les pertes de production dues à un décès ou à des blessures graves sont perdues à tout jamais pour la société, ce qui peut conduire à une surestimation de ces coûts indirects. La méthode des coûts de friction a été proposée comme une alternative à la méthode du capital humain pour mieux approcher les pertes de production liées à l’absentéisme de courte durée (Lopez Bastida et coll., 2004renvoi vers; Connelly et Supagan, 2006renvoi vers). On parle alors de coût de friction puisque la perte d’un travailleur ne provoque que des pertes transitoires ou frictionnelles jusqu’à ce qu’un autre travailleur remplace le travailleur décédé ou blessé. À la limite, si le marché du travail est parfaitement élastique, le remplacement se fait immédiatement et les pertes de production sont voisines de zéro (Connelly et Supangan, 2006renvoi vers).
Une autre méthode d’évaluation est la méthode d’évaluation du coût d’indemnisation, c’est-à-dire ce que les sociétés d’assurance paient aux victimes. Ainsi, le coût d’indemnisation provisionné par la FFSA (Fédération française des sociétés d’assurances) en 2006 est de 3,9 milliards d’euros. Ce montant est très inférieur aux 11,6 milliards d’euros qui correspondent à la valorisation de l’insécurité routière en 2006 effectuée sur la base des valeurs tutélaires (Chapelon, 2008renvoi vers).
Ce résultat montre bien que le choix de la méthode puis des valeurs retenues pour la vie humaine et les blessés est loin d’être neutre sur le résultat des évaluations.
Pour certains auteurs, les valeurs tutélaires retenues par les États sont trop faibles et ils préconisent d’utiliser la méthode du consentement à payer, méthode qui conduit de fait le plus souvent à des valeurs plus élevées pour la vie humaine. En effet, pour Baum et coll. (2010renvoi vers) les individus sont prêts à payer des sommes très importantes pour réduire la probabilité d’une mort prématurée quel que soit leur niveau de productivité. Pour Lahatte et coll. (2007renvoi vers), cette méthode a également fait ses preuves auprès des jeunes conducteurs qui se révèlent conscients que les accidents peuvent provoquer des effets qu’ils souhaiteraient ne pas subir, puisque 84 % d’entre eux accepteraient de payer pour éviter cela, le montant du consentement à payer dépendant ensuite fortement du revenu des individus. Ce consentement à payer indique une préférence pour réduire le risque d’être blessé, voire tué dans un accident. Pour Baum et coll. (2010renvoi vers), les données disponibles semblent indiquer que ces valeurs sont fondamentalement plus élevées que le coût des dommages et ils citent notamment le chiffre de 5,7 millions d’euros par tué, calculé par des chercheurs flamands. Dans un autre cas, Wijnen et coll. (2009renvoi vers) montrent que la valeur tutélaire calculée sur la base de la méthode du consentement à payer serait d’au moins 1,6 millions d’euros (valeur 2001) aux Pays-Bas, supérieure aux valeurs prises usuellement par les États, dont la France où la valeur tutélaire de la vie humaine est de 1 million d’euros (valeur 2000).
Pour mesurer le consentement à payer, il y a essentiellement deux grandes méthodes : la méthode des préférences révélées (la valeur est déduite du comportement des individus, à travers leurs pratiques, par exemple l’achat d’un airbag) et la méthode des préférences déclarées selon laquelle les individus sont appelés à se prononcer sur la valeur qu’ils accordent à un service ou un état de santé. Les préférences déclarées sont généralement utilisées quand les données n’existent pas pour permettre une approche en matière de préférences révélées (Connelly et Supangan, 2006renvoi vers). Svensonn (2009renvoi vers) s’attache à la critique faite aux méthodes de préférences déclarées selon lesquelles le déclaratif révèle de nombreux biais et montre, en ciblant les réponses « certaines », que l’on peut resserrer la fourchette des estimations avec une valeur de la vie humaine estimée entre 2,9 et 3,1 millions d’euros en Suède. De Blaeij et coll. (2003renvoi vers) s’attachent à la question de la grande variation dans la littérature de la valeur tutélaire de la vie humaine et confirment que les méthodes de préférences révélées donnent des valeurs inférieures aux préférences déclarées.

Valeur tutélaire de la vie humaine et de son utilisation

La valeur tutélaire de la vie humaine reflète la priorité que se donne à un moment donné la collectivité, en l’occurrence l’État, pour valoriser la réduction du nombre d’accidents mortels dans les bilans socio-économiques réalisés pour les grands projets d’infrastructures. Ainsi, en France, toute mesure qui permettra d’éviter un accident de la route mortel verra son bilan monétarisé augmenter de 1 million d’euros (valeur 2000), et de 150 000 euros pour un blessé grave et 22 000 euros pour un blessé léger. Ces valeurs tutélaires ont été arrêtées après arbitrage politique et en se basant sur nombre d’études en France et en Europe pour déterminer ce que pouvait être ce coût moyen de la vie (Boiteux et Baumstark, 2001renvoi vers). Ces valeurs sont ensuite actualisées selon l’indice des dépenses de consommation des ménages.
La définition des valeurs tutélaires est au cœur des questions d’évaluation et conditionne bien évidemment les résultats mêmes des évaluations réalisées. Ainsi, Faivre d’Arcier et Mignot (1998renvoi vers) ont effectué une analyse de sensibilité du résultat en termes de taux de rentabilité d’un projet d’infrastructure de transport, en fonction d’une variation des différents paramètres pris en compte dans le calcul, ce dernier étant réalisé selon les règles des circulaires du ministère de l’Équipement de l’époque. Ils ont ainsi montré qu’une variation de plus ou moins 10 % du coût d’investissement du projet ou du coût d’usage d’une voiture avait un impact similaire, de l’ordre de plus ou moins 6 %, sur le taux de rentabilité socio-économique du projet, reflétant bien évidemment le rôle très important de ces deux paramètres dans l’économie du projet.
À l’inverse, une variation de plus ou moins 10 % des valeurs tutélaires prises pour les coûts sociaux relatifs à la sécurité routière ou à l’environnement n’avait qu’un impact très limité sur le taux de rentabilité, 0,06 % pour la pollution locale, 0,3 % pour le bruit et 0,6 % pour la valeur de la vie humaine, alors que dans le même temps l’impact d’une réduction de 10 % de la valeur du temps réduisait le taux de rentabilité de 2,6 %.
Faivre d’Arcier et Mignot (1998renvoi vers) concluaient donc en 1998 que les valeurs tutélaires prises à l’époque pour la sécurité routière et l’environnement n’étaient, en aucune mesure, susceptibles de remettre en question un projet de création d’une nouvelle infrastructure routière et qu’il aurait fallu multiplier par dix ces valeurs. On peut relever que la valeur tutélaire de la vie humaine en 2010 est de 1 million d’euros (valeur 2000), soit environ deux fois la valeur prise dans la circulaire de 1995, suite aux recommandations du rapport Boiteux (Boiteux et coll., 1994renvoi vers), c’est-à-dire 3,7 millions de francs.
Nous rejoignons ainsi Wijnen et coll. (2009renvoi vers) lorsqu’ils concluent que de prendre des valeurs tutélaires plus faibles contribue à rendre le résultat des analyses coût-avantage moins intéressant et donc à repousser des politiques de sécurité routière pourtant nécessaires et qui seraient justifiables à un niveau socio-économique avec des valeurs tutélaires plus élevées.

Du nombre de tués au nombre d’années en bonne santé

Des travaux récents développés principalement en économie de la santé permettraient de renouveler l’approche en précisant cette notion de coût moyen de la vie humaine à partir de travaux sur les indicateurs de vie et de santé (Connelly et Supangan, 2006renvoi vers; Wijnen et coll., 2009renvoi vers; Vaillant et Dervaux, 2010renvoi vers). L’objectif n’est plus seulement de décompter le nombre de vies économisées mais également d’introduire des éléments relatifs à la qualité de vie, à travers par exemple le nombre d’années de vie en bonne santé ou le nombre d’années de vie en incapacité.
Ainsi, les QALYs (Quality-adjusted life years–années de vie ajustée par la qualité) permettent d’intégrer la durée de la vie et la qualité de vie. Ce type d’approche est utile en santé pour comparer les effets de traitements ou interventions différentes en introduisant cette dimension qualité de vie après « intervention » ou sans intervention. Bien évidemment, la « valeur de l’année de vie en bonne santé » pose le même type de question que la « valeur de la vie humaine » posée par les économistes des transports et les outils à la disposition des économistes et des décideurs ne sont pas si différents lorsqu’ils sont mobilisés dans le cadre d’une analyse de type coût-avantage. L’approche par les QALYs permet par ailleurs de poser la question de la meilleure utilisation d’un budget pour réaliser une action.
Les DALYs (Disability adjusted life years–années de vie ajustées par l’incapacité) renvoient également à un dénombrement des années de vie mais ces années sont ajustées par l’incapacité. Il s’agit alors d’évaluer le nombre d’années de vie économisées ou provoquées pour un ou plusieurs niveaux d’incapacité donnés (mesurés comme une succession cumulative de handicaps).
On voit immédiatement l’intérêt que peut revêtir ce type d’approches pour la sécurité routière, dans un contexte où le nombre de morts a effectivement tendance à décroître, mais où la prise de conscience de l’enjeu des blessés est récente. Une approche type QALYs ou DALYs, appliquée à la sécurité routière et plus généralement aux décisions d’infrastructures et de politiques de transports, permettrait à n’en pas douter de renforcer le regard sur les blessés, dont les blessés graves, qui constituent un enjeu majeur en matière de sécurité routière.
Ces approches sont déjà utilisées et appliquées, notamment aux États-Unis et au Canada, pour l’évaluation d’une interdiction du téléphone au volant comme nous le verrons plus loin.

Quelques exemples d’utilisation de l’évaluation économique pour des mesures en faveur de la sécurité routière

L’analyse économique a été mobilisée pour l’évaluation économique du Contrôle sanction automatisé (Cameron et Delaney, 2010renvoi vers) ou pour en poser les bases pour la France (Carnis, 2010renvoi vers). On relèvera toutefois que ces travaux qui comparent le coût de déploiement et les avantages en matière de sécurité ne prennent pas en compte la valorisation du temps perdu par les usagers. Ainsi, si l’évaluation de l’impact du contrôle sanction automatisée a été faite en France (Onisr, 2006renvoi vers), elle ne porte toutefois que sur l’impact en matière d’accidentologie et ne vise pas une évaluation économique globale du système.
L’analyse économique est également mise au service de l’évaluation des systèmes embarqués, que ce soit en France avec l’évaluation de l’acceptabilité économique des systèmes développés au sein du projet Sari (Surveillance automatisée des routes pour l’information des conducteurs et des gestionnaires) (Deregnaucourt, 2008renvoi vers), ou en Allemagne avec une évaluation et une comparaison de différents systèmes embarqués d’aide à la conduite, comme par exemple le contrôle électronique de stabilité ou l’alerte de dépassement de vitesse (Baum et coll., 2010renvoi vers).
Lindberg et coll. (2010renvoi vers) mobilisent également une approche économique pour tester différents moyens visant à inciter les propriétaires automobiles à faire installer un dispositif électronique sur leur véhicule susceptible de les encourager à limiter leurs excès de vitesse. Ils montrent ainsi qu’une indemnité destinée à rémunérer ceux qui acceptent le dispositif, par exemple par une réduction de leur prime d’assurance, augmente la propension des automobilistes à accepter ce système.

Question économique de l’interdiction du téléphone au volant

La question spécifique du téléphone au volant est par définition récente puisque liée à l’apparition de celui-ci et à la généralisation de son usage.
La littérature internationale sur la question économique de l’interdiction du téléphone au volant est peu abondante. Ces études réalisées fin des années 1990 et début des années 2000 (Redelmeyer et Weinstein, 1999renvoi vers; Hahn et coll., 2000renvoi vers; Hahn et Dudley, 2002renvoi vers; Cohen et Graham, 2003renvoi vers) montrent qu’il n’y a pas de justification économique à l’interdiction du téléphone au volant en général (tenu à la main et mains-libres). La recherche la plus récente sur les États-Unis (Cohen et Graham, 2003renvoi vers) montre au mieux qu’il y a équilibre entre les gains (au sens de la valorisation économique des accidents évités) et les pertes (au sens de la valorisation économique des appels téléphoniques non réalisés). Toutefois, une étude réalisée sur la province de l’Alberta au Canada suggère qu’à certaines conditions une interdiction du téléphone au volant pourrait être intéressante d’un point de vue socio-économique (Sperber et coll., 2009renvoi vers).

Évaluation économique d’une loi interdisant le téléphone au volant dans la littérature anglo-saxonne

Concernant la question précise de l’évaluation socio-économique d’une interdiction de l’usage du téléphone au volant, on peut identifier essentiellement deux articles (Redelmeier et Weinstein, 1999renvoi vers; Hahn et coll., 2000renvoi vers) et un rapport (Lissy et coll., 2000renvoi vers) que l’on peut qualifier de fondateurs. Ce sont les premiers travaux sur la question, presque les seuls, et ont été réalisés à l’échelle des États-Unis. Ils ont été actualisés ou précisés (Hahn et Dudley, 2002renvoi vers; Cohen et Graham, 2003renvoi vers; Hahn et Prieger, 2005renvoi vers), puis commentés ou repris par les rares études qui ont suivi, notamment par la dernière en date de Sperber et coll. (2009renvoi vers) réalisée sur l’Alberta.
Si de nombreux articles, dont certains très récents (Blais et Sergerie, 2007renvoi vers; White et coll., 2010renvoi vers) abordent la question du lien entre téléphone portable et accidentologie et s’intéressent à la comparaison téléphone à la main et mains-libres (Strayer et coll., 2006renvoi vers), très peu abordent la question économique. Une revue de la littérature effectuée en 2007 (Brace et coll., 2007renvoi vers) sur l’usage du téléphone mobile au volant ne consacre à la question économique qu’un seul paragraphe sur 48 pages, ce paragraphe reprenant simplement les résultats des trois recherches « fondatrices ». Dans le bilan effectué par le TRB (Transportation Research Board, 2010renvoi vers) des publications présentées au TRB ou publiées par le TRB sur la distraction au volant, aucune étude recensée ne fait référence à la question économique.
De la même manière, les travaux sur l’évaluation de l’insécurité routière ou sur l’évaluation des mesures de sécurité routière ont très peu abordé la question du téléphone mobile au volant et encore moins la question de l’évaluation socio-économique du téléphone mains-libres. Faisant une revue de la littérature sur la question du bilan coût-efficacité des mesures de sécurité routière aux États-Unis, Vahidnia et Walsh (2002renvoi vers) constatent que les méthodes employées varient considérablement ainsi que les résultats, mais ils n’évoquent pas la question des facteurs et donc du téléphone. De la même manière, Connelly et Supangan (2006renvoi vers) qui analysent pour l’Australie les coûts économiques de la sécurité routière, en détaillant par type de blessure et par région, n’abordent pas la question du téléphone au volant. La tentative faite par Elvik et coll. (2009renvoi vers) de faire une analyse coût-bénéfice des recherches en sécurité routière en Suède sur la période 1971-2004, n’aborde pas la question du téléphone portable, la Suède n’ayant pas légiféré en la matière.
Enfin, d’autres travaux mettent bien en évidence un lien entre un contexte économique et les accidents de la route (Scuffham, 2003renvoi vers; Partheeban et coll., 2008renvoi vers) mais n’abordent pas non plus la question du téléphone portable au volant.

Hypothèses retenues par les études sur l’évaluation socio-économique du téléphone au volant

En ce qui concerne les gains attendus d’une interdiction de l’usage du téléphone au volant, la première étude de grande envergure effectuée en 1999 sur les États-Unis (Redelmeier et Weinstein, 1999renvoi vers) a permis ainsi d’estimer que l’interdiction, en réduisant le nombre d’accidents, permettrait des gains de 1 million de dollars par jour pour le système de santé et de 4 millions par jour pour les autres coûts financiers (frais d’assurances, taxes, retards de voyage, dommages matériels...). Sur des bases comparables, Cohen et Graham (2003renvoi vers) estiment ces gains potentiels à 35,7 milliards de dollars par an pour les États-Unis. Sperber et coll. (2009renvoi vers) pour l’Alberta, intègrent au calcul les pertes de production liées aux décès d’agents en capacité de produire, estimées à 90 000 dollars par blessé et 2,7 millions de dollars par mort.
Ces études supposent que, au-delà des risques liés à la manipulation même du téléphone, le risque incrémental d’accident est proportionnel au temps passé au téléphone, du fait des effets de distraction. La grande majorité des études (Redelmeier et Weinstein, 1999renvoi vers; Cohen et Graham, 2003renvoi vers; Sperber et coll., 2009renvoi vers) s’appuient alors sur Redelmeier et Tibishirani (1997renvoi vers) qui ne montrent pas que le téléphone mains-libres est plus sûr que le téléphone à la main et s’appuient également sur Strayer et coll. (2006renvoi vers) qui confirment. Dans ces études, le risque relatif d’accident au téléphone pris en considération est en moyenne de 4,3. Pour un temps de conduite par jour et par conducteur estimé à 60 minutes, le temps passé au téléphone a été estimé à 2 minutes par jour pour les études réalisées au début des années 2000 (Redelmeyer et Weinstein, 1999renvoi vers; Hahn et coll., 2000renvoi vers; Cohen et Graham, 2003renvoi vers) et à 3,6 minutes pour l’étude la plus récente (Sperber et coll., 2009renvoi vers). On a sans doute là une partie de l’explication de l’écart entre les résultats de Sperber et coll. et les autres études, en cela qu’ils prennent un temps d’exposition au risque deux fois supérieur, mais qui peut se justifier par un usage croissant du téléphone, cette dernière étude étant plus récente que les autres. Ce point serait toutefois à vérifier dans le cas d’une étude à réaliser pour la France.
Concernant la question de la valorisation des appels téléphoniques, la littérature s’est plutôt intéressée à la valorisation du temps passé au téléphone. Ainsi, l’étude de Redelmeier et Weinstein (1999renvoi vers) sur les États-Unis s’est référée à une valeur du temps pour les usagers de 0,47 dollar par minute, basée sur la valeur de la demande pour ce type de services (estimée sur la base de l’évolution de la demande et de la moyenne des prix du marché sur les huit années précédant la date de l’étude et reflétant l’existence d’une demande même pour des prix plus élevés constatés en début de période de référence). Ces valeurs ont simplement été réactualisées dans les études suivantes faites sur les États-Unis. La valeur totale des appels téléphoniques donnés ou reçus au volant par an aux États-Unis a ainsi été estimée à 12 milliards de dollars en 1999, 25 milliards de dollars en 2000 et 43 milliards de dollars en 2003. L’étude plus récente sur l’Alberta (Sperber et coll., 2009renvoi vers) diffère, en cela qu’elle privilégie une approche en termes d’élasticité de la demande au prix, celui-ci étant calculé à partir d’une estimation des revenus de l’industrie du téléphone portable.
À l’inverse, le coût financier des appels pour les usagers a été estimé à 0,38 dollar par minute pour les études sur les États-Unis et à 0,12 dollar par minute (valeur la plus basse de deux estimations) pour l’étude sur l’Alberta reflétant également une baisse relative du coût unitaire de la minute de communication. Une interdiction du téléphone portable conduirait donc dans ces cas à une perte pour l’industrie.
Au total, le surplus des usagers aux États-Unis, c’est-à-dire la différence entre la valeur de l’appel et le coût de l’appel pour l’usager est estimé à 0,09 dollar par minute par Redelmeier et Weinstein (1999renvoi vers) et à 340 dollars par personne et par an en moyenne par Cohen et Graham (2003renvoi vers). Le bénéfice social d’une mesure d’interdiction du téléphone au volant résidant dans une diminution du nombre de morts et de blessés est ainsi estimé à 43 milliards de dollars en moyenne pour les États-Unis par Cohen et Graham (2003renvoi vers).
On relèvera enfin deux points de méthode importants. Le premier que nous avons déjà mentionné est que les différentes études prennent un même taux d’actualisation de 3 %, valeur prenant bien en compte l’efficacité de long terme d’une mesure. Le second est relatif à l’estimation du taux d’application de la loi. Les études sur les États-Unis ont pris une hypothèse d’un taux d’application de la loi de 65 %. Sperber et coll. (2009renvoi vers) introduisent une approche probabiliste permettant de simuler le niveau de non respect de la loi ou plutôt du taux d’application de la loi. L’utilisateur « rationnel » respectera la loi si sa valeur du temps est plus faible que le montant de l’amende qu’il risque de payer en cas d’infraction. À l’inverse, une valeur du temps élevée associée à une perception du risque faible conduit à un non respect de la loi.

Impacts socio-économiques d’une interdiction du téléphone au volant

Au final, le bilan global d’une interdiction du téléphone portable au volant est estimé pour les États-Unis à un coût par QALY (année de vie ajustée par la qualité ou année de vie en bonne santé) de 300 000 dollars par Redelmeier et Weinstein (1999renvoi vers), à une perte annuelle de 23 milliards de dollars par Hahn et coll. (2000renvoi vers) (25 milliards de dollars de coût et 2 milliards de dollars de bénéfice) et à un bénéfice net négatif de 220 millions de dollars par Cohen et Graham (2003renvoi vers). Ce dernier montant est assez faible, révélant un équilibre entre avantages et inconvénients socio-économiques d’une interdiction du téléphone au volant. Pour Sperber et coll. (2009renvoi vers), l’estimation est qu’il y a 80 % de chances qu’une interdiction conduise à un gain et 94 % de chances qu’une interdiction coûte moins que 50 000 dollars par QALY. Les bilans diffèrent donc quelque peu selon ces différentes études. Ainsi, pour les études sur les Etats-Unis, une interdiction du téléphone portable n’est clairement pas économiquement efficiente pour les auteurs des deux premières études (Redelmeier et Weinstein, 1999renvoi vers; Hahn et coll., 2000renvoi vers). Pour Hahn et Dudley (2002renvoi vers), les deux études ont des résultats similaires, mais révèlent des différences. Ainsi, Redelmeier et Weinstein (1999renvoi vers) estiment que le téléphone mobile est la cause de deux fois plus d’accidents que Hahn et coll. (2000renvoi vers). Les données sur la demande semblent aussi plus fines dans la deuxième étude ce qui conduit à des pertes plus importantes pour les consommateurs.
Le bilan est plus équilibré pour l’étude de Cohen et Graham (2003renvoi vers). Les auteurs estiment toutefois que les restrictions d’usage du téléphone portable au volant ont un rapport coût-efficacité moindre pour la société que les autres mesures en matière de sécurité (exemple les airbags latéraux) ou en d’autres termes qu’il y a des actions qui pourraient être plus efficaces en termes de réductions d’accidents et à un moindre coût que l’interdiction du téléphone portable. Hahn et Dudley (2002renvoi vers) vont également dans le même sens, en s’appuyant sur l’étude de Lissy et coll. (2000renvoi vers), qui, basée sur les deux premières études en prenant les coûts chez Hahn et coll. (2000renvoi vers) et les avantages chez Redelmeier et Weinstein (1999renvoi vers), compare le rapport coût/efficacité d’une interdiction du téléphone au volant avec huit autres mesures de sécurité routière. Sur les huit autres mesures, deux permettraient de réduire les coûts (ceinture de sécurité et phares de jour) et quatre sont moins coûteuses que l’interdiction du téléphone (airbags frontaux, renforts latéraux, airbags frontaux pour les passagers, limite de vitesse à 55 miles par heure). Seule une mesure est plus chère. Pour Hahn et Dudley (2002renvoi vers), une interdiction du téléphone au volant serait donc une manière coûteuse de sauver des vies et loin d’être un bon investissement, comparé à la ceinture de sécurité ou aux airbags. Même si leur évaluation économique ne justifie pas l’interdiction du téléphone au volant, Cohen et Graham (2003renvoi vers) concluent toutefois que les conducteurs devraient éviter les appels inutiles, avoir des conversations brèves, et suspendre l’échange en cas de circonstances hasardeuses (mais sans étayer ces propos) et qu’une interdiction pour les jeunes conducteurs (qui ont le plus d’accidents) pourrait être économiquement bénéfique pour la société.
Pour la dernière étude en date (Sperber et coll., 2009renvoi vers), une interdiction du téléphone portable au volant est potentiellement intéressante dans une perspective sociétale. Sperber et coll. relèvent toutefois que les résultats sont sensibles à des paramètres pour lesquels il y a très peu d’information, concernant la valeur des appels par exemple, ou pour lesquels les informations sont contradictoires, concernant le risque par exemple. Ces auteurs évoquent également la question d’une interdiction ciblée pour les jeunes conducteurs qui ont les plus grands risques d’accidents et considèrent qu’il n’y a pas de raison « économique » d’interdire l’usage du téléphone au volant si les conducteurs « assument » c’est-à-dire paient pour les dégâts causés.
La seule étude à aborder assez longuement la question du téléphone mains-libres est celle de Hahn et Dudley (2002renvoi vers). Ils relèvent que l’utilisation d’un téléphone mains-libres contribue de fait à une augmentation des coûts directs et indirects des communications ce qui devrait réduire la demande pour ces communications. Ce surcoût est surtout dû au coût d’achat du kit mains-libres. Si on extrapole ce résultat, on peut faire l’hypothèse que les systèmes embarqués, qui ont un coût plus élevé que le kit mains-libres du commerce, renforcerait encore cette logique. Au final, Hahn et Dudley (2002renvoi vers) concluent leur revue de la littérature de manière très claire : “The economics and science on this issue are fairly clear : a total ban does not seem to be justified on economic grounds and the effectiveness of hands-free devices in reducing motor vehicle accidents is unclear “ (Hahn et Dudley, 2002, p49renvoi vers) (les recherches économiques et scientifiques sur la question sont assez claires : une interdiction totale ne semble pas pouvoir être justifiée par des raisons économiques et l’efficacité des kits mains-libres dans la réduction des accidents de véhicules motorisés n’est pas claire).
En conclusion, les travaux de référence réalisés à l’échelle des États-Unis montrent qu’il n’y a pas de justification socio-économique à l’interdiction du téléphone au volant en général (à la main et mains-libres). Seule l’étude de Sperber et coll. (2009renvoi vers) sur la Province de l’Alberta conclut à cet intérêt.
Dans tous ces travaux, les incertitudes et les biais sont nombreux et les résultats sont donc à prendre avec précaution. Mais, tous pointent que le résultat final dépend de fait d’un seul paramètre qui est la valorisation des appels téléphoniques, le facteur de risque étant le moins influant. Les auteurs convergent également pour dire qu’il y a bien d’autres mesures supérieures en termes de rapport coût/efficacité, qui seraient alors à privilégier, comme par exemple les airbags latéraux. De nombreuses techniques pour limiter l’usage du téléphone au volant peuvent également être imaginées (mieux identifier les activités les plus ou les moins à risque et adapter l’usage du téléphone selon les activités ; limiter la durée des conversations téléphoniques ; n’autoriser que les systèmes embarqués permettant l’arrêt des communications en situation critique de conduite...).
Les études socio-économiques ont porté sur le téléphone à la main et pas sur le kit mains-libres, ce dernier usage quand il est évoqué renvoie aux travaux concernant la prévalence. Une étude particulière en France sur la valeur des appels passés depuis un kit mains-libres constituerait une référence internationale. L’hypothèse sous-jacente est que la valeur des appels passés depuis un « outil » plus coûteux serait aussi plus élevée, auquel cas, sur le seul critère économique, l’interdiction serait encore moins économiquement efficiente. Ainsi, un renchérissement du coût des appels téléphoniques, s’il n’est pas marginal, doit conduire à une baisse de l’usage du téléphone. Or, les évolutions de la tarification en matière de téléphone portable, ces dernières années, sont au contraire à la baisse. Une tarification spéciale des communications émises ou reçues à partir d’un véhicule en mouvement devrait conduire à une moindre utilisation du téléphone au volant, voire à une utilisation limitée aux appels « juste nécessaires ».
Enfin, la conclusion de plusieurs auteurs est que la question de la loi n’est pas seulement une question économique. En effet, le rapport coût/efficacité économique des mesures limitant l’usage du téléphone au volant dépend surtout de la valeur des communications passées ou des valeurs tutélaires de la vie humaine et des blessés selon les méthodes utilisées. Ainsi une mesure jugée non économiquement souhaitable aujourd’hui peut le devenir demain, toutes choses égales par ailleurs, si les valeurs retenues sont plus élevées. Par exemple, si la valeur tutélaire pour la vie humaine s’approche de la valeur de 5,7 millions d’euros par tué, citée par Baum et coll. (2010renvoi vers), cela conduirait à une multiplication par presque 6 de la valeur prise aujourd’hui pour la vie humaine en France.
Cela revient de fait à remettre au centre la question de la responsabilité politique, les valeurs tutélaires retenues ne reflétant que les priorités accordées à une question par les autorités.

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