2011


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Communications

Distraction, téléphone au volant, routines de conduite et cognition

Le risque de distraction lié à l’usage du téléphone en voiture est une évidence. Ce risque est connu, et donne lieu à publications dans tous les États occidentaux. En France, les travaux de l’Inrets évoquent un sur-risque d’accident de facteur 5 avec un téléphone à la main, et de facteur 4 avec un kit mains-libres.
Mais l’évidence ne vaut pas réponse, ni même condamnation hâtive. Trois arguments peuvent être développés : sur le fond, la forme et enfin au niveau systémique.
Sur le fond, le risque cognitif lié au téléphone est mal étudié. La cognition possède une immense habileté à travailler en mode de routine sophistiqué. Chacun sait, mais la science le prouve, que ces routines sophistiquées, possédant des mécanismes de contrôle propre, sont capables de gérer avec succès sur des temps assez longs des situations très complexes : activation de treillis de routines à partir du plan initial, délégation de contrôle à des affordances portées par l’environnement, remontées vers l’appel à l’attention uniquement en fin de guidage, avec résultat obtenu, ou cas de blocage de la routine (voir une analyse dans Noizet et Amalberti, 2000renvoi vers, pour une revue de la question).
Le canal attentionnel (la conscience) est paradoxalement rendu libre (même s’il s’agit d’une ressource limitée), et s’investit dans d’autres champs d’intérêts. Le problème n’est donc pas l’investissement de la conscience dans autre chose que l’immédiate demande de la conduite, ce sera de toute façon le cas habituel… dès lors que la cognition a programmé ses routines en fonction du contexte et se considère en situation de maîtrise de la situation (voir Amalberti, 2001arenvoi vers et brenvoi vers).
Deuxième paradoxe, ce canal attentionnel libre s’investit sporadiquement sur le présent (les informations perceptibles), mais réserve une part importante de son investissement (80 % et plus) sur le passé (l’explication des incompréhensions passées du trajet), le futur (anticipations de trajectoire et navigation) et plus fréquemment encore sur des objets privés sans lien avec la conduite. Ainsi vont les grands équilibres de la cognition (voir Hoc et Amalberti, 2007renvoi vers pour une revue de la question sur ce second paradoxe sur les compromis attentionnels et l’adaptation cognitive).
Il en ressort deux résultats pour l’usage du téléphone en conduisant.
Les routines de conduite sont dans l’incapacité de s’exercer si l’attention portée au téléphone détourne la perception visuelle et donc empêche les routines de s’auto-alimenter et s’autocontrôler avec l’environnement. Il est donc logique que toute manipulation à vue d’un objet mobile délicat et à l’ergonomie incertaine soit strictement interdite en voiture.
La conduite routinière ne peut pas être empêchée, elle est même un privilège des experts et n’est en rien dangereuse par elle-même. Une fois le plan décidé par la conscience, la délégation est souvent rapide et totale au treillis de routines activé : il est donc normal que l’attention soit dans 80 à 90 % du temps libéré, et s’investisse sur autre chose (le passé, le futur, le privé)… la nature cognitive à horreur du vide… le vide cognitif en l’occurrence provoquant la somnolence rapide (théorie de Brehmer).
Mais une fois les routines actives, elles peuvent à tout moment rappeler l’attention si elles se retrouvent bloquées, finies, en situation de ne pas pouvoir continuer sans un ordre de réorientation ou de nouveau plan. Dans ce cas, le problème est le débranchement de l’attention et de la conscience qui est portée sur un autre objet, lui-même ayant ses propres valeurs d’attraits, d’incomplétude... Plus la tâche actuelle sur laquelle porte l’attention possède des caractéristiques émotionnelles, et non terminée, plus elle est difficile à abandonner… or ce domaine de débranchement cognitif est très mal étudié. Il a été analysé un peu en aviation, particulièrement de combat, avec une organisation du travail apprise chez les pilotes qui fractionne le temps et s’évite des engagements trop handicapants parce que non débranchables. Pourquoi pas imaginer d’autoriser les conversations mains-libres en les limitant à 20 ou 30 secondes de sorte à s’interdire des conversations sur le fond à plus forte tonalité émotionnelle : en quelque sorte « oui pour passer les messages », « non pour entamer une discussion » (Valot et Amalberti, 1989renvoi vers). Pour conclure un vaste chantier de recherche interdisciplinaire, très peu investigué par la psychologie cognitive hélas, par le fait d’une discipline de recherche fortement en difficulté institutionnelle depuis 9 ans.
Sur la forme, la méthodologie qui a servi à construire les résultats de l’Inrets, comme d’ailleurs les résultats obtenus dans les autres pays, est assez discutable. Le modèle des ressources multiples de Wickens est vieillot et fortement critiqué depuis… Mais même un modèle plus récent donnerait aussi des résultats de surface assez proches, constatant un ralentissement des réponses, et une disponibilité réduite en téléphonant.
Enfin d’un point de vue systémique, mais cela rejoint la discussion sur le fond, que veulent dire exactement les chiffres obtenus sur le risque qui organisent tout le débat (facteur 5, facteur 4 de sur-risque) ? Quelle est la situation de référence (le facteur 1) et combien de conducteurs chaque jour sont à ce niveau de risque bas (pas fatigué, pas stressé, pas téléphonant, pas buvant, pas angoissé, pas post prandial, pas chargé au travail….) ? Quel est le type de modèle de recombinaison entre risques auquel on pense ? Additif simple ? Quid d’une mère qui ne pourrait pas téléphoner et qui sait son enfant attendant à l’école avec les professionnels qui doivent partir ? Quid d’une position qui veut le zéro absolu : quel est le seuil recombinant additif de risques réaliste ? Quel est le sur-risque réel d’accident pour une alcoolémie à 0,5 g quand on sait que la simple fatigue vaut 0,8 g (Dawson et Reid, 1997renvoi vers). Bien sûr, on peut discuter du modèle additif, mais je plaide fortement pour un modèle de seuil haut (en se limitant à l’inacceptable dans tous les cas et en étant intransigeant sur ce niveau) et non pour un modèle de seuil bas (un principe de précaution, mais dont l’occurrence isolée ne peut être justifiée scientifiquement, qui relève d’une spéculation sur le modèle de combinaison, et pour lequel on laisse une certaine interprétation dans le contrôle sanction). À ce petit jeu des seuils bas, on tapera surtout sur les « pailles » résiduelles que l’on peut visualiser et contrôler même si elles n’ont pas de valeur de risque en elles-mêmes (alcool à des seuils très bas inférieurs à 0,2 g/l, téléphone) en laissant les « poutres » non contrôlées (médicaments, contextes anxiogènes…).
Pour résumer ma pensée et mes suggestions :
• il y a un sur-risque à téléphoner (comme il y a un sur-risque équivalent ou supérieur à s’investir dans d’autres champs cognitifs) ;
• il y a un très grand sur-risque à quitter la route des yeux : il est donc légitime d’interdire totalement les téléphones standards, peut-être par une technologie de voiture brouillant les émissions-réceptions ;
• il n’est plus possible de supprimer le téléphone en voiture, accessoire parmi tant d’autres d’une société communicante du XXIe siècle, au milieu des alertes, alarmes, et guidages divers. On ne pourra pas empêcher la conscience de s’investir ailleurs… le problème sera de la remobiliser quand nécessaire.
Il faut donc penser à autoriser uniquement des montes certifiées d’origines et possédant des caractéristiques particulières, avec un brouillage actif, et peut-être une durée autorisée limitée pour chaque appel afin d’aider le débranchement cognitif et la repriorisation de l’attention (je ne suis pas pour les montes secondaires).
Enfin, les positions de précaution sur un usage, avec une vision étroite (modèle en silo, sans échanges entre risques) sont sans doute plus dangereuses que des positions de compromis entre risques, couplés avec une éducation du conducteur réellement faite y compris par les constructeurs automobiles quand ils livrent leurs voitures.

Bibliographie

[1] AMALBERTI R. . La maîtrise des situations dynamiques. . Psychologie Française . 2001a, ; 46 : :105--117Retour vers
[2] AMALBERTI R. . The paradoxes of almost totally safe transportation systems. . Safety Science . 2001b, ; 37 : :109--126Retour vers
[3] DAWSON D, , REID K. . Fatigue, alcohol and performance impairment. . Nature . 1997, ; 388 : :235Retour vers
[4] HOC JM, , AMALBERTI R. . Cognitive control dynamics for reaching a satisficing performance in complex dynamic situations. . Journal of Cognitive Engineering and Decision Making . 2007, ; 1 : :22--55Retour vers
[5] NOIZET A, , AMALBERTI R. . Le contrôle cognitif des activités routinières des agents de terrain en centrale nucléaire : Un double système de contrôle. . Revue d’Intelligence Artificielle . 2000, ; 1-2 : :107--129Retour vers
[6] VALOT C, , AMALBERTI R. . Les redondances dans le traitement des données. . Le travail humain . 1989, ; 52 : :155--174Retour vers

René Amalberti

Professeur de médecine, Docteur en psychologie des processus cognitifs
Président du Groupe 2 du Predit Qualité et Sécurité des transports
Conseiller sécurité des soins à la Haute Autorité de Santé

Vitesse de déplacement et autres facteurs d’accident routier

Le but de cette présentation n’est pas de modéliser le risque d’accident (au sens de l’estimation des paramètres du modèle), mais de poser, le plus simplement possible, le principe de la relation entre vitesse de déplacement et risque d’accident d’une part, entre les autres facteurs d’accident et cette vitesse d’autre part. On entend indifféremment par accident, un accident matériel ou corporel, mortel ou non, et par risque d’accident, la probabilité de survenue de celui-ci, dans un contexte donné (d’infrastructure, de circulation, de météo...), en prenant pour référence un conducteur « de base » ne présentant aucun autre facteur d’accident que la vitesse de son véhicule (celui-ci présentant des caractéristiques techniques données).

Que peut-on dire du facteur vitesse ?

• À vitesse nulle, le risque d’accident est nul ;
• Au-delà d’une certaine vitesse (500 km/h ? 1 000 km/h ? peu importe cette valeur ici), l’accident est certain (soit un risque de 1) ;
• Entre ces deux extrêmes, le risque d’accident est une fonction strictement croissante de la vitesse pratiquée.

Comment modéliser ce risque ?

Risque primaire d’accident

• Les « temps de réaction » étant supposés constants quelle que soit la vitesse pratiquée, le risque primaire est une fonction de la vitesse (x) qui contient un terme d’ordre 1 ;
• Les distances de freinage étant proportionnelles à l’énergie cinétique des masses en mouvement, le risque primaire est une fonction de x qui contient aussi un terme d’ordre 2 ;
• Le risque d’accident s’annulant pour x=0, il peut donc s’écrire :
Pr[Acc]=a1x2 + b1x

Risque secondaire de décès (ou de blessure, grave ou non)

Les blessures étant provoquées par des phénomènes soit de décélération brutale, soit d’intrusion, leur risque est donc proportionnel aux énergies cinétiques (relatives) des différents constituants du corps humain et à celles des autres masses en mouvement.
Et si l’on admet, en première approximation, que ces énergies sont proportionnelles à l’énergie cinétique des masses en mouvement avant la survenue de la circonstance accidentelle, le risque secondaire de décès (ou de blessure, grave ou non) est une fonction du second ordre en x.
Le risque de décès (ou de blessure, grave ou non) s’annulant pour x=0, et la prise en compte d’un terme d’ordre 1 n’ayant pas de justification a priori (mais rien n’interdirait de l’envisager), on peut donc écrire :
Pr[Dcd / Acc]=a2x2

Risque global d’accident mortel (ou de blessure, grave ou non)

De fait, on sait : Pr[Dcd]=Pr[Dcd / Acc] x Pr[Acc], d’où le risque d’avoir un accident et de décéder dans cet accident :
Pr[Dcd]=a2x2 (a1x2 + b1x)
soit
Pr[Dcd]=ax4 + bx3
À noter que les coefficients a et b sont à ce jour des plus mal connus (et fonction d’une multitude de paramètres), mais que l’on pourrait en donner des estimations moyennes acceptables pour les vitesses aujourd’hui observées (par exemple de 0 à 250 km/h), c’est-à-dire cohérentes avec ce que l’on sait aujourd’hui de l’accidentologie routière et qui reflèteraient suffisamment bien « le conducteur moyen » pour donner crédit à la démonstration de principe qui fait l’objet de cette présentation.

Comment prendre en compte les autres facteurs d’accident ?

Il est communément admis que tel ou tel facteur d’accident multiplie le risque par une certaine quantité (supérieure à 1 et que l’épidémiologiste appelle risque relatif RR). Et ce « toutes choses égales par ailleurs ».
De fait, on ne se pose généralement pas la question de savoir si ce risque relatif est fonction de la vitesse de déplacement. En d’autres termes, on admet l’absence d’interaction (au sens statistique du terme) entre ledit facteur et la vitesse de déplacement.
Sous cette hypothèse de non interaction, le risque de décès (ou de blessure, grave ou non) attaché à un facteur quelconque s’écrit :
Pr[Dcd]=RR (ax4 + bx3)
En pratique, la courbe inhérente à ce facteur se déduit par une simple homothétie de la courbe reflétant le conducteur référent « de base » (figure 1Renvoi vers).
Figure 1 Risque d’accident (mortel) en fonction de la vitesse pratiquée selon que le conducteur est ou non sous influence

Commentaires

Le postulat de « risque nul à vitesse nulle » semble écarter le cas où un véhicule à l’arrêt est impliqué dans un accident. Un tel accident suppose toutefois qu’un autre conducteur circule à une vitesse non nulle. Il suffit donc de se référer à cet autre conducteur pour inclure ce type d’accident dans notre réflexion. De même, le postulat d’une relation strictement croissante entre vitesse et risque semble exclure, par exemple, le cas du véhicule « lent » heurté par l’arrière par un véhicule plus « rapide » (le véhicule lent réduirait son risque d’être heurté en roulant plus vite). Mais, là encore, il suffit de se référer au conducteur le plus rapide pour satisfaire au postulat de croissance du risque avec la vitesse.
Les relations vitesse-risque d’accident proposées ont été présentées comme inhérentes à un conducteur donné, à un instant donné, dans des circonstances données. Il ne s’agit donc que d’une éventualité parmi une multitude, donc sans grand intérêt a priori pour l’aide à la décision. Mais elles peuvent aussi être considérées comme le reflet de la moyenne de toutes ces relations « élémentaires ». Dès lors, leur analyse revêt un intérêt certain pour l’interprétation du risque routier « moyen », et donc pour la décision publique.
Le fait que le risque de blessures (éventuellement mortelles) sur les routes puisse être une fonction d’ordre 4 de la vitesse de déplacement n’est pas communément admis. Certains se limitent à considérer le seul risque secondaire, d’ordre 2 (cf. supra). D’autres affirment que ce serait seulement l’accident mortel qui serait d’ordre 4 (l’accident corporel non mortel n’étant lui que d’ordre 2)1  : cette distinction peut surprendre dans la mesure où il est parfaitement établi que l’on peut survivre à des blessures potentiellement mortelles (en d’autres termes, pour une même blessure, un accident peut être ou non mortel, sans que cette issue ait un quelconque lien avec la vitesse). D’autres encore préfèrent considérer, sans doute à juste titre, des paramètres plus sophistiqués, comme des décélérations ou des vitesses relatives au moment du choc. Mais ces paramètres restent étroitement corrélés à la vitesse de déplacement.
Cela ne remet donc nullement en question la finalité de notre propos : considérer la vitesse de déplacement, plutôt que de tels paramètres plus « biomécaniques », permet un raisonnement commun sur un paramètre directement accessible à la décision publique. Au demeurant, le fait qu’il y ait des exceptions à la relation proposée (voire que celle-ci ne soit qu’une approximation d’une réalité plus complexe et plus « dispersée » autour d’une certaine réalité « moyenne ») ne remet pas en cause cette réalité « moyenne » que nous nous attachons à mettre en évidence ici.
Il est d’ailleurs tout à fait possible d’imaginer que la relation vitesse - accident soit d’un ordre encore supérieur ou qu’elle présente des discontinuités de courbure (inhérentes par exemple à des « seuils » de capacités attentionnelles du conducteur). Cela ne remettrait cependant pas en cause le raisonnement proposé qui repose essentiellement sur le caractère croissant de cette relation.
De même, rien n’interdit de penser que l’hypothèse de non interaction entre vitesse de déplacement et tel ou tel autre facteur d’accident est abusive (et que sa non mise en évidence est le reflet de la difficulté à appréhender ladite vitesse dans la plupart des études qui visent à quantifier le rôle des différents facteurs d’accidents). Cependant, à moins de supposer que tel ou tel paramètre serait facteur de risque à certaines vitesses et facteur protecteur à d’autres, de tels phénomènes d’interaction ne remettraient pas davantage en cause le raisonnement proposé qui suppose simplement que tel ou tel facteur augmente le risque d’accident inhérent à telle ou telle vitesse de déplacement.
Si l’on admet une telle relation, cela implique naturellement une croissance de plus en plus forte du risque avec la vitesse (la dérivée première étant une fonction croissante d’ordre 3), et donc des gains « mécaniquement » équivalents pour toute réduction des vitesses pratiquées.
Ainsi, plus on « descendra » les vitesses, plus il faudra les réduire fortement pour obtenir les mêmes gains (passer de 90 à 70 km/h serait moins efficace que d’être passé de 110 à 90 km/h, par exemple).
Toutefois, si l’on se réfère à une distribution gaussienne des vitesses pratiquées centrée sur une vitesse proche de la vitesse autorisée (et donc que les conducteurs sont d’autant moins nombreux à être infractionnistes que leur vitesse s’éloigne de la vitesse autorisée), il peut s’avérer globalement plus efficace de combattre les (très communs) petits excès de vitesse que les (très rares) grands excès.
À une vitesse donnée, un conducteur présentant un facteur de risque multiplie le risque de survenue d’un accident mortel, par exemple, par le RR correspondant à ce facteur. Dit autrement, ce même conducteur induirait le même risque que le conducteur de base à condition de pratiquer des vitesses d’autant plus basses que le RR associé est élevé.
Cependant, quelle que soit l’ampleur de ce RR, cette « vitesse équivalente » ne peut être nulle : interdire à un conducteur l’usage de la route au prétexte qu’il présente tel ou tel facteur de risque est donc une mesure fondamentalement « conservatrice ».
D’un autre point de vue, si l’on réduit les vitesses pratiquées (par exemple, à travers le CSA, contrôle sanction automatisé) de l’ensemble des conducteurs, on réduit le risque attaché à n’importe quel conducteur, y compris à celui présentant tel ou tel facteur de risque, et ce dans les mêmes proportions. En particulier, si l’on s’intéresse au conducteur sous influence, et en admettant que celui-ci a été aussi « réceptif » au CSA que le conducteur de base, son risque devrait avoir diminué dans les mêmes proportions que celui des autres conducteurs. Dit autrement, la fraction de risque attribuable à l’alcool et au cannabis devrait être restée constante : le nombre d’accidents imputables au cannabis ou à l’alcool devrait avoir diminué dans les mêmes proportions que le nombre total d’accidents.
Cette affirmation répond aussi en partie au débat de savoir si les baisses spectaculaires récemment observées doivent être imputées, en totalité ou seulement en partie, au CSA et aux réductions de vitesse qu’il a induites. Ne pas en imputer une partie à la réduction des vitesses, mais à d’autres facteurs dont l’imputabilité aurait diminué (comme à une conduite sous influence) est légitime dans le référent commun des acteurs de la sécurité routière (et en particulier des décideurs). Cependant, sauf à une évolution concomitante et spectaculaire de la prévalence de ces autres facteurs chez les conducteurs circulants, cette interprétation est fondamentalement (au sens premier du terme) erronée : réduire les vitesses réduit « mécaniquement » l’impact des autres facteurs.
Qui plus est, en décalant la distribution des vitesses vers le bas, on réduit la proportion des chocs les plus violents et donc le risque de décès des impliqués : le nombre moyen de victimes décédées par accident devrait avoir lui aussi diminué. En d’autres termes, le nombre de tués devrait avoir diminué davantage que le nombre d’accidents mortels.
Le même raisonnement, et les mêmes modèles, pourraient s’appliquer à des facteurs protecteurs (comme le port de la ceinture de sécurité). Une telle démarche ne serait d’ailleurs pas nouvelle. Dès 1968, par exemple, Bohlin « reconstituait » les vitesses de circulation des véhicules pour mettre en évidence la relation entre vitesse de déplacement et risque de décès selon que l’automobiliste était ceinturé ou non : ses résultats sont des plus conformes à ce qui est affirmé ici2 .
Ainsi posé, le véritable fondement de l’insécurité routière est qu’aucun usager de la route ne peut se déplacer à vitesse nulle ! De fait, la vitesse n’est pas un facteur d’accident comme les autres, puisque inhérent à la notion même de déplacement. La vitesse constitue le seul facteur réellement causal d’accidents, les autres facteurs habituellement avancés comme tels n’étant que des facteurs secondaires (ne serait-ce que parce qu’ils sont inopérants à vitesse nulle) venant « seulement » accentuer la relation vitesse-accident (ou l’atténuer pour les facteurs protecteurs).

Bernard Laumon

Directeur de recherche
Unité de recherche épidémiologique et de surveillance transport travail environnement (Ifsttar/UCBL)
Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux

Téléphone au volant : quels sont les biais ?

1 Étendre l’interdiction d’usage du téléphone en conduisant aux appareils qui libèrent les mains avait été recommandé par l’Onisr2 et son comité d’experts. Le problème n’est pas l’occupation des mains mais l’occupation de la capacité mentale d’être disponible pour la conduite. Les connaissances acquises permettaient d’affirmer avec un risque d’erreur très au dessous de ce qui est habituellement accepté pour décider que :
• téléphoner en conduisant réduit l’attention ;
• l’excédent de risque produit est supérieur à ceux observés avec des facteurs qui ont été encadrés par une législation justifiant une peine de prison (conduite sous l’influence du cannabis).
Quand j’envisage des « biais », j’inclus tous les facteurs d’influence, par exemple le conflit d’intérêt. Quand, après la présentation de l’expertise précitée, le Conseil national de la sécurité routière (CNSR) vote une recommandation d’extension de l’interdiction d’usage en conduisant au téléphone « mains-libres » et que son président demande immédiatement un second vote après avoir développé des arguments contre cette interdiction, il faut se poser le problème d’un éventuel conflit d’intérêts. Le président du CNSR avait-il un lien avec l’industrie de la téléphonie, était-ce un lien de nature à influencer son choix ? Identifier un conflit d’intérêt n’est pas un argument permettant d’affirmer qu’un intervenant a agi contre ses convictions et de récuser la validité de sa position. Elle peut cependant conduire à une absence d’intervention et de vote dans une assemblée où l’objet de ce conflit est en débat. En outre, la visibilité de ce conflit d’intérêts est importante pour l’information des décideurs qui exploiteront une décision prise avec la participation active d’une personne dans cette situation. Cette connaissance est particulièrement utile quand un vote dont le résultat contrarie une industrie est immédiatement remis en question par un président de séance qui est dans cette situation.
Faire une expertise des données disponibles dans la littérature « pertinente et sincère » est une chose. Être le complice involontaire d’une volonté de gagner du temps en demandant une nouvelle expertise en est une autre. J’interprète la commande d’une nouvelle expertise sur ce sujet comme une volonté de retarder l’adoption d’une mesure qui s’impose en France, comme elle s’est imposée dans les pays où la rationalité du débat a prévalu.
Comme il faut maîtriser les conflits d’intérêts dans la gestion publique, il faut réduire l’influence des conflits d’attention dans la gestion d’une automobile, d’une moto, d’un poids-lourd ou d’une bicyclette. Plus on attend pour réduire ce facteur de risque, plus il sera difficile de le faire. Ce n’est pas parce qu’une industrie développe un instrument qui rend des services qu’il faut l’utiliser n’importe où et n’importe comment.

Les « biais »

En fonction de ce que j’ai lu dans les études sérieuses analysant le risque relatif approché d’avoir un accident quand on téléphone en conduisant par rapport à celui qui ne téléphone pas, en distinguant le risque « mains-libres » du risque « porté à la main », les biais non étudiés semblent actuellement en nombre réduit.
Le plus important de ces biais me semble la différence de l’exposition au risque et l’influence qu’elle peut avoir sur le calcul d’un odds ratio.
De nombreuses statistiques descriptives et leur analyse par des chercheurs ont mis en évidence l’importance de la réduction du risque d’accident au kilomètre parcouru (et donc à l’heure de conduite, même si la vitesse est un facteur qui joue un rôle) en fonction du nombre de kilomètres parcourus dans l’année (figure 1Renvoi vers).
Figure 1 Fréquence annuelle des sinistres avec suite selon la tranche annuelle moyenne de kilomètres parcourus en 1980
La moyenne arithmétique de kilomètres parcourus par les véhicules et non le milieu des classes de kilométrage.
Cette notion n’est pas nouvelle. La figure ci-dessus est issue d’un document publié en 1986 dans le recueil de données statistiques sur l’assurance automobile en France de l’AGSAA3 . Elle est constamment passée sous silence ou sous-évaluée dans de multiples études exprimant un risque d’accident de la route. Hélène Fontaine l’a bien montré dans le cas des accidents de personnes âgées. De nombreuses études ont calculé des risques d’être tué en fonction de l’âge sans tenir compte d’une part de la vulnérabilité (avoir une blessure grave ou mourir « plus facilement » dans un choc d’une violence donnée) et d’autre part du kilométrage annuel parcouru. Un conducteur qui fait peu de kilomètres chaque année a un risque d’accident au kilomètre parcouru beaucoup plus élevé que celui qui fait 50 000 kilomètres par an. La courbe de l’incidence des accidents ne se modifie plus guère au-delà de 30 000 kilomètres par an.
Dans l’article de Suzanne Mac Evoy (2005renvoi vers) souvent cité à juste titre, on ne voit pas de prise en compte de ce facteur de risque variable d’un conducteur à l’autre (confère tableaux 1 et 2 de l’article). Une étude antérieure à celle de Mac Evoy a pris en compte les facturations d’usage du téléphone mais il est difficile de la relier avec la pratique du téléphone au volant (Laberge-Nadeau et coll., 2003renvoi vers).
Il est important de remarquer que la concordance est bonne entre les évaluations du risque relatif de téléphoner en conduisant faite avec une « bonne méthode », dans des contextes différents. L’étude de Redelmeier et Tibshirani (1997renvoi vers) avait déjà produit des résultats proches de ceux de Mc Evoy.
Nous avons l’expérience des difficultés d’établir un odds ratio dans des domaines où le risque est faible et associé irrégulièrement à d’autres facteurs de risque. Il est intéressant de faire la comparaison avec l’établissement du risque cannabis. Quand Marie-Berthe Biecheler (2003renvoi vers) avait rédigé un chapitre sur le risque « cannabis et conduite », les quelques études disponibles produisaient des résultats qui ne permettaient pas de conclure, à la fois pour des raisons d’effectifs et de méthode. Il a fallu l’étude SAM (Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière) pour atteindre des terrains solides, et encore, avec des « petites révisions » apparues lors d’approfondissement des résultats par de nouvelles prises en considération de facteurs d’influence. Cette étude avait bien montré l’importance de la précision de la prise en compte de facteurs associés comme l’alcool, mais aussi de notions plus difficiles à quantifier comme la « fatigue » (déplacement parfois long vers une discothèque, danse une partie de la nuit, nouveau parcours avec fatigue, route souvent mal connue, présence de passagers qui parlent tous ensemble…).
Cette prise en compte du kilométrage annuel et de la fréquence d’utilisation d’un kit mains-libres (comme facteurs de réduction du risque) n’est pas à mes yeux une raison d’autoriser cet usage chez les gros rouleurs, gros « téléphoneurs », mais d’attirer l’attention sur le fait que l’application de plus en plus stricte de l’interdiction de téléphoner avec les mains occupées, sans extension de l’interdiction au kit mains-libres, risque de provoquer une migration de petits rouleurs, petits « téléphoneurs » vers le kit mains-libres, sans bénéficier de l’éventuelle réduction du risque par la pratique intensive. Il faut donc être attentif au fait que le risque relatif légèrement plus faible dans l’étude de Mc Evoy peut être lié à des usages différents dans des contextes différents. Il ne doit donc pas être étendu abusivement à d’autres usagers qui n’auraient pas les profils des utilisateurs actuels de téléphones « mains-libres ».
En conclusion, nous avons des études de qualité qui établissent un risque relatif élevé d’être impliqué dans un accident quand on téléphone, quel que soit le téléphone utilisé. Ces études sont suffisantes pour dire que toutes les formes de téléphonie en conduisant doivent être interdites, sauf à revenir sur l’interdit du téléphone tenu à la main pour conserver une réglementation cohérente.
Il est possible que des différences observées entre les niveaux de risque dépendent de caractéristiques du conducteur qui ne sont pas pris en compte actuellement (kilométrage annuel, croisé avec la distinction mains-libres/porté à la main).
Nous sommes très démunis dans le traitement par la réglementation des perturbations évitables de l’attention.
Des trois facteurs de risque majeurs : vitesse inadaptée ou illicite, alcoolisation excessive, « altération de l’état psychologique et cognitif du conducteur », nous pouvons contrôler facilement le premier (radars automatiques dont de nouvelles formes peuvent être développées), assez difficilement le second (il faut intercepter l’usager et le faire souffler dans un éthylotest) et très difficilement le troisième. Il y a des procédés qui permettent de repérer les prémisses de l’endormissement (mouvements des yeux, des paupières), mais nous sommes loin d’une mise en œuvre organisée sur le parc automobile. Pour les troubles de l’attention, c’est encore pire que pour la vigilance, on ne peut pas surveiller la réduction de l’attention en temps réel, on peut seulement éviter de la dégrader en interdisant les pratiques identifiées comme réductrices de l’attention.
À propos de cette demande d’expertise (nécessaire ?) à l’Inserm et l’Inrets, il faut faire la différence entre l’expertise des connaissances, l’expertise à visée décisionnelle et l’action militante.
Il est légitime qu’un expert sépare le :
• voila ce que la communauté scientifique a produit dans le domaine des connaissances sur le sujet ;
• voila ce que je sais des différents choix possibles face aux problèmes auxquels vous êtes confrontés et qui ont été identifiés par l’expertise des connaissances ;
• voila ce que je vous conseille si vos objectifs sont les suivants (et j’énumère les objectifs envisageables) et voila pourquoi (analyse avantages/inconvénients).
Il est possible pour un expert de se situer ensuite sur un plan différent, celui de « l’activisme » et de dire, compte tenu de ce que l’on sait, de ce que l’on pourrait faire, et des références qui sont les vôtres, ne pas avoir pris telle décision engage votre responsabilité. Il agit alors en tant que citoyen, en aval éventuellement des conseils qu’il a pu donner. J’ai eu cette attitude à plusieurs reprises (comme certains scientifiques qui avaient participé à l’expertise collective Inserm sur l’amiante) et elle ne me pose aucun problème, chacun est dans sa légitimité quand il répond à une demande de savoir ou à une demande d’avis décisionnel dans le cadre de la mission qui lui est confiée, chaque citoyen est légitime quand il écrit que l’absence de décisions dans un domaine défini a des conséquences inacceptables à ses yeux, alors que des mesures de prévention acceptables socialement et techniquement étaient possibles.
Des experts qui disent : voila ce que nous savons de l’usage de dispositifs tels que les différentes formes de téléphonie, texto, guidage utilisées en conduisant un véhicule et de leurs risques.
Des experts qui en tirent les conséquences décisionnelles du type : le pouvoir politique légitime ayant fait le choix d’interdire le téléphone tenu à la main en conduisant, il serait cohérent d’étendre l’interdiction au téléphone mains-libres, compte tenu de ce que l’on sait des risques liés à cette pratique. Nous recommandons cette décision. Il est alors indispensable de faire l’inventaire non seulement du risque objectif, mais de l’ensemble du problème dans un contexte social, voire économique en faisant l’inventaire des décisions prises dans d’autres pays, notamment aux États-Unis qui s’agitent beaucoup sur ce problème, avec les avantages et les inconvénients des choix retenus.

Bibliographie

[1] BIECHELER MB. . Cannabis, conduite et sécurité routière : une analyse de la littérature scientifique. Note de synthèse de l’Observatoire interministériel de sécurité routière, . février 2003; Retour vers
[2] LABERGE-NADEAU C, , MAAG U, , BELLAVANCE F, , LAPIERRE SD, , DESJARDINS D, et coll. . Wireless telephones and the risk of road crashes. . Accid Anal Prev . 2003, ; 35 : :649--660Retour vers
[3] MCEVOY SP, , STEVENSON MR, , MCCARTT AT, , WOODWARD M, , HAWORTH C, et coll. . Role of mobile phones in motor vehicle crashes resulting in hospital attendance: a case-crossover study. . BMJ . 2005, ; 331 : :428Retour vers
[4] REDELMEIER DA, , TIBSHIRANI RJ. . Association between cellular-telephone calls and motor vehicle collisions. . N Engl J Med . 1997, ; 336 : :453--458Retour vers

Claude Got

Professeur honoraire à la Faculté de Médecine de Paris-Ouest, Université René Descartes
Expert en Biomécanique des chocs et accidentologie

La prévention du risque routier au travail : quelles propositions ?

Le Comité de pilotage pour la prévention du risque routier professionnel a été défini par arrêté inter-ministériel. Il réunit la Direction de la sécurité et de la circulation routières (DSCR), la Direction générale du travail et les différents régimes, assureurs du risque professionnel comme la Cnamts pour le régime général. Il est chargé notamment d’élaborer et de proposer des programmes d’actions pluriannuels qui pourront être mis en œuvre par les différents régimes.
Le risque routier professionnel concerne toutes les entreprises, tous les professionnels qui sont sur la route, que ce soit leur métier ou non. La difficulté pour les assureurs du risque professionnel vient de ce que l’entreprise a l’habitude de prévenir son risque professionnel dans ses ateliers ou dans ses usines, mais pas sur l’espace public qu’est la route. Pour l’entreprise, un salarié en déplacement sur la route, c’est quelqu’un sur qui elle a peu de prise et l’entreprise est souvent mal armée et informée sur ce type de risque.
Pourtant, le Code du travail spécifie bien la nécessité qu’a un employeur de définir la tâche à réaliser et ce dans les conditions de sécurité optimum, puisqu’il doit préserver la santé des personnes au travail fixant ainsi un objectif de résultat de sécurité. D’autre part la sécurité sociale est concernée pour le régime général en tant qu’assureur des dommages corporels survenus aux salariés. Ce sont les déplacements de trajet domicile-travail et ceux en mission qui sont alors couverts.
Une importante proportion des entreprises n’ont encore pas intégré ce risque. Quand on est confronté au terrain, on se rend compte que peu d’entreprises s’en saisissent. Une enquête de la Caisse nationale d’assurance maladie a montré, pour les véhicules utilitaires légers notamment, qu’une entreprise sur deux, utilisatrice quotidienne de ce type de véhicule, n’a pas intégré le risque routier dans son document unique d’évaluation des risques, ce qui est pourtant spécifié par le Code du travail (figure 1Renvoi vers).
Figure 1 Différents acteurs concernés par le risque routier professionnel
L’activité de conduite dans le cadre du travail présente une ambiguïté puisqu’elle se déroule sur l’espace public (le salarié y est seul, le lien de subordination existe, mais il est plus lâche que dans l’entreprise) et une ambiguïté quant au statut du véhicule (souvent le véhicule personnel du salarié est utilisé à des fins professionnelles). Les responsabilités ne sont donc pas forcément bien établies, en tout cas par l’entreprise.
Le risque routier est transversal et souvent mal appréhendé. En Alsace et Moselle, la remontée des fiches BAAC (bulletin d’analyse des accidents corporels) a pu montrer que dans 40 à 44 % des cas (pour 80 % des fiches BAAC renseignées), selon les départements, il y a dans un accident corporel de la route au moins une personne impliquée qui était en situation de travail ou de trajet. Une grande partie de la circulation sur les routes est ainsi constituée par des déplacements professionnels.
La légitimité est partagée et souvent difficile à discerner. Les professionnels sur la route ont affaire au Code de la route, au Code du travail (obligation de prévention), au Code de la sécurité sociale pour l’assurance du risque professionnel, l’objectif étant de préserver la santé du salarié. En dehors des accidents, la route a aussi des effets plus insidieux et à plus long terme, qui font que les salariés souffrent de maladies professionnelles dans le cas de professions très exposées sur la route.
L’accident routier professionnel est à la fois un accident de la route, un accident de véhicule et un accident du travail. En tant qu’accident de la route, l’État, les pouvoirs publics, les assureurs doivent s’en saisir. Comme accident de véhicule, il intéresse les assureurs, et comme accident du travail, il relève de la Sécurité sociale, de l’Inspection du travail…
L’accident de mission est l’accident qui survient au salarié sur la route, sous l’autorité du chef d’entreprise et pendant son temps de travail. C’est donc un accident de travail et l’obligation de prévention est de même nature que pour l’ensemble des risques professionnels.
L’accident du trajet est également considéré comme un accident du travail, il s’agit de l’accident survenu sur le trajet effectué par l’assuré pour se rendre de son domicile à son lieu de travail et retour.
Ce contexte différent impose deux approches différentes pour mieux prévenir le risque en mission et pour le risque en trajet encouru par le salarié : pour les missions, l’entreprise peut imposer des choses, pour le trajet, cela relève de la concertation avec le salarié.
D’autre part, concernant le risque routier professionnel, dans l’entreprise, la fréquence d’accidents corporels est relativement faible (10 % des accidents corporels du travail). Quand on interroge une entreprise de dix salariés (la moyenne pour les entreprises françaises est de moins de dix salariés), elles disent peu connaître d’accidents de la route. C’est la « statistique qui parle ». En revanche, quand l’accident survient, il est d’une forte gravité : plus de 45 % des accidents mortels du travail ont lieu sur la route (chiffres 2008).
Pour l’entreprise, c’est donc un risque souvent méconnu, ou mal connu, et c’est pourtant un risque caractérisé par sa gravité. Les accidents de la route au travail représentent un poids important dans les accidents mortels professionnels.

Convergence de politiques publiques

Le Comité de pilotage pour la prévention du risque routier professionnel fait suite à une charte signée par la sécurité routière et la Caisse nationale d’assurance maladie en décembre 1999, afin de faire converger deux politiques publiques : l’une qui est de préserver la santé des personnes au travail et l’autre qui a pour objet de diminuer l’insécurité routière. Le comité de pilotage a été créé en 2001, réunissant la DSCR, le ministère du Travail, la Cnamts. En 2006, il a été élargi à d’autres régimes de couverture sociale des accidents du travail et professionnels : la Mutualité sociale agricole (MSA), la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) pour la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale et, depuis 2007, le Régime social des indépendants (RSI). Aujourd’hui, c’est près de 23 millions de personnes au travail qui sont couvertes par les propositions de ce comité de pilotage ou les actions qui en découlent, menées par les membres et partenaires de ce comité (figure 2Renvoi vers).
Figure 2 Composition du comité de pilotage pour la prévention du risque routier professionnel
La prévention du risque routier professionnel nécessite un engagement fort de l’entreprise. Le comité de pilotage propose des actions de prévention active, allant au-delà de la réglementation, avec des objectifs réalistes et adaptés et des actes de management forts.
La Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CAT/MP) de la Cnamts, définissant la politique de prévention de la branche Assurance maladie risques professionnels a adopté deux textes. L’un, adopté le 5 novembre 2003, est relatif à l’engagement des partenaires sociaux sur la prévention du risque « mission » et l’autre, adopté le 28 janvier 2004, est relatif à l’engagement des partenaires sociaux sur la prévention du risque « trajet ». Ces textes sont le fondement de l’engagement nécessaire pour prévenir au mieux le risque routier.

Code de bonne conduite pour le risque « mission »

Le premier élément concerne l’évaluation du risque routier. Comme tout risque professionnel, ce risque doit être évalué et faire l’objet d’une prévention, avec obligation de résultats. En effet, l’employeur est tenu par le Code du travail, de faire l’inventaire et l’évaluation des risques auxquels ses salariés sont exposés « par le fait ou à l’occasion de leur travail », risques qui seront inscrits dans le « document unique » de l’entreprise (décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001), et faire l’objet d’un plan d’actions efficace.
Il s’agit de faire en sorte de limiter les risques :
• par exemple en évitant ou en limitant les déplacements et en recourant à des moyens alternatifs : se déplacer n’est en effet pas toujours le meilleur moyen d’être efficace et il faut donner une priorité au mode de déplacement le plus sûr (train, avion, transports collectifs…) ;
• en mettant en place des modules pratiques, par exemple pour apprendre à faire les vérifications d’usage courant nécessaires au bon fonctionnement du véhicule professionnel, pour comprendre les risques liés aux manœuvres (gabarit, angles morts…), pour savoir repérer les zones de danger et analyser le comportement des conducteurs, pour comprendre l’influence de la vitesse sur les distances de freinage et d’arrêt, sur l’adhérence du véhicule, et découvrir la perte de contrôle, être conscient des risques liés ou non au port de la ceinture de sécurité… ;
• en ayant un véhicule adapté au déplacement et en s’assurant qu’il est aménagé et équipé pour permettre des déplacements sûrs et adaptés à l’activité du salarié et en le maintenant en bon état de fonctionnement. Des propositions sont faites concernant les véhicules utilitaires légers dans les douze propositions du livre blanc « Pour un véhicule utilitaire plus sûr » ;
• en menant une réflexion sur le déplacement lui-même : des trajets raisonnés, en préparant son itinéraire (voies les plus sûres, travaux, météo…) et en prenant en compte des impératifs professionnels pour se déplacer en sécurité (temps de pause…) ;
• en mettant en place une communication maîtrisée : les partenaires sociaux se sont entendus pour émettre un avis sur l’usage des téléphones mobiles : « pas de communication téléphonique pendant la conduite, quel que soit le dispositif technique », et en définissant des règles de gestion du téléphone mobile ;
• enfin, une dernière réflexion sur les bonnes pratiques est relative aux compétences requises. Par exemple, pour conduire un véhicule léger qui peut aller jusqu’à 3,5 tonnes, le permis B acquis une fois pour toutes suffit, sans avoir à apprendre comment conduire un véhicule qui a une charge qui peut varier dans une même journée, comment évaluer la charge utile, l’arrimer…
En résumé, quatre axes d’action ont été déterminés : le management des déplacements, le management des véhicules, le management des communications et enfin le management des compétences.
Les textes ont été reconnus par le régime général de la sécurité sociale, et adoptés globalement par les membres du comité de pilotage pour les risques d’accident de mission.
Pour les risques d’accident de trajet, le contexte juridique est différent : le lien de subordination n’est pas établi, il n’y a pas d’obligation légale de prévention, au sens strict du terme ; l’activité professionnelle est l’un des déterminants du risque ; la prévention du risque est dans le champ de la concertation (en suscitant du covoiturage ou en mettant en place des déplacements collectifs…). Un texte du 28 janvier 2004 a été adopté par la CAT/MP à ce sujet. La prévention de ce risque doit s’inspirer des principes généraux de prévention et résulter d’un accord local entre partenaires sociaux.

Code de bonne conduite pour le risque « trajet »

En termes d’acteurs, pour le risque trajet, il y a le Code de la route, il y a l’assureur du risque professionnel, il y a l’assureur du véhicule personnel du salarié…
Par ailleurs, aujourd’hui, avec la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), les Plans de déplacements urbains (PDU) et les Plans de déplacements des entreprises (PDE), une problématique d’environnement et de développement durable est fortement mise en avant dans les zones urbaines et elle impacte sur les déplacements de trajet des salariés (figure 3Renvoi vers).
Figure 3 Intégration des problématiques du risque routier dans les Plans de déplacements urbains
Il est nécessaire d’intégrer les problématiques liées à la santé et à la sécurité des travailleurs salariés dans ces développements liés au PDU. Passer aux « modes doux » comme les deux-roues est peut-être un bien pour l’environnement, mais cela peut aussi générer des accidents comme on l’a constaté dans certaines agglomérations.
Il y a donc des actions à mener, de manière globale, et l’on se rend compte encore une fois que l’entreprise est un peu démunie.
Ces bonnes pratiques sont reconnues et partagées par l’État et par tous les assureurs du risque professionnel. Elles constituent le socle du programme d’action 2006-2009 du Comité de pilotage pour la prévention du risque routier professionnel.
Les clés d’une action efficace et durable peuvent être la mise en place d’un plan d’action collectif des entreprises d’un même contexte local (zone industrielle, bassin d’emploi…) et une concertation avec les acteurs locaux de la Sécurité routière (collectivités territoriales, DDE…).

Actions à mener ou pistes de recherche à approfondir

Elles concernent différents champs ayant trait au risque routier et notamment :
• approfondir la question de la mobilité au travail : la mobilité au travail semble s’accroître et la problématique de certains métiers fait que le véhicule devient parfois un bureau roulant, un atelier mobile… D’où un nombre de tâches à réaliser par le salarié en déplacement de plus en plus important. Les fonctionnalités et la technologie des équipements embarqués évoluent très rapidement et il s’agit de développer des solutions pour faciliter la communication en toute sécurité ;
• sur les questions d’attention et de charge mentale : quelle est l’incidence de l’irruption des nouvelles technologies dans le véhicule, des équipements d’aide à la conduite, des équipements liés à l’activité professionnelle (moyens de communication…) ?
• quelle typologie de métiers est concernée, quelles évolutions prévisibles ?
• un champ d’investigation est aussi à aborder qui est la problématique de la santé au travail, avec les questions d’hygiène de vie, d’incompatibilité à la conduite (prise d’alcool, médicaments…), de contraintes physiologiques et psychologiques…
• les questions de compétences : quelles compétences faut-il pour conduire pour son travail ? Quelles compétences pour utiliser son véhicule dans le cadre du travail ? Peut-on parler d’autorisation de conduite ? Quelle aptitude médicale ? Quel est le rôle du médecin du travail ? Quels examens sont nécessaires (vision, audition, traitements médicaux, addictions…) ?
Pour terminer, on peut dire qu’une mobilité raisonnée, c’est la convergence des préoccupations de sécurité routière, de sécurité et de santé au travail, d’environnement et de développement durable, de santé publique et de santé au travail.

Management des communications

Le téléphone mobile, au même titre que certains systèmes de communication embarqués à bord des véhicules, est très largement considéré comme un outil de travail pour les personnes qui se déplacent dans le cadre de leur profession. Permettant une communication avec l’employeur, ses clients, les chantiers, ou encore ses proches, il permet notamment d’avertir et de modifier le déroulement de la mission en cas d’imprévu. Il peut sembler « a priori » réducteur de stress pour la personne en déplacement. Toutefois un recours toujours plus important au téléphone dans le cadre professionnel, avec l’objectif d’optimiser les déplacements, peut engendrer au contraire une sollicitation accentuée de certains salariés en déplacement (SAV, maintenance, conducteur de chantier dans le BTP...), avec un risque d’augmenter considérablement la charge mentale du salarié pendant son activité de conduite.
Les nouvelles technologies, dont le téléphone portable, ont en effet largement étendu les limites classiques de l’espace de travail. Si la capacité de communiquer et d’échanger des informations, pendant un voyage, donne le sentiment de le rendre plus efficace et plus productif, elle accroît aussi fortement les causes de distraction du travailleur au volant et les risques d’accident.
C’est pourquoi l’usage de ces systèmes de communication embarqués doit faire l’objet de règles bien définies et acceptées au niveau de l’entreprise et de ses partenaires (clients, fournisseurs...).
Le risque routier constituant d’ailleurs la première cause de mortalité au travail (en incluant les accidents trajets domicile travail, assimilés à des accidents de travail), les partenaires sociaux de la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) ont adopté à l’unanimité le 5 novembre 2003, un code de bonnes pratiques relatif à la prévention du risque routier en mission intitulé « Prévention du risque routier au travail ». Cette recommandation, reconnue par la suite par tous les assureurs sociaux constituant le Comité de pilotage pour la prévention du risque routier professionnel, rappelle les dangers liés à l’usage du téléphone en déplacement, en préconisant de proscrire son usage au volant d’un véhicule et ce, quel que soit le dispositif technique utilisé. Pour maintenir la relation « entreprise-salarié », il est recommandé aux entreprises de mettre en place un protocole permettant de gérer sans danger les communications téléphoniques nécessaires.
Pour illustrer ces recommandations et favoriser leur mise en œuvre, la Cnamts et la Sécurité Routière signent régulièrement des chartes « Sécurité Routière » avec des entreprises ou des branches professionnelles volontaires afin que celles-ci développent des politiques adaptées d’usage du téléphone pendant les déplacements et diffusent les bonnes pratiques dans ce domaine, impliquant souvent une démarche globale de réorganisation du travail. Il s’agit toujours de remettre en cause le principe selon lequel les travailleurs nomades doivent être joignables partout et à tout moment à la fois par leur employeur et par leurs clients.

Quelques exemples de situations professionnelles

Dans une entreprise du domaine de l’agro-alimentaire est survenu un accident mortel d’un commercial au volant pendant une communication téléphonique avec son entreprise ayant également pour conséquence le décès d’une famille suite à la collision. L’entreprise, afin de développer un protocole de communication, a réalisé une enquête auprès de salariés volontaires, parmi les catégories de personnel amenées à se déplacer, pour connaître les informations communiquées pendant les missions et cerner les circonstances du déplacement au cours desquelles cette communication est impérative. Suite à cette enquête, elle a pu réorganiser ses services pour accentuer le rôle des services commerciaux sédentaires vis-à-vis de la clientèle, réduisant ainsi le flux des données entre commerciaux itinérants et clients et les risques afférents.
Dans une entreprise de maintenance/dépannage d’équipements industriels, l’utilisation de systèmes embarqués de géolocalisation s’appuie également sur une liaison téléphonique avec le salarié pour modifier son programme et le faire intervenir en cas d’urgence à la demande d’un client en panne. Que penser dans ce cas de la charge mentale du salarié que l’on déroute de sa journée programmée pour une intervention en toute urgence chez un client qui ne peut plus produire ? C’est la conséquence de l’acte de communication pendant la conduite : le salarié va porter toute son attention, tout en conduisant vers le lieu de sa future intervention, à la préparation de l’acte de réparation (diagnostic à effectuer, pièces de rechanges à disposition, plans de machines à consulter...) et au contenu de son intervention d’où génération d’une nouvelle situation de risque.
Sans oublier les appels téléphoniques émis ou reçus qui permettront au salarié de mieux préparer et de réduire le temps de son intervention (diagnostic par téléphone auprès du client, discussion avec le service technique de l’entreprise, commande en urgence de pièces détachées...), une organisation censée optimiser et réduire le stress peut ainsi largement augmenter la charge mentale. Les effets secondaires de ce type d’organisation s’appuyant largement sur les systèmes embarqués (téléphone et systèmes de communication numérique) peuvent également, selon certaines entreprises, générer un isolement du salarié l’excluant du collectif social de l’entreprise (risques psychosociaux...).
Un autre exemple : une entreprise demande à ses commerciaux de s’engager à ne pas téléphoner en voiture. Tant qu’ils n’ont pas signé le document, ils ne peuvent pas accéder à l’application informatique « métier » sur leur ordinateur portable, qui leur est indispensable pour rendre compte de leur activité à la hiérarchie. Alors, bien entendu, ils signent mais, dans la pratique,  ils continuent de téléphoner en voiture car c’est le mode d’organisation même de l’entreprise qui l’exige. Pendant la réunion commerciale, on entend par exempe : « Ok vas y, tu vas être en retard chez ton client, tu as deux heures de route. Je t’appelle dans l’heure qui suit pour te donner les éléments... ». Ou encore les prises de commandes et dernières « négociations en direct » lors d’appels téléphoniques du client directement au commercial pour dernière remise ou réduction du délai obligeant le commercial à « évaluer et décider » au volant...
Un témoignage : « Interdire de téléphoner ne veut pas dire interdiction de recevoir un signal et de s’arrêter dès que possible pour communiquer... Cela me paraît être une bonne mesure ! Récemment j’ai accompagné un malade à l’hôpital, du début jusqu’à la fin du parcours le conducteur de l’ambulance n’a cessé de recevoir des appels et sans mains-libres ! J’avoue avoir eu quelques émotions d’autant plus qu’il était en retard et qu’il appuyait sur la champignon, est-ce normal ? Cela dit, il n’était qu’un employé peut-être faudrait-il sensibiliser davantage certains employeurs ? Car qui perd ses points, éventuellement son permis, qui est responsable en cas d’accident ?… La pression peut être parfois un peu trop forte. ».

Instaurer un protocole de communication

Il est donc nécessaire d’instaurer un protocole de communication qui permette aux salariés en mission de rester en liaison avec leur entreprise et leurs clients, sans mettre en danger leur sécurité sur la route.
Ce protocole doit répondre aux besoins de l’entreprise tout en accordant la priorité à la sécurité du salarié. C’est un document connu du salarié, qui précise dans quelles conditions ce dernier devra utiliser son téléphone portable lorsqu’il est en mission.
Le protocole de communication permet au salarié de rester en contact avec son entreprise ou ses clients sans prendre de risque sur la route. Il peut proposer par exemple :
• le rappel des risques d’accidents liés à l’utilisation du téléphone portable au volant ;
• d’interdire l’utilisation du téléphone portable au volant (en indiquant cette disposition dans le manuel du conducteur) ;
• d’autoriser les communications quand le véhicule est à l’arrêt uniquement ;
• l’enregistrement d’un message d’accueil sur la messagerie ;
• le renvoi automatique des appels ;
• la fixation de plages d’appels sur les temps de pause de conduite ;
• d’organiser la centralisation et la gestion des appels téléphoniques de façon à ce que cette consigne soit effectivement applicable par les salarié.
Concernant les responsabilités, compte tenu de l’existence de ce texte adopté par les partenaires sociaux, en cas d’accident d’un collaborateur en mission, c’est le chef d’entreprise qui pourrait être mis en cause en l’absence de l’adoption d’un protocole de communication.
Ainsi, un accident de travail intervenu en raison d’un appel professionnel sur le mobile du salarié au volant aurait toutes les caractéristiques de la faute inexcusable.

Exemples d’engagements des professionnels

Le témoignage de la direction d’une entreprise de nettoyage industriel dit : « C’est clair, nous avons interdit le téléphone portable au volant. J’ai moi-même évité de justesse un accident grave alors que je passais un coup de fil. J’ai eu très chaud… Lorsqu’ils conduisent, nos employés ont pour consigne stricte de dévier leur ligne sur leur messagerie et de s’arrêter pour traiter leurs appels. Nous prenons en compte ces temps d’arrêt dans l’organisation des tournées… ça nous fait perdre un peu de temps, c’est vrai, mais nous gagnons en sécurité. Et puis, s’il arrive quelque chose à l’un de mes salariés au volant, côté responsabilité, je suis en première ligne ».
Un constructeur d’infrastructures routières a édité en mai 2003 des affiches et des affichettes qui illustrent la dangerosité de l’utilisation du téléphone portable au volant. Sous forme de bande dessinée, intitulée « Un accident, c’est simple comme un coup de fil », cette campagne décrit comment un accident a été évité de justesse à un carrefour routier. Un des deux conducteurs mis en scène répond à un appel sur son mobile, ce qui le distrait. L’autre, plus attentif, réussit à éviter la collision et va se garer sur une zone de parking pour rappeler un correspondant qui cherchait à le joindre au moment de l’incident. Cette histoire fait partie d’une série de bande dessinée d’une page, chacune illustrant un risque routier, qui est largement affichée dans les baraquements des chantiers de cette entreprise qui compte 20 000 véhicules en circulation1 .
En conclusion, il importe de rappeler clairement les engagements pris par les partenaires sociaux de la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Cnamts le 5 novembre 2003 ainsi que les risques juridiques liés à la reponsabilité civile et pénale du salarié mais surtout de l’employeur. Ceci pourrait s’appuyer sur une large campagne de communication permettant également de valoriser les initiatives privées, qu’elles proviennent des assureurs, des entreprises ou des branches professionnelles.
Il s’agit de faire prendre conscience de tout l’intérêt d’un usage raisonné de l’outil téléphone et des systèmes de communications embarqués, lors des déplacements professionnels, inscrit dans un protocole défini par l’entreprise.
Constituant un enjeu de sécurité au travail, cette question doit être intégrée dans les plans d’actions réglementaires élaborés par les entreprises et issus de l’évaluation des risques professionnels, mais également dans les « Plans de déplacements des entreprises (PDE) » quand ils existent. L’action prioritaire des services d’inspection du travail prévue en 2011 sur le risque routier pourrait intégrer un volet « communications » pour recueillir suffisamment d’éléments de terrain en vue de réfléchir à l’introduction d’une réglementation spécifique dans le Code du travail.

Thierry Fassenot
Ingénieur conseil à la Direction des risques professionnels
Secrétaire du Comité de pilotage pour la prévention du risque routier professionnel

Cnamts (Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés)

Sécurité et usage du téléphone mobile au volant : législation, recherche et perspectives en Grande-Bretagne

Cette communication présente la législation britannique concernant l’usage du téléphone tenu à la main et « mains-libres » ainsi qu’une estimation de la fréquence d’usage du téléphone mobile au volant basée sur une étude observationnelle à Londres. Trois études en simulateur de conduite sur l’usage du téléphone mobile sont présentées. Elles portent respectivement sur une comparaison avec les effets de l’alcool, une comparaison entre conversation téléphonique et conversation avec un passager, et sur le « texting ». Quelques pistes explorant les possibilités d’améliorer la sécurité concernant l’usage du téléphone et la distraction au volant sont discutées.

Législation en Grande-Bretagne

Code de la route

Le code de la route résume les recommandations et la loi concernant la conduite. Au niveau de la loi, le contrôle du véhicule est requis tout le temps et c’est un délit spécifique de tenir en main un téléphone mobile en conduisant. Dans le code de la route, la loi est décrite en terme de ce que l’on « doit » ou « ne doit pas » faire. En outre, il y a des recommandations qui sont également prises en compte au tribunal (tableau Irenvoi vers).

Tableau I Paragraphe du code de la route concernant le téléphone mobile

Téléphone mobile et technologies embarquées(Laws RTA 1988 sects 2 & 3 & CUR regs 104 & 110)
127 : Vous devez exercer un contrôle approprié de votre véhicule en permanence. Vous ne devez pas utiliser un téléphone mobile tenu en main, ou un appareil similaire, lorsque vous conduisez ou lorsque vous supervisez un conducteur en apprentissage, excepté pour appeler le 999 ou le 112 en cas d’urgence et s’il est impossible ou dangereux de s’arrêter. N’utilisez jamais un microphone tenu à la main en conduisant. Utiliser un équipement « mains-libres » détourne également votre attention de la route. Il est bien plus sûr de ne jamais utiliser de téléphone en conduisant et de trouver un endroit pour s’arrêter en sécurité pour le faire.

Sanctions pour usage du téléphone tenu en main

La sanction est fixée à 60 £ (et peut aller jusqu’à 1 000 £ si le cas relève du tribunal) pour usage d’un téléphone mobile tenu en main. Depuis février 2007, utiliser un téléphone tenu en main est devenu un délit qui entraîne le retrait de 3 points au permis de conduire. Tout conducteur qui atteint 12 points de pénalité ou plus dans une période de 3 ans est normalement interdit de conduire. La Grande-Bretagne a un système complexe de pénalités concernant les différents délits et le nombre d’années avant que les points retirés du permis soient restitués.

Loi sur la santé et la sécurité

Les lois « santé et sécurité » s’appliquent aux professions de la route de la même façon que pour les autres activités professionnelles. Par conséquent, les risques doivent être gérés efficacement par les entreprises conformément à des normes de santé et de sécurité.
Le texte de loi sur les infractions dans le domaine « santé et sécurité » de 2008 détermine l’amende maximum qui peut être imposée par un tribunal (de 5 000 £ à 20 000 £) pour la plupart des infractions de ce domaine et fait de l’emprisonnement une option possible pour les tribunaux pour grandes infractions.
La législation sur les homicides volontaires et involontaires de 2007 donne la possibilité de poursuivre des entreprises et des organisations pour non respect flagrant de leurs obligations.
La police peut contrôler les enregistrements téléphoniques lorsqu’elle recherche si l’usage du téléphone est à l’origine d’un accident grave et/ou mortel. Les employeurs qui exigent de leur personnel d’utiliser un téléphone mobile lorsqu’ils conduisent pour le travail peuvent être poursuivis si une enquête détermine que l’usage du téléphone a contribué à un accident. L’encouragement évident à utiliser le téléphone au volant peut entraîner des poursuites pour homicide involontaire contre les chefs d’entreprises (pas contre les employés).
Cette législation « santé et sécurité » est bien intégrée par les grandes entreprises et des conseils sont donnés par les groupes industriels pour son application1 . Néanmoins, les implications sont probablement moins bien appréciées par les plus petites entreprises et les indépendants, et parfois ignorées au vue des gains économiques perçus qui sont liés au fait d’être potentiellement disponible et contactable par téléphone.

Usages du téléphone mobile

L’usage réel du téléphone mobile (tenu en main et « mains-libres ») en Grande-Bretagne peut être mesuré à partir d’une enquête annuelle effectuée dans 33 lieux à Londres (Narine et coll., 2010renvoi vers). Bien que cette étude constitue un véritable défi méthodologique, sa répétition annuelle permet au final une mesure relative et indicative des usages. Les résultats les plus récents sont présentés dans les figures 1Renvoi vers et 2Renvoi vers. Il faut noter tout particulièrement une différence significative entre 2008 et 2009.
Figure 1 Utilisation du téléphone mobile « mains-libres » à Londres
Figure 2 Utilisation du téléphone mobile tenu en main à Londres

Quelques recherches récentes

Travaux de Redelmeier et Tibshirani

L’article important de Redelmeier et Tibshirani (1997renvoi vers) a conclu le débat sur la question de savoir si le fait de parler au téléphone en conduisant constituait ou non une distraction dangereuse. Cette étude est basée sur 699 conducteurs de Toronto possédant un téléphone mobile et ayant été impliqués dans un accident matériel sans dommages corporels. Les appels le jour de l’accident et une semaine avant ont été analysés. Globalement, les observations sur route, sur simulateurs et les méta-analyses donnent les mêmes conclusions.
Le risque d’accident est 4 fois plus élevé quand un téléphone est utilisé en conduisant (et reste plus élevé jusqu’à 10 minutes après la fin de l’appel). Cela suggère que les altérations causées par la conversation téléphonique perdurent après que le conducteur ait terminé son appel car il reste préoccupé par le contenu de la conversation. Ce résultat ajouté au fait qu’il n’y a pas de différence en termes de niveau de risque entre le téléphone tenu en mains et le « mains-libres » montre bien que c’est la distraction engendrée par la conversation avec une autre personne et non le geste physique de téléphoner qui entraîne une altération de la conduite. Pour les auteurs de l’étude, conduire en téléphonant équivaut à conduire avec un taux d’alcoolémie au niveau de la limite légale.
La notion d’un risque 4 fois plus élevé a été utilisée par le Département Britannique des Transports dans la littérature d’information sur la sécurité et est devenu la statistique la plus connue dans ce domaine.

Étude du TRL sur le téléphone mobile et l’alcool

Cette étude a été conduite par le Transport Research Laboratory (TRL) pour la compagnie d’assurance « Direct line » (Burns et coll., 2002renvoi vers). Vingt participants ont conduit le simulateur « haute fidélité » du TRL, en condition de suivi de véhicule avec du trafic, dans des virages et en zone urbaine. De l’alcool leur a été administré, de façon à atteindre la limite légale britannique d’alcoolémie soit 80 mg/100 ml (35 µg/100 ml dans l’air expiré). Les performances ont été mesurées dans des conditions contrôle et durant l’utilisation d’un téléphone tenu en main et mains-libres.
La figure 3Renvoi vers montre les temps de réaction à des événements survenant brusquement dans le contexte de conduite simulée. De gauche à droite, la figure montre une augmentation des temps de réponse. En condition de contrôle, les conducteurs sont capables de réagir à un événement urgent en moins d’une seconde. Lorsqu’ils sont alcoolisés, ils mettent un peu plus d’une seconde pour réagir. Par contre, le temps de réaction est significativement plus long dans le cas de l’utilisation du téléphone mains-libres (50 % plus long que dans la situation contrôle et 30 % plus long que sous l’emprise de l’alcool) et il est encore plus long dans la condition où le téléphone est tenu en main (les deux conditions d’utilisation du téléphone ne diffèrent pas significativement entre elles).
Figure 3 Temps de réaction à un événement soudain
Le fait de conduire sous l’emprise de l’alcool est devenu socialement inacceptable. Cette recherche suggère qu’utiliser un téléphone mobile en conduisant place le conducteur dans un état similaire à celui dans lequel il est lorsque la limite légale du taux d’alcoolémie est atteinte. Cependant, il est nécessaire de souligner que les caractéristiques de l’altération sont très différentes et que le conducteur peut choisir de faire cesser les altérations liées à l’usage du téléphone plus rapidement que de se débarrasser des effets de l’alcool.

Étude du TRL sur les conversations en voiture

Ces travaux ont été conduits par le TRL pour le Département de santé Britannique (Parkes et coll., 2007renvoi vers). Le rapport contient un résumé des précédentes recherches et une revue de la recherche internationale. Il décrit aussi une étude en simulateur de conduite comparant trois conditions à une condition contrôle : parler avec un téléphone mains-libres, parler avec un passager et manipuler les commandes de l’autoradio ou de la climatisation.
En résumé, voici ce qui a été observé concernant la situation de conversation téléphonique :
• vitesse plus lente et plus de variations des vitesses ;
• plus de déviations sur la chaussée ;
• temps de réaction plus long ;
• moins d’événements détectés ;
• prises de décision de moins bonne qualité ;
• performances significativement moins bonnes lors d’une conversation téléphonique qu’avec un passager ;
• charge mentale jugée plus élevée pour la conversation téléphonique que pour parler à un passager.
Il est intéressant de noter qu’au cours d’une conversation, bien que le conducteur passe plus de temps à regarder droit devant, il détecte moins d’événements, ce qui indique que la conscience de la situation est altérée et que trop d’attention est focalisée sur la conversation.

Étude du TRL sur le « texting » en conduisant

Cette étude a été menée par le TRL pour la Fondation RAC2 (Reed et Robbins, 2008renvoi vers). C’est la première étude britannique de ce type, tenant compte d’un usage plus large des outils de communication.
La figure 4Renvoi vers montre les temps de réaction à des stimuli de nature visuelle ou auditive entre les différentes conditions étudiées : condition de contrôle et le fait de conduire en écrivant ou lisant des messages (« texting »).
Figure 4 Temps de réaction
L’effet probablement le plus spectaculaire a été observé sur le contrôle latéral du véhicule et notamment en ce qui concerne le nombre de sorties de voie qui passe de 4 dans la condition contrôle à 42 dans la condition texting (figure 5Renvoi vers).
Figure 5 Nombre de sorties de voie
Ces résultats sont comparables avec ceux de l’étude américaine de Virginia Tech sur les conducteurs de poids lourds en situation réelle de conduite (Olson et coll., 2009renvoi vers). Cette étude porte sur 200 véhicules ayant parcouru 3 millions de miles et qui ont été impliqués dans 4 452 événements critiques. Quatre vingt un pour cent des événements enregistrés mettent en cause la distraction du conducteur et l’étude trouve une augmentation du risque multipliée par 23 lorsque le conducteur lit ou écrit un message (SMS). À titre d’exemple, lorsqu’ils lisent ou écrivent des SMS, les conducteurs détournent les yeux de la route plus de 4 secondes toutes les 6 secondes enregistrées.

Discussion sur les perspectives d’amélioration de la sécurité

Les données brièvement présentées illustrent le fait que l’usage du téléphone présente un danger de distraction. Cela a été quantifié dans des études expérimentales et aussi sur route. L’étendue des effets du téléphone semble importante, mais la question clé reste celle de son impact réel sur les accidents quelle que soit leur gravité. L’étude de Virginia Tech montre une forte implication du téléphone dans les événements critiques, mais le lien entre ces situations critiques liées à l’usage du téléphone et la survenue d’un accident reste à établir.
Il y a environ 3 000 accidents mortels par an en Grande-Bretagne. D’après les rapports de police (et les investigations policières concernant les accidents mortels sont assez détaillées), seulement 24 cas ont été relevés où le téléphone constitue un facteur contributif majeur de l’accident (0,8 %). Aussi l’impact en matière de sécurité ne semble pas si évident et en termes politique, les essais pour améliorer la sécurité de l’usage du téléphone doivent être mis en balance avec d’autres problèmes de sécurité routière, tels que l’alcool, la vitesse ou les ceintures de sécurité, par exemple. L’usage du téléphone mobile doit également être considéré dans un contexte plus large d’équipement des véhicules. La technologie se transforme et évolue et le téléphone mobile d’aujourd’hui n’est peut-être pas celui de demain.
La législation concernant les entreprises (sur l’usage du téléphone en conduisant pour le travail) semble adaptée pour les grosses entreprises mais l’est probablement moins pour les plus petites et les indépendants. La législation concernant les conducteurs existe mais n’est clairement pas efficace pour réprimer tous les usages illégaux.
Que ce soit pour les entreprises et pour les conducteurs, il n’est pas évident que ce qui aurait les meilleurs effets soit le fait de faire plus d’information ou de renforcer les sanctions. En Grande-Bretagne, il y a eu une série de campagnes d’information choquantes et basées sur l’émotionnel ; la question reste de savoir avec quelle fréquence répéter ce type de messages.
Une législation pour les constructeurs automobile poserait problème du fait de l’évolution des technologies et de l’impossibilité de l’appliquer aux équipements qui peuvent être installés dans le véhicule par les conducteurs.
La technologie existante pourrait être utilisée pour identifier un téléphone en mouvement et pourrait donc nécessiter soit une confirmation que l’utilisateur ne conduit pas soit un test de dextérité avant que le téléphone ne s’active. La faisabilité et l’efficacité de telles mesures restent discutables.
Un point positif est que les véhicules sont de plus en plus sécuritaires. On peut ainsi espérer que les systèmes de sécurité secondaires protègeront de plus en plus le conducteur et les autres usagers de la route de leurs propres manquements.
La distraction au volant est un domaine qui nécessite encore des recherches. Dans un rapport récent (Basacik and Stevens, 2008renvoi vers), le TRL a tenté de faire une revue critique de la recherche sur la distraction au volant, à la fois dans et en dehors du véhicule, identifiant les manques de connaissances et a proposé un programme de recherche pour le futur.

Bibliographie

[1] BASACIK D, , STEVENS A. . Scoping study of driver distraction. Road Safety Research Report N95, October 2008. Department for Transport, . 2008; Retour vers
[2] BURNS PC, , PARKES AM, , BURTON S, , SMITH RK, , BURCH D. . How dangerous is driving with a mobile phone? Benchmarking the impairment to alcohol. TRL Report TRL547, Transport Research Laboratory, Wokingham, . 2002; Retour vers
[3] NARINE S, , WALTER LK, , CHARMAN SC. . Mobile phone and seat belt usage rates in London 2009. TRL Report PPR 418, Transport Research Laboratory, Wokingham, . 2010; Retour vers
[4] OLSON RL, , HANOWSKY RJ, , HICKMAN S, , BOCANEGRA J. . Driver distraction in commercial vehicle operations. Virginia Tech study for FMCSA, . 2009http://www.fmcsa.dot.gov/facts-research/research-technology/report/FMCSA-RRR-09-042.pdf [accessed 12/05/10]; Retour vers
[5] PARKES AM, , LUKE T, , BURNS PC, , LANSDOWN T. . Conversations in cars-the relative hazards of mobile phones. TRL Report TRL664, Transport Research Laboratory, Wokingham, . 2007; Retour vers
[6] REDELMEIER DA, , TIBSHIRANI RJ. . Association between cellular telephone calls and motor vehicle collisions. . New England Journal of Medicine . 1997, ; 336 : :453--458Retour vers
[7] REED N, , ROBBINS R. . The effect of text messaging on driver behaviour. TRL Report PPR367, Transport Research Laboratory, Wokingham, . 2008; Retour vers

Alan Stevens


Transport Research Laboratory, TRL Ltd, Grande-Bretagne

Distraction du conducteur : définition, mécanismes, effets et facteurs modulateurs

La conduite est une activité complexe qui implique de mener à bien de nombreuses tâches secondaires : trouver son chemin, suivre la route, surveiller sa vitesse, éviter les accidents, respecter le code de la route et maîtriser son véhicule (Brown, 1986, cité par Falkmer et Gregersen, 2003renvoi vers). En dépit de cette complexité, les conducteurs pratiquent souvent des activités supplémentaires qui distraient leur esprit et leurs yeux de la route et éloignent leurs mains des points de contrôle importants du véhicule (par exemple : le volant, la boîte de vitesses). Il existe de nombreuses preuves établissant que la distraction est un facteur non négligeable d’accidents et d’incidents graves (Gordon, 2008renvoi vers).
La recherche sur la distraction du conducteur a explosé ces dix dernières années et a récemment abouti à la publication du premier livre dédié à ce sujet (Regan et coll., 2008arenvoi vers), une série de conférences internationales bi-annuelles consacrées à la distraction et à l’inattention du conducteur (Regan et Victor, 2009renvoi vers), et un sommet national sur la distraction au volant convoqué en septembre 2009 et 2010 par le secrétaire d’Etat aux Transports des Etats-Unis Ray LaHood (DOT, 2009renvoi vers).
Ce document ne traite pas spécifiquement de la distraction due à l’utilisation du téléphone portable. Il s’agit plutôt de fournir au lecteur un aperçu général de ce que recouvre le terme de « distraction au volant » : ce que cela signifie, quel lien a-t-elle avec les autres formes d’inattention au volant, les types de distractions au volant, les sources de distractions au volant, les facteurs altérant les effets de la distraction sur la conduite, les interférences qui découlent des distractions, les théories qui expliquent ces interférences, l’impact des distractions sur la conduite et la sécurité, et les stratégies à développer dans le cadre de la sécurité routière pour gérer les distractions au volant. Ce document permet au lecteur d’embrasser une large perspective à partir de laquelle il peut évaluer le rôle des distractions dues à l’utilisation du téléphone portable et les classer dans le domaine de la sécurité routière.

Distraction au volant : définition

On parle de la distraction au volant comme d’une chose bien définie (Regan et coll., 2008a). Pourtant, en tant que concept scientifique, elle ne l’a jamais clairement été. Il y a également de nombreuses confusions dans les documents qui traitent de ce sujet entre la distraction et l’inattention. De nombreuses études scientifiques sur la distraction au volant ne définissent pas le concept même qu’elles prétendent étudier. L’absence d’une définition établie est problématique car elle peut rendre les comparaisons entre différentes études délicates, elle peut aussi engendrer des estimations très variables du rôle de la distraction dans les accidents de la route et les collisions (Gordon, 2008renvoi vers).
Les définitions données dans les dictionnaires varient légèrement mais sont toutes unanimes pour établir que la distraction implique une diversion de l’attention par quelque chose. Les définitions de la distraction dans le contexte automobile, sont également multiples. Voici un petit échantillon de définitions, tirées des études sur la distraction, qui illustrent ces variations. La définition 1 a été établie par un groupe d’experts, les définitions 2 et 3 sont le résumé d’une analyse et d’une revue complète des définitions déjà élaborées dans ce domaine. La définition 4 a été obtenue en classant par catégorie les erreurs humaines considérées comme des causes lors de l’analyse en profondeur des accidents.
1. « Une diversion de l’attention normalement centrée sur la conduite, due à la concentration temporaire du conducteur sur un objet, une tâche ou un évènement n’ayant pas de relation avec la conduite, qui réduit la perception du conducteur, sa capacité à prendre des décisions et/ou son efficacité, entraînant ainsi un risque accru d’actions correctrices, d’évitements de dernière minute, ou d’accidents. » (Hedlund et coll., p 2renvoi vers).
2. « La distraction au volant consiste en une diversion de l’attention portée aux activités indispensables à une conduite sûre vers une activité concurrente.” (Lee et coll., 2008arenvoi vers).
3. « La distraction au volant : retard du conducteur pour identifier une information nécessaire au maintien du contrôle latéral et longitudinal du véhicule (action de conduire) (impact) ; causé par un évènement, une activité, un objet ou une personne situé à l’intérieur ou à l’extérieur du véhicule (agent) ; qui force ou pousse le conducteur à détourner son attention des tâches de conduites fondamentales (mécanisme) ; en engageant les facultés auditives, biomécaniques, cognitives ou visuelles du conducteur ou bien la combinaison de plusieurs de ces facultés (type) » (Pettitt et coll., 2005, p 11renvoi vers).
4. « La distraction au volant se produit lorsque le conducteur identifie avec retard une information nécessaire à la conduite sûre de son véhicule, parce qu’un évènement, une activité, un objet ou une personne à l’intérieur (ou à l’extérieur) de son véhicule l’a forcé ou l’a poussé à détourner son attention de la conduite de son véhicule » (Treat, 1980, p 21renvoi vers).
Ces définitions ainsi que les approches qui en découlent, révèlent quelques-uns des attributs clés suggérés pour définir la distraction au volant (Regan et coll., 2010renvoi vers) :
• l’attention est détournée de la conduite, ou des activités indispensables pour une conduite sûre ;
• l’attention est détournée au profit d’une activité concurrente, à l’intérieur ou à l’extérieur du véhicule, liée ou non à la conduite ;
• l’activité concurrente peut contraindre ou pousser le conducteur à détourner son attention vers elle ;
• il existe une hypothèse, implicite ou explicite, selon laquelle la conduite n’est pas exécutée en toute sécurité.

Inattention au volant : définition

L’inattention au volant et la distraction au volant sont des concepts voisins. Pourtant, la nature des liens qui unissent ces deux concepts est considérée de manière très différente selon les documents. Il existe peu de définitions de l’inattention au volant, et le contenu de celles qui existent est très variable. Voici, pour exemple, un petit échantillon de définitions tirées des études effectuées dans ce domaine.
« ….se produit lorsqu’un conducteur reconnaît avec retard une information nécessaire à la conduite sûre de son véhicule, parce qu’il a choisi de diriger son attention ailleurs pour une raison non indispensable » (Treat, 1980, p21renvoi vers).
« …mauvaise sélection d’information, soit par manque de sélection soit par sélection d’informations non pertinentes ». (Victor et coll., 2008, p137renvoi vers).
« …baisse de la concentration sur les activités indispensables à une conduite sûre en l’absence d’une activité concurrente » (Lee et coll., 2008a, p32renvoi vers).
« baisse de la vigilance due à un manque de concentration » (Talbot et Fagerlind, 2009, p4renvoi vers)
« se produit lorsque l’attention du conducteur s’est éloignée de l’activité de conduite pour une raison non indispensable » (Craft et Preslopsky, 2009, p3renvoi vers).
Regan et coll. (2010renvoi vers) ont proposé une taxonomie de l’inattention issue majoritairement de l’analyse en profondeur des données disponibles sur les accidents (en particulier le travail de Van Elslande et Fouquet, 2007renvoi vers; Treat, 1980renvoi vers) mais aussi d’autres pistes de réflexions basées sur les facteurs humains et la psychologie cognitive. Cette taxonomie est développée sur la figure 1Renvoi vers. Regan et coll. (2010renvoi vers) définissent l’inattention au volant comme « une attention insuffisante ou inexistante aux activités nécessaires à une conduite sûre » (p.16), et expliquent que l’inattention au volant est due aux formes d’inattention suivantes :
• attention du conducteur restreinte (ACR) « Attention insuffisante ou inexistante aux activités indispensables à une conduite sûre provoquée par un élément qui empêche physiquement le conducteur (à cause de facteurs biologiques) de détecter (et donc de réagir à) une information indispensable pour conduire en toute sécurité » (p. 17renvoi vers)
• attention du conducteur mal dirigée ou mal priorisée(ACMD) « Attention insuffisante ou inexistante aux activités indispensables à une conduite sûre provoquée par la concentration du conducteur sur un aspect de la conduite à l’exclusion d’un autre, pourtant plus important pour la sécurité de sa conduite » (p. 17renvoi vers)
• attention du conducteur négligée ou insuffisante (ACN) « Attention insuffisante ou inexistante aux activités indispensables à une conduite sûre provoquée par la négligence du conducteur à surveiller certaines activités indispensables à la sécurité de sa conduite » (p. 18renvoi vers)
• attention du conducteur superficielle ou « flottante » (ACS) « Attention insuffisante ou inexistante aux activités indispensables à une conduite sûre provoquée par l’attention superficielle ou pressée du conducteur portée aux activités indispensables à une conduite sûre » (p. 19renvoi vers)
• attention du conducteur divertie ou distraite (ACD) « L’attention du conducteur est détournée des activités indispensables à une conduite sûre, et portée sur une activité concurrente, par conséquent, le conducteur ne prête qu’une attention insuffisante ou nulle aux activités indispensables à une conduite sûre ». (p.19renvoi vers) Comme on peut le voir sur la figure 1Renvoi vers, l’activité concurrente qui détourne l’attention du conducteur peut être liée ou non à la conduite. Dans cette taxonomie, l’attention divertie du conducteur est synonyme de « distraction au volant ».
Figure 1 Taxonomie de l’inattention au volant (d’après Regan et coll., 2010renvoi vers)
La définition de la distraction au volant donnée ci-dessus, proposée par Regan et coll. (2010renvoi vers), bien qu’elle évoque « l’attention détournée du conducteur », est presque identique à celle de la distraction au volant signalée précédemment chez Lee et coll. (2008arenvoi vers), elle met en avant les hypothèses suivantes :
• cela comprend des activités concurrentes pouvant être liées ou non à la conduite ;
• l’attention portée par le conducteur à des activités concurrentes peut être volontaire ou non ;
• les activités concurrentes peuvent advenir à l’intérieur ou à l’extérieur du véhicule ;
• les activités concurrentes peuvent comprendre des sources de distraction « internes », comme la rêverie ou « des pensées sans lien avec la conduite » (Smallwood et coll., 2003renvoi vers) ;
• l’attention portée aux activités concurrentes peut donner lieu à des interférences, soit « manifestes » et observables (comme par exemple une excursion dans la campagne) ou « intrinsèques » et non observables (par exemple, la perte de la perception d’une situation) (Hancock et coll., 2008renvoi vers).
Voici quelques exemples de distractions au volant et d’autres formes d’inattention qui découlent de la taxonomie proposée par Regan et coll. (2010renvoi vers) :
• le conducteur somnole quelques instants, les yeux fermés, et manque de renverser un piéton qui traverse la route devant lui (attention du conducteur restreinte) ;
• le conducteur regarde son angle mort pendant trop longtemps en s’insérant sur une voie et ne voit pas que le véhicule qui le précède freine brusquement (attention du conducteur mal dirigée) ;
• le conducteur néglige de vérifier si un train n’arrive pas sur sa gauche en traversant un passage à niveau parce qu’il ne s’attend pas à voir un train (on ne voit jamais ou rarement de trains) (attention du conducteur négligée) ;
• un conducteur pressé ne regarde pas dans son angle mort en s’insérant sur une autoroute et entre en collision avec une voiture par le côté (attention du conducteur superficielle) ;
• le conducteur regarde l’écran de son téléphone pour appeler un ami (attention du conducteur divertie sans lien avec la conduite) ;
• le conducteur regarde le voyant de sa jauge qui s’allume alors qu’il ne s’y attend pas (attention du conducteur divertie liée à la conduite) ;
• le conducteur pense à ce qu’il devra faire en arrivant au travail (attention du conducteur divertie sans lien avec la conduite) ;
• le conducteur cherche désespérément une station essence parce qu’il n’a presque plus d’essence (attention du conducteur divertie liée à la conduite) ;
• le conducteur rêvasse à propos de vacances romantiques à Paris (attention du conducteur divertie sans lien avec la conduite).
Selon ce modèle proposé par Regan et coll. (2010renvoi vers), le conducteur ne contrôle pas nécessairement les facteurs qui provoquent l’inattention. Par exemple, les facteurs biologiques qui sont sous le contrôle du conducteur (comme lorsqu’un conducteur fatigué ferme les yeux) peuvent mettre le conducteur dans l’impossibilité de conduire en toute sécurité. C’est pour cela que ce modèle comprend la catégorie de « l’attention restreinte du conducteur ».
Regan et coll. (2010renvoi vers) prennent également en compte les relations entre l’inattention au volant et les conditions dans lesquelles se trouve le conducteur (par exemple, jeune, inexpérimenté…) et entre l’inattention au volant et l’état du conducteur (par exemple, ennuyé, fatigué, non vigilant, somnolent, épuisé, ayant trop bu, drogué, sous médicaments, bouleversé émotionnellement…). Ils expliquent (p 23) que la condition et l’état du conducteur sont des facteurs qui peuvent soit provoquer différentes formes d’inattention (par exemple un conducteur jeune et inexpérimenté qui ne concentre pas son attention sur la bonne activité lorsque sa conduite exige plusieurs activités simultanées ; un conducteur fatigué qui ne voit plus pendant quelques instants parce que ses yeux se ferment) soit modérer l’impact d’une forme d’inattention donnée (par exemple, le jeune conducteur qui, par manque d’expérience, est plus gêné par une activité concurrente parce qu’il a moins l’habitude d’accorder une attention limitée aux activités concurrentes).
Pour conclure, dans le modèle proposé par Regan et coll. (2010renvoi vers), l’inattention est une attention nulle ou insuffisante accordée aux activités indispensables à une conduite sûre. La taxonomie de la figure 1 montre qu’elle peut être provoquée de différentes manières par différentes formes d’inattention.

Types de distraction

Dans le paragraphe précédent, on distinguait la distraction au volant des autres formes d’inattention au volant. La distraction au volant elle-même peut être encore décomposée en sous-catégories. Regan (2010renvoi vers) a établi six types différents de distraction qui sont définis par l’agent sensoriel qui détourne l’attention vers une activité concurrente :
• l’attention est détournée par ce que l’on voit (distraction visuelle) ;
• l’attention est détournée par ce que l’on entend (distraction auditive) ;
• l’attention est détournée par ce que l’on sent (distraction olfactive) ;
• l’attention est détournée par ce que l’on goûte (par exemple, une pomme gâtée, distraction gustative) ;
• l’attention est détournée par une sensation (par exemple, une araignée sur la jambe, distraction tactile) ;
• l’attention est détournée par des pensées (distraction interne) (souvent appelée « distraction cognitive »).
Jusqu’à présent, les recherches sur la distraction se sont limitées à l’étude d’impact des distractions visuelles, auditives et internes.

Sources de distraction

Différentes sources de distraction, pouvant faire naître une activité concurrente, ont été identifiées par les recherches sur le sujet (voir Regan et coll., 2008arenvoi vers). Elles peuvent être réparties dans les catégories générales suivantes :
• objets (par exemple, téléphone portable, panneau publicitaire, pomme) ;
• évènements (par exemple un accident, des éclairages) ;
• passagers (par exemple, enfants) ;
• autres usagers de la route (par exemple un piéton, une moto) ;
• animaux (par exemple un orignal) ;
• stimulus interne (c’est à dire dépendant de l’esprit, qui est susceptible de stimuler la pensée, de déclencher des actions observables comme la toux ou l’éternuement…).
Les sources externes de distraction (à savoir les objets, les évènements, les passagers...) ne seront distrayantes que dans la mesure ou le conducteur y prête attention, délibérément ou involontairement. Par exemple, un téléphone portable n’est pas distrayant à moins que le conducteur ne l’utilise ou l’entende sonner. Les passagers ne seront distrayants que si le conducteur communique avec eux, ou réagit d’une certaine façon à leur simple présence. Une même source de distraction peut impliquer différents types de distraction. Un panneau publicitaire, par exemple, provoquera une distraction visuelle si le conducteur le regarde. S’il réfléchit au message affiché, cela générera aussi une distraction interne. De la même façon l’usage du téléphone portable peut englober différentes choses : le regarder, l’utiliser pour composer un numéro ou envoyer un SMS, lire un SMS, téléphoner... Chacun de ces modes d’interaction va générer différents types de distraction, individuels ou combinés qui, à leur tour, généreront différents schémas d’interférence (voir ci-dessous).

Facteurs modulateurs

La distraction, lorsqu’elle se produit, agit sur l’efficacité et la sécurité en fonction de quatre grands facteurs (Young et coll., 2008renvoi vers) : les caractéristiques du conducteur, la concentration nécessaire pour l’activité de conduite, la concentration nécessaire pour l’activité concurrente, la capacité du conducteur à adapter sa réponse à l’activité concurrente.
Les caractéristiques du conducteur recouvrent son âge, son sexe, son expérience de la conduite, son état (par exemple, somnolent, ayant bu, en colère, bouleversé), son habitude et sa pratique de la tâche concurrente, sa personnalité (par exemple, qui aime le risque), et sa sensibilité à la distraction. Un conducteur inexpérimenté par exemple, aura moins d’attention disponible à accorder à une tâche concurrente qu’un conducteur expérimenté qui, par sa pratique et son expérience, a appris à rendre de nombreuses sous-activités de conduite automatiques, qui lui demandent par conséquent moins d’attention.
Les facteurs qui déterminent l’exigence de la conduite sont les conditions de circulation, les conditions météorologiques, l’état de la route, le nombre et le type d’occupants dans le véhicule, la qualité ergonomique du design intérieur du véhicule et la vitesse du véhicule. Généralement, moins la conduite est exigeante, plus l’attention restante disponible pour les activités concurrentes est grande. Un véhicule dont le design intérieur est très ergonomique, ce qui diminue la concentration nécessaire pour la conduite, augmentera l’attention disponible pour les autres tâches et réduira par conséquent les interférences entre les tâches. Etant donné que la conduite moderne ne demande pas une attention totale et continue pour assurer efficacité et sécurité – c’est une tâche « minimale » (Hancock et coll., 2008renvoi vers) – l’exigence de concentration souvent faible de la conduite est susceptible d’encourager les conducteurs à accorder de l’attention à des informations inutiles pour une conduite sûre.
La difficulté de la tâche concurrente aura un impact primordial sur le degré d’interférence qu’elle provoque. Les facteurs qui déterminent la difficulté de la tâche concurrente sont la similitude entre cette tâche et les sous-activités de la conduite (par exemple, si elle requière des actions de surveillance visuelle ou de contrôle similaires à celles requises pour assurer le contrôle du véhicule), sa complexité, si elle peut être ignorée, si on peut la prévoir, si on peut la régler facilement, si elle est facile à interrompre et à reprendre, si elle est longue à réaliser. Plus le conducteur est exposé longtemps à une source de distraction qui interfère avec la sécurité de sa conduite, plus l’impact de cette distraction sera grand.
Enfin, la capacité du conducteur à s’auto-contrôler aura un impact primordial sur son degré de distraction. L’auto-contrôle aux niveaux stratégiques, tactiques et opérationnels de la conduite peut être exercé par les conducteurs pour maîtriser leur vulnérabilité aux activités concurrentes, pour contrôler le temps qu’ils accorderont à l’activité concurrente et pour contrôler leur capacité d’investissement (Lee et coll., 2008brenvoi vers). Il arrive cependant que l’auto-contrôle soit rendu impossible même si le conducteur veut l’exercer. Le meilleur exemple est représenté par les impératifs sociaux ou professionnels qui font utiliser son téléphone au conducteur à un moment qu’il n’aurait pas choisi dans d’autres cas.
Bien que ces facteurs modulent les effets de la distraction, ils sont rarement pris en compte dans les études expérimentales. Ils constituent pourtant des variables indépendantes importantes dans toute étude sur la distraction. À cause de cette lacune, il est difficile et souvent impossible de comparer dans plusieurs études l’impact de différentes sources de distraction sur le comportement et l’efficacité.

Interférence

Lorsqu’un conducteur est distrait, la pratique de la tâche concurrente peut interférer d’une certaine manière avec des activités indispensables à une conduite sûre. Cette interférence peut être mineure ou importante. On peut considérer que les quatre facteurs altérants décrits plus haut contrôlent l’importance de l’interférence entre la tâche concurrente et les activités indispensables pour une conduite sûre. Comme il a été noté, les effets de l’interférence peuvent être manifestes et observables (comme lors d’une excursion dans la campagne) ou intrinsèques et non observables (comme dans le cas où l’on perd la perception de la situation) (Hancock et coll., 2008renvoi vers). A l’heure actuelle, les connaissances sur l’interférence intrinsèque sont limitées, mais on peut imaginer qu’elle conduit les conducteurs à faire des erreurs au cours des différentes étapes du processus d’information qui va de la perception à l’action (Horrey WJ, communication personnelle, 7 mai 2010) qui aboutiront ou non à une interférence manifeste.

Théories sur l’interférence

La distraction est problématique pour les conducteurs parce que leur capacité à répartir leur attention entre des tâches concurrentes est fondamentalement limitée par leur composition biologique. Pour faire simple, il existe trois explications psychologiques sur le mécanisme qui fait naître l’interférence : la théorie des ressources multiples, la théorie de la tâche unique et la théorie du contrôle.
La théorie des ressources multiples de l’attention (Wickens, 1992renvoi vers) énonce qu’une activité concurrente va interférer avec les tâches indispensables à une conduite sûre si les deux activités :
• partagent des caractéristiques de perception communes (auditives contre visuelles) ;
• présentent des processus similaires (verbal contre spatial) ;
• présentent les mêmes étapes procédurales (perception, connaissance, action) ;
• présentent les mêmes modalités de résolution (manuel contre vocal) ;
• présentent les mêmes canaux visuels (focal contre ambiant) ;
• sont toutes les deux exigeantes.
Selon cette théorie, l’attention peut être répartie entre des tâches concurrentes à condition qu’elles soient suffisamment différentes l’une de l’autre dans leurs caractéristiques structurelles, et qu’elles n’exigent pas plus d’attention que celle qui est disponible.
La théorie de la tâche unique (Broadbent, 1958renvoi vers) implique que l’attention ne peut être divisée entre des tâches concurrentes. Si deux tâches requièrent l’attention en même temps ou presque en même temps, elles doivent être réalisées chacune leur tour. Selon cette théorie, des activités concurrentes provoqueront plus d’interférences avec les tâches indispensables à la conduite dans les conditions suivantes (qui ne s’excluent pas les unes les autres) :
• si les deux activités ont en commun la même étape du processus d’information (par exemple, la sélection de la réponse) ;
• si les deux activités ne peuvent être intercalées (si certains aspects d’une activité ne peuvent être accomplis durant les instants laissés libres par l’autre activité) ;
• si les deux activités ne peuvent être coordonnées en temps (comme quand on se frotte le ventre en se tapant le crâne) ;
• si l’information provenant de la tâche concurrente ne peut être découpée en unités d’information plus petites ;
• si l’activité concurrente est très exigeante ;
• si la tâche concurrente est difficile à prévoir ;
• si la tâche concurrente n’est pas souvent pratiquée.
Selon la théorie du contrôle, les conducteurs contrôlent activement leur degré de distraction. Ce contrôle doit intervenir à trois niveaux de contrôle de la conduite (stratégique, tactique et opérationnel) – chacun présentant une échéance différente – et s’effectue grâce à trois types de contrôle (réaction, anticipation, et adaptation) (Lee et coll., 2008arenvoi vers). La limitation du contrôle à chaque niveau, et les interactions existant entre les échecs à chaque niveau causent des incidents dus aux distractions. Selon cette théorie, les mécanismes clés qui déterminent le degré d’interférence entre la conduite et la tâche concurrente sont la possibilité de connaître, de prévoir et de mettre au point la tâche qui distrait le conducteur (Lee et coll., 2008arenvoi vers).

Impact sur l’efficacité de la conduite

Après avoir défini la distraction au volant, ainsi que les mécanismes qui provoquent des interférences lorsqu’un conducteur est distrait, il convient de considérer l’impact de cette interférence sur l’efficacité de la conduite. Différentes altérations de l’efficacité de la conduite ont été signalées pour des activités concurrentes différentes. Les altérations signalées varient et comprennent : tenue de route dégradée, contrôle de la vitesse altéré, temps de réaction augmenté, panneaux de prévention non identifiés, distances de sécurité trop longues ou trop courtes, décisions précipitées, réduction de la perception d’une situation, analyse visuelle moins efficace, champ de vision horizontal réduit et oublis de vérification (par exemple, les rétroviseurs) (Bayley et coll., 2008renvoi vers; Horberry et coll., 2008renvoi vers).
La nature et l’ampleur des altérations de l’efficacité qui se produisent dépendent des facteurs altérants déjà décrits (c’est à dire les caractéristiques du conducteur, la concentration nécessaire pour l’activité de conduite, la concentration nécessaire pour l’activité concurrente, la capacité du conducteur à adapter sa réponse à l’activité concurrente). Certaines caractéristiques de l’activité concurrente prennent donc une importance particulière (Victor et coll., 2008renvoi vers). Les tâches qui sont d’abord distrayantes visuellement et distraient par conséquent les yeux (et dans une moindre mesure, l’esprit) de la route ont tendance à affecter la tenue de la route et la détection d’un évènement. Les tâches qui distraient d’abord l’esprit de la route (par exemple, une conversation téléphonique complexe avec un kit mains libres) ont tendance à accroître le temps que l’on passe à regarder le milieu de la route, le regard est concentré sur l’avant de la route au détriment des vérifications périphériques, ce qui peut quelquefois améliorer la tenue de route. Généralement, les tâches visuellement distrayantes entraînent de plus longs retards dans la détection d’évènements que les tâches qui exigent d’abord un effort cognitif (voir Victor et coll., 2008renvoi vers, pour un aperçu de toutes ces recherches).
Des altérations de l’efficacité de la conduite ont été observées en présence d’activités concurrentes générées par l’usage de téléphones portables, d’I-Pods, de lecteurs DVD, de GPS, de recherches de courriels, de lecteurs CD et de radios. Des altérations de l’efficacité de la conduite ont aussi été signalées lorsque les conducteurs pratiquent des activités de la vie quotidienne comme manger, boire, fumer, lire, écrire, atteindre des objets, s’arranger, et communiquer avec des passagers (voir Bayley et coll., 2008renvoi vers, pour un aperçu de toutes ces recherches).

Impact sur la sécurité

Le but de ce document n’étant pas de détailler les recherches les plus avancées concernant l’impact de la distraction au volant sur la sécurité du conducteur, nous nous contenterons d’évoquer quelques points clés.
Gordon (2008renvoi vers) a étudié un certain nombre de documents (aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande) utilisant des rapports de police ou des rapports émis par des équipes de recherche sur les accidents pour élaborer une étude sur les nombreuses distractions à l’intérieur ou à l’extérieur du véhicule dont on pense qu’elles ont contribué à provoquer un accident. Les rapports étudiés par Gordon ont incriminé la distraction au volant comme facteur contribuant à l’accident dans 10 à 12 % des cas, et environ un cinquième de ces accidents est attribué en partie à l’utilisation de technologie par le conducteur.
Les données fournies par la police ont tendance à sous-estimer la véritable importance du problème de la distraction pour beaucoup de raisons (Gordon, 2008renvoi vers). Les données issues des études naturalistes sur la conduite (Klauer et coll., 2006renvoi vers; Olson et coll., 2009renvoi vers) donnent un tableau plus représentatif du rôle de la distraction dans les collisions et les accidents. Dans ces études, des véhicules équipés de caméras vidéos ou d’autres capteurs sont utilisés pour enregistrer en continu le conducteur et son comportement sur des périodes hebdomadaires, mensuelles ou annuelles. Les épisodes de distraction au volant observés en vidéo peuvent ainsi être identifiés, caractérisés et comptés. Ces études démontrent que 22 % des accidents de voiture et 71 % des accidents de camions sont dus en partie à une distraction causée par une activité non liée à la conduite (Klauer et coll., 2006renvoi vers; Olson et coll., 2009renvoi vers).
Les études épidémiologiques, qui incluent les études naturalistes sur la conduite, permettent aux chercheurs d’évaluer l’accroissement du risque. McEvoy et Stevenson (2008renvoi vers) ont étudié de nombreux documents épidémiologiques, notamment une étude utilisant des véhicules équipés de caméras et d’autres capteurs (la fameuse étude naturaliste sur la conduite de 100 voitures; Klauer et coll., 2006renvoi vers), et identifié différentes sources clé de la distraction du conducteur dont on a pu prouver qu’elles augmentaient de manière significative le risque d’accident. On y retrouve notamment le téléphone portable. A propos du téléphone portable, ils concluent (p.314) que :
« …il est prouvé que l’usage du téléphone portable au volant augmente le risque d’accident, qu’il s’agisse d’accident uniquement matériel ou impliquant des blessures, ou bien d’évitement de dernière minute. En général, l’estimation du risque dans les études qui notent l’usage du téléphone ou utilisent des supports vidéo prouvant l’utilisation du téléphone au moment de l’accident est multipliée par trois ou quatre. Il semble que le risque d’accident soit augmenté indépendamment de la présence d’un kit mains-libres dans le véhicule. Les études approfondies qui cherchent à établir si certains types de kits mains-libres sont moins dangereux que d’autres sont justifiées. Cependant, sachant que les kits mains-libres n’éliminent pas certains effets distrayants, à savoir ceux qui sont liés à la conversation, il est difficile d’imaginer qu’aucun kit ne soit totalement sans risque. S’il est prouvé qu’un kit est moins dangereux (mais pas totalement sans risque), son usage plus intensif pourrait paradoxalement augmenter le nombre d’accidents liés à l’usage du téléphone, dans la mesure où l’impact d’un facteur de risque sur la sécurité de la route est fonction non seulement de l’évaluation du risque mais aussi de la fréquence de son usage ».
Les données issues des études naturalistes sur la conduite fournissent les comparaisons les plus détaillées sur la variation du risque en fonction des différentes activités distrayantes du conducteur.
Olson et coll. (2009renvoi vers), de VTTI aux Etats-Unis, a effectué des recherches sur la fréquence de la distraction au volant dans 4 452 évènements dangereux pour la sécurité (c’est à dire des accidents ou des évitements de dernière minute) dans lesquels intervenaient des camions commerciaux équipés de caméras et d’autres détecteurs et matériels d’enregistrement. Ces évènements dangereux pour la sécurité ont été enregistrés dans le cadre d’une étude comprenant 203 conducteurs et s’étendant sur 4 827 000 kilomètres. Les conducteurs de camions étaient occupés à des activités « tertiaires » (c’est à dire, non liées à l’activité de conduite) dans 71 % des accidents, 46 % des évitements de dernière minute et 60 % de tous les évènements dangereux pour la sécurité. Les conducteurs étaient X fois (voir ci-dessous) plus susceptibles d’expérimenter un évènement dangereux pour la sécurité lorsqu’ils pratiquaient les activités suivantes : écrire un message (23 fois) ; utiliser un GPS (9,9 fois) ; écrire (9 fois) ; utiliser une calculatrice (8,2 fois) ; regarder une carte (7 fois) ; attraper un appareil électronique (6,7 fois) ; composer un numéro sur un téléphone (5,9 fois) ; s’arranger (4,5 fois) ; et lire (4 fois). Les tâches qui éloignaient les yeux du conducteur de la route présentaient le plus haut risque de provoquer un évènement dangereux pour la sécurité. Les tâches présentant le plus haut taux de risque attribuable (RA) (c’est à dire, des évaluations du taux d’accidents attribuables à une source de distraction) étaient : attraper un objet (RA=7,6) ; utiliser un GPS (RA=3,1) ; et composer un numéro sur un téléphone (RA=2,5). L’écriture de sms, bien qu’elle présente une estimation de risque importante, n’était pas une tâche très pratiquée par les conducteurs de camion, c’est pourquoi elle ne présentait pas de taux de RA élevé (seulement 0,7 %). Cependant, les conducteurs de camion écrivent des sms de plus en plus souvent, la fréquence des évènements dangereux pour la sécurité liés à cette activité est donc susceptible d’augmenter, de même que le risque.
Un document précurseur, élaboré à partir de l’étude de conducteurs de voitures, mérite également notre attention. Cette étude naturaliste sur la conduite, menée par Klauer et coll. (2006renvoi vers; voir ci-dessus) sur 100 voitures équipées et 241 conducteurs a donné des résultats fructueux. Elle représente 3 218 688 kilomètres de routes parcourues, soit 43 000 heures de données enregistrées sur une période de 12 à 13 mois. Cette fois, 78 % des accidents et 65 % des évitements de dernière minute ont été dus en partie à l’inattention. La distraction (définie comme la pratique par le conducteur d’activités non liées à la conduite) était un facteur dans 22 % des cas. Les conducteurs étaient X fois (voir ci-dessous) plus susceptibles d’expérimenter un accident ou un évitement de dernière minute lorsqu’ils pratiquaient les activités suivantes : attraper un objet mobile (8,8 fois) ; regarder un objet à l’extérieur (3,7 fois) ; lire (3,38 fois) ; se maquiller (3,1 fois) ; appuyer sur les touches d’un appareil (2,8 fois) ; écouter son téléphone en le tenant à la main (1,3 fois) (bien que la récente augmentation ne soit pas très éloignée de 1,0). Cependant, les taux de RAP les plus élevés ont été obtenus pour appuyer sur les touches d’un appareil (3,6), parler sur un appareil tenu à la main (3,6) et lire (2,9).

Gérer la distraction

Il est impossible d’éliminer la distraction. Elle peut être, au mieux, efficacement gérée. Regan et coll. (2008brenvoi vers) ont estimé qu’il est possible d’éviter 55 % de toutes les sources de distraction connues (61 % des sources à l’intérieur du véhicule et 31 % des sources à l’extérieur du véhicule). Le développement de contre-mesures pour la distraction est encore à un stade embryonnaire, même dans des pays comme la Suède qui possède de relativement bonnes statistiques sur la sécurité. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où la plupart des pays n’ont pas de systèmes appropriés et efficaces de recueil et d’analyse des données sur le rôle de la distraction dans les accidents.
Regan et coll. (2008crenvoi vers) ont recommandé de nombreuses contre-mesures pour éviter la distraction ou atténuer ses effets, regroupées sous les catégories suivantes : collecte de données, formation, gestion des entreprises de parc automobile, législation, application de la loi, délivrance du permis de conduire, conception des routes et de la signalisation, formation du conducteur, conception des véhicules. Finalement, le but des organisations de sécurité routière devrait être de mettre au point une conception de la route qui tolère les distractions et sur laquelle aucun individu impliqué dans un accident dû à la distraction ne soit tué ou gravement blessé (Tingvall et coll., 2008renvoi vers). Cela suppose des contre-mesures qui soutiennent les conducteurs à chaque étape de la séquence de l’accident qui les encouragent, par exemple à conduire normalement (c’est à dire, à adapter intelligemment leur vitesse) ; qui les avertissent lorsqu’ils dévient de leur route (mises en garde en temps réel contre la distraction) ; les guident dans les situations d’urgence (assistance de tenue de route) ; les aident, ainsi que la voiture, à éviter un accident (assistance de freinage automatique) ; et, lorsqu’un accident est inévitable, qui s’assurent que la vitesse du véhicule et la vitesse maximale autorisée sont justifiées en comparaison de la capacité du véhicule et de l’infrastructure à protéger les conducteurs et leurs passagers d’une blessure grave.
Les mesures en temps réel et placées dans le véhicule sont probablement les plus efficaces pour gérer la distraction. Elles peuvent s’adapter pour prévenir ou limiter la tentation du conducteur de pratiquer une activité concurrente lorsque la conduite devient exigeante (prévention en temps réel de la distraction ; par exemple, « planificateur de tâches) et elles peuvent atténuer les effets de la distraction lorsque celle-ci se produit, en émettant des signalements et des mises en garde pour rediriger l’attention du conducteur sur des aspects importants de la conduite (atténuation en temps réel de la distraction; par exemple : « systèmes d’avertissements anti-distraction ») (Victor et coll., 2008renvoi vers). Ces systèmes peuvent détecter la distraction du conducteur, quelle que soit l’activité concurrente (liée ou non à la conduite), qu’elle soit volontaire on non, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur du véhicule, qu’elle soit visuelle, interne ou d’un autre type (auditive, par exemple). De plus, ces systèmes peuvent être optimisés grâce à leur adaptation aux facteurs altérant les effets de la distraction (par exemple, l’état du conducteur) : ils peuvent, par exemple, émettre plus de mises en garde si le conducteur a bu. Ces systèmes peuvent également être utilisés pour amorcer et activer le fonctionnement d’autres systèmes de sécurité actifs ou passifs à différents stades du déroulement de l’accident pour optimiser la sécurité du conducteur à tous les stades de l’accident. En émettant des rappels au conducteur en temps réel, ces systèmes peuvent également entraîner les conducteurs à détecter automatiquement le moment où ils commencent à être distraits.
En conclusion, dans ce document, nous avons défini la distraction au volant, nous l’avons décrite et distinguée des autres formes d’inattention au volant. Nous fournissons également des informations de fond qui permettent de comprendre et d’interpréter les effets potentiellement distrayants de l’utilisation du téléphone portable sur la conduite. Nous concluons par quelques commentaires relatifs en particulier à l’utilisation du téléphone portable au volant.
Le téléphone portable n’est que l’une des sources potentielles de distraction au volant. Il peut cependant être utilisé pour pratiquer et avoir accès à une grande variété de fonctions différentes. Chaque fonction exige différentes interactions entre le conducteur et son téléphone (regarder, écouter, manipuler…) qui génèrent à leur tour différents types de distraction (visuelle, auditive…). Ces différents types de distraction peuvent à leur tour générer différents schémas d’interférence, dont l’importance reposera sur quatre facteurs altérants : les caractéristiques du conducteur, la concentration nécessaire pour la conduite, la concentration nécessaire pour l’activité concurrente, la capacité du conducteur à adapter sa réponse à l’activité concurrente. Aujourd’hui, nous sommes peu renseignés sur la façon dont les caractéristiques du conducteur et la concentration nécessaire pour la conduite altèrent l’impact des activités concurrentes (notamment du téléphone portable) sur la conduite.
Les téléphones portables et leurs effets sur la conduite, n’ont pas encore tous été explorés. Les données étudiées dans ce document font penser que, pour les activités liées au téléphone déjà étudiées, l’utilisation du portable augmente généralement le risque d’accident pour les conducteurs de voitures de tourisme. L’augmentation du risque dépend essentiellement de l’activité pratiquée avec le téléphone.
Deux récentes études naturalistes sur la conduite ont rapporté des données établissant que le fait de converser à l’aide d’un téléphone portable n’augmente pas le risque d’accident de manière significative (Klauer et coll., 2006renvoi vers; Olson et coll., 2009renvoi vers), ce qui contredit les résultats de précédentes études épidémiologiques. En effet, l’étude d’Olson et coll. (qui concerne des conducteurs de camion) fournit des données qui font penser que le fait de parler avec un kit mais libres (ou une CB tenue à la main) réduit en fait le risque d’accident. Actuellement, le mécanisme qui conduit à cette diminution du risque est inconnu. Ce pourrait être, si l’on suit certains éléments déjà évoqués, dû à certains facteurs altérants qui réduisent l’impact de la distraction chez les conducteurs professionnels. En général, ceux-ci sont plus expérimentés que les conducteurs normaux et sont plus habitués à partager leur temps entre la conduite et la gestion d’autres systèmes à l’intérieur du véhicule (radios CB, GPS) qui sont considérés comme « faisant partie du boulot ». Cela n’explique pas cependant l’effet apparemment protecteur de la conversation pour les conducteurs de camions. On peut penser que le fait de converser avec un kit mains-libres ou une CB réduit la probabilité de somnolence causant des accidents. Parler au téléphone doit les maintenir éveillés mais cela reste à confirmer. Les études naturalistes sur la conduite sont encore une méthode de recherche relativement nouvelle et bien que les résultats soient intéressants et controversés, les limites des données obtenues grâce à ces méthodes doivent être comprises. Mc Evoy et Stevenson (2008renvoi vers; p 316) ont par exemple mis en lumière certaines limites de l’étude naturaliste étudiant 100 voitures, valables également pour l’étude naturaliste sur les camions :
« l’échantillon de volontaires assez peu nombreux et non représentatif; la difficulté de recueillir des données fiables sur les distractions de type secondaire, comme le niveau d’attention cognitive du conducteur, le rôle des passagers (pour des raisons d’intimité), ou les distractions extérieures au véhicule ; les problèmes de cohérence entre les études dans l’évaluation et dans le codage des activités concurrentes et dans l’attribution des causes d’accident ou d’évitement de dernière minute ; et le rôle des distractions au volant dans les accidents plus sérieux entraînant des blessures chez le conducteur. »
Les résultats donnés par ces deux études naturalistes sur la conduite s’appuient essentiellement sur des incidents graves, et non sur des collisions. On ne sait pas pour le moment si l’augmentation du risque dans un accident sérieux dû à une distraction où la collision était possible à éviter est comparable à l’augmentation du risque dans un accident sérieux où la collision était inévitable. De plus, comme le fait remarquer l’expert épidémiologique qui a donné des preuves distinctes à ce comité d’experts, il existe des problèmes associés au calcul des intervalles de confiance pour les taux de probabilité utilisés dans ces études (qui ont des conséquences sur la signification de différent taux de probabilité) ; et il n’existe pas d’analyse multivariée des données. Etant donné ces limitations, il est difficile de savoir à l’heure actuelle quelle confiance peut être accordée à l’affirmation de ces études selon laquelle converser avec un téléphone portable (tenu à la main ou en mains-libres) n’augmente pas de manière significative le risque d’accident. Une étude naturaliste sur la conduite nettement plus large est en cours actuellement aux Etats-Unis (elle concerne plus de 3 000 conducteurs volontaires1 ). Elle fournira un éclairage plus précis sur ces recherches.
Dans la mesure où le téléphone portable est une plateforme souple capable de fournir toute une gamme de fonctions à faible coût qui peuvent aider le conducteur et améliorer sa sécurité (par exemple, le GPS, le régulateur de vitesse adaptatif) et puisque, lorsqu’il est utilisé pour converser, il peut présenter des avantages inattendus pour la sécurité (sans oublier les mises en garde déjà énoncées ; par exemple pour atténuer les effets de somnolence chez les conducteurs de camion), il semblerait prématuré à ce stade de mettre en place un interdit sociétal total sur son usage au volant. Il convient pourtant de noter que dans certaines juridictions comme celle de l’Etat de Victoria en Australie, une interdiction totale de l’usage du téléphone portable au volant a été imposée aux jeunes conducteurs. Comme Regan et coll., (2008crenvoi vers, p 545) le souligne, « de plus amples recherches sont nécessaires pour mettre au point de nouveaux moyens de limiter les niveaux de distraction dus à l’usage du téléphone portable (par exemple, grâce à un design plus adapté, à une utilisation associée à un système de prévention en temps réel de la distraction et à des contre-mesures pour atténuer la distraction), et ce pour toutes les fonctions du téléphone qui sont accessibles au volant. Il faut aussi exploiter la capacité des appareils à proposer des applications permettant d’assister le conducteur et d’améliorer sa sécurité. Une telle action permettrait de pousser les équipementiers automobiles, les constructeurs et les fabricants d’appareils portables à travailler ensemble pour optimiser la sécurité du conducteur ».

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Michael A. Regan

Directeur de Recherche
Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar)

Point de vue du Laboratoire d’accidentologie et de biomécanique (LAB)

Le Laboratoire d’accidentologie et de biomécanique (LAB) est un laboratoire commun aux deux constructeurs automobiles français. Il dispose de bases de données accidentologiques nationales, internationales (Gidas pour German In-Depth Accident Study ; CCIS pour Co-Operative Crash Injury Study ; Irtad pour International Road Traffic and Accident Database) ainsi que de sa propre base de données. Cette dernière concerne plus particulièrement les études ciblées et les études détaillées d’accidents.
Les données accidentologiques actuelles ne permettent pas d’évaluer si le téléphone portable aurait ou non une influence sur la fréquence de survenue des accidents du fait de l’absence de cette donnée dans les bases accidentologiques actuelles.
Aucune donnée objective directe n’est donc disponible.

Le téléphone portable induit-il actuellement un risque routier important ?

Les courbes décroissantes de l’accidentologie française ne sont pas en faveur d’une telle hypothèse.
Par ailleurs, une récente étude de certains assureurs américains sur le lien entre la survenue d’accidents et l’interdiction du téléphone portable au volant n’a pas permis de montrer un effet de l’interdiction1 . Cette étude macroscopique compare l’évolution de l’accidentologie entre les états avec interdiction du téléphone portable et sans interdiction.
Dans son étude de type cas-témoin modifiée (case-crossover design) de 2005, Mac Evoy et coll. (2005renvoi vers) trouvent que l’utilisation de téléphones portables au volant induit un risque multiplié par 4 d’avoir un accident. Cependant, dans leur étude, plusieurs points sont en faveur d’une surévaluation par rapport à la population générale. La population étudiée est une population de conducteurs à fort kilométrage du fait des critères de sélection de l’échantillon. Ce biais n’est pas pris en compte dans l’estimation du risque. Par ailleurs, du fait de la brièveté d’un coup de téléphone, la probabilité d’avoir un appel téléphonique dans les périodes contrôles très étroites est faible. Cela réduit artificiellement le pourcentage de coups de téléphone dans les périodes contrôle et majore le risque du portable lors des accidents. Une variable de contrôle comme l’occurrence d’au moins un coup de téléphone au volant durant le voyage correspondant à la plage horaire où a eu lieu l’accident semblerait plus adaptée.
À noter que dans cette étude, seuls 6 % des véhicules sont équipés d’un kit mains-libres intégré avec commande vocale et le risque qui leur est associé n’a pu être évalué spécifiquement.
Cette étude est comparée en 2007 à une étude cas-témoin sur l’influence de la présence de passager sur le risque d’accident (Mac Evoy et coll., 2007renvoi vers). Les sujets sont des personnes de plus de 17 ans ayant eu un accident et ayant été admis à l’hôpital. Ils sont questionnés en particulier sur la présence ou non de passagers et leur nombre. Les témoins sont des personnes contactées à des stations service aux heures et jours ouvrables. Il ressort de cette étude un risque de 1,6 pour le risque d’accident lorsqu’il y a des passagers. Le risque augmente avec le nombre de passagers. Outre que les populations des deux études sont très différentes, la deuxième étude ne prend pas en compte l’effet de prévalence. Ce point est discuté par Mac Evoy : « Bien que le risque associé au transport de passagers soit plus bas que celui associé à l’usage du téléphone portable, il est probable que le risque attribuable aux passagers soit supérieur à cause de la haute prévalence. ».
Le téléphone portable ne ressort donc pas particulièrement par rapport aux autres causes de distraction dans la voiture. Ceci est conforté par une étude américaine sur les sources de distraction durant la conduite automobile réalisée en 2003 aux États-Unis (Stuttset coll., 2003renvoi vers). Les évolutions dans les habitudes étant culturelles et très rapides, il serait important de pouvoir disposer d’une telle étude en France en 2010.

Comment le téléphone au volant induit-il une distraction ?

Il est important de continuer à bien distinguer le téléphone au volant sans kit mains-libres et le téléphone avec le kit mains-libres sachant qu’il y a différents types de kit mains-libres plus ou moins intégrés allant de l’oreillette mal adaptée au système complètement intégré avec commande vocale.
Lorsque l’on est au volant de sa voiture, la tâche de conduite est la tache principale. Cette tâche ne requiert pas toutes les ressources attentionnelles dans la plupart des cas. C’est ce qui permet au conducteur de discuter avec les passagers, d’écouter la radio, de regarder le paysage et parfois de se perdre dans ses pensées au point de conduire sur un mode « automatique ». Dans ces situations, comme lors d’une conversation téléphonique au volant, le conducteur est en situation d’attention partagée. Cela ne pose aucun problème tant que les ressources attentionnelles dédiées à la tâche principale sont suffisantes, c’est-à-dire que la tâche secondaire ne requiert pas des ressources attentionnelles venant amputer celles initialement dédiées à la tâche principale. La conduite automobile ordinaire permet dans la plupart des cas une tâche secondaire dans une modalité autre que visuelle, cette modalité sensorielle étant déjà particulièrement sollicitée par la tâche principale. Cependant, la charge cognitive peut varier fortement en fonction du contexte. Elle dépend aussi de l’expérience de conduite de la personne. Une personne expérimentée va mieux anticiper les situations. Elle va aussi automatiser certaines activités. Ainsi pour une même charge de travail, le conducteur expérimenté mobilisera beaucoup moins de ressources attentionnelles que le conducteur novice. Par ailleurs, la demande attentionnelle de la tâche secondaire va dépendre de plusieurs facteurs : la modalité sensorielle de la tâche secondaire, la complexité de cette tâche, l’ajout d’autres tâches secondaires. Ces points font la différence entre le téléphone sans kit mains-libres et avec kit mains-libres. Le fait de devoir numéroter, de gérer la conduite avec une seule main entraîne un alourdissement important en termes de demande cognitive et donc de ressources attentionnelles. Plusieurs points peuvent être discutés sur les expérimentations ne trouvant pas de différence entre le téléphone à la main et le kit mains-libres : le type de kit mains-libres utilisé pour réaliser l’expérimentation ou la finesse de la méthodologie employée. En effet, il est difficile de penser que l’on ne trouve pas de différence de charge attentionnelle entre le fait de dire « appeler M. X » en commande vocale (nom préenregistré sur une liste) et le fait de devoir taper le numéro sur un clavier numérique puis le fait de gérer la conduite avec une seule main. Le kit mains-libres permet de rester quasiment exclusivement dans une modalité auditive et d’entrer beaucoup moins en compétition avec la tâche de conduite que lors de l’utilisation du téléphone sans kit. À ce stade, il est important de bien considérer le fait qu’il existe de nombreux kits mains-libres différents sur le plan de l’intégration.
C’est cette différence importante qui justifie la réglementation actuelle. Si la réglementation devait se durcir, ce pourrait être sur les exigences à remplir des kits mains-libres.
Enfin, les études mettant en avant les effets distractifs du téléphone prennent souvent comme référence « idéale » une conduite « focalisée sur la route ». Or, la réalité est tout autre : distraction d’origine exogène par les affiches publicitaires, les messages autoroutiers, la radio ou distraction d’origine endogène avec poursuite de réflexions liées à des situations personnelles ou professionnelles diverses.

Que peuvent proposer les constructeurs automobiles ?

Les constructeurs automobiles ont travaillé et continuent à travailler sur une meilleure intégration du téléphone portable dans la voiture avec en particulier l’amélioration de la qualité audio, le développement de la commande vocale, du filtrage des appels entrants et/ou la mise en place de messages informant l’interlocuteur que la personne appelée est en situation de conduite.
Il sera possible aussi d’étudier la limitation de l’utilisation du téléphone de façon contextuelle (par ex. approche d’une intersection).
De telles améliorations sont obtenues grâce à des études en psychologie expérimentale et en ergonomie réalisées chez les constructeurs. Il serait dommage que ces efforts soient vains et que l’on voit se développer des utilisations sauvages du téléphone et de systèmes nomades au détriment des systèmes intégrés.
Le téléphone portable peut aussi favoriser dans certains cas une conduite apaisée. La mise en évidence de ces effets relèvent plus de l’expérience personnelle que de données scientifiques. En effet, il ne semble absolument pas possible de les quantifier. Lors d’un retard, le fait de pouvoir prévenir de son retard et éventuellement de gérer la prise en charge du problème s’accompagne ensuite d’une conduite plus apaisée et donc moins accidentogène. Enfin, dans les situations d’hypovigilance, le fait de converser avec quelqu’un permet de rehausser le niveau de vigilance.
Pour conclure, une analyse récente réalisée pour la commission européenne considère qu’il est nécessaire de disposer de plus d’éléments pour prendre une décision2 .
Il est certain qu’il serait intéressant de pouvoir disposer de données accidentologiques directes.

Bibliographie

[1] MCEVOY SP, , STEVENSON MR, , MCCARTT AT, , WOODWARD M, , HAWORTH C, et coll. . Role of mobile phones in motor vehicle crashes resulting in hospital attendance: a case-crossover study. . BMJ . 2005, ; 331 : :428Retour vers
[2] MCEVOY SP, , STEVENSON MR, , WOODWARD M. . The contribution of passengers versus mobile phone use to motor vehicle crashes resulting in hospital attendance by the driver. . Accident Analysis Prevention . 2007, ; 39 : :1170--1176Retour vers
[3] STUTTS J, , FEAGANES J, , RODGMAN E, , HAMLETT C, , REINFURT D, et coll. . The causes and consequences of distraction in everyday driving. . Annu Proc Assoc Adv Automot Med . 2003, ; 47 : :235--251Retour vers

Anne Guillaume

Laboratoire d’accidentologie et de biomécanique (LAB)
GIE PSA Peugeot Citroën et Renault, Nanterre


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