Fonction de reproduction et différences entre espèces

2011


ANALYSE

13-

Conclusions et perspectives de recherche

Il existe un décalage dans le temps entre la différenciation mâle et femelle. La différenciation mâle est plus précoce, ce qui implique qu’une exposition à un moment donné du développement in utero n’aura pas les mêmes effets chez un fœtus mâle ou femelle.
La différenciation du tractus génital mâle est beaucoup plus dépendante de la production d’hormones que ne l’est celle de la femelle. En effet, les ovaires du fœtus ne sont pas indispensables à la féminisation de l’organisme alors que les testicules le sont pour la masculinisation. Cela est à prendre en considération pour comprendre pourquoi certaines substances induisent des effets plus marqués chez le mâle que chez la femelle. Tout dérèglement de la fonction hormonale précoce aura certainement des conséquences plus marquées chez le mâle que chez la femelle.
En revanche, la disparition ou la diminution brutale d’un grand nombre de cellules germinales aura des répercussions sur la différenciation de l’ovaire alors que l’absence de spermatogonies n’influence pas la différenciation du testicule.
Le stock de follicules primordiaux formés dans l’ovaire fœtal est fixe et déterminé pour toute la vie reproductive de la femelle tandis que la spermatogenèse produit des gamètes de façon continue de la puberté à la sénescence chez le mâle. Certaines altérations survenues très tôt chez la femelle seront donc irréversibles et auront des effets à très long terme (20 à 30 ans) sur la fertilité.
Autre élément de réflexion, il existe des différences importantes entre espèces dans le déroulement de la différenciation sexuelle et dans les mécanismes qui les régulent. Les rongeurs ne représentent pas l’ensemble des mammifères et ont des particularités qui en font souvent une exception plus qu’un modèle universel.
Les différentes étapes du développement ovarien et testiculaire, bien que globalement similaires chez tous les mammifères, présentent des variations importantes entre espèces et ne se déroulent pas pendant des périodes similaires (figures 13.1Renvoi vers et 13.2Renvoi vers).
Figure 13.1 Diagramme représentant les principales périodes du développement du tractus génital mâle chez l’humain et le rat, en relation avec le niveau de production de testostérone (d’après Welsh et coll., 2008renvoi vers)
Figure 13.2 Comparaison des périodes de différenciation ovarienne chez différents mammifères (d’après Monniaux et coll., 2009renvoi vers)
Il existe également des différences physiologiques au niveau du développement et de la fonction reproductive entre mammifères qui rendent l’extrapolation entre rongeurs et espèce humaine parfois difficile. Citons comme exemple l’ouverture vaginale qui signe le début de la puberté chez la souris mais qui n’existe pas chez les primates. À l’inverse, l’endométriose n’existe que chez les primates.
Par ailleurs, les rongeurs sont des animaux poly-ovulants ; à chaque cycle une dizaine, voire plus, de follicules vont arriver à l’ovulation et une dizaine d’ovocytes seront produits. Les mécanismes qui régulent la folliculogenèse et l’ovulation sont donc différents chez le rat ou la souris et dans les espèces mono-ovulantes comme l’homme ou les ruminants.
Les rongeurs naissent beaucoup plus immatures que la plupart des autres mammifères, ce qui limite l’extrapolation des expositions reçues après la naissance (exposition par le lait, le changement de la taille de la portée). La période néonatale du rongeur correspond du point de vue du développement à la fin de la grossesse chez l’homme. En conséquence, la correspondance entre l’ontogénèse du développement ovarien par exemple, et le développement du système nerveux central (SNC) diffère entre l’homme et le rat, de telle sorte que des perturbations durant la gestation n’auront pas le même impact sur le développement du SNC.
Les rongeurs naissent en nombre largement plus élevé ce qui augmente la variabilité quant à l’exposition individuelle.
Par ailleurs, le micro-milieu hormonal du fœtus in utero (par exemple une femelle entourée de deux mâles dans l’utérus) peut avoir un effet significatif sur la physiologie après la naissance et peut entraîner un processus de « masculinisation » du fœtus femelle (Brown et coll., 1984renvoi vers ; Ryan et Vandenbergh, 2002renvoi vers). Ces facteurs ajoutent de la variabilité individuelle difficile à contrôler quand il s’agit d’étudier des effets « faibles ». Aujourd’hui encore, le design des modèles développementaux chez le rongeur n’est pas constant à travers la littérature scientifique : pour les tests spécifiques soit on utilise seulement des descendants mâles par portée, soit on prend 1-2 descendants au hasard. Cependant, le test proposé d’un-deux rejetons par portée comme design représentatif de la portée reste discutable surtout à la lumière des données sur le micro-milieu hormonal. Comme alternative, le test de toute la portée avec la moyenne de 10 rejetons par portée rend les expériences difficilement réalisables.
Il est donc clair qu’il faut être prudent pour extrapoler des résultats obtenus chez la souris à l’homme et prendre en compte les différences chronologiques et physiologiques qui existent entre les deux espèces. D’autres modèles animaux peuvent se révéler plus pertinents que les rongeurs, notamment ceux qui ont des durées de gestation et de vie longue, qui sont mono-ovulants et ne portent qu’un seul petit par portée, comme par exemple les ruminants.
Les effets d’exposition in utero à des substances chimiques peuvent se révéler à très long terme et parfois s’atténuer avec le temps. Il est donc indispensable de réaliser des études longitudinales avec plusieurs moments d’investigation (à la naissance, au sevrage, à la puberté, à l’âge adulte). L’intervalle de temps entre l’arrêt de l’exposition et le moment de l’étude doit être pris en compte car il peut expliquer une partie des résultats contradictoires de la littérature scientifique.
Des effets épigénétiques induits par des perturbateurs endocriniens présents dans l’environnement ont été mis en évidence, illustrant l’impact potentiel de ces perturbateurs sur la programmation de la reproduction, par altération de la gonade, du tractus génital ou des cellules germinales. Cependant, ces études sont très limitées, en termes de couverture génomique (quelques gènes cibles ont été choisis pour leur implication physiologique) et de l’étendue des défauts identifiés. Il n’existe pas à l’heure actuelle d’analyse non biaisée et à grande échelle d’anomalies épigénétiques induites in utero par l’exposition à de tels facteurs. De plus, aucune étude ne s’est penchée sur les effets potentiels sur les séquences transposables, dont la dérégulation peut avoir des incidences épigénétiques sur le contrôle de l’expression des gènes avoisinants, mais également des effets génétiques par leur capacité à se mobiliser et s’insérer dans le génome. Ce type d’étude est d’autant plus crucial si l’on considère que les séquences IAP, qui sont ces séquences qui échappent à la reprogrammation de la lignée germinale chez la souris, sont issues d’éléments transposables et sont les seules séquences connues actuellement pouvant sous-tendre des effets transgénérationnels.

Bibliographie

[1] BROWN MJ, SCHULTZ GS, HILTON FK. Intrauterine proximity to male fetuses predetermines level of epidermal growth factor in submandibular glands of adult female mice. Endocrinology. 1984; 115:2318-2323Retour vers
[2] MONNIAUX D, CARATYL A, CLEMENT F, DALBIES-TRAN R, DUPONT J, et coll. Développement folliculaire ovarien et ovulation chez les mammifères. Inra Productions Animales. 2009; 22:59-76Retour vers
[3] RYAN BC, VANDENBERGH JG. Intrauterine position effects. Neurosci Biobehav Rev. 2002; 26:665-678Retour vers
[4] WELSH M, SAUNDERS PT, FISKEN M, SCOTT HM, HUTCHISON GR, et coll. Identification in rats of a programming window for reproductive tract masculinization, disruption of which leads to hypospadias and cryptorchidism. J Clin Invest. 2008; 118:1479-90Retour vers

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