Méthodes et outils de caractérisation de l’impact de xénobiotiques sur la reproduction

2011


ANALYSE

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Conclusions et perspectives de recherche

Dans le cadre d’un criblage, il est possible de structurer les méthodes d’études en deux niveaux complémentaires. À un premier niveau, se situent les tests simples et rapides qui permettent de réaliser un crible à partir de nombreuses molécules chimiques afin d’identifier lesquelles ont un pouvoir de perturbation endocrine. Les tests in silico et in vitro (biochimiques ou cellulaires) correspondent à ce premier niveau. À un deuxième niveau, se situent des tests plus perfectionnés pour identifier les modes d’action des substances chimiques en particulier les perturbateurs endocriniens. Les cultures organotypiques et les tests in vivo, plus lourds et moins adaptés à un criblage à haut débit, font partie de la deuxième catégorie.
Les tests de la première catégorie (tests in silico, in vitro, cultures cellulaires) présentent l’avantage de pouvoir travailler sur un nombre très grand d’échantillons et de respecter la règle des trois R qui veut la réduction du nombre d’animaux, le remplacement des animaux quand cela est possible et le raffinement des protocoles de traitement.
Les tests de la deuxième catégorie (culture organotypique et modèles animaux) sont nécessaires pour déterminer et caractériser plus spécifiquement les effets de perturbation endocrine et étudier le métabolisme de ces molécules. Ces tests sont à l’heure actuelle les seuls pouvant tracer le lien avec une atteinte possible de la fertilité ou un changement pathologique.
Il est à souligner le très bon positionnement mondial des équipes françaises de recherche pour les tests cellulaires, les cultures organotypiques et les modèles in vivo de xénope et de zebrafish fluorescents. Si certains de ces tests sont en cours de validation à l’ECVAM (tests cellulaires), d’autres (cultures organotypiques, modèles de zebrafish ou de xénope) mériteraient d’être davantage développés pour atteindre le niveau du test validé.
La prédiction d’éventuels effets délétères sur la fonction de reproduction à l’aide des tests de la première catégorie requiert à la fois une meilleure connaissance des mécanismes fondamentaux de la reproduction (les voies de signalisation impliquées dans les étapes clefs de la reproduction des mammifères sont loin d’être toutes identifiées) et une meilleure compréhension des mécanismes d’action des substances reprotoxiques in situ dans leur(s) tissu(s) cible(s). Le dialogue permanent entretenu entre différents tissus par voie hormonale et au sein d’un même tissu entre différents types cellulaires par voie paracrine est à prendre en considération pour l’étude de la fertilité et donc des cellules germinales, celles-ci ne pouvant pas être cultivées isolément des cellules somatiques de la gonade. Dans ce cadre, un effort conjoint pour soutenir le développement de la recherche appliquée pour la mise en œuvre de tests d’activité de perturbation endocrinienne et la recherche en biologie fondamentale de la reproduction est nécessaire.
L’idée de base associée aux approches « omiques » consiste à appréhender la complexité du vivant dans son ensemble, au moyen de méthodologies les moins restrictives possibles sur le plan descriptif. Les approches de type métabolomique s’intéressent plus particulièrement aux composés chimiques présents au sein des systèmes biologiques étudiés, après la mise en jeu des phénomènes complexes de transcription et de traduction.
La pertinence des études chez l’animal utilisées en toxicologie par rapport à leur extrapolation à l’homme est parfois mise en cause ou non établie. Les modèles ex vivo ou in vitro provenant d’échantillons humains sont également critiqués puisque, justement, ce ne sont pas des études sur organismes entiers. Toutefois, leur intérêt est réel, en raison de leurs apports sur la connaissance des mécanismes. Il est souvent nécessaire de disposer d’un faisceau d’arguments pour conforter la relation entre les propriétés biologiques d’un facteur de l’environnement et son rôle dans la pathologie. Il faut souligner que la connaissance du mode d’action permet de mieux savoir si des observations faites chez l’animal sont transposables à l’homme.
Un autre paramètre qui complique l’extrapolation des résultats des travaux réalisés à partir de modèles in vitro ou avec des animaux de laboratoire à l’être humain est l’hétérogénéité génétique de la population humaine. En effet, bien que cet aspect soit encore quasiment inexploré dans le cadre des perturbateurs endocriniens, divers polymorphismes dans des gènes clefs de la fonction de reproduction sont connus. Ces polymorphismes pourraient modifier l’activité des protéines codées par ces gènes et s’ajouter à l’effet de perturbateurs tels que le phtalate DBP qui perturbe l’expression de l’INSL3. Des polymorphismes ont également été décrits pour les récepteurs aux androgènes (AR) et aux œstrogènes (ER) ainsi que pour SF1 (steroidogenic factor 1). Il pourrait exister des individus ou des populations ayant une plus ou moins grande susceptibilité à l’égard des perturbateurs endocriniens du fait de fond génétique différent.
Plus globalement, la notion d’interaction entre gènes et environnement reste très peu explorée dans le cadre de la reprotoxicité. Pourtant, pour certains perturbateurs endocriniens (notamment des phtalates) des effets très différents ont été rapportés d’une espèce à l’autre, parfois même entre deux lignées différentes d’une même espèce.
Les récents progrès dans la maîtrise de la dérivation de cellules souches à partir de cellules différenciées adultes, sont une opportunité nouvelle pour tester l’effet de substances reprotoxiques dans différents types cellulaires chez l’homme. Dans un futur proche, il pourrait même être concevable de prendre en compte les susceptibilités individuelles en reprogrammant des cellules adultes d’un individu donné pour être transformées en cellules, dites iPS (induced Pluripotent Stem cells), ayant les mêmes propriétés que les cellules souches embryonnaires, puis en les re-différenciant vers la voie germinale. Ces approches encore théoriques requièrent évidemment au préalable un lourd investissement en terme de recherche fondamentale.
Peu d’études (in vivo comme in vitro) ont abordé la problématique cruciale des effets de mélanges complexes. En effet, en règle générale c’est la stratégie inverse qui est développée pour l’étude d’un composé unique. Ainsi, il est recommandé de limiter l’exposition des animaux à travers la nourriture, les cages, les biberons à des sources additionnelles de perturbateurs endocriniens lorsque l’on veut mettre en évidence l’effet d’une substance potentiellement reprotoxique. Ces conditions très artificielles sont évidemment très éloignées de l’exposition humaine, chronique et à des mélanges beaucoup plus complexes. Par ailleurs, la plupart des travaux expérimentaux utilisent un composé unique démontrant l’effet de celui-ci à une forte dose, au-delà des seuils estimés d’expositions. Doit-on prendre en compte ces études qui ne ciblent qu’un composé unique à dose forte en imaginant qu’un mélange de plusieurs composés à des doses faibles (compatibles avec l’exposition humaine) peut avoir un effet semblable ? Ou doit-on ne pas prendre en compte tous les travaux impliquant des doses fortes du fait que celles-ci sont « extra environnementales » ?
Au niveau des populations, il n’y a pas d’approche épidémiologique unique pour répondre à une question aussi complexe que celle de l’impact d’une famille aussi vaste que celle des perturbateurs endocriniens sur un ensemble très varié de paramètres biologiques et de santé. Les approches de type cohorte prospective, adossées à d’importantes biothèques, auraient l’avantage de permettre d’étudier simultanément différents paramètres de santé et d’évaluer de façon prospective l’exposition à des perturbateurs endocriniens. De même, il faut souligner l’intérêt des cohortes mères-enfants permettant de suivre à moyen et long terme la santé de l’enfant.
L’interaction entre physiologistes/toxicologistes de la reproduction et biologistes devrait permettre de mettre en relation un phénomène observé au niveau moléculaire (liaison aux récepteurs nucléaires par exemple) et un effet dans le tissu reproducteur où une altération des fonctions physiologiques a été décrite en réponse aux perturbateurs endocriniens. Dans la plupart des cas, c’est une comparaison des effets avec une substance synthétique à activité œstrogénique ou anti-androgénique connue qui est rapportée.
A l’avenir, la détermination des mécanismes d’action en lien avec les effets devrait bénéficier d’un ensemble de méthodologies :
• approches classiques d’étude de l’absorption, distribution et métabolisme des toxiques ;
• utilisation de modèles biologiques cellulaires proches des états physiologiques humains (organotypique) et prise en compte de l’intervariabilité individuelle (cellules iPS) ;
• utilisation de modèles animaux pertinents (souris transgéniques mutantes pour un récepteur) permettant d’appréhender les mécanismes d’action sur les tissus cibles ; ou mammifères non rongeurs ou d’animaux transgéniques humanisés plus représentatifs de la situation humaine ;
• exploration de la perturbation des voies de biosynthèse des hormones naturelles pour identifier les différents niveaux de modification avec des outils de quantification ;
• biologie structurale qui permet de comprendre les interactions des substances avec leurs cibles protéiques cellulaires ;
• techniques haut débit, génomique, protéomique, métabolomique qui permettent une analyse à grande échelle des effets moléculaires potentiels et de rechercher des biomarqueurs d’expositions multiples ;
• application des outils de la biochimie et de la biologie moléculaire aux biothèques constituées dans le cadre des cohortes épidémiologiques ;
• biologie de systèmes qui permet d’intégrer ces informations dans un modèle mathématique global et de prédire les effets à long terme ;
• prise en compte des multi-expositions et utilisation des indicateurs sensibles et faciles à obtenir comme le spermatozoïde ou la durée nécessaire pour avoir un enfant.

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