Retardateurs de flamme polybromés (RFB)

2011


ANALYSE

44-

Études épidémiologiques

Il existe peu d’études épidémiologiques ayant analysé les conséquences d’une exposition aux composés polybromés sur les paramètres de la fonction de reproduction chez l’homme ou la femme. Quelques études chez l’homme ont recherché un lien entre la détection de plusieurs BDE dans le lait ou le sang maternel, et des anomalies morphologiques ou hormonales des descendants mâles exposés. Les deux études publiées chez la femme ont analysé le lien potentiel entre la présence de BDE et des anomalies du cycle menstruel ou la fécondabilité.

Effets sur les fonctions de reproduction chez l’homme

Cancer du testicule

Hardell et coll. (2006renvoi vers) ont comparé les niveaux sanguins de PBDE (somme des 3 congénères 47, 99, 153) d’un groupe d’hommes atteints de cancer des testicules recrutés à l’hôpital entre 1997 et 2000 à un groupe d’hommes témoins de même âge (n=58 pour chaque groupe). Aucune différence de niveaux de PBDE n’a été observée pour ces deux groupes. Les mères de ces hommes étaient également contactées pour répondre à un questionnaire et réaliser un prélèvement sanguin pour l’étude. Les mères des cas (n=44) et des témoins (n=45) étaient appariées sur l’âge. Les résultats montrent que les mères ayant les niveaux sanguins de PBDE les plus élevés sont plus souvent des mères de cas que de témoins. Les auteurs concluent que cette étude pourrait indiquer que l’exposition in utero (reflétée par les niveaux maternels) est plus importante que les autres fenêtres d’exposition au cours de la vie (reflétée par les niveaux chez les cas et les témoins). Cependant, même s’il s’agit de polluants persistants, il n’est pas évident que les niveaux observés chez ces mères reflètent l’exposition passée aux PBDE trente années auparavant (qui est l’âge médian des hommes inclus). L’étude montre, de plus, un lien entre risque de cancer de testicule et les niveaux sanguins d’autres polluants organiques persistants (POP tels que PCB, HCB). Les auteurs suggèrent ainsi que la plus faible croissance de l’incidence du cancer de testicule observée récemment pourrait s’expliquer par la réduction depuis les années 1980 des expositions (charges corporelles) aux autres POP que les PBDE.

Anomalies de l’appareil génital chez le jeune garçon

À partir de cohortes finlandaise et danoise, l’étude de Main et coll. (2007renvoi vers) a étudié le lien potentiel entre les niveaux de PBDE dans le placenta et le lait de mères ayant donné naissance à des fils présentant ou non une cryptorchidie (n=95 versus 185 échantillons de placenta et n=62 versus 68 échantillons de lait maternel). Les enfants étaient examinés à la naissance et à l’âge de 3 mois par des personnels formés et de façon standardisée. Les résultats de dosages chimiques des prélèvements biologiques étaient inconnus lors des examens cliniques. Parmi les 14 congénères PBDE recherchés (47, 153, 99, 100, 28, 66, 154, 183, 85, 71, 75, 77, 119, 138), les cinq premiers ont été détectés dans la majorité des placentas. Aucune différence des teneurs de ces congénères ou de leur somme n’a été observée entre les groupes de petits garçons atteints ou non de cryptorchidie. Dans le lait maternel (collecté entre 1 et 3 mois après la naissance), 7 congénères (47, 153, 99, 100, 28, 66, 154) ont été détectés dans tous les échantillons. La somme de ces congénères, ainsi que les concentrations individuelles (sauf pour les BDE 99 et 153) sont apparues de façon statistiquement significative plus élevées dans le groupe des nouveau-nés présentant une cryptorchidie que le groupe des témoins (valeurs médianes pour la somme des 7 PBDE : 4,16 versus 3,16 ng/g de lipide, p<0,007). Les auteurs précisent qu’en théorie il était attendu que le placenta offre de meilleurs marqueurs pour mesurer l’exposition fœtale que le lait maternel. Or, il est encore mal établi dans la littérature si les PBDE s’accumulent dans le placenta. L’étude de Main et coll. (2007renvoi vers) a montré cependant des fréquences de détection et des niveaux plus faibles de PBDE dans le placenta comparé au lait maternel pour un même groupe d’enfants. Enfin, parce que le lait maternel reflète la charge corporelle de la mère accumulée en PBDE et ainsi son exposition à long terme, il est raisonnable de considérer les concentrations mesurées dans le lait maternel comme marqueurs de l’exposition en début de grossesse et en particulier sur la fenêtre de développement du tractus génital mâle. Cette étude propose une méthodologie robuste et des résultats détaillés. Elle est en revanche basée sur de petits effectifs, il est donc nécessaire de proposer d’autres études pour confirmer ou infirmer ces résultats. Cette étude montre que pour les enfants finlandais, bien que les concentrations de PBDE soient plus élevées pour les enfants cryptorchides que les enfants témoins, la différence des niveaux n’est pas statistiquement significative. Il n’est donc pas à exclure que des cofacteurs non pris en compte dans ces analyses aient une influence sur ces résultats. Des expositions à d’autres contaminants, persistants ou non, pouvant jouer un rôle sur le développement périnatal testiculaire, sont envisageables. Les profils d’exposition aux PBDE étant différents pour les enfants danois et finlandais, il pourrait en être de même pour d’autres co-expositions.
L’étude de Carmichael et coll. (2010renvoi vers) a examiné les niveaux sanguins de PBDE et autres polluants organiques persistants parmi des échantillons collectés en routine en milieu de grossesse de femmes californiennes. Vingt échantillons ont été choisis parmi des femmes ayant eu un enfant atteint d’hypospadias et 28 échantillons ont été tirés aléatoirement parmi les naissances vivantes de la même année sans malformations répertoriées. L’étude n’a rapporté aucune différence significative dans les niveaux de PBDE et autres polluants entre les deux groupes (tableau 44.Irenvoi vers).

Tableau 44.I Études épidémiologiques sur les anomalies et cancer du testicule chez l’homme

Étude
Population
Exposition/Estimation
Résultats et remarques
Main et coll., 2007renvoi vers
Cohortes finlandaise et danoise
PBDE dans le placenta et le lait maternel
BDE 47, 153, 99, 100, 28 détecté dans le placenta
BDE 47, 153, 99, 100, 28, 66, 154 dans le lait
Cryptorchidie
Placenta : 95 cas vs 185 : pas de différences PDBE
Lait : 62 cas vs 68 : médianes ∑ 7 PBDE : concentrations plus élevées dans le groupe des nouveau-nés présentant une cryptorchidie : 4,16 vs 3,16 ng/g de lipide, p <0,007
Carmichael et coll., 2010renvoi vers
Femmes californiennes enceintes
PBDE sanguin
Hypospadias : 20 cas vs 28 témoins
Pas de différences dans concentrations
Hardell et coll., 2006renvoi vers
Étude cas (58) témoins (58)
Taux sanguins de PBDE
(∑ BDE 47, 99, 153)
Mères (44 cas vs 45 témoins)
Cancer du testicule
Aucune différence de niveaux de PBDE
Les mères ayant les niveaux sanguins de PBDE les plus élevés sont plus souvent des mères de cas que de témoins

Hormones impliquées dans la reproduction

L’étude de Main et coll. (2007renvoi vers), présentée plus haut, a en parallèle réalisé des dosages hormonaux (hormone lutéinisante, LH ; hormone folliculostimulante, FSH ; hormone de liaison aux hormones sexuelles, Sex Hormone-binding globulin SHBG ; inhibine B ; testostérone) à partir de prélèvements de sang recueillis à l’examen aux 3 mois des petits garçons. Aucune corrélation n’a été observée entre ces dosages hormonaux et les concentrations de PBDE dans les placentas. Une corrélation positive est observée entre le l’augmentation du taux sérique de LH et la somme des 7 congénères détectés dans le lait maternel ainsi que les concentrations de BDE 47, 100 et 154.
L’étude réalisée dans le Massachusetts par Meeker et coll. (2009renvoi vers) a inclus des hommes âgés de 18 à 55 ans, sans vasectomie, consultant pour infertilité à l’hôpital. Cette étude est caractérisée par un taux de participation estimé à 65 % des sujets éligibles. Parmi 24 de ces hommes recrutés sur la période 2002-2003, le sac aspirateur du domicile a été collecté et ses poussières analysées pour les trois congénères BDE 47, 99 et 100. Un prélèvement sanguin de ces 24 hommes était collecté pour l’analyse d’hormones, incluant la FSH, la LH, l’inhibine B, la testostérone, la SHBG et l’œstradiol. Les 3 congénères étaient retrouvés dans tous les prélèvements de poussières, et très corrélés entre eux. Les concentrations des trois PBDE étaient associées à une diminution du taux de FSH, de LH et de FAI (Free androgen index : ratio de testostérone totale sur SHBG) et à une augmentation du taux d’inhibine B et de SHBG (tableau 44.IIrenvoi vers).

Tableau 44.II Études épidémiologiques sur les taux d’hormones chez l’homme

Étude
Population
Exposition/Estimation
Résultats et remarques
Main et coll., 2007renvoi vers
Cohortes finlandaise et danoise
PBDE dans le placenta et le lait maternel
BDE 47, 153, 99, 100, 28 détectés dans le placenta
BDE 47, 153, 99, 100, 28, 66, 154 dans le lait
↑ LH corrélée avec ∑ des 7 congénères détectés dans le lait et concentrations de BDE 47, 100 et 154
Meeker et coll., 2009renvoi vers
24 hommes (18-55 ans), consultant pour infertilité à l’hôpital
Sac aspirateur du domicile (poussières analysées pour BDE 47, 99 et 100)
↓ FSH, LH, FAIa
↑ inhibine B, SHBG

a FAI : Free androgen index, ratio de testostérone totale sur SHBG

Les résultats opposés du lien possible entre concentrations en PBDE et taux de LH entre ces deux études peuvent s’expliquer par l’âge différent des sujets suggérant un rôle possible des PBDE sur les hormones variant avec l’âge, mais également par l’utilisation de matrices différentes, par des concentrations de PBDE différentes...

Effets sur les fonctions de reproduction chez la femme

Seules deux études ont examiné le rôle possible des retardateurs de flamme bromés sur la santé reproductive de la femme (tableau 44.IIIrenvoi vers).
À partir de 20 prélèvements de lait maternel de femmes taïwanaises recrutées en 2001, l’étude de Chao et coll. (2007renvoi vers) a observé des niveaux de PBDE (somme des congénères 17, 28, 47, 66, 85, 99, 100, 138, 153, 154, 183, 209) plus élevés pour les femmes ayant des cycles menstruels de durées moyenne et maximale plus courts et pour les femmes ayant des saignements menstruels de durée plus courte. Ces résultats s’appuient sur des petits effectifs et disparaissent après ajustement sur des facteurs confondants (âge, indice de masse corporelle, parité).

Tableau 44.III Études épidémiologiques chez la femme

Étude
Population
Exposition/Estimation
Résultats et remarques
Chao et coll., 2007renvoi vers
20 prélèvements de lait maternel de femmes taïwanaises
BDE (17, 28, 47, 66, 85, 99, 100, 138, 153, 154, 183, 209) du lait
Anomalies des cycles menstruels (petits effectifs, facteurs confondants)
Harley et coll., 2010renvoi vers
Cohorte Chamacos (sous-groupe de 223 femmes)
BDE (47, 99, 100, 153, 17, 28, 66, 85, 154, 183)
Fécondabilité
BDE ∑47, 99, 100, 153 et
BDE 100 et 153 : ↑ délai nécessaire pour concevoir
À partir d’une cohorte mères-enfants conduite en Californie sur la population immigrante mexicaine (Chamacos), l’étude de Harley et coll. (2010renvoi vers) a étudié le lien potentiel entre les niveaux sériques de PBDE et la fécondabilité pour un sous-groupe de 223 femmes (qui ne diffèrent pas des 601 femmes incluses dans la cohorte entière pour les principaux critères sociodémographiques). Des interviews étaient réalisées au moment de l’inclusion vers la fin du 1er trimestre de grossesse pour renseigner notamment le délai nécessaire à concevoir en mois par une question spécifique et l’aide d’un calendrier. Un prélèvement sanguin était collecté vers la fin du 2e trimestre de grossesse. Dix congénères PBDE étaient dosés (47, 99, 100, 153, 17, 28, 66, 85, 154, 183). Parmi eux, les quatre premiers étaient détectés pour au moins 97 % des échantillons. Les résultats ont montré que plus les niveaux d’imprégnation aux PBDE (pour la somme des 4 congénères prépondérants, et pour les BDE 100 et 153) étaient élevés, plus le délai nécessaire pour concevoir augmentait. Les auteurs ont proposé des analyses de sensibilité sur différents sous-groupes, et notamment les couples qui essayaient activement de concevoir, qui renforçaient les résultats. En revanche, aucune association significative entre les niveaux de PBDE et les longueurs des cycles menstruels déclarées par ces femmes n’a été observée. Cette étude est la première à montrer un impact possible d’une exposition aux PBDE sur le délai nécessaire pour concevoir. S’appuyant sur les expérimentations animales, les auteurs proposent deux hypothèses mécanistiques qu’il est nécessaire d’approfondir pour expliquer ces résultats : l’axe hypothalamus-hypophyse-thyroïde ou l’axe hypothalamus-hypophyse-gonade. Cette étude a mesuré le délai nécessaire pour concevoir une grossesse de façon rétrospective, ce qui peut engendrer des problèmes éventuels de mémoire et biais de déclaration. Enfin, l’étude étant restreinte aux femmes enceintes (« les plus fécondables »), elle sous-estime probablement l’association étudiée.
En conclusion, les études épidémiologiques sont encore trop peu nombreuses pour conclure à un rôle possible des PBDE sur la santé reproductive de l’homme et de la femme. Alors que certaines études reposent sur des échantillonnages cliniques et peu détaillés et ayant des effectifs souvent faibles, d’autres études d’effectif plus élevé suggèrent des résultats préoccupants (augmentation du délai pour concevoir, perturbation des taux d’hormones LH, cryptorchidie...) qui doivent être confirmés ou infirmés par de nouvelles études. Les mécanismes sous-jacents doivent de plus être élucidés.
Dans les études disponibles, il est difficile de distinguer le rôle des PBDE des autres polluants organiques persistants, tels que les PCB, ayant des structures et des mécanismes d’action similaires aux PBDE, ainsi que des sources potentielles d’exposition communes. Une limite importante de ces études est ainsi l’absence de la prise en compte de ces co-expositions, bien qu’il soit difficile d’isoler le rôle de chaque polluant corrélé. La liste des composés bromés analysés dans les études est constituée des PBDE uniquement. Dans les études référencées, les 4 congénères BDE 47, 153, 99, 100 sont le plus souvent retrouvés. La liste doit être élargie à d’autres retardateurs de flamme bromés (TBBPA).

Bibliographie

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[2] CHAO HR, WANG SL, LEE WJ, WANG YF, PAPKE O. Levels of polybrominated diphenyl ethers (PBDEs) in breast milk from central Taiwan and their relation to infant birth outcome and maternal menstruation effects. Environ Int. 2007; 33:239-245Retour vers
[3] HARDELL L, BAVEL B, LINDSTRÖM G, ERIKSSON M, CARLBERG M. In utero exposure to persistent organic pollutants in relation to testicular cancer risk. Int J Androl. 2006; 29:228-234Retour vers
[4] HARLEY KG, MARKS AR, CHEVRIER J, BRADMAN A, SJODIN A, ESKENAZI B. PBDE concentrations in women’s serum and fecundability. Environ Health Perspec. 2010; 118:699-704Retour vers
[5] MAIN KM, KIVIRANTA H, VIRTANEN HE, SUNDQVIST E, TUOMISTO JT, et coll. Flame retardants in placenta and breast milk and cryptorchidism in newborn boys. Environ Health Perspect. 2007; 115:1519-1526Retour vers
[6] MEEKER JD, JOHNSON PI, CAMANN D, HAUSER R. Polybrominated diphenyl ether (PBDE) concentrations in house dust are related to hormone levels in men. Sci Total Environ. 2009; 407:3425-3429Retour vers

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