Parabènes

2011


ANALYSE

57-

Études épidémiologiques

Peu d’études chez l’homme existent à ce jour, en particulier du fait du développement récent des méthodes de dosages chimiques des parabènes dans les matrices biologiques. Deux études (Mirick et coll., 2002renvoi vers ; McGrath, 2003renvoi vers) ont estimé l’exposition par un questionnaire rétrospectif présentant ainsi quelques limites. Une seule étude récente (Meeker et coll., 2010renvoi vers) propose d’estimer l’exposition par un dosage de biomarqueurs, qui doit cependant être interprétée avec prudence compte tenu de la nature peu persistante dans l’organisme humain des métabolites des parabènes et de la fenêtre d’exposition biologiquement pertinente pour l’effet étudié.

Effets sur la fonction de reproduction masculine

Une étude récente (Meeker et coll., 2010renvoi vers) a étudié les taux urinaires de méthyl, propyl, butyl parabènes chez une centaine d’hommes consultant pour infertilité et analysé les relations avec les taux sériques d’hormones et les paramètres du sperme ainsi que les dommages de l’ADN des spermatozoïdes (essai de la comète). Dans les échantillons d’urine, 100 % contenaient du méthyl, 92 % du propyl et 32 % du butyl parabène. Aucune relation n’était observée entre le méthyl ou le propyl et les paramètres testés. En ce qui concerne le butyl parabène, sa présence est significativement (p=0,03) associée aux dommages de l’ADN, et une relation dose dépendante est positivement observée avec la fragmentation de l’ADN des spermatozoïdes.

Effets sur la fonction de reproduction féminine

Un débat scientifique (Harvey et Darbre, 2004renvoi vers ; Namer et coll., 2008renvoi vers) et sociétal existe concernant l’effet possible de certains composés de la famille des parabènes utilisés en application cutanée locale sous les aisselles, notamment du fait de leur présence dans les déodorants, sur le risque de survenue de cancer du sein. Il convient en principe de distinguer cette question de celle de l’impact éventuel des sels d’aluminium ou d’autres composés présents dans les déodorants ou crèmes épilatoires, ou de celle des composés œstrogéniques ou des perturbateurs endocriniens en général, dont les parabènes ne constituent qu’une famille. Cette distinction n’est pas toujours aisée à faire dans les études épidémiologiques.
Mirick et coll. (2002renvoi vers) ont réalisé une étude cas-témoins sur les cas incidents, femmes âgées de 20 à 74 ans lors du diagnostic, recrutées entre 1992 et 1995 dans la région de Seattle, État de Washington, aux État-Unis. Les témoins ont été identifiés et recrutés par génération aléatoire de numéros de téléphones dans la zone de recrutement des cas, et appariés sur l’âge (793 témoins et 810 cas). L’exposition a été estimée à partir d’un questionnaire aux cas et témoins sur l’utilisation de déodorants et de produits anti-transpirants ainsi que sur l’épilation des aisselles ; les auteurs ne précisaient pas si ce questionnaire se rapportait à la période de l’entretien ou concernait une période antérieure préalable au diagnostic. Plus de 90 % des cas et des témoins rapportaient une épilation régulière des aisselles, et les analyses ont été restreintes à ces sujets. L’usage régulier d’un anti-transpirant était associé à un odds-ratio de cancer du sein de 0,9 (IC 95 % : 0,7 à 1,1), ainsi que l’usage régulier d’un anti-transpirant dans l’heure suivant l’épilation (OR=0,9 ; IC 95 % : 0,7 à 1,1 aussi). Si on suppose une absence totale de biais, cette analyse indique que l’utilisation régulière d’un anti-transpirant (sans référence à sa composition) a peu de chances d’être associée à une augmentation du risque de cancer du sein supérieure à 10 %. L’odds-ratio de cancer du sein associé à l’utilisation d’un déodorant était de 1,2 (IC 95 % : 0,9 à 1,5), et l’intervalle de confiance était similaire pour l’OR associé à l’utilisation régulière de déodorant dans l’heure suivant l’épilation. En supposant là encore une absence totale de biais, l’étude indique que l’utilisation de déodorant était peu susceptible d’être associée à une augmentation du risque de cancer du sein supérieure à 50 %.
La principale limitation de cette étude réalisée sur un échantillon de population relativement important concerne l’estimation rétrospective de l’exposition, sans information. On peut demander aux sujets de décrire la situation plusieurs années avant l’entretien, mais la qualité de la mémorisation mérite d’être validée, et on ne peut exclure, au moins pour les études réalisées après le début des controverses publiques, que l’effort de mémorisation des cas soit plus important que celui des témoins. De plus, l’estimation de l’exposition a été réalisée sans quantifier la fréquence d’utilisation des déodorants et anti-transpirants, et sans préciser de référence à une période d’exposition particulière (par exemple, cinq ou dix ans avant la survenue de la maladie) ; en outre, des données sur la composition des anti-transpirants et déodorants utilisés aux États-Unis dans les années 1970 à 1990 seraient utiles pour discuter la pertinence de l’étude par rapport à la problématique des parabènes. En faisant abstraction de ces limitations potentielles, cette étude indique que les produits déodorants ou anti-transpirants utilisés aux États-Unis au début des années 1990 (ou auparavant, en supposant que l’exposition rapportée par le questionnaire en soit un bon indicateur) sont peu susceptibles d’être associés avec une augmentation forte (doublement du risque ou davantage) du risque de cancer du sein.
Une autre étude a été publiée par McGrath (2003renvoi vers). Elle rapporte des données globales sur l’évolution d’une part de l’incidence du cancer du sein et d’autre part sur la vente de déodorants et d’anti-transpirants aux États-Unis entre 1940 et 2000. Les deux évolutions sont parallèles, mais le niveau de preuve apporté par une étude écologique de ce type est généralement considéré comme très limité. L’étude rapporte par ailleurs une analyse réalisée auprès d’une série de cas de cancer du sein diagnostiqués dans deux hôpitaux de Chicago entre 1993 et 2001. L’objectif était de mettre en relation l’âge au diagnostic de la maladie avec la fréquence d’utilisation de déodorants, d’anti-transpirants, ou la fréquence de l’épilation des aisselles. Les patientes avaient la consigne de vérifier les étiquettes de leur déodorant actuel pour permettre la distinction entre déodorant, anti-transpirant, ou un produit associant les deux. Elles ont été catégorisées en quatre groupes, selon la fréquence d’utilisation, en combinant les informations sur fréquence de l’épilation sous les bras et usage de déodorant/anti-transpirant. Parmi les 1 344 cas identifiés, 437 ont participé. Des informations sur différentes caractéristiques sociodémographiques ou liées à la vie reproductive et pouvant être associées au cancer du sein ont été recueillies, mais toutes les analyses statistiques ont été réalisées sans ajustement. L’âge moyen au diagnostic du cancer du sein était le plus élevé dans le groupe de femmes n’utilisant pas de déodorant ni d’anti-transpirant, et il diminuait avec la fréquence d’utilisation des déodorants/anti-transpirants ou de l’épilation. Parmi les utilisatrices de déodorants/anti-transpirants, celles ayant débuté leur utilisation avant l’âge de 16 ans avaient un âge au diagnostic du cancer inférieur de 9,6 ans en moyenne en comparaison des femmes ayant débuté l’âge des déodorants/anti-transpirants après l’âge de 16 ans (p<0,0001).
L’interprétation de cette étude est rendue très difficile du fait de l’utilisation d’un protocole original, et problématique dans le contexte où il existe des variations importantes dans la fréquence d’utilisation des déodorants au cours de la seconde moitié du XXe siècle. En effet, il est probable que le fait de commencer à utiliser des déodorants avant l’âge de 16 ans constitue une pratique plus fréquente chez les femmes nées dans la seconde moitié du XXe siècle que dans la première moitié du XXe siècle. Or, le fait que le diagnostic des cas ait eu lieu entre 1993 et 2001 entraîne une troncature dans l’âge au diagnostic du cancer chez les femmes nées dans la seconde moitié du XXe siècle, femmes qui ne peuvent du fait du protocole de l’étude être âgées de plus de 51 ans lors du diagnostic. Ce phénomène est moins marqué chez les femmes nées dans la première moitié du siècle, dont certaines ont pu avoir un cancer à l’âge de 60 ou 70 ans et être recrutées dans l’étude. Dans ces conditions de tendances temporelles dans l’utilisation des déodorants et de troncature de l’âge au diagnostic du cancer, un biais donnant l’impression que les cas qui ont commencé jeunes à utiliser des déodorants ont un âge au diagnostic plus précoce que les cas ayant commencé plus tardivement est tout à fait plausible, et pourrait expliquer tout ou partie de l’association observée. Une autre limite de l’étude est l’absence d’estimation du taux de participation ; on peut penser que le fait qu’environ un tiers seulement des questionnaires envoyés aient été renseignés et retournés soit lié au fait qu’une certaine proportion des cas étaient décédés ou avaient déménagé au moment de l’étude, mais l’article ne permet pas de préciser ce point, et donc de discuter clairement les biais de sélection éventuels liés à la non-participation. Du fait de ces limites, et en l’absence d’analyses statistiques plus poussées, on ne peut pas considérer cette étude comme réellement informative par rapport à la question posée.
En conclusion, les données épidémiologiques concernant l’impact possible d’une exposition aux parabènes sur la qualité spermatique sont à ce jour insuffisantes. De même, on peut considérer que deux études épidémiologiques (Mirick et coll., 2002renvoi vers ; McGrath, 2003renvoi vers) apportent peu d’éléments concernant l’impact possible des parabènes présents dans les déodorants ou anti-transpirants sur la survenue de cancer du sein. Elles ne permettent ni d’écarter clairement cet impact, ni de lui apporter de la plausibilité.

Bibliographie

[1] HARVEY PW, DARBRE P. Endocrine disrupters and human health: could œstrogenic chemicals in body care cosmetics adversely affect breast cancer incidence in women?. J Appl Toxicol. 2004; 24:167-176Retour vers
[2] MCGRATH KG. An earlier age of breast cancer diagnosis related to more frequent use of antiperspirants/deodorants and underarm shaving. Eur J Cancer Prev. 2003; 12:479-485Retour vers
[3] MEEKER JD, YANG T, YE X, CALAFAT AM, HAUSER R. Urinary Concentrations of Parabens and Serum Hormone Levels, Semen Quality Parameters, and Sperm DNA Damage. Environ Health Perspect. 2010, Sep 28; Retour vers
[4] MIRICK DK, DAVIS S, THOMAS DB. Antiperspirant use and the risk of breast cancer. J Natl Cancer Inst. 2002; 94:1578-1580Retour vers
[5] NAMER M, LUPORSI E, GLIGOROV J, LOKIEC F, SPIELMANN M. The use of deodorants/antiperspirants does not constitute a risk factor for breast cancer. ] Bull Cancer. 2008; 95:871-880Retour vers

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