2013


ANALYSE

3-

Épidémiologie

L’interrogation de la littérature scientifique sur l’association des mots clés « handicap rare » et « épidémiologie » pose des questions complexes.
La première concerne les possibilités de prendre en compte les multiples facettes de la définition actuelle du handicap rare. Les évolutions conceptuelles des dernières décennies ont mis en exergue l’étroitesse de la vision du handicap par la seule approche des déficiences. Or, c’est bien la description de la combinaison de déficiences qui rend compte au mieux de la situation médicale complexe des personnes souffrant de handicaps rares et qui permet aujourd’hui d’interroger les recherches publiées dans ce domaine, quel que soit le lieu où elles ont été menées. La réalité de la participation sociale des individus dans un contexte environnemental donné est probablement à ce jour davantage un élément de la description des handicaps rares que de la quantification de ces situations que nous tentons d’aborder dans ce chapitre. Par ailleurs, à la notion de combinaisons de déficiences, la définition du handicap rare associe celle de la technicité des prises en charge et de l’adéquation de la réponse institutionnelle aux besoins des personnes concernées. Ces éléments, s’ils peuvent être discutés dans la littérature à propos d’un cas ou d’une série de cas, ne sont pas rapportés dans les recherches qui permettent d’estimer la fréquence des handicaps rares en population. Plusieurs éléments peuvent être avancés pour comprendre la difficulté d’intégrer ces notions dans la recherche bibliographique. La réponse institutionnelle est, par essence, éminemment dépendante de l’organisation des prises en charge sur un territoire, et par définition la plus en adéquation possible avec chacune des situations rencontrées. Quant à la technicité des prises en charge, il s’agit d’une appréciation empreinte d’une certaine subjectivité même si le nombre restreint de professionnels en mesure de mettre en œuvre ces prises en charge complexes sur un territoire pourrait constituer un élément objectivable. Nous tenterons d’analyser comment la définition proposée pourrait être opérationnalisée pour fournir des dénombrements des situations de handicap rare à l’échelle d’une population.
Le deuxième aspect interroge la question de la rareté : « rareté des publics, rareté des combinaisons des déficiences », telle que le précise le Schéma national d’organisation sociale et médico-sociale pour les handicaps rares 2009-2013renvoi vers. Dans l’objectif de fournir des estimations de la fréquence de ces conditions, leur variation éventuelle et les déterminants de ces variations, la rareté du phénomène amplifie considérablement la difficulté de l’observation à l’échelle d’une population. Or, ce niveau populationnel est incontournable pour fixer des objectifs quantitatifs de progrès dans l’évaluation des prises en charge ou la planification des besoins. Nous préciserons dans cet exposé comment cette « rareté épidémiologique » a été formulée dans d’autres contextes « rares », notamment celui des maladies rares. Nous discuterons par ailleurs l’utilisation des systèmes d’information sanitaires ou médicaux et des bases de données existantes dans l’accès à une information de type épidémiologique dans le champ du handicap rare. Enfin, nous rapporterons les données issues d’enquêtes spécifiques quand elles existent. En effet, l’examen de la littérature scientifique montre que les références portant sur des analyses populationnelles de ces situations de handicap rare sont exceptionnelles, en France comme dans les autres pays occidentaux, et qu’elles concernent pour l’essentiel des associations parfaitement identifiées de déficiences, notamment sensorielles.
La perspective de lecture de la littérature sera double. Nous proposerons une tentative de synthèse des travaux existants sur le handicap rare en terme général, en explicitant, le cas échéant, les situations qui ne peuvent pas être considérées comme rares et en discutant les modalités de prise en compte des définitions proposées au vu des sources de données existantes. Nous concentrerons, dans un deuxième temps, notre analyse critique sur quatre situations spécifiques : les surdicécités, la maladie de Huntington, l’association épilepsie et autisme, et les déficiences cognitives profondes associées à des déficiences neuromotrices ou sensorielles sévères retrouvées dans la littérature sous la terminologie anglo-saxonne de « Profound Intellectual and Multiple Disability » (PIMD), ces quatre configurations illustratives faisant l’objet de développements spécifiques dans cet ouvrage.

Définitions du handicap rare et implications pour l’estimation des prévalences

Les définitions du handicap rare soulèvent de multiples questions quant à leur opérationnalisation pour répondre à la question du dénombrement.

Déficience, limitation d’activité, restriction de participation

La première question concerne la définition même du handicap. Le profond bouleversement conceptuel qui s’est opéré au plan international dans le domaine du handicap au cours des trente dernières années (Ravaud, 2009renvoi vers) a, encore aujourd’hui, un très faible ancrage dans la littérature, du moins pour quantifier, en termes de prévalence, les situations de handicaps définies comme des restrictions de participation à la vie communautaire. Ainsi, avec la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF, OMS, 2001renvoi vers), l’épidémiologie du handicap s’est enrichie de nouvelles dimensions : celle d’état fonctionnel (mesuré en termes de nature et gravité de déficience d’une part, de limitations d’activités d’autre part) et celle de participation sociale (mesurée dans le cadre de vie quotidienne des individus et prenant en compte les éléments de ce cadre de vie susceptibles de limiter ou de faciliter l’intégration des individus dans la société). Le champ du handicap rare n’échappe pas à la difficulté de repérer les situations en abordant la question de la participation sociale et celle des facteurs contextuels, dont nous avons précédemment souligné l’importance. Ceci étant, les seuls éléments liés à la déficience et à la limitation fonctionnelle sont énoncés dans la littérature scientifique internationale pour caractériser les situations et les quantifier en termes de fréquence.

Signification de la rareté en épidémiologie

En épidémiologie, il est habituel de donner au mot rare une définition en termes de prévalence. Dans le cas des situations de handicap rare, la loi française a fixé un seuil à cette rareté : « le taux de prévalence ne peut être supérieur à un cas pour 10 000 habitants » (JO n° 186 12 08 2000, art 1er). On peut noter que la notion de rareté appliquée au handicap est plus restrictive que celle habituellement prise en compte pour les maladies rares où le taux de prévalence ne doit excéder 1 p. 2 000 habitants. Au-delà d’un chiffre de prévalence, c’est la notion de masse critique qui est recherchée. Dans le domaine des maladies rares, cette masse critique est parfois exprimée en nombre de personnes atteintes sur un territoire. À titre d’exemple, on peut citer le chiffre de moins de 200 000 personnes pour le territoire des États-Unis, soit une prévalence de 1 p. 1 500 personnes, celui de moins de 50 000 personnes pour le territoire du Japon (soit 1 p. 2 500 personnes) (Rare Disease Act, 2002). Pour ce qui concerne les handicaps rares, une prévalence de 1 p. 10 000 correspondrait à une population d’au plus 6 000 personnes sur le territoire national. Cette perspective de « masse critique » paraît, dans le champ du handicap rare, pertinente à plus d’un titre. Elle rejoint la réflexion sur la réponse institutionnelle à apporter à ces situations de handicap rare et leur donne ainsi une définition plus « politique » ou « sociale ». De plus, un tel dénombrement permettrait de prendre en compte un certain nombre de caractéristiques du territoire, et donc des facteurs contextuels dont nous avons souligné l’intérêt. Enfin, il autorise la prise en compte d’éventuelles inégalités de répartition territoriale, inégalités pas uniquement liées à l’offre de soins mais également à des différences de prévalence « vraies » en lien par exemple avec l’origine génétique des pathologies sous-jacentes (Sadeghi et coll., 2004renvoi vers).

Rareté des combinaisons de déficiences

Au sens de la loi déjà citée (JO n° 186 12 08 2000, art. 1er), cette « rareté » s’applique à une combinaison de déficiences : « Configuration rare de déficiences ou de troubles associés entraînant un ensemble d’incapacités… » et non à une « configuration unique de symptômes » comme cela est retenu dans la définition de la maladie rare1 . Bien qu’il n’y ait pas de superposition entre les deux notions, certaines maladies rares ont des conséquences en termes de limitations fonctionnelles et restrictions de participation qui peuvent les conduire à être également qualifiées de handicaps rares (Azema et Martinez, 2009renvoi vers).
C’est notamment le cas du syndrome de Usher dans le domaine de la surdicécité. Il s’agit bien d’une maladie rare ; sa prévalence est estimée à environ 1 p. 30 000 (Source : Orphanet, portail de référence sur les maladies rares2 ). L’association de la double déficience sensorielle sévère (surdité neurosensorielle généralement congénitale et rétinite pigmentaire entraînant la perte progressive de la vision) définit la situation de handicap, à laquelle on peut ajouter le qualificatif de « rare » puisque la prévalence est faible et la prise en charge complexe.
Un autre exemple fréquemment retrouvé dans la littérature concerne la maladie de Huntington, affection neurodégénérative du système nerveux central et dont la prévalence moyenne dans la population générale est de 1 p. 16 000 (Source : Orphanet). L’association de troubles moteurs, comportementaux et intellectuels rend problématique sa prise en charge, ce qui conduit à classer cette pathologie également dans le champ du handicap rare.

Peut-on répondre à la question de l’épidémiologie du handicap rare en utilisant des listes de combinaisons de déficiences ?

Dans les différents développements ayant conduit à la définition du handicap rare dans les textes réglementaires, il a été envisagé la possibilité de fournir une liste de combinaisons de déficiences (Gaymard et Barrot, 1996renvoi vers). Ainsi, relèvent de cette définition (cf. JOR arrêté du 2 août 2000 relatif à la définition du handicap rare) les associations suivantes : association d’une déficience auditive et d’une déficience visuelle graves ; association d’une déficience visuelle grave et d’une ou plusieurs autres déficiences graves ; association d’une déficience auditive grave et d’une ou plusieurs autres déficiences graves ; une dysphasie grave associée ou non à une autre déficience ; association d’une ou plusieurs déficiences graves et d’une affection chronique, grave ou évolutive, telle qu’une affection mitochondriale, une affection du métabolisme, une affection évolutive du système nerveux ou une épilepsie sévère.
Ces combinaisons de déficiences mettent au premier plan des situations complexes de handicaps pour lesquels l’accès à la communication constitue un enjeu majeur (Barreyre et coll., 2011renvoi vers), repris dans la circulaire de 1996 (Circulaire DAS/RVAS n° 96-429 du 5 juillet 1996 relative au recensement de la situation des besoins dans chaque département et région des personnes susceptibles de relever de la notion de handicap rare). Cette approche par liste est toutefois restrictive puisqu’elle limite la possibilité de modifier le contenu de ce concept en lien avec l’évolution des situations médicales. On note cependant que le dernier groupe, très hétérogène, de personnes handicapées qui ont en commun l’existence d’un handicap (mental, sensoriel, moteur, psychique) étroitement intriqué à de graves problèmes somatiques est défini de manière suffisamment large pour que nombre de situations graves puissent y être rapportées. Le législateur laisse donc ouverte la possibilité d’intégrer des situations qui n’ont en commun que la « non réponse institutionnelle » au plan local et ainsi permet de conserver une définition dynamique dans le temps. De manière consistante, le Schéma national d’organisation sociale et médico-sociale pour les handicaps rares 2009-2013 (CNSA, 2009renvoi vers) suggère une évolution de la définition règlementaire du handicap rare, visant à lui donner un caractère illustratif non limitatif et donc possiblement évolutif.

La rareté n’est pas simplement une question de sévérité

Bien qu’il suffise en théorie d’identifier les situations les plus sévères ou les plus lourdes pour aboutir à une faible voire très faible prévalence, cette approche est inappropriée pour mesurer le handicap rare puisque les notions de complexité de la prise en charge ou d’accueil adapté n’y sont pas intégrées (Gaymard et Barrot, 1996renvoi vers). L’étude sur les handicaps rares menée par le Centre régional pour l’enfance et l’adolescence inadaptées (CREAI) du Languedoc-Roussillon en 1996 (Azema et coll., 1997renvoi vers) souligne la confusion possible entre cas rares et cas graves ou lourds : « Il existe dans tous les dispositifs des cas très difficiles qui mettent en difficulté les professionnels et les personnes. Pour autant, il s’agit là de cas extrêmes plutôt que de handicaps rares même si nombre d’entre eux se retrouvent bien dans la problématique du cas rare » (p. 16). Le polyhandicap, « handicap grave à expression multiple associant une déficience mentale sévère et des troubles moteurs, entraînant une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relation »3 , est à ce titre tout à fait illustratif puisqu’il ne répond pas strictement à la notion de handicap rare, bien que la situation en termes d’incapacité soit lourde. En effet, la fréquence de cette entité est de l’ordre de 1 p. 1 000 (Rumeau-Rouquette, 1998renvoi vers) et la réponse institutionnelle (prise en charge en établissements médico-sociaux répartis sur le territoire national) existe (Annexe XXIV ter décret n° 89-798 du 27 Octobre 1989), du moins pour la très grande majorité des cas. Selon l’enquête ES (Établissements sociaux) menée en 2011 par la Drees4 auprès des gestionnaires de structures sociales et médico-sociales pour enfants et adultes handicapés, 7 300 enfants et adolescents et 6 500 adultes polyhandicapés étaient accueillis dans une structure médico-sociale (Dutheil, 2005renvoi vers). On voit que ces chiffres sont au-delà de la masse critique « théorique » nationale calculée à partir de la prévalence fixée règlementairement.
Une difficulté complémentaire dans la prise en compte de la sévérité de l’état fonctionnel tient à l’absence de consensus sur une définition reproductible de la sévérité, y compris sur des situations de handicap rare parfaitement identifiées comme celle de la surdicécité. En effet, on va considérer qu’une personne est sourde aveugle si la combinaison de la déficience visuelle et de la déficience auditive entraîne des difficultés pour la communication, l’accès à l’information et la mobilité (Organisation Sense au Royaume Uni5 , voir chapitre sur la surdicécité). On voit bien ici que les écarts observés dans la littérature sur les prévalences peuvent, du moins en partie, s’expliquer par des analyses divergentes du retentissement sur la vie quotidienne des déficiences présentées. De manière générale, l’expression de ces combinaisons de déficiences est multiple et dépend largement de l’environnement dans lequel ces personnes évoluent.
Cette exigence de définition de la sévérité apparaît également à la lecture de l’arrêté du 2 août 2000 relatif à la définition du handicap rare, où le terme de « grave » est repris de manière répétitive dans les situations listées sans qu’aucune définition n’en soit donnée. Au plan théorique, la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (OMS, 2001renvoi vers) propose des codes qualificatifs pour préciser les conséquences de l’état fonctionnel. L’utilisation de ces codes dans les enquêtes épidémiologiques pourrait permettre d’harmoniser les définitions de la sévérité. Cependant, à de très rares exceptions près (Leonardi et coll., 2012renvoi vers), ils ne sont pas encore utilisés en pratique.

Sources de données existantes en France

Si une base populationnelle large est requise pour développer la recherche épidémiologique et clinique dans le domaine des handicaps rares, l’absence ou l’imprécision des outils disponibles adaptés au dénombrement des handicaps rares en France conduit à l’existence de données le plus souvent parcellaires ou à des dénombrements de situations très spécifiques.

Les grandes enquêtes Handicap en population

Les grandes enquêtes Handicap en population ne permettent pas de répondre aujourd’hui à la question posée.
Ces dernières années ont vu les statistiques publiques de la plupart des pays occidentaux se doter d’enquêtes en population qui ont placé les questions de handicap au centre des recherches (Ravaud, 2009renvoi vers). En France, les enquêtes Handicap-Incapacités-Dépendance (HID), premières enquêtes populationnelles représentatives sur le handicap (Ravaud et coll., 2002renvoi vers), puis l’enquête Handicap-Santé en 2008, fusion de l’enquête décennale sur la santé et de l’enquête HID, ont contribué à améliorer la connaissance de l’épidémiologie du handicap. Cependant, l’adjonction de la terminologie « rare » au mot handicap signifie, par essence, que ces grandes enquêtes de population sont inopérantes pour répondre à la question de la quantification des situations de handicap rare. En effet, les individus en situation de handicap rare ont une probabilité infime, même si elle est théoriquement différente de zéro, d’être échantillonnés. Aussi, être en capacité de repérer ces situations à partir de ce type d’enquêtes et donc de dresser des typologies suppose des modifications dans les questions de filtrage visant à surreprésenter ces populations dans l’échantillon étudié. Interroger par exemple sur l’absence ressentie de réponses appropriées à des difficultés fonctionnelles pourrait constituer une question de filtrage opérationnelle dans le champ du handicap rare.

Les registres des handicaps de l’enfant

L’enregistrement continu et exhaustif sur un territoire géographique défini, de données relatives à des enfants porteurs de déficiences neurosensorielles sévères, peut constituer un outil de repérage des situations de handicaps rares. En France, deux structures6 répondent à ces critères de surveillance : le Registre des handicaps de l’enfant de Haute-Garonne (RHE31) et le Registre des handicaps de l’enfant et Observatoire périnatal (Isère, Savoie et Haute-Savoie, RHEOP) (Delobel-Ayoub et coll., 2000renvoi vers ; RHEOP, 2000renvoi vers). Bien que la taille de la population couverte soit limitée (en Haute-Garonne environ 15 000 naissances annuelles ; en Isère, Savoie et Haute-Savoie environ 30 000 naissances par an), l’ancienneté de l’enregistrement et en conséquence le nombre de générations disponibles pour les analyses conduit à une précision acceptable des taux de prévalence calculés, résultats qui doivent néanmoins s’interpréter au regard des caractéristiques des populations et des politiques de prises en charge déployées sur les territoires concernés.
Les données présentées ici ont été analysées pour le département de la Haute-Garonne et les générations nées entre 1986 et 2002 (tableau 3.Irenvoi vers). Elles concernent des enfants âgés de 8 ans. La définition retenue est inspirée de celle publiée dans l’arrêté du 2 août 2000 relatif à la définition du handicap rare (JOR, 2000). Dans cette définition, les « associations d’une ou plusieurs déficiences graves et d’une affection chronique, grave ou évolutive, telle qu’une affection mitochondriale, une affection du métabolisme, une affection évolutive du système nerveux » ne peuvent être repérées, ces dernières n’étant pas documentées dans le registre. De même, les dysphasies graves ne sont pas enregistrées. Les critères de sévérité des déficiences appliqués correspondent à ceux retenus dans le registre : perte auditive bilatérale supérieure à 70 dB avant correction, acuité visuelle bilatérale avec correction inférieure à 0,3, quotient intellectuel (ou équivalent) inférieur à 50, marche avec aide ou marche impossible, épilepsie active (c’est-à-dire présence de crises comitiales sous traitement). Tous les troubles envahissants du développement sont pris en compte.

Tableau 3.I Effectifs par combinaison de déficiences et prévalences, enfants de 8 ans résidant en Haute-Garonne, nés entre 1986 et 2002 (Source : RHE31, Exploitation : Arnaud C, Delobel M, Klapouszczak D)

Combinaisons de déficiences
Effectifs
Prévalence p. 10 000 [IC 95 %]a
Auditive sévère + visuelle sévère
2
0,1 [0,01-0,3]
Visuelle + autres déficiences sévères
34
1,5 [1,1-2,2]
Auditive + autres déficiences sévères
9
0,4 [0,2-0,8]
Epilepsie sévère + autres déficiences sévères
124
5,6 [4,7-6,7]
Total
169
7,7 [6,6-8,9]

a IC : Intervalle de confiance

L’addition de l’ensemble de ces situations conduit à une prévalence de 7,7 p. 10 000 [IC 95 % : 6,6-8,9] principalement expliquée par les associations avec les épilepsies pour lesquelles la mesure de la sévérité est à la fois non consensuelle et difficile à prendre en compte dans un registre car très évolutive.
D’autres données issues des registres de handicaps ont été publiées dans le rapport sur les handicaps rares (Rapport sur les handicaps rares, 1996renvoi vers) pour le registre du département de l’Isère, le RHEOP et des générations plus anciennes (tableau 3.IIrenvoi vers). Tout comme les données précédentes, il importe de les interpréter avec prudence, ces données n’étant que le reflet de la situation d’une zone géographique limitée, en aucune manière choisie pour être représentative de la population française.

Tableau 3.II Prévalence de combinaisons de déficiences, enfants de 7 ans résidant en Isère, nés entre 1980 et 1886, RHEOP (Source : Rapport sur les handicaps rares, décembre 1996renvoi vers, annexe 1)

Combinaisons de déficiences
Prévalence (p. 10 000)
Déficience motrice + déficience auditive sévère
0,9
Déficience motrice + déficience visuelle sévère
2,2
Retard mental sévère + déficience auditive sévère
0,8
Retard mental sévère + déficience visuelle sévère
1,8
Troubles psychiatriques sévères + déficience auditive sévère
0,2
Troubles psychiatriques sévères + déficience visuelle sévère
0,1
Polyhandicap + déficience auditive sévère
0,9
Polyhandicap + déficience visuelle sévère
1,8

a IC : Intervalle de confiance

On notera que les critères fixés ici sont de nature un peu différente de ceux pris en compte dans le tableau 3.Irenvoi vers. Seules les associations avec les déficiences sensorielles ont été retenues alors qu’en Haute-Garonne, le poids de l’épilepsie dans la prévalence globale est considérable. De plus, aucun critère de sévérité n’est explicité pour les déficiences motrices alors que l’analyse des données de Haute-Garonne a exclu les enfants marchant sans aide. Ainsi, le cumul des fréquences des différents groupes aboutit à une prévalence de l’ordre de 8 à 9 p. 10 000 enfants.
Au total, par la continuité de leurs enregistrements, les registres de population peuvent fournir des données pertinentes à des fins épidémiologiques. Même si les prévalences globales, calculées dans ces deux exemples d’exploitation des données des registres français de handicap de l’enfant, n’ont pas de sens en termes de prise en charge, elles pourraient permettre de réfléchir aux politiques publiques à mettre en place, d’évaluer le coût économique de ces situations et constituer une base de repérage des situations de handicap rare à des fins de recherches. Les analyses présentées ici mettent toutefois en évidence la difficulté à utiliser, sur les bases de données des registres, les définitions proposées dans l’arrêté du 2 août 2000.

Les Maisons départementales des personnes handicapées

Les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), mises en place par la loi du 11 février 2005, « se situent au cœur de la question du pilotage des politiques en direction des personnes handicapées, tant au niveau local qu’au niveau national » (Taconnet et coll., 2010renvoi vers). En effet, leur activité en matière d’évaluation des besoins, d’orientation et d’organisation de la prise en charge, de délivrance des prestations, en font des structures potentiellement adaptées au repérage des situations de handicap rare, mais qui restent à ce jour à l’échelle départementale. La mise en place du système d’information partagé (Taconnet et coll., 2010renvoi vers), avec des données harmonisées et centralisées comme la loi le prévoit, devrait aboutir à une vision globale et ainsi permettre de mobiliser et de mutualiser des compétences spécifiques ainsi que de mettre en place des stratégies inter-institutionnelles concertées en réponse aux besoins repérés. On voit bien que la double nécessité de repérage quantitatif des populations concernées et de documentation d’aspects qualitatifs (problématiques, trajectoires, besoins) (Azema et coll., 1997renvoi vers) pourrait se faire par ce système d’information.
Cependant, comme c’était précédemment le cas avec les Commissions départementales de l’éducation spéciale (CDES) et les Commissions techniques d’orientation et de reclassement professionnel (Cotorep), les handicaps rares restent peu connus des MDPH. Différentes hypothèses peuvent être avancées si l’on en croit l’analyse réalisée en 1997 par le CREAI du Languedoc-Roussillon dans une enquête auprès des CDES visant à repérer et documenter des situations de handicap rare (Azema et coll., 1997renvoi vers). La première est certainement un repérage insuffisant et tardif des difficultés présentées par certaines personnes. En effet, compte tenu de la diversité et de la complexité extrême des tableaux cliniques, les conditions du diagnostic sont très variées et la reconnaissance d’une partie des troubles, que la rareté rend ardue, ne peut se faire en l’absence d’un réseau de collaborations qui se préoccupe de l’ensemble des besoins et spécificités de la personne présentant un handicap rare. La littérature rapporte nombre de ces situations. À titre d’exemple, on peut citer la non identification soit par un dépistage médical standard, soit par les équipes de soins, d’une part importante de surdicécités (21,4 % de surdicécités repérées après dépistage organisé, versus 3,6 % connues avant le dépistage) dans une population de patients présentant une déficience intellectuelle (Fellinger et coll., 2009renvoi vers). Cette difficulté à repérer les situations « que le dispositif de droit commun a une faible probabilité de rencontrer » et auxquelles les professionnels n’ont jamais été confrontés est également soulignée dans le Schéma national d’organisation sociale et médico-sociale pour les handicaps rares 2009-2013renvoi vers. Une autre difficulté pourrait être liée au repérage insuffisant des orientations mal adaptées. D’après ce même rapport, « ce repérage s’avère difficile pour diverses raisons qui ne tiennent pas uniquement à la présence ou non de critères qualitatifs qui permettent de juger du degré de pertinence et de qualité d’une orientation. Au niveau des CDES, il existe un risque de sous-estimer l’inadéquation d’une solution qui satisfait car elle a au moins le mérite d’exister » (citation p. 19). Ce dernier élément souligne le caractère potentiellement incomplet car stratégique de la déclaration par le système d’information chargé de distribuer les aides publiques et la nécessité de compléter ces données par des sources indépendantes.

Enquêtes en établissements

L’enquête quadriennale ES (Établissements de Santé) a pour objectif de dresser un bilan régulier (tous les quatre ans actuellement) de l’activité des établissements et services sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes handicapées, et en particulier de brosser le profil des personnes (enfants et adultes) qui y sont accueillies. En décrivant de manière quantitative les moyens mis en œuvre et les besoins couverts, les informations collectées peuvent en théorie permettre d’obtenir des renseignements sur les situations de handicap rare. Mais ce type d’enquête, exhaustive au regard des placements, ne peut dénombrer les cas pour lesquels aucune solution de placement n’a été trouvée. S’il est difficile de savoir ce qu’ils représentent en termes d’effectifs dans le champ du handicap rare, on peut penser qu’ils existent notamment chez l’enfant (Ministère du Travail et des Affaires Sociales, Rapport sur les handicaps rares, 1996renvoi vers).

Ce que nous apprend la littérature sur des situations particulières

Les limites de la bibliographie

L’analyse bibliographique porte sur différentes situations repérées comme possiblement rares : surdicécité, maladie de Huntington, association épilepsie et autisme, PIMD (Profound Intellectual and Multiple Disability). Le fait de préciser les associations de déficiences ne permet pas nécessairement d’accéder à une littérature scientifique quantitativement plus fournie ayant pour objectif le calcul des prévalences ou le dénombrement de ces situations sur un territoire, la rareté de ces associations étant admise. Les données portent pour l’essentiel sur des populations non représentatives pour lesquelles les questions posées sont de dresser un bilan complet des déficiences associées, de publier les résultats d’un dépistage systématique ou de documenter le profil étiologique de ces personnes atteintes de handicap rare.

La surdicécité

La surdicécité correspond à une entité relativement bien définie, combinaison d’une déficience visuelle et d’une déficience auditive entraînant des difficultés pour la communication, l’accès à l’information et la mobilité (Schwartz, 2009renvoi vers). Dans la littérature, les taux de prévalence estimés se situent entre 0,5 et 2,5 p. 10 000, avec au moins 2/3 de surdicécités acquises (Rapport sur les handicaps rares, 1996renvoi vers ; Cans et Rumeau-Rouquette, 1999renvoi vers ; Schwartz, 2009renvoi vers ; Dammeyer, 2010renvoi vers). La variation de 1 à 5 des taux peut s’expliquer par des différences notables dans les méthodologies retenues pour interroger les populations, des niveaux de sévérité considérés pour définir la surdité et la cécité non systématiquement rapportés ainsi que la part variable des personnes âgées dans les échantillons étudiés. Le rapport 2010 du Centre for Disability Research (CeDR) au Royaume-Uni considère que la population sourdaveugle a été considérablement sous-estimée dans les données jusqu’alors rapportées dans la littérature et souligne qu’en raison de la forte association entre prévalence de la surdicécité et âge, elle est appelée à augmenter de façon spectaculaire dans les prochaines décennies en lien avec l’évolution démographique (Robertson et Emerson, 2010).
En France, les données disponibles sont parcellaires et anciennes. L’enquête ES (Établissements de santé) de 1992 note que les sourdaveugles représentent 0,09 % de l’ensemble des enfants placés en institution médico-sociale (cité par : Gaymard et Barrot, 1996renvoi vers). Le nombre de places en Institut d’éducation sensorielle pour sourdaveugles était de 1 p. 10 000 en 1996 réparties sur 16 établissements différents (Cans et Rumeau-Rouquette, 1999renvoi vers). L’exploitation de l’enquête HID de 1998/1999 fournit une estimation de la taille de la population sur le territoire national d’environ 2 700 personnes sourdaveugles, tous âges confondus (Sander et coll., ORS Pays de Loire, 2005renvoi vers), estimation inférieure à celle fournie par le Centre de ressources national pour enfants et adultes sourdaveugles et sourds-malvoyants (Cresam), qui est de l’ordre de 4 500 à 6 000 personnes (voir la communication de Serge Bernard à la fin de ce rapport).
Certaines étiologies de la surdicécité ont été depuis longtemps documentées ; le syndrome de Usher est à ce titre particulièrement illustratif. La prévalence globale varie de 1,8 à 6,2 p. 100 000 (Boughman et coll., 1983renvoi vers ; Hope et coll., 1997renvoi vers ; Rosenberg et coll., 1997renvoi vers ; Espinos et coll., 1998renvoi vers ; Spandau et Rohrschneder, 2002renvoi vers ; Sadeghi et coll., 2004renvoi vers) avec une prévalence « moyenne » de 1 p. 30 000 proposée par Orphanet. Certaines publications récentes ont soulevé la question de la sous-estimation de ces prévalences, les dépistages systématiques des mutations connues pour être impliquées dans le syndrome de Usher conduisant à des prévalences sensiblement plus élevées (1 p. 6 000 par exemple dans l’étude de Kimberling et coll., 2010renvoi vers). À l’opposé, la connaissance de la prévalence d’autres étiologies à l’origine des surdicécités peut reposer sur un nombre très faible de travaux, parfois réalisés par la même équipe. Ainsi, les estimations de la prévalence du syndrome Charge7 , de 0,1 à 1,3 p. 10 000 naissances vivantes, sont issues d’un programme de surveillance au Canada et concernent uniquement différentes provinces du même pays (Blake et coll., 2002 et 2003renvoi vers ; Issekutz et coll., 2005renvoi vers).

La maladie de Huntington

La maladie de Huntington est une affection neurodégénérative du système nerveux central qui touche indistinctement les hommes et les femmes, et se manifeste en règle générale chez l’adulte. La prévalence moyenne dans la population générale rapportée par Orphanet est 6,2 p. 100 000. Une méta-analyse, publiée en 2012 par Pringsheim et coll., fait état d’une prévalence de 5,7 p. 100 000 [IC 95 % : 4,42–7,35] en Europe, Amérique du Nord et Australie et un taux significativement plus bas de 0,40 p. 100 000 [IC 95 % : 0,26–0,61] en Asie (Pringsheim et coll., 2012renvoi vers). Compte tenu des dates des publications incluses dans cette recherche, seulement environ la moitié des études était basée sur une confirmation génétique des cas identifiés, ce qui pourrait conduire à une prévalence légèrement surestimée par l’adjonction de syndromes Huntington-like.

Épilepsie et autisme

L’association de l’épilepsie et de l’autisme a fait l’objet, ces dernières années, d’un nombre croissant de travaux scientifiques (Berg et Plioplys, 2012renvoi vers). Quantifier la prévalence de cette association nécessite une double approche de la littérature : rechercher la fréquence des troubles du spectre autistique (TSA) chez les patients épileptiques et de manière complémentaire, rechercher la fréquence de l’épilepsie chez des patients présentant des TSA.
Plusieurs études ont documenté la sur-représentation des comorbidités psychiatriques et neuro-développementales chez les patients atteints d’épilepsie. Rai et coll. (2012renvoi vers) ont récemment quantifié cette association sur une large population adulte représentative avec un odds ratio estimé à 7,4 [IC 95 % : 1,5-35,5] de présenter un trouble du spectre autistique dans la population des sujets présentant une épilepsie comparativement à la population générale du même âge. Chez les enfants, deux études récentes, de méthodologie différente, ont également rapporté cette association avec 15 % de troubles du spectre autistique identifiés dans une étude rétrospective portant sur des enfants épileptiques recrutés dans un service de neurologie (Matsuo et coll., 2010renvoi vers), et une proportion plus faible de 5 % dans le suivi d’une cohorte de 613 enfants épileptiques (Berg et coll., 2011renvoi vers). Ces études ne permettent cependant pas de préciser la fréquence de cette association en population générale.
L’épilepsie représente par ailleurs une comorbidité fréquente chez les patients présentant des troubles du spectre autistique et sa fréquence varie principalement en fonction de l’âge, du type de trouble autistique, et de la présence d’une déficience intellectuelle associée. Elle est estimée dans la littérature entre 5 et 40 % des patients présentant un trouble du spectre autistique (Tuchman et Rapin, 2002renvoi vers ; Canitano, 2007renvoi vers), la majorité des études rapportant des proportions de l’ordre de 20-25 %. Une étude récente, portant sur une très large population de près de 15 000 individus de moins de 35 ans présentant un trouble du spectre autistique, rapporte que 19,4 % des patients TSA présentaient une épilepsie associée (Kohane et coll., 2012renvoi vers). Compte tenu de la prévalence en population générale des troubles du spectre autistique (de l’ordre de 60 à 70 pour [10 000 enfants pour les données les plus récentes) (Fombonne, 2009renvoi vers), même la limite basse de cette fourchette d’estimations place cette association de déficiences au-delà du seuil de prévalence définissant le handicap rare et fixé par la loi.
D’après les travaux rapportés dans la littérature, l’association épilepsie et autisme n’est donc pas rare au sens de la définition basée sur le seuil de prévalence de 1 cas pour 10 000. Cette constatation interroge une fois encore la définition actuelle du handicap rare. Est-ce davantage la complexité de la prise en charge que la rareté de la condition qui est à considérer dans ce cas ? Quelle définition de la sévérité de l’épilepsie doit-on retenir ? On rappellera que l’article D.132-194 du Code de l’action sociale et des familles stipule que seules les épilepsies sévères associées à d’autres déficiences sévères sont à considérer, sans préciser la définition d’une épilepsie sévère.

PIMD

Le concept de PIMD se réfère à des individus présentant une déficience cognitive profonde (QI<35 voire <20) et une déficience neuromotrice profonde ou sévère, associées de façon quasi constante à d’autres déficiences complexes, neurosensorielles, comportementales et psychiatriques ainsi qu’à des complications médicales telles qu’une épilepsie, des problèmes respiratoires ou des difficultés d’alimentation (Nakken et Vlaskamp, 2002renvoi vers ; Zijlstra et Vlaskamp, 2005renvoi vers ; Munde et coll., 2009renvoi vers). Les données disponibles ne permettent pas aujourd’hui de dresser un tableau en termes de prévalence pour cette entité. Quelques travaux, réalisés en France, fournissent des estimations de fréquence du polyhandicap, parfois avec une définition très restrictive comme celle proposée par Rumeau-Rouquette et coll. (1998renvoi vers) qui retrouvent une prévalence de 7,3 p. 10 000 enfants. Une estimation de la prévalence des déficiences intellectuelles profondes (QI<20) à 6 p. 10 000 est rapportée par Arvio et Sillanpää (2003renvoi vers) dans une étude réalisée en Finlande en 1995. Même si la grande majorité des sujets ainsi définis présentaient des déficiences associées, il est difficile à partir de cette étude d’extrapoler des taux de prévalence correspondant au tableau de PIMD.
En conclusion, l’approche épidémiologique du handicap rare est peu documentée dans la littérature scientifique et les données disponibles ne permettent pas aujourd’hui d’estimer le nombre de personnes concernées.
La définition « franco-française » du handicap rare, pour partie basée sur la technicité des prises en charge, peut être avancée pour expliquer en partie ce déficit de connaissances. La pertinence de conserver dans la définition le besoin de recourir à une « expertise difficile, rare et spécifique » a été réaffirmée dans le Schéma national d’organisation sociale et médico-sociale pour les handicaps rares 2009-2013renvoi vers. En donnant à ce cadre une appréciation subjective, cette notion reste peu opérante en épidémiologie. La proximité des situations de handicap rare avec d’autres situations complexes de handicap laisse penser qu’une définition davantage centrée sur la sévérité des déficits que sur la complexité de la prise en charge pourrait s’avérer plus efficiente dans un objectif de dénombrement. Nombre de questions restent cependant posées sur les moyens d’obtenir une définition standardisée de la sévérité des déficits. Ce raisonnement n’exclut par ailleurs en aucune façon la réflexion à mener sur la prise en compte des autres dimensions du handicap (limitation d’activité, restriction de participation) dans la définition du handicap rare et la description de ces situations particulières.
La terminologie employée de « configurations de déficiences et de troubles » doit conserver un caractère illustratif pour laisser place à des évolutions potentielles en fonction des connaissances ou des progrès médicaux et non fixer une liste finie de situations. Cependant, l’absence de contours précis ne peut en aucun cas aboutir à la réalisation d’études méthodologiquement incontestables quant à la reproductibilité de l’appréciation des situations de handicap rare. Dans l’analyse de la littérature réalisée, on voit bien que les seules données mobilisables le sont pour des maladies rares, avec étiologie précisée et conduisant à un handicap rare, le syndrome de Usher ou la maladie de Huntington pour les exemples repris dans ce chapitre. Il est clairement plus facile d’identifier des patients par l’étiologie de leur trouble ou par une déficience donnée que par l’ensemble d’un tableau clinique parfois d’une grande complexité et qui n’a qu’un intérêt limité en tant que tel pour une étude épidémiologique.
En termes épidémiologiques, seul un seuil de prévalence pourrait rendre visible, au plan international, la notion française de handicap rare. Il permettrait incontestablement de préciser le concept, d’assoir une politique territoriale sur une masse critique de cas, possiblement modulable, et de prendre en compte d’éventuelles inégalités de répartition géographique. La difficulté réside dans l’application de cette « rareté épidémiologique » à des combinaisons de déficiences dont on a vu qu’elles ne pouvaient être précisées de manière satisfaisante. Si l’on reprend l’exemple des surdicécités, le plus documenté dans la littérature internationale, doit-on appliquer le seuil à une étiologie précisée comme le syndrome de Usher (dont le taux de prévalence est inférieur au seuil de 1 p. 10 000 actuellement fixé pour le handicap rare) ou à la surdicécité considérée en terme général (dont la prévalence, vraisemblablement sous-estimée, est estimée à 2,5 p. 10 000, supérieure au seuil considéré) ? Le choix dépend de la perspective d’analyse, médicale et épidémiologique dans le premier cas, en termes de déploiement de politiques publiques dans le deuxième.
La nécessité de combler ce déficit de connaissances épidémiologiques sur le handicap rare passe par la mise en place de registres ou bases de données qui ne peuvent être élaborés et maintenus qu’à l’échelon européen voire international. Une assise de population large est en effet indispensable pour des groupes de patients de taille aussi limitée. L’exploitation des données issues des deux registres de handicaps de l’enfant en France souligne, s’il en était besoin, la pertinence d’une approche populationnelle tant dans des objectifs de surveillance que de recherche, quel qu’en soit le domaine ou la méthodologie. Une réflexion sur ces aspects devra clairement bénéficier de cette expertise comme de la mobilisation engagée depuis plusieurs décennies en France et en Europe autour des maladies rares. Une standardisation des définitions, sans référence à un système de santé particulier, et une réflexion approfondie sur les objectifs de telles collectes de données de santé compte tenu des enjeux sociétaux que les échanges d’information sur les pathologies rares représentent, constituent par ailleurs des préalables indispensables.
Au plan national, des dénombrements peuvent vraisemblablement aussi s’envisager par le biais des enquêtes « Handicaps » (telle que l’enquête Handicap-Santé réalisée en 2008) en complétant et adaptant les questions de filtrage destinées à définir l’échantillon d’étude, et par l’exploitation au niveau national du système d’information des Maisons départementales des personnes handicapées dont l’objectif est clairement d’analyser les réponses institutionnelles apportées aux besoins des personnes, là encore probablement en adaptant au contexte du handicap rare les items recueillis. L’intérêt réside dans l’accès à des populations de tous âges, dans un contexte où le vieillissement des populations présentant des handicaps rares congénitaux ou développés dans l’enfance et l’apparition de situations complexes de handicaps dans des populations âgées en nombre croissant, constituent des enjeux majeurs de nos sociétés. La faisabilité et l’efficience de telles dispositions restent à démontrer.

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