Handicaps rares : Contextes, enjeux et perspectives

2013


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Recommandations
En préambule, le groupe d’experts souhaite rappeler qu’il existe un cadre conventionnel et légal qui fixe certains principes généraux devant guider les actions et recherches mises en œuvre concernant les personnes présentant un handicap rare. C’est dans le respect et dans l’esprit de ces principes que les recommandations ont été élaborées.
Premièrement, la France a signé en 2008 et ratifié en 2010 la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, rappelant que l’ensemble des Droits de l’Homme s’applique aux personnes handicapées. Cette convention repose sur des principes généraux (article 3), notamment :
• « le respect de la dignité intrinsèque, de l’autonomie individuelle, y compris la liberté de faire ses propres choix, et de l’indépendance des personnes ;
• la non-discrimination ;
• la participation et l’intégration pleines et effectives à la société ; (…)
• l’égalité des chances ;
• l’accessibilité (…). ».
La convention insiste aussi sur des points plus particuliers, tels que le droit à l’éducation (article 24), en demandant aux États parties de veiller à ce que le système éducatif pourvoie à la scolarisation des personnes handicapées à tous les niveaux.
Cette convention doit constituer le cadre de référence pour toute action concernant les personnes atteintes de handicaps rares. Le rappeler est important car l’ampleur des difficultés qu’elles rencontrent au quotidien (en termes de communication, de mobilité, d’adaptation aux situations…) risque de placer le respect de leurs droits au second plan. Les experts insistent sur la nécessité d’adapter ces principes généraux pour les personnes atteintes de handicaps rares et de réinterroger la signification de ces droits et la manière de les mettre en œuvre concrètement avec les personnes et leur famille. Il est nécessaire d’engager une réflexion, par exemple, sur comment permettre la possibilité de choisir son lieu de vie (article 19, autonomie de vie et inclusion dans la société), lorsque la personne a besoin d’un accompagnement très spécifique et d’expertises très spécialisées. Une telle réflexion est fondamentale pour l’ensemble des principes et droits énoncés dans la convention. Concernant la non-discrimination, le groupe d’experts attire l’attention sur la question de la discrimination génétique dont peuvent faire l’objet des personnes à risque de développer une pathologie conduisant à un handicap rare. Ce point nécessite une réflexion d’ordre législatif.
Deuxièmement, les recommandations énoncées dans le cadre de cette expertise collective ont vocation à être articulées avec les plans d’actions nationaux existants. Aussi, plusieurs d’entre elles renforcent des éléments déjà présents dans le Schéma national d’organisation sociale et médico-sociale pour les handicaps rares 2009-2013. Le groupe d’experts souligne la nécessité de rechercher une synergie entre les plans nationaux (Plan maladies rares, Schéma handicaps rares) dont certains aspects peuvent se recouvrir, notamment lorsqu’une maladie rare a pour conséquence de générer un handicap rare. Il s’agit d’articuler les plans sans les confondre.
Troisièmement, les propositions faites dans cette expertise concernant le développement de la recherche et de la formation sur le handicap rare s’inscrivent en cohérence avec les recommandations de l’Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap (Rapport triennal de 2011).
Ainsi, toutes les propositions énoncées dans ce rapport d’expertise s’appuient sur ces trois cadres et s’inscrivent dans la volonté de :
• reconnaître toute personne comme un sujet de droit ;
• reconnaître que la déficience, fut-elle sévère ou multiple, n’est pas synonyme d’« inéducabilité » et que toute personne dispose de potentiels susceptibles d’être développés, maintenus ou préservés ;
• considérer la personne comme acteur dans les interventions et dispositifs qui la concernent ;
• contribuer à la qualité de vie des personnes dans tous les domaines (santé physique et psychologique, éducation…) et ceci tout au long de leur vie ;
• favoriser la participation dans les actes les plus simples du quotidien (toilette…) comme dans les activités sociales (éducation, travail, loisirs…), celle-ci pouvant prendre des formes très diverses en fonction des personnes, de leur entourage et de leurs attentes ;
• maintenir l’accompagnement y compris en situation de déclin des capacités.

I. Faire évoluer la définition des handicaps rares

En France, la notion de handicaps rares a pour origine la problématique des personnes, enfants ou adultes, qui ne trouvaient pas de prise en charge adaptée dans les établissements médico-sociaux existants et pour lesquelles il était nécessaire de penser des modes de prise en charge et d’accompagnement très spécifiques, c’est-à-dire techniques et/ou personnalisés, adaptés à leurs in/capacités. Intégrée à la politique française, la notion de handicaps rares a permis de rendre visible la situation de ces personnes auparavant exclues de tout dispositif institutionnel ou exposées à une prise en charge inadaptée. L’identification de cette population a aussi servi à interroger et transformer les modes de prise en charge proposés.
Cependant, la définition des handicaps rares centrée sur les déficiences est réductrice. Elle ne prend pas en compte le caractère multidimensionnel et systémique de la définition internationale du handicap établie par la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) de l’OMS et la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (2006), notamment au regard de la participation sociale. Elle n’est pas conforme non plus à la définition française du handicap donnée par la Loi pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005. L’ensemble des rapports préparatoires au Schéma national d’organisation sociale et médico-sociale pour les handicaps rares 2009-2013, et le Schéma lui-même, conviennent que la définition actuelle est insatisfaisante : elle ne rend pas compte de la réalité et ne peut constituer le cadre opératoire dont les objectifs et les actions définis par le Schéma ont besoin.

Décrire les situations dans le cadre de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé

Si la définition dans la législation française a permis d’identifier certaines catégories de personnes, elle n’est opératoire ni d’un point de vue scientifique, ni d’un point de vue politique. Pour caractériser les handicaps rares, il est nécessaire de se référer à un cadre conceptuel précis et reconnu aujourd’hui.
Le groupe d’experts recommande d’utiliser la CIF pour décrire la situation des personnes présentant des handicaps rares. La description de ces situations de « handicaps rares » avec la CIF permettra :
• de caractériser la nature et la gravité des déficiences sur la base des fonctions physiologiques atteintes ;
• d’identifier les activités de la vie quotidienne (des plus élémentaires aux plus complexes) que la personne peut réaliser seule ou ne peut effectuer qu’avec une aide, en précisant la nature des aides nécessaires (techniques et/ou humaines) pour chaque activité ;
• d’identifier les obstacles et les facilitateurs environnementaux, comme par exemple, les modalités de médiation, de soutien et d’accompagnement disponibles ou qui font défaut, et les compétences de l’entourage ;
• de décrire les évolutions, ou à l’inverse, les régressions de participation sociale qui en résultent.
Ce travail de description préalable est nécessaire pour préciser la définition initialement donnée par le législateur et qui combinait deux critères : un taux de prévalence faible (<1/10 000) et le recours à des expertises très spécialisées.

Construire une définition évolutive des handicaps rares

Sur la base d’un travail de description à partir de la CIF, le groupe d’experts recommande de modifier la définition réglementaire des handicaps rares en intégrant l’approche multidimensionnelle propre à rendre compte de leur nature systémique, complexe et évolutive. Cette définition doit rester ouverte à l’intégration de nouvelles configurations de handicaps rares.
Cette recommandation vise à favoriser l’utilisation d’une terminologie commune au niveau national et international. Le caractère commun de cette terminologie est un préalable indispensable au partage des pratiques et à l’avancée des travaux scientifiques.

II. Mieux identifier et évaluer les situations de handicaps rares

L’obstacle premier à la mise en place d’une action adaptée pour les personnes présentant un handicap rare est l’absence de détection de la complexité de leur situation. Celle-ci peut concerner non seulement les personnes pour lesquelles aucune solution adaptée n’a été proposée, mais aussi celles faisant l’objet d’une orientation inadéquate. Dans le premier cas, les difficultés rencontrées pour trouver un dispositif adapté devraient conduire à mieux analyser et évaluer les différents paramètres responsables de la situation de handicap. Dans le deuxième cas, les solutions trouvées n’ont pas permis la mobilisation d’interventions suffisamment adaptées. En effet, la complexité des déficiences peut en masquer certaines, comme par exemple dans le contexte d’une déficience intellectuelle sévère, de troubles graves de la personnalité ou de troubles du spectre autistique.

Sensibiliser les professionnels de santé, de l’éducation et du champ médico-social à l’identification des personnes présentant un handicap rare

La méconnaissance de certaines situations de handicaps rares conduit à des prises en charge qui bien souvent ne prennent en compte ni les obstacles générés par la complexité des déficiences, ni les capacités disponibles pouvant être développées. Il est donc de la plus haute importance que les professionnels de santé, de l’éducation et du champ médico-social disposent d’outils et d’informations nécessaires à la détection des difficultés et à l’évaluation efficace des situations afin de concevoir un accompagnement adapté.
Le groupe d’experts recommande de sensibiliser les professionnels à l’identification des handicaps rares et à l’orientation vers les dispositifs existants tels que les Centres de ressources handicaps rares, les Centres de référence maladies rares et les Centres de référence spécialisés.
Cela suppose de s’adresser aux professionnels confrontés à ces situations en première ligne et de développer les supports les plus pertinents pour une diffusion de l’information à leur intention (site web…).

Élaborer, valider et diffuser des procédures de diagnostic systématique des déficiences masquées par un contexte de déficiences multiples

Il existe un risque important d’absence de détection de déficiences ou incapacités dans certaines situations de handicaps comme celles des personnes souffrant de problèmes de communication ou de déficiences intellectuelles. Par exemple, le dépistage des déficiences sensorielles simples ou multiples associées à certaines déficiences intellectuelles ou à d’autres troubles comme l’autisme, permettrait des ajustements de prise en charge qui prennent en compte l’impact des déficiences sensorielles, ainsi que le style d’adaptation construit par la personne au cours des années où la déficience n’était pas reconnue, notamment lorsqu’il s’agit d’adultes.
Le groupe d’experts recommande d’élaborer et de valider des procédures de diagnostic systématique des déficiences qui pourraient être masquées par la complexité du tableau clinique et de les diffuser à partir des Centres de référence, Centres de ressources, Maisons départementales pour les personnes handicapées.

Évaluer la situation de la personne dans son environnement

Les personnes atteintes de handicaps rares présentent particulièrement le risque que leurs compétences et aptitudes ne soient pas reconnues ni évaluées. Une évaluation de leurs compétences fonctionnelles doit tenir compte du contexte dans lequel elle se déroule et de l’environnement humain et matériel des personnes, qui peuvent favoriser ou non l’expression de leurs compétences.
En particulier, il semble important d’inclure l’entourage familial et les proches afin de bénéficier de leur expertise pour alimenter cette évaluation et préciser les besoins de la personne.
Le groupe d’experts recommande de toujours prendre en compte l’environnement dans l’évaluation des déficiences et des compétences des personnes. Il souligne également la nécessité d’une évaluation, à tout âge de la vie, des capacités et déficiences des personnes ainsi que de leurs besoins et ceux des proches (familles, aidants informels et/ou professionnels). Cette évaluation doit considérer les trajectoires de vie, montrant les ressources déjà mobilisées et les obstacles rencontrés.
Sur le plan méthodologique, cela suppose l’adoption d’une approche systémique, qui prend le temps d’analyser les interrelations multimodales du sujet avec son environnement.
Le groupe d’experts suggère de vérifier la pertinence de l’outil réglementaire Geva (Guide d’évaluation des besoins de compensation de la personne handicapée, qui s’appuie sur la CIF) pour évaluer des situations repérées par les équipes d’accueil et pouvant relever des handicaps rares et de l’adapter en conséquence (notamment dans le volet 6 : activités et capacités fonctionnelles). Il conviendrait aussi d’examiner, avec les professionnels, les adaptations humaines et techniques nécessaires pour recueillir l’expression des personnes présentant des difficultés de communication.
Sur le plan des moyens, cela suppose des services de référence capables de mener à bien ces observations, confrontations et analyses croisées entre acteurs positionnés différemment par rapport à la personne et à son environnement.

III. Améliorer la visibilité, l’accessibilité et l’efficacité des dispositifs existants

La problématique des « handicaps rares » est liée à la planification du schéma médico-social, c’est-à-dire à la création et l’organisation des services et établissements d’accompagnement. Le handicap rare a été défini comme résultant de la combinaison de deux critères : un taux de prévalence faible d’une forme de handicap, associé au besoin d’un accompagnement spécialisé et technique. En conséquence, les Centres de ressources nationaux handicaps rares ont été conçus comme des plateaux techniques mobiles intervenant dans des institutions réparties sur l’ensemble du territoire.

Mettre en place une personne ou une équipe référente « handicap rare » par inter-région

Les Centres de ressources sont focalisés sur des combinaisons particulières de déficiences, qui ne représentent pas l’ensemble des situations concernées par la notion de handicaps rares. Cette dernière désigne des situations très diverses, potentiellement évolutives dans le temps et différentes d’un point à un autre du territoire en fonction des dispositifs existants.
Il apparaît nécessaire de compléter le dispositif des Centres de ressources par la mise en place, au niveau inter-régional, d’une personne, ou d’une équipe, détentrice des savoirs et techniques nécessaires pour intervenir dans toutes situations de handicap rare, à disposition des établissements, services et familles.
Le groupe d’experts recommande de créer des postes inter-régionaux pour des professionnels spécialisés dans l’identification et l’évaluation des situations de handicaps rares, pour aider à l’étude des cas individuels, en partenariat avec les Maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH), l’Éducation nationale, les Agences régionales de santé, les Centres de ressources nationaux handicaps rares et les Centres de référence spécialisés.
Les missions de ces professionnels seraient multiples :
• analyser les situations singulières posant problème, notamment en termes d’orientation ;
• être en appui des acteurs (professionnels, aidants, enseignants, familles, associations…) impliqués dans la prise en charge des personnes ;
• travailler avec les établissements médico-sociaux et scolaires d’une région pour améliorer l’offre de services ;
• aider à la collecte d’informations utiles pour permettre un ajustement législatif, administratif et organisationnel adéquat ;
• repérer les cas où des adaptations des services et dispositifs ont été performantes pour en partager l’expérience.
Concernant le premier point, ces professionnels auraient pour tâche d’identifier, d’examiner et d’analyser les situations singulières pour lesquelles la MDPH ne trouve pas de solution ou pour lesquelles une « orientation par défaut » est prononcée. L’analyse de ces situations devrait leur permettre de comprendre les raisons des difficultés d’orientation et de repérer les situations relevant des handicaps rares. Concernant le deuxième point, ces professionnels pourraient, en se déplaçant dans les structures d’accueil, évaluer les dispositifs d’accompagnement, leur adéquation et leur pertinence dans le temps, la situation des handicaps rares étant souvent évolutive. Il importe à cet égard que ces professionnels considèrent leurs rôles et leurs missions en complément de ceux des établissements.
La fonction de veille au niveau des évaluations, des outils et des méthodes nécessite que ces professionnels soient intégrés dans un réseau national leur permettant d’accéder aux connaissances techniques et spécialisées nécessaires pour décrypter et analyser les situations individuelles. La comparaison des situations individuelles, la bonne connaissance du secteur médico-social d’une région, le travail en « réseau national » ainsi qu’une formation continue devraient permettre à ces professionnels d’acquérir les compétences nécessaires pour proposer aux MDPH une orientation et une prise en charge adaptées.

Favoriser l’accès aux soins en limitant les obstacles administratifs

Les difficultés que toute personne peut rencontrer, car inhérentes à l’organisation du système de santé, à celle du secteur médico-social et à leur défaut d’articulation, sont potentialisées dans le cas des handicaps rares pour lesquels aucun cadre spécifique n’est prévu. En particulier, les différences de financements publics entre les établissements médico-sociaux (Conseils généraux, familles et Assurance maladie) et les hôpitaux de court et moyen séjours (Assurance maladie) influent sur l’orientation des personnes. Ainsi, pour des raisons financières ou d’accessibilité, il arrive que les personnes soient dirigées vers un hôpital de court séjour plutôt que vers une structure adaptée. De même, la gestion du quotidien occupant un nombre d’heures non négligeables pour les aidants et les personnes elles-mêmes, tout allègement administratif est susceptible de diminuer le fardeau du handicap.
Le groupe d’experts recommande la fluidification de l’accès aux soins par la mise en place de dispositifs de financement adaptés.
Un dispositif de financement attaché à la personne quel que soit le lieu de sa prise en charge pourrait être expérimenté et faire l’objet d’une évaluation médico-économique.
Pour les personnes qui vivent à domicile, ce financement pourrait être un forfait de maintien à domicile incluant toutes les prestations requises par l’état de la personne, en termes de soins, d’accompagnement et de bien-être. Ceci impliquerait d’une part la rédaction d’un cahier des charges individualisé dépassant le cadre du seul soin et d’autre part, que les professionnels concernés (médicaux, paramédicaux, auxiliaires de vie) soient rémunérés par patient pour une période de temps et non plus à l’acte comme actuellement (dispositif en expérimentation aux Pays-Bas pour la maladie de Huntington).
De plus, certains handicaps rares sont liés à des pathologies chroniques voire incurables. Imposer le renouvellement d’une ALD (Affection longue durée) dans ces cas-là est inutile voire impossible à réaliser pour des personnes dont l’état se détériore ou qui ne sont pas en situation de gérer le renouvellement de leurs droits, ce qui conduit à des ruptures de prise en charge et à l’intervention de services sociaux. La possibilité d’obtention d’une ALD à vie pour ces situations pourrait être envisagée.
Par ailleurs, dans un système où l’agrément des établissements est lié à un type de déficience ou de pathologie, les personnes présentant un handicap rare sont confrontées à un défaut d’accueil lié à la multiplicité de leurs déficiences. Par exemple, les personnes ayant des troubles du comportement et une maladie organique sont difficilement acceptées en hôpital psychiatrique ainsi qu’en établissement médico-social.
Le groupe d’experts recommande d’examiner les causes de cloisonnement entre les établissements sanitaires et médico-sociaux et au sein de chaque catégorie et de réviser le système d’agrément fondé sur les seules déficiences ou pathologies.

IV. Reconnaître les spécificités de l’accompagnement des personnes ayant un handicap rare à tous les âges de la vie

Les personnes présentant un handicap rare sont dans une situation singulière dans la mesure où l’utilisation et le développement de leurs capacités sont intrinsèquement liés à des aides humaines et techniques. Cette dépendance forte ne définit pas, à elle seule, la situation de la personne. Quelle que soit la sévérité de ses déficiences, il faut considérer que la personne peut apprendre et se développer ou tout au moins que son déclin peut être limité. La meilleure qualité de vie possible pour la personne et son entourage doit rester un objectif quelles que soient leur situation et son évolution.

Mettre en place des protocoles particuliers favorisant le potentiel de développement des personnes et leur participation à la vie sociale

La situation de handicap pour un individu donné se réorganise et se reconstruit au cours du temps d’une part, et selon les évolutions du contexte social et culturel, d’autre part. Les modalités et les objectifs des interventions sont donc à concevoir comme un processus dynamique capable à la fois de fournir les réponses aux évolutions de la situation de handicap et de garantir les continuités sociales et affectives indispensables à la construction et au maintien de l’identité, au bien-être et à la qualité de vie de la personne et de ses proches. Cette dynamique concerne tous les êtres humains, mais les personnes présentant un handicap rare sont en situation de grande vulnérabilité. Plus que d’autres, elles dépendent des autres pour que leurs attentes et leurs potentiels soient reconnus et mis en lien avec les attentes et possibilités du milieu social.
Le groupe d’experts recommande l’élaboration de protocoles d’intervention qui tiennent compte des besoins spécifiques identifiés chez les personnes présentant un handicap rare.
Des critères de qualité de vie doivent être définis afin de guider les actions contribuant au développement et au bien-être de la personne dans son environnement. Par exemple, il conviendra de veiller à ce que les interventions qui visent au renforcement de l’autonomie de la personne ne conduisent pas à augmenter son isolement.
Il existe chez certaines personnes présentant un handicap rare une grande vulnérabilité aux changements de l’environnement social. Ainsi, en plus d’un protocole d’intervention bien adapté, la stabilité et la compétence des dispositifs d’accompagnement sont un facteur essentiel de qualité de vie. L’organisation matérielle et administrative des structures d’accompagnement ne suffit pas à créer cette stabilité et cette compétence. Les conditions de sécurité ressenties dépendent de la présence d’accompagnateurs stables, bien formés et capables d’ajustement permanent. Cela exige la réduction du turnover des personnels et le maintien d’une activité de formation tout au long de la pratique professionnelle.

Renforcer les possibilités de scolarisation des enfants présentant un handicap rare

Plus que pour tout élève présentant une déficience, la scolarisation des élèves présentant un handicap rare suppose la promotion de systèmes favorisant les apprentissages pour tous. Les travaux montrent l’importance d’enseignements s’organisant autour de la pédagogie par projets et ambitionnant le développement du potentiel et le bien-être de chacun. Ils relèvent également le rôle joué par la mobilisation de soutiens humains, techniques, pédagogiques et financiers à l’attention des intéressés, des établissements et de leurs personnels, soutiens mis en œuvre à partir d’une évaluation précise des besoins éducatifs des élèves et d’une bonne connaissance de leurs effets sur les capacités de la personne et de l’environnement.
Le groupe d’experts recommande de développer des parcours personnalisés de scolarisation mobilisant les acteurs du secteur scolaire, éducatif et sanitaire autour du devenir de l’enfant et incluant un projet de transition allant au-delà de l’adolescence.
Dans la ligne des recommandations générales faites précédemment, le groupe d’experts suggère pour ce qui concerne la scolarisation, de s’appuyer sur les unités d’enseignement ainsi que sur le socle commun de compétences pour bâtir des parcours de scolarisation mobilisant les acteurs du système scolaire, médico-social et sanitaire autour du devenir des élèves et de leur accueil dans la communauté scolaire. La sollicitation par les acteurs du système scolaire des Centres de ressources handicaps rares, des Services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) ou d’autres acteurs du secteur médico-social devrait à cet égard leur permettre d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies éducatives complexes ;
Il s’agit également de :
• développer des outils permettant une évaluation des besoins éducatifs par l’intermédiaire d’une équipe pluridisciplinaire en incluant notamment des éléments spécifiques aux handicaps rares dans l’outil GEVAsco ;
• développer des outils facilitant la différenciation des pratiques pédagogiques, la planification des processus éducatifs ainsi que le développement de synergies entre les secteurs éducatif, médico-social et sanitaire. Il peut alors s’agir de pallier le manque d’outils d’évaluation à même de cerner précisément les besoins et les aptitudes et qui devront tenir compte des émotions de l’enfant, de ses capacités cognitives, de ses modes de communication ;
• développer des formations spécifiques aux handicaps rares à l’attention des personnels provenant d’horizons professionnels différents ;
• se doter d’un appareil statistique offrant des données fiables et internationalement comparables renseignant sur les conditions d’accès aux droits, sur les apprentissages ainsi que sur l’impact des aménagements et des soutiens.

Développer les compétences des intervenants et les aider à prendre en compte les spécificités des handicaps rares

La vulnérabilité des personnes présentant un handicap rare limite toute expression univoque de leurs attentes et de leurs compétences. Leur développement n’est possible qu’à travers la rencontre avec d’autres personnes capables de comprendre leur situation et de co-construire avec elles les outils et les objectifs permettant de réduire leur situation de handicap, à la fois par les ajustements du milieu et par le recours à leurs capacités internes. Cette disponibilité d’un milieu favorable et sensible à ces situations concerne toute la chaîne des dispositifs sociaux, professionnels ou non. Elle implique donc la mise en œuvre de moyens de formation visant à rendre effective cette disponibilité.
Le groupe d’experts recommande de développer les compétences des différents intervenants/professionnels à travers des formations continues, le développement d’outils méthodologiques et un accompagnement par des personnes ressources.
La formation de ces professionnels suppose bien sûr de les repérer (personnels médico-administratifs, éducatifs, scolaires, sociaux, sanitaires…) et de définir les compétences à acquérir permettant d’aborder les spécificités des handicaps rares.
Des modules sur les handicaps rares peuvent être proposés dans le cadre de formations initiales ou continues plus générales sur le handicap.
Concernant les aidants, il convient de développer des formations à la prise en charge de situations quotidiennes en fonction de leurs demandes.
Une attention particulière doit être portée à la prévention et à la prise en charge des difficultés et des troubles comme le burn-out des professionnels, l’épuisement des aidants et des proches.

V. Mieux connaître les handicaps rares

Les connaissances et l’expertise, lorsqu’elles portent sur une situation « rare », nécessitent d’être mutualisées au niveau national et rapprochées des informations recueillies dans d’autres pays. Cela suppose de se doter de larges bases de données populationnelles répondant à la fois à des objectifs de surveillance et de recherche, et permettant de combler en partie le déficit de connaissances observé dans ce domaine. Il est cependant difficile d’envisager aujourd’hui la mise en place d’un système d’information permettant de précisément connaître la prévalence en France de toutes les situations de handicap rare. La réflexion a donc porté plus précisément sur la capacité à repérer un certain nombre de ces personnes sur une base populationnelle, c’est-à-dire sans biais a priori. Ces personnes pourraient faire l’objet d’enquêtes ponctuelles complémentaires en réponse à des questions spécifiques préalablement explicitées. En complément, des bases de données exhaustives pourraient être constituées sur des pathologies spécifiques.
Augmenter les connaissances dans le domaine des handicaps rares suppose également l’articulation, la confrontation, le croisement permanent entre pratiques, connaissances et savoirs : savoir des personnes concernées, de leurs familles, des professionnels et des chercheurs. Dans certains domaines, il s’agit de réduire le décalage existant entre les connaissances acquises par les pratiques, les recherches et leurs applications dans les dispositifs de soins, accompagnement, éducation. C’est à partir de cette mise en commun de savoirs, savoir-faire et d’expériences, et grâce à des collaborations inter-sectorielles et pluridisciplinaires que pourront se créer une culture professionnelle commune et une co-construction du savoir s’inscrivant dans la durée.

Repérer les situations de handicaps rares en France

En tenant compte des éléments de définition proposés, il s’agit d’améliorer ou de compléter les systèmes d’information déjà en place afin disposer de données utiles à des fins politiques (adaptation des dispositifs d’accompagnement, c’est-à-dire de soins, d’éducation, de soutien, d’hébergement…) et à des fins scientifiques (production des connaissances). Ces systèmes auront pour objectif de rassembler de l’information concernant les situations problématiques en termes d’interaction entre spécificités de la personne, dispositifs d’accompagnement, environnement humain et matériel.
Le groupe d’experts recommande d’évaluer la faisabilité de quatre modalités de recueil de données standardisées :
• l’extraction des données pertinentes à partir du système d’information réglementaire des Maisons départementales des personnes handicapées qui comporte les évaluations réalisées à partir du Geva ;
• un dispositif spécifique de remontée d’informations à partir des Maisons départementales des personnes handicapées et des établissements et services médico-sociaux sur les situations pour lesquelles aucune solution satisfaisante n’a été trouvée compte tenu de la complexité ou de la rareté de la situation des personnes ;
• l’introduction de questions spécifiques dans un système de recueil d’information déjà mis en place en France sur une large population comme l’enquête Handicap-Santé afin de repérer des handicaps rares dès la phase de filtrage et de disposer ainsi d’un accès à des populations de tous âges pour des enquêtes spécifiques (par exemple, les surdicécités en France chez les personnes âgées de plus de 60 ans) ;
• l’élargissement de la zone géographique couverte par l’enregistrement exhaustif et pérenne des déficiences neurosensorielles et développementales sévères de l’enfant afin de disposer en France d’estimations plus précises de la prévalence des handicaps rares chez l’enfant pour en améliorer la connaissance épidémiologique, mieux comprendre leur variabilité spatiale (variations des marqueurs génétiques et de l’environnement y compris socio-économique) et faciliter la participation des patients à des recherches.
Certains de ces dispositifs de recherche pourraient, pour des situations spécifiques, avoir un développement européen voire international. En effet, l’avenir des connaissances sur les handicaps rares passe par des collaborations renforcées au sein d’une infrastructure globale susceptible de coordonner les efforts de recherche et de stimuler les interactions entre les acteurs. Des exemples dans le champ des maladies rares (réseau international sur la maladie de Huntington) pourront constituer des supports utiles à la réflexion.
Par ailleurs, le groupe d’experts insiste sur le risque de levée d’anonymat dans les bases de données, risque lié à la rareté des situations dans un lieu donné. Il est nécessaire de réfléchir à des solutions éthiques et déontologiques pour protéger les personnes et leurs familles tout en garantissant la qualité du recueil.

Renforcer la mission de mutualisation des connaissances du Groupement national de coopération handicaps rares

Le Groupement national de coopération handicaps rares créé en 2011 rassemble les missions transversales des Centres nationaux de ressources handicaps rares (formation, recherche, réseau, communication).
Le groupe d’experts recommande de renforcer la mission de mutualisation des connaissances du Groupement national de coopération handicaps rares concernant tous les types de situations de handicaps rares (pas seulement celles à composante sensorielle). Ceci, à la fois dans une dimension d’aide pratique aux professionnels, aux personnes atteintes, et à leurs familles mais aussi dans une perspective de lien entre recherche et action.
Il s’agit de favoriser un rapprochement entre la connaissance et les pratiques en valorisant les connaissances de terrain et en utilisant mieux celles issues des travaux de recherche, en créant par exemple une plateforme de partage des données provenant de sources diverses (école, MDPH…) et pouvant associer chercheurs, associations de patients, professionnels…
Cette mission peut comporter plusieurs volets :
• mutualisation et circulation des connaissances ;
• animation du réseau des personnes référentes inter-régionales ;
• mise à disposition de ressources méthodologiques ;
• participation à des démarches internationales (portail Orphanet, recherches, groupes de réflexion…).

VI. Développer des recherches

Le développement insuffisant de la recherche dans le champ des handicaps rares peut s’expliquer d’une part par la rareté, la complexité et l’hétérogénéité des conditions étudiées et d’autre part par la difficulté d’accès à ces populations en raison de sources de données dispersées et insuffisantes. Dans ce domaine, plus encore que dans d’autres, une recherche centrée sur les préoccupations et les intérêts des personnes concernées et de leurs familles est nécessaire. Ces recherches doivent aussi porter sur les questions soulevées par les professionnels.

Favoriser des collaborations de recherche entre chercheurs et professionnels

Le groupe d’experts recommande un dispositif de financement permettant la réalisation de projets de recherche communs associant chercheurs académiques et professionnels. Ces projets devront être soutenus par des procédures de reconnaissance institutionnelle dans l’évaluation de ce type de recherche.
À terme, ce type de partenariat doit favoriser l’existence de pôles de recherche bien identifiés sur les handicaps rares, pouvant apporter une expertise et contribuer à la mutualisation des connaissances.

Développer des recherches sur des méthodes de recueil de données directement auprès des personnes quel que soit leur niveau de compétences

Les recherches des dernières décennies ont été marquées par un intérêt croissant pour le recueil auprès des patients eux-mêmes des informations les concernant. Cependant, de nombreuses difficultés méthodologiques sont à lever dès lors que le niveau cognitif des patients ou leurs capacités sensorielles ne permettent pas d’évaluer leur situation sur des dimensions mettant en jeu leur propre perception.
Le groupe d’experts recommande de développer les recherches qui s’appuient sur les compétences et aptitudes des personnes présentant un handicap rare pour recueillir des informations concernant leur vécu, leurs demandes, leur expérience, et ne pas s’en tenir uniquement à ce qu’en disent les proches. Ceci nécessite d’adapter et de développer différentes méthodes de recueil de données (méthodes classiques telles que l’entretien et l’observation directe, autres méthodes telles que l’enregistrement et l’analyse de vidéos, l’observation participante…) en tenant compte des modalités d’expression des personnes.

Initier des recherches sur les compétences et aptitudes spécifiquement développées par les personnes présentant un handicap rare

Les handicaps rares, du fait de leur spécificité, peuvent apporter des éléments de compréhension de processus qui concernent d’autres populations. Ainsi, certaines questions soulevées par les handicaps rares rejoignent des problématiques de recherche fondamentale comme par exemple le rôle de la sensorialité dans le développement de toute personne ou encore « l’attention conjointe multisensorielle » dans les situations d’interaction entre deux personnes.
Le groupe d’experts recommande de soutenir des travaux fondamentaux de recherche sur les compétences et aptitudes développées par les personnes présentant un handicap rare. Ces recherches peuvent éclairer des notions plus générales et enrichir les connaissances utiles aux handicaps rares et à d’autres situations.

Promouvoir des recherches sur les handicaps rares à tous les âges de la vie

Le groupe d’experts a identifié plusieurs thématiques de recherche (non exhaustives) à développer et qui pourraient contribuer à une meilleure connaissance des personnes présentant des handicaps rares et de leurs proches. Ces projets de recherche peuvent faire appel à différentes disciplines (sciences humaines et sociales, sciences de la vie…), voire être interdisciplinaires.
Il conviendrait, par exemple, d’étudier les processus du développement du langage et de la communication, mis en place par la personne présentant un handicap rare, tout au long de sa vie, en tenant compte de la dimension interactionnelle de la communication et l’ancrage social du langage. Une attention particulière pourrait être portée sur les méthodes permettant de comprendre les manifestations corporelles porteuses de sens et à partir desquelles il est possible d’engager des échanges communicatifs et de favoriser la co-construction d’expressions symboliques. Par ailleurs, une mutualisation des données disponibles sur les différents terrains d’investigation au niveau international contribuerait à une meilleure connaissance des compétences langagières chez les personnes présentant un handicap rare.
Concernant la scolarisation et l’éducation, les recherches pourraient s’intéresser aux facteurs facilitant ou entravant les apprentissages des jeunes présentant un handicap rare en milieu ordinaire et en milieu spécialisé, à la cohérence de leurs parcours éducatifs ainsi qu’à leur inscription sociale et professionnelle. Cela permettrait de repérer les formes d’innovation développées pour rendre l’environnement scolaire réceptif à la diversité des besoins éducatifs des élèves, d’analyser leur impact sur les apprentissages et en termes d’autonomie, pendant et au-delà de la période de scolarisation.
Des recherches sont à développer sur les difficultés rencontrées par les familles, non seulement durant l’enfance de la personne qui présente un handicap rare, mais aussi durant l’adolescence et l’âge adulte. Des recherches pour une meilleure compréhension des processus de résilience et d’adaptation permettant aux familles de faire face sont à encourager. Ces recherches devront s’intéresser au « groupe famille » ainsi qu’à tous ses membres (père, mère, fratrie, famille élargie) dans une visée systémique.
Enfin, il convient de développer des recherches méthodologiques et appliquées sur la mesure du bien-être et ses déterminants chez les personnes présentant un handicap rare ainsi que chez leur entourage. Ces recherches sont indispensables pour disposer d’indicateurs permettant d’évaluer les dispositifs d’aide mis en place et pour guider l’accompagnement des personnes.

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