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Med Sci (Paris). 2003 October; 19(10): 1016–1024.
Published online 2003 October 15. doi: 10.1051/medsci/200319101016.

L’expérimentation auprès des personnes atteintes de maladie neurodégénérative

Michel T. Giroux*

Avocat et éthicien, Directeur de l’Institut de Consultation et de recherche en éthique et en droit (ICRED). 7185, La Marche, Québec, G2K 1Z9, Canada
Corresponding author.
 

Tenons pour acquis que, du point de vue des personnes atteintes, la recherche est indubitablement souhaitable, à la condition d’être mise en oeuvre dans le respect de leurs droits. On peut examiner les préoccupations des personnes atteintes et celles des chercheurs en répondant à cinq questions. (1) Le consentement exprimé à un moment où le sujet était apte continue-t-il de valoir après que le patient est devenu inapte ? (2) Si la réponse à cette première question est négative, peut-on réintégrer dans le protocole un sujet devenu inapte ? (3) Les conditions de la réintégration sont-elles les mêmes que celles applicables au consentement initial, alors que le sujet était apte ? (4) Quel moyen juridique simple pourrait-on utiliser pour réintégrer le sujet inapte dans l’expérimentation ? (5) Comment instaurer une gestion aisée du projet de recherche ?

Le consentement à l’expérimentation chez la personne majeure et apte

La personne majeure et apte peut consentir à une expérimentation, dit l’article 20 du Code civil du Québec (C.c.): « Une personne majeure, apte à consentir, peut se soumettre à une expérimentation pourvu que le risque couru ne soit pas hors de proportion avec le bienfait qu’on peut raisonnablement en espérer. » La participation de la personne majeure et apte est soumise à la nécessité légale d’obtenir son consentement libre et éclairé. Cette nécessité trouve un écho fondamental en éthique de la recherche, dans le respect du principe de l’autonomie personnelle. S’agissant d’expérimentation, on doit communiquer au sujet éventuel une information aussi complète que possible, notamment en ce qui concerne les risques, même si la probabilité de leur survenue est faible. En matière d’expérimentation, le chercheur ne peut invoquer le privilège thérapeutique et le sujet ne peut renoncer à être informé: «Dans le domaine de la recherche, il ne fait aucun doute que la divulgation doit être la plus complète possible, compte tenu des circonstances. Il n’existe aucune place pour le privilège thérapeutique ou la renonciation à être informé, même si tel est le souhait du sujet» [ 1]. Quant au mode d’expression du consentement à l’expérimentation, l’article 24 C.c. exige que ce consentement soit exprimé par écrit. Cependant, le sujet peut toujours révoquer son consentement, même verbalement : «Le consentement aux soins qui ne sont pas requis par l’état de santé, à l’aliénation d’une partie du corps ou à une expérimentation doit être donné par écrit. Il peut toujours être révoqué, même verbalement.» Le législateur rend plus formelle l’expression du consentement à l’expérimentation que celle de la révocation de ce consentement, qu’il veut simple et facile. La raison essentielle de ce formalisme tient au fait que les sujets de l’expérimentation ne bénéficient pas nécessairement de ses bienfaits, mais qu’ils sont susceptibles d’en supporter les inconvénients physiques, psychologiques, familiaux ou sociaux. Par ailleurs, on doit reconnaître l’existence de l’altruisme comme motivation chez un nombre indéterminé de sujets. En conséquence, le formalisme de l’écrit indique à toutes les personnes concernées que la participation d’un sujet à l’expérimentation n’est pas un acte banal, mais un acte particulier qui mérite une attention singulière et tournée vers la protection du sujet. Quant au retrait de l’expérimentation, le sujet en détient le droit suivant son gré, sans aucune formalité. L’intention manifeste du législateur vise à protéger les sujets en leur permettant de se retirer facilement et avec promptitude d’une expérimentation.

Le consentement est un continuum

Le moment où le sujet éventuel signe le formulaire de consentement et devient sujet de recherche ne détermine pas la volonté qui prévaudra lors des moments ultérieurs, puisque le sujet peut se retirer de l’expérimentation à tout moment avant que celle-ci ne prenne fin. En conséquence, le consentement ne doit pas être perçu comme un événement fini et limité à un moment précis, mais comme l’expression d’une volonté continue dans le temps.

L’idée de continuum représente la permanence, l’écoulement ininterrompu, le caractère incessant de quelque chose qui est situé dans l’espace ou dans le temps. Cette idée se trouve opposée à celles d’interruption, de rupture et de discontinuité. En ne révoquant pas le consentement qu’il a exprimé, le sujet réaffirme à tout moment sa volonté de participer à l’expérimentation. Conceptuellement, l’absence de révocation du consentement équivaut à répéter l’expression implicite du consentement ou à renouveler celui-ci de manière à ce qu’il se perpétue. Cette expression du consentement est implicite car elle découle naturellement de la conduite du sujet qui s’abstient de révoquer sa volonté initiale.

La formalité de l’écrit peut engendrer un effet indésirable sur la conception que le sujet se fait de ses obligations à l’égard des responsables ou des promoteurs de l’expérimentation. Le sujet pourrait percevoir sa signature comme le point final qu’on met à une transaction définitivement engageante. La transaction par laquelle on achète une voiture ou une maison constitue un contrat irrévocable. Il faut éviter que le sujet applique cette logique à l’expérimentation et qu’il entretienne l’impression que sa signature l’engage jusqu’à ce que l’expérimentation soit terminée1.

Les normes internationales et canadiennes qui balisent la recherche en santé insistent non seulement sur le droit du sujet de recherche de se retirer à tout moment, mais aussi sur l’obligation qui incombe au chercheur d’informer le sujet de ce droit de retrait. Examinons les normes énoncées dans trois documents régulateurs. L’article 22 de la Déclaration d’Helsinki énonce ce dont le sujet doit être informé. Cette énumération contient le droit de retrait: «Lors de toute étude, la personne se prêtant à la recherche doit être informée de manière appropriée des objectifs, méthodes, financement, conflits d’intérêts éventuels, appartenance de l’investigateur à une ou des institutions, bénéfices attendus ainsi que des risques potentiels de l’étude et des contraintes qui pourraient en résulter pour elle. Le sujet doit être informé qu’il a la faculté de ne pas participer à l’étude et qu’il est libre de revenir à tout moment sur son consentement sans crainte de préjudice » [ 3]. Les Bonnes pratiques cliniques (BPC) stipulent que certaines explications doivent être données au sujet et être contenues dans la documentation qu’on lui remet. Ces explications concernent notamment le droit du sujet de se retirer en tout temps de la recherche: «Au cours de la discussion concernant le consentement éclairé, sur le formulaire de consentement éclairé et dans tout autre document d’information à fournir aux sujets, les explications suivantes doivent être données: le fait que la participation du sujet à l’essai est volontaire et que le sujet peut refuser de participer à l’essai ou se retirer, en tout temps, sans subir de préjudice ou perdre les avantages auxquels il a droit» [ 4].

Sur le plan national, dans l’«Énoncé de politique des trois Conseils», le consentement apparaît comme l’expression d’une volonté continue dans le temps. Le consentement existe sur la base d’une communication incessante entre le chercheur et le sujet de recherche. L’Énoncé de politique est explicite sur la nécessité d’un consentement manifesté sans cesse ou réitéré au cours de la mise en oeuvre du projet de recherche : « La recherche menée conformément à cette politique (voir règle 1.1) ne peut débuter que si les sujets pressentis ou des tiers autorisés ont pu donner un consentement libre et éclairé, si le consentement libre et éclairé a été obtenu avant le projet et réitéré pendant toute la durée du projet (…)» [ 5]. Dans la logique de notre droit civil, l’absence de révocation du consentement constitue un consentement réitéré durant la mise en oeuvre de l’expérimentation. Ailleurs, l’Énoncé de politique exige des chercheurs qu’ils transmettent certaines informations aux sujets pressentis concernant le consentement libre et éclairé, dont celles relatives à la possibilité de quitter le projet de recherche: «La garantie que les sujets pressentis sont libres de ne pas participer au projet, de s’en retirer en tout temps sans perdre de droits acquis et d’avoir en tout temps de véritables occasions de revenir ou non sur leur décision» [ 6]. Les documents normatifs que nous venons de citer partagent avec notre Code civil la conception que le consentement est un continuum de la volonté qui se prolonge dans le temps.

L’effet de l’inaptitude sur la participation du sujet à l’expérimentation

La loi ne contient aucune définition des concepts d’aptitude et d’inaptitude. La question de savoir si une personne en particulier est apte ou inapte appartient à l’art de la médecine; elle relève donc du jugement clinique ou médical.

En revanche, l’observation de la pratique médicale, les considérations de la jurisprudence, les remarques des auteurs de doctrine juridique et l’usage du sens commun permettent l’identification de certaines caractéristiques qui font qu’une personne est considérée apte à consentir aux soins: (1) la personne peut comprendre l’information qui lui est communiquée, notamment la nature et le but des interventions envisagées; (2) elle peut réfléchir à cette information; (3) elle peut apprécier les conséquences (risques et avantages) de ses décisions dans l’hypothèse d’un consentement et dans l’hypothèse d’un refus de consentir; (4) la personne se trouve en mesure d’exprimer sa volonté. Dans un ouvrage récent, deux commentateurs du droit mentionnent l’essentiel de ces quatre caractéristiques : «Elle [l’aptitude] implique que le patient soit à même de recevoir et de comprendre l’information, qu’il soit capable de raisonner, d’évaluer les conséquences de ses choix dans une situation donnée, et qu’il soit capable de les exprimer» [ 7].

L’inaptitude du sujet le prive concrètement de la possibilité soit de réitérer explicitement son consentement à l’expérimentation, soit de manifester sa volonté de révoquer ce consentement. Or, en droit civil, l’absence de révocation du consentement réaffirme ou renouvelle ce consentement. Par le fait même que son inaptitude l’a privé de la possibilité de révoquer le consentement exprimé, le sujet ne se trouve plus en mesure de réaffirmer ou de renouveler implicitement son consentement. La survenue de l’inaptitude interrompt l’expression auparavant incessante du consentement implicite et entraîne la cessation de la participation du sujet à l’expérimentation.

Les conditions de la réintégration du sujet

Une personne inapte peut être sujet de recherche. La réintégration du sujet à l’expérimentation se fera aux mêmes conditions légales que si le sujet inapte n’avait pas encore participé à l’expérimentation.

La loi offre une protection particulière aux personnes inaptes susceptibles de devenir des sujets de recherche, sous forme de conditions distinctes qui leur sont appliquées. Suivant l’article 20 C.c., le majeur apte «peut se soumettre à une expérimentation pourvu que le risque couru ne soit pas hors de proportion avec le bienfait qu’on peut raisonnablement en espérer». Cette formulation permet que le majeur apte soit soumis à un risque sérieux si celui-ci est proportionné au bienfait anticipé. En revanche, l’article 21, al.1 C.c. établit qu’un majeur inapte ne peut jamais être soumis à un risque sérieux, indépendamment du bienfait attendu de l’intervention: «Un mineur ou un majeur inapte ne peut être soumis à une expérimentation qui comporte un risque sérieux pour sa santé ou à laquelle il s’oppose alors qu’il en comprend la nature et les conséquences». On voit que l’interdiction de faire encourir un certain niveau de risque aux personnes mineures ou inaptes leur attribue une protection légale particulière, car elles sont considérées comme appartenant à la catégorie des personnes vulnérables, dont on peut plus facilement abuser. La Déclaration d’Helsinki reconnaît de son côté que certaines catégories de sujets sont plus vulnérables que d’autres et qu’une attention supplémentaire doit être accordée aux personnes qui ne peuvent donner elles-mêmes leur consentement [ 8]: «La recherche médicale est soumise à des normes éthiques qui visent à garantir le respect de tous les êtres humains et la protection de leur santé et de leurs droits. Certaines catégories de sujets sont plus vulnérables que d’autres et appellent une protection adaptée. Les besoins spécifiques des sujets défavorisés au plan économique comme au plan médical doivent être identifiés. Une attention particulière doit être portée aux personnes qui ne sont pas en mesure de donner ou de refuser ellesmêmes leur consentement, à celles qui sont susceptibles de donner leur consentement sous la contrainte, à celles qui ne bénéficieront pas personnellement de la recherche et à celles pour lesquelles la recherche est conduite au cours d’un traitement».

En vertu de l’article 21, alinéa 2 C.c., la personne majeure et inapte ne peut être soumise qu’à une expérimentation présentant certaines caractéristiques quant à ses résultats et qui a d’abord été approuvée par un comité d’éthique compétent: «Il [le majeur inapte] ne peut, en outre, être soumis à une expérimentation qu’à la condition que celle-ci laisse espérer, si elle ne vise que lui, un bienfait pour sa santé ou, si elle vise un groupe, des résultats qui seraient bénéfiques aux personnes possédant les mêmes caractéristiques d’âge, de maladie ou de handicap que les membres du groupe. Une telle expérimentation doit s’inscrire dans un projet de recherche approuvé et suivi par un comité d’éthique (…)».

Dans les cas où l’inaptitude du majeur est subite, le consentement du majeur inapte est exprimé par une personne qui exerce le consentement substitué, c’està- dire le mandataire, le tuteur ou le curateur. Cette règle est énoncée à l’article 21, alinéa 3 C.c. : « Le consentement à l’expérimentation est donné, pour le mineur, par le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur et, pour le majeur inapte, par le mandataire, le tuteur ou le curateur. Lorsque l’inaptitude du majeur est subite et que l’expérimentation, dans la mesure où elle doit être effectuée rapidement après l’apparition de l’état qui y donne lieu, ne permet pas d’attribuer au majeur un représentant légal en temps utile, le consentement est donné par la personne habilitée à consentir aux soins requis par le majeur; il appartient au comité d’éthique compétent de déterminer, lors de l’examen d’un projet de recherche, si l’expérimentation remplit une telle condition».

En conclusion, une personne d’abord apte qui a participé à une expérimentation et en a été exclue au moment où est survenue son inaptitude peut, en vertu du Code civil, être réintégrée dans l’expérimentation aux conditions suivantes : l’expérimentation ne présente aucun risque sérieux pour le sujet; si l’expérimentation ne vise que le sujet, elle laisse espérer un bienfait pour sa santé; si l’expérimentation vise un groupe, elle laisse espérer des résultats bénéfiques aux personnes possédant les mêmes caractéristiques d’âge, de maladie ou de handicap que les membres du groupe; l’expérimentation a été approuvée par un comité d’éthique compétent, et la personne qui détient le consentement substitué a consenti à l’expérimentation. Par ailleurs, le sujet éventuel ne peut être soumis à une expérimentation à laquelle il s’oppose alors qu’il en comprend la nature et les conséquences.

L’ouverture d’un régime de protection

Pour réintégrer la personne inapte dans l’expérimentation, on doit obtenir le consentement substitué à cet effet. Or, ce consentement n’est possible que si un régime de protection du majeur a été ouvert. Il s’agit là d’une procédure juridique. L’article 258, alinéa 1, C.c. mentionne des régimes de protection attribuables à la personne majeure, selon que ses facultés sont plus ou moins atteintes: «Il est nommé au majeur un curateur ou un tuteur pour le représenter, ou un conseiller pour l’assister, dans la mesure où il est inapte à prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens, par suite, notamment, d’une maladie, d’une déficience ou d’un affaiblissement dû à l’âge qui altère ses facultés mentales ou son aptitude physique à exprimer sa volonté.» Dans le contexte du consentement à l’expérimentation, le curateur et le tuteur peuvent exprimer un consentement, alors que le conseiller au majeur ne le peut pas. Il existe un autre régime de protection, appelé mandat donné en prévision de l’inaptitude. Ce mandat est décrit à l’article 2131 C.c.: «Le mandat peut aussi avoir pour objet les actes destinés à assurer, en prévision de l’inaptitude du mandant à prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens, la protection de sa personne, l’administration, en tout ou en partie, de son patrimoine et, en général, son bien-être moral et matériel ». Le mandat donné en prévision de l’inaptitude est le document par lequel une personne juridiquement capable et apte (le mandant) désigne une autre personne (le mandataire) pour prendre soin d’elle ou administrer ses biens dans l’éventualité où elle deviendrait inapte. Le mandat donné en prévision de l’inaptitude peut être un instrument efficace et approprié chez les personnes qui souhaitent exprimer leurs préférences de vie pour la période ultérieure à la survenue de leur inaptitude. Le mandat donné en prévision de l’inaptitude permet donc au sujet de désigner la personne qui exercera le consentement substitué en son nom, d’une part, et d’exprimer ses attentes quant aux soins et aux attentions qu’on lui portera, d’autre part. Par ailleurs, rien n’interdit à la personne d’énoncer des directives concernant sa participation à une expérimentation. Le mandat devient exécutoire lorsque le mandant est devenu inapte et que le tribunal a procédé à son homologation.

Une publication récente du Barreau du Québec portant sur le mandat donné en prévision de l’inaptitude contient certaines remarques d’un neurologue spécialisé dans les questions relatives au vieillissement. Ce praticien décrit brièvement les atteintes progressives qu’engendre la maladie d’Alzheimer. L’auteur nous rappelle qu’au stade précoce de leur maladie, les personnes atteintes sont conscientes de leur état. Il nous montre aussi que le mandat peut être un instrument juridique approprié pour certaines personnes: «Ainsi, la maladie d’Alzheimer comporte une atteinte progressive des facultés intellectuelles, avec diminution de l’autonomie pour un ensemble de tâches instrumentales incluant l’utilisation de moyens de transport, de communication, de l’argent et des médicaments. Il faut cependant distinguer la perte d’initiative et d’attention pour ces tâches, qui peuvent être très bien exécutées lorsqu’elles sont familières, ou avec un peu de supervision, du moins jusqu’aux stades intermédiaires et avancés. Il est également important de souligner que plusieurs des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et autres formes de démence se rendent très bien compte de leur état aux stades légers et souhaitent planifier leur vie future, alors qu’elles auront perdu leur autonomie fonctionnelle pour les tâches instrumentales et les soins personnels (…). De là apparaît l’importance du mandat en début de maladie, alors que l’aptitude ne fait aucun doute pour le notaire, avocat ou médecin traitant. La disponibilité d’un mandat facilite également la participation à la recherche et l’accès à des traitements innovateurs» [ 9].

Les formalités requises pour la formation et l’exécution du mandat sont stipulées à l’article 2166 C.c. Le mandat devient exécutoire lorsque le tribunal a procédé à son homologation, suite à la survenue de l’inaptitude du mandant. Dans l’hypothèse où le retrait du sujet de l’expérimentation représenterait un préjudice sérieux pour l’intéressé, il serait possible, même avant l’instance, d’obtenir la désignation temporaire d’une personne chargée de le représenter; la demande d’ouverture d’un régime de protection doit cependant être imminente. Une fois désigné, le représentant légal pourrait consentir à la réintégration du sujet dans l’expérimentation. Cette possibilité existe en vertu de l’article 272 C.c.

La prévision, pour une gestion aisée

Dans les projets de recherche portant sur les maladies neurodégénératives, l’éventualité de l’inaptitude du sujet doit être prise au sérieux puisque la nature même des expérimentations en cause nécessite fréquemment qu’elles se poursuivent au-delà du moment où survient l’inaptitude. Le mandat donné en prévision de l’inaptitude constitue un moyen simple pour contourner l’obstacle de l’inaptitude. Ce moyen est simple, car il est constitué d’un petit nombre d’étapes cliniques et légales qui se succèdent de façon claire. La description de la recherche effectuée auprès des sujets pressentis devrait présenter les événements prévisibles dans leur totalité, incluant la participation souhaitée des sujets après la survenue de leur inaptitude. On décrira aussi les procédures légales requises pour la désignation d’un mandataire.

La clé consiste donc à présenter au sujet éventuel toutes les étapes que pourrait comporter l’expérimentation : le consentement du sujet apte, la rédaction d’un mandat en prévision de l’inaptitude, la première partie de la mise en oeuvre du projet de recherche, la survenue de l’inaptitude, l’ouverture d’un régime de protection par l’homologation du mandat donné en prévision de l’inaptitude, le consentement du mandataire à la poursuite de la recherche et, enfin, la seconde partie de la mise en oeuvre du projet.

Le recours au mandat donné en prévision de l’inaptitude est d’un intérêt décisif, car il permet à la personne concernée de donner des directives particulières sous forme écrite et de nommer une personne qu’elle choisit elle-même pour la représenter. Si elle le désire, la personne peut émettre des directives sur sa participation à l’expérimentation dont il s’agit.

La rédaction et l’homologation d’un mandat donné en prévision de l’inaptitude engendreront des frais. Les promoteurs du projet de recherche peuvent offrir au sujet éventuel de débourser ces frais, jusqu’à concurrence d’un montant maximum qui ne constitue pas une incitation excessive, mais qui couvre les frais encourus lorsque la procédure n’est pas contestée. Les promoteurs de l’expérimentation ont l’obligation d’éviter que l’indemnité remise au sujet soit une incitation poussant cette personne à accepter de se soumettre à des condi tions qu’elle refuserait si la somme versée correspondait globalement aux pertes et aux contraintes réelles. Selon l’article 25 du Code civil, le participant à un projet de recherche doit recevoir «une indemnité en compensation des pertes et des contraintes subies». L’information remise au sujet devrait énoncer clairement que les promoteurs du projet de recherche s’engagent à verser le montant de ces frais, mais que le sujet et ses proches demeureront entièrement libres d’accepter ou de refuser ce versement. En effet, il se peut que certaines personnes préfèrent finalement verser ellesmêmes le montant de ces frais pour éviter de se sentir liées par le geste des promoteurs. L’information remise au sujet devrait aussi préciser que le représentant légal aura toute liberté dans ses décisions, incluant celle de refuser que le sujet soit réintégré au projet de recherche, que le représentant légal du sujet demeurera totalement libre de le retirer en tout temps de l’expérimentation et que les décisions du sujet et du détenteur du consentement substitué n’auront jamais pour effet d’affecter la qualité des soins dispensés.

L’approche proposée ici du consentement accompagné d’un mandat en prévision de l’inaptitude est nouvelle et, à notre connaissance, n’a pas encore été tentée. Cette approche paraît d’autant plus prometteuse qu’elle facilite la gestion et la réalisation de certaines expérimentations, et qu’elle y parvient dans le respect du droit des sujets à la protection de leur dignité et de leur bien-être.

Conclusions

L’expérimentation auprès de personnes atteintes de maladie neurodégénérative peut être mise en oeuvre à un moment où le sujet est apte, et être poursuivie audelà de son inaptitude. En effet, la loi autorise qu’une personne (devenue) inapte soit sujet de recherche. Cependant, à partir du constat de l’inaptitude, le consentement doit provenir du représentant légal du sujet : le mandataire, le tuteur ou le curateur. Les seules exceptions à cette règle concernent les circonstances où l’inaptitude du majeur survient subitement. L’utilisation du mandat en prévision de l’inaptitude pour désigner un représentant légal appelé mandataire circonscrit les inconvénients de l’inaptitude du sujet à une interruption de l’expérimentation pour une durée de quelques semaines. L’engagement des promoteurs de l’expérimentation à débourser les frais occasionnés par la procédure juridique pourrait faciliter les choses pour les sujets et leurs proches, sans constituer une incitation excessive ou déloyale pour obtenir la participation des sujets à l’expérimentation.

Le principal inconvénient de cette proposition est que les promoteurs des projets de recherche devront concevoir leur expérimentation de manière que le délai de quelques semaines entre le moment de l’inaptitude et celui de l’expression du consentement substitué ne compromette ni la pertinence ni la qualité scientifique des observations et des essais. Cet inconvénient, si désagréable soit-il pour les équipes de recherche, nous paraît justifiable en regard de l’essentielle protection des sujets d’expérimentation dans leurs droits fondamentaux.

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Footnotes
1 «In buying a house or a car, the signature on the dotted line completes the transaction. Buyer and seller are both committed. There is usually no turning back (…). The same effect can be seen in medical treatment and research. Patients often see the signed form as binding them to go through with treatment to which they have consented» [2].
References
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Conseil de recherches médicales du Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, Approvisionnement et Services Canada. Énoncé de politique des trois Conseils: éthique de la recherche avec des êtres humains. Ottawa, 1998 : règle 2.4, par. d, p. 2.6.
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Gauthier S, Gauthier J, Dupin F, Panisset, M. Comment déterminer l’aptitude du mandant ? In: Les mandats en cas d’inaptitude: une panacée ? Service de formation permanente, Barreau du Québec. Cowansville: Les Éditions Yvon Blais, 2001: 75.