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Med Sci (Paris). 2003 December; 19(12): 1233–1241.
Published online 2003 December 15. doi: 10.1051/medsci/200319121233.

Pathogénie de la maladie de Berger : implication des immunoglobulines A et de leurs récepteurs

Renato C. Monteiro,1* Valérie Leroy,1 Pierre Launay,1 Ivan Cruz Moura,1 Michelle Arcos-Fajardo,1 Marc Benhamou,1 and Élie Haddad2

1Inserm EMI- U 0225, UFR de Médecine Xavier Bichat, 16, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France
2Inserm EMI-U 0225 et Service de Néphrologie Pédiatrique, Hôpital Robert Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, France
Corresponding author.
 

Immunoglobulin A (IgA) nephropathy or Berger’s disease is the most common form of primary glomerulonephritis in the world and one of the first cause of end-stage renal failure. IgA nephropathy is characterized by the accumulation in mesangial areas of immune complexes containing polymeric IgA1. While epidemiology and clinical studies of IgA nephropathy are well established, the mechanism(s) underlying disease development is poorly understood. The pathogenesis of this disease involves the deposition of polymeric and undergalactosylated IgA1 in the mesangium. Quantitative and structural changes of IgA1 play a key role in the development of the disease due to functional abnormalities of two IgA receptors: The FcaR (CD89) expressed by blood myeloid cells and the transferrin receptor (CD71) on mesangial cells. Abnormal IgA induce the release of soluble CD89 which is responsible for the formation of circulating IgA complexes. These complexes may be trapped by CD71 that is overexpressed on mesangial cells in IgA nephropathy patients allowing pathogenic IgA complex formation.

La maladie de Berger ou néphropathie primitive à immunoglobulines A (néphropathie à IgA) est la plus fréquente des glomérulonéphrites primitives. Elle représente, selon l’origine géographique et ethnique des populations, 10 à 40 % des glomérulonéphrites primitives [ 1]. Elle atteint l’homme trois à quatre fois plus souvent que la femme et essentiellement l’enfant et l’adulte jeune. Longtemps considérée comme une affection bénigne, la néphropathie à IgA est actuellement reconnue comme une cause importante d’insuffisance rénale. En effet, 30 à 40 % des patients évoluent vers une insuffisance rénale terminale après 20 ans d’évolution et 10 % des transplantations rénales en France concernent des patients atteints de néphropathie à IgA [ 2].

La néphropathie à IgA est définie aujourd’hui encore par les critères immunohistologiques décrits en 1968 par J. Berger et N. Hinglais [ 3]. Elle est caractérisée par des dépôts mésangiaux d’IgA, exclusivement de la sous-classe IgA1, et par une prolifération mésangiale (Figure 1). Au sein des dépôts mésangiaux sont également présents la fraction C3 du complément (70 % des cas), des IgG (40 % des cas) et, plus rarement (5 à 10 % des cas), des IgM [3, 4]. En microscopie optique, les aspects lésionnels sont variables, allant d’une simple hypertrophie de la matrice mésangiale à une augmentation importante de la cellularité mésangiale. Les lésions sont segmentaires (une partie du floculus est atteinte au sein du glomérule) et focales (une partie seulement des glomérules est concernée) ou diffuses. Elles s’associent parfois à une nécrose du floculus et à une prolifération extracapillaire des cellules épithéliales formant des croissants épithéliaux. Ces lésions peuvent évoluer vers une sclérose glomérulaire irréversible. En microscopie électronique, on observe des dépôts denses dans les espaces intercellulaires mésangiaux et le long de la membrane basale glomérulaire.

Deux tableaux cliniques sont habituels : l’association asymptomatique d’une hématurie microscopique et d’une protéinurie ou des épisodes récidivants d’hématurie macroscopique. Ces hématuries macroscopiques apparaissent souvent 24 à 48 heures après un épisode infectieux des voies aériennes supérieures ou, plus rarement, au cours d’un effort physique. L’absence d’atteinte extrarénale permet de distinguer la maladie de Berger de la glomérulonéphrite du purpura rhumatoïde, également caractérisée par des dépôts mésangiaux d’IgA1, mais comportant des signes de vascularite cutanée, digestive et articulaire. Les tableaux cliniques de la néphropathie à IgA et du purpura rhumatoïde sont classiquement très différents. Cependant, certains symptômes tels que les arthralgies ou les douleurs abdominales, fréquents au cours du purpura rhumatoïde, peuvent être observés au cours d’une maladie de Berger et quelques enfants présentent, plusieurs années après une poussée de purpura rhumatoïde, des épisodes isolés d’hématurie macroscopique. Enfin, des formes familiales ont été décrites où coexistaient, au sein d’une même famille, des cas de néphropathie à IgA et de purpura rhumatoïde, soulignant les rapports étroits entre ces deux affections [ 5].

Les mécanismes physiopathogéniques de la maladie de Berger restent en grande partie inconnus. Leur compréhension, essentielle pour mettre au point des stratégies thérapeutiques innovantes et performantes, a connu des progrès récents. Les recherches se sont orientées essentiellement vers l’étude de l’IgA1, qui constitue la sous-classe d’IgA exclusivement déposée dans le mésangium, et des différents récepteurs pour les IgA.

Anomalie de la réponse immune IgA
Rôle pathogène des complexes immuns contenant des IgA
L’existence d’un facteur sérique à l’origine de la maladie est étayée par de nombreuses observations cliniques. Après transplantation rénale chez un patient atteint de néphropathie à IgA, les dépôts mésangiaux d’IgA se reconstituent dans le rein greffé dans environ un tiers des cas [ 6, 7]. Inversement, les dépôts d’IgA d’un rein atteint de néphropathie à IgA disparaissent lorsqu’il est greffé à un individu souffrant d’une autre affection rénale [ 8].

L’analyse du sérum et des glomérules des patients a suggéré le rôle pathogène des IgA elles-mêmes et notamment des complexes immuns contenant des IgA. En effet, la concentration d’IgA sériques est augmentée chez plus de 50 % des patients. Cette augmentation porte à la fois sur les formes poly- et monomériques mais le rapport polymériques/monomériques est très augmenté. Par ailleurs, des complexes immuns à IgA, absents chez les individus sains, ont été isolés à la fois dans le sang [ 9] et dans les glomérules des patients [ 10]. Les IgA1 polymériques sont les principaux composants aussi bien des complexes immuns circulants que de ceux élués des glomérules suggérant que ces derniers ont bien une origine sérique [9, 10]. Le rôle des complexes immuns circulants dans le développement de la maladie est appuyé par certains modèles animaux de néphropathie à IgA où une glomérulonéphrite est induite par l’injection intraveineuse de complexes immuns à IgA préformés de grande taille [ 11].

Toutefois, ces observations ne présagent pas de la nature de complexes antigène-anticorps des complexes immuns à IgA isolés chez les patients. De fait, aucun antigène spécifique de la maladie et commun à tous les patients n’a été isolé au sein de ces complexes à IgA et les IgA éluées des biopsies rénales de patients atteints de néphropathie à IgA n’ont pas de spécificité particulière [ 12]. Le rôle, dans la formation des complexes immuns, d’une réponse immune excessive à un antigène paraît donc peu probable. Une anomalie intrinsèque du système immunitaire conduisant à une augmentation globale de la synthèse des IgA, à l’origine de la formation des complexes immuns, est une des hypothèses proposées.

Anomalie de la régulation de la production des IgA
Le site de la production accrue des IgA - médullaire ou muqueux - chez les patients atteints de néphropathie à IgA est encore débattu. Chez les individus normaux, les IgA sériques sont de façon prédominante de la sous classe des IgA1, monomériques et produites par les plasmocytes de la moelle osseuse tandis que les IgA sécrétoires, synthétisées principalement par les plasmocytes du chorion sont de classe IgA1 et IgA2 et polymériques. Les principaux arguments en faveur d’une anomalie de la réponse immune affectant le compartiment médullaire sont l’absence d’IgA2 dans les dépôts mésangiaux et l’augmentation des concentrations sériques d’IgA concernant exclusivement la sous classe des IgA1. Des études cliniques ont montré une diminution de la réponse IgA sécrétoires au sein des muqueuses lors d’une immunisation par voie muqueuse tandis que la production de IgA polymériques sériques en réponse à une infection chronique muqueuse ou une immunisation systémique était exagérée [ 1315]. Un déficit de la réponse immune IgA dans les muqueuses pourrait ainsi être responsable d’un passage anormal d’antigènes dans la circulation et d’une stimulation antigénique récurrente ayant pour conséquence une production accrue d’IgA dans la moelle osseuse [13].

Néanmoins, quel que soit le mécanisme d’élévation des concentrations sériques d’IgA, l’augmentation de la quantité d’IgA ne suffit pas à expliquer la formation des complexes immuns à IgA et les dépôts dans le mésangium. En effet, les patients atteints de Sida ou de myélome à IgA ont des concentrations d’IgA sériques très élevées et présentent cependant rarement une néphropathie à IgA.

Anomalies de structure des IgA1
La constatation que les IgA1 mésangiales présentaient une charge négative a conduit à rechercher d’éventuelles anomalies de structure de ces molécules [10]. Les IgA1 présentent une particularité structurale remarquable : contrairement aux IgA2, elles possèdent dans leur région charnière des résidus N-acétyl galactosamine-b 1,3 galactose O-glycosylés. Il a été montré par différentes techniques, notamment l’étude de l’affinité des IgA pour différentes lectines et l’analyse directe de leur composition en sucres, qu’une fraction des molécules d’IgA1 sériques des patients atteints de néphropathie à IgA avaient un défaut de galactosylation de ces résidus (Figure 2) [ 16]. Les IgA1 isolées des dépôts glomérulaires de patients avec néphropathie à IgA présentent les mêmes anomalies structurales [ 17]. Deux observations suggèrent que l’hypogalactosylation des IgA1 joue un rôle central dans la genèse des dépôts rénaux d’IgA. D’une part, la présence d’IgA1 hypogalactosylées a été mise en évidence dans le purpura rhumatoïde avec atteinte rénale alors que, dans les formes sans atteinte rénale, les IgA1 sont de structure normale [ 18]. D’autre part, des IgA humaines injectées chez le rat ne s’accumulent dans les glomérules que lorsqu’elles ont été préalablement dégalactosylées in vitro [ 19].

L’origine du déficit de galactosylation des IgA1 au cours de la maladie de Berger ou de la néphropathie du purpura rhumatoïde n’est pas encore élucidée. L’hypothèse d’une modification de la séquence des acides aminés de la région charnière a été réfutée [ 20, 21]. Un déficit en b1–3 galactosyltransférase pourrait rendre compte de cette hypogalactosylation des IgA1. Une étude a, en effet, rapporté une diminution de l’activité de cet enzyme dans les cellules B périphériques des patients atteints de néphropathie à IgA [ 22]. Cette observation demande cependant à être confirmée, notamment dans les plasmocytes médullaires, producteurs d’IgA.

Quelles sont les conséquences biologiques de l’hypogalactosylation ?
De nombreuses hypothèses ont été proposées pour expliquer comment ces IgA1 anormales participent à la physiopathologie de la néphropathie à IgA. L’altération des sucres pourrait, par différents mécanismes, favoriser la formation de complexes immuns à IgA et leurs dépôts dans le mésangium. T. Kokubo et al. ont ainsi montré qu’in vitro, les IgA1 hypogalactosylées formaient spontanément des agrégats et que leur affinité pour différents composants de la matrice mésangiale (laminine, fibronectine, collagène IV) était augmentée [ 23]. D’après les travaux de J. Mestecky et al., les IgA hypogalactosylées sont présentes dans le sérum sous forme de complexes contenant à la fois des IgA et des IgG. Les N-acétyl galactosamines terminales exposées constitueraient des néo-épitopes reconnus par des IgA et des IgG anti-IgA naturels conduisant à la formation des complexes immuns à IgA [ 24, 25]. Ces complexes échapperaient au catabolisme hépatique. En effet, les hépatocytes et, à un moindre degré, les cellules hépatiques non parenchymateuses, participent normalement au catabolisme des IgA via le récepteur des asialoglycoprotéines. Au sein des complexes immuns à IgA, les résidus sialiques de la région charnière normalement reconnus par le récepteur des asialoglycoprotéines seraient masqués, empêchant ainsi la fixation des complexes au récepteur et leur clairance. Une autre hypothèse, développée par notre équipe, est que l’hypogalactosylation des IgA1 est responsable d’une interaction anormale des IgA1 avec leurs différents récepteurs exprimés par les cellules mésangiales ou d’autres types cellulaires.
Interaction anormale des IgA avec le CD89 : l’apport de modèles murins
Anomalie du CD89 chez les patients atteints de néphropathie à IgA
Le premier récepteur des IgA identifié, le CD89 ou RFca, est une glycoprotéine transmembranaire de 266 acides aminés (55 à 75 kDa), exprimée constitutivement chez l’homme par les cellules de la lignée monocytaire (Figure 3). Le CD89 fixe les IgA1 et IgA2, avec une plus forte affinité pour les IgA polymériques que pour les monomériques. Il participe à la fois aux défenses immunitaires et au catabolisme des IgA [ 26]. Chez les patients atteints de néphropathie à IgA, l’expression membranaire du CD89 à la surface des monocytes est diminuée malgré une synthèse intracellulaire normale de la protéine [ 27]. Par ailleurs, nous avons mis en évidence dans le sang des patients la présence d’une forme soluble de CD89, absente chez les individus sains, liée à des IgA sous forme de complexes circulants CD89-IgA [ 28].
Nouveau modèle murin de néphropathie à IgA : les souris transgéniques pour le CD89 humain
Les modèles expérimentaux initialement décrits se différenciaient de la pathologie humaine par différents aspects : la souris ddY présente une augmentation de la concentration sérique d’IgA mais pas d’hématurie [ 29] alors que la souris dont le gène codant pour l’utéroglobine1 a été invalidé, développe des dépôts rénaux constitués certes d’IgA, mais surtout de fibronectine [ 30].

Nous avons développé des souris transgéniques pour le CD89 humain dont le transgène est sous contrôle d’un promoteur spécifique de la lignée monocytaire-macrophagique. Ces souris transgéniques pour le CD89 humain développent spontanément une pathologie similaire à la néphropathie à IgA : dépôts mésangiaux massifs d’IgA, infiltration glomérulaire et interstitielle par des macrophages, expansion de la matrice mésangiale, hématurie et protéinurie modérée [28]. Dans le sérum de ces souris transgéniques, une forme soluble du CD89 et des complexes CD89 soluble-IgA sont détectés. L’injection du sérum de ces souris à des souris non transgéniques transmet la maladie, alors que le même sérum, déplété du CD89 soluble, n’induit aucune pathologie (Figure 4) démontrant le rôle clé du CD89 soluble dans le développement de la maladie.

Le rôle des IgA dans l’apparition de la forme soluble du CD89 a été démontré chez des souris SCID (qui présentent un déficit immunitaire humoral complet et n’ont donc aucune IgA circulante) chez lesquelles le gène du CD89 humain a été exprimé. Ces souris ne développent pas spontanément la maladie ; le CD89 soluble n’est pas détectable dans leur sérum, expliquant l’absence de pathologie rénale, alors que l’expression du CD89 à la surface des cellules sanguines est jusqu’à dix fois supérieure à l’expression observée chez les souris transgéniques immunocompétentes. Chez ces souris, une néphropathie à IgA peut être induite par l’injection d’IgA isolées à partir du sang des patients atteints de néphropathie à IgA, les IgA de sujets sains n’induisant pas la maladie (Figure 4). L’injection des IgA de patients est suivie d’une diminution de l’expression membranaire du CD89 sur les cellules sanguines circulantes puis de l’apparition de dépôts mésangiaux d’IgA [28].

L’ensemble de ces résultats démontre que, dans ce modèle, à la fois le CD89 et les IgA anormales sont nécessaires au développement d’une néphropathie à IgA. Néanmoins, la survenue d’une néphropathie à IgA chez des souris transgéniques pour le CD89 et sans déficit immunitaire (c’est-à-dire en présence des IgA normales de la souris) est inattendue. Une explication pourrait venir de la forme des IgA sériques murines qui, contrairement à ce qui est observé chez l’homme sain, sont de façon constitutive essentiellement polymériques.

Rôle du CD89 dans le développement de la néphropathie à IgA : modèle physiopathologique
Les anomalies du CD89 observées chez les patients atteints de néphropathie à IgA et l’étude des souris transgéniques nous conduisent à proposer le mécanisme physiopathogénique suivant : la fixation des IgA anormales sur le CD89 entraînerait une libération de la partie extracellulaire du récepteur et une diminution du CD89 membranaire. La partie extracellulaire du CD89 ainsi relarguée dans la circulation s’associerait alors aux IgA pour former des complexes IgA-CD89 solubles. Une boucle d’auto-aggravation se mettrait alors en place : diminution en surface du nombre de molécules de CD89, diminution de la clairance des IgA polymériques par le CD89, augmentation des concentrations sériques des IgA polymériques et de leur interaction avec le CD89. Les complexes CD89-IgA ainsi formés se déposeraient alors dans les glomérules par liaison à des récepteurs de surface des cellules mésangiales ayant une affinité pour ces molécules (Figure 4).

Le mécanisme moléculaire précis du relargage du CD89 soluble est encore inconnu. L’hypothèse que nous formulons est l’existence d’une co-agrégation du CD89 avec une protéase membranaire. Cette hypothèse est confortée par une série d’expériences in vitro. En effet, l’incubation de cellules sanguines isolées des patients en présence ou en l’absence de sérum autologue montre que les IgA sont nécessaires au maintien de la diminution de l’expression du récepteur à la surface des cellules [27]. Par ailleurs, dans un modèle cellules transfectées avec le CD89, la production de CD89 soluble est induite par des IgA polymériques [28]. Enfin, un anticorps spécifique de la région intracytoplasmique du CD89 n’est pas réactif vis-à-vis de la forme soluble du CD89 isolée du sang des patients, confirmant que seule la région extracellulaire du CD89 est présente au sein des complexes CD89 soluble-IgA. Malgré la forte suspicion que les complexes sériques CD89 soluble-IgA sont bien la forme sous laquelle les IgA se déposent dans le mésangium. La présence de CD89 n’a jamais été mise directement en évidence dans le mésangium des souris transgéniques pour le CD89 ou dans celui des patients. Cela pourrait s’expliquer par un défaut de sensibilité des anticorps utilisés lors du marquage immunohistochimique ou encore par le masquage des épitopes reconnus par l’anticorps lors de la liaison des complexes CD89 soluble-IgA au mésangium.

Le rôle du CD89 n’est pas restreint à la seule néphropathie à IgA primitive mais a été montré également dans les néphropathie à IgA secondaires des cirrhoses alcooliques, du Sida ou de la spondylarthrite ankylosante, affections où l’on observe une augmentation des concentrations sériques d’IgA et la présence de complexes immuns à IgA. Une diminution de l’expression membranaire du CD89 sur les monocytes sanguins a, en effet, été observée dans toutes ces pathologies [ 3133]. Toutefois, le CD89 dans sa forme soluble n’a pas été isolé au cours des néphropathies à IgA secondaires [28] et le type d’IgA dont les concentrations sériques sont augmentées varie sensiblement selon l’affection considérée. Ainsi, dans la spondylarthrite ankylosante, les IgA sériques sont essentiellement monomériques [33] alors que dans la cirrhose, les IgA des deux sous-classes (IgA1 et IgA2) sont augmentées et le rapport monomères/polymères reste normal [31]. De plus, contrairement à la néphropathie à IgA primitive, aucune anomalie de glycosylation des IgA n’a été mise en évidence dans ces trois affections. Ces différences suggèrent que le CD89 pourrait participer au développement des dépôts mésangiaux d’IgA au cours des néphropathies à IgA primitives ou secondaires, soit indirectement par le biais d’un défaut de catabolisme des IgA, soit directement via la production de complexes CD89 soluble-IgA. Les anomalies de l’interaction CD89-IgA procèdent probablement de mécanismes variables impliquant diversement des altérations du récepteur lui-même et/ou des IgA.

Mécanisme de fixation des IgA aux cellules mésangiales : expression accrue d’un nouveau récepteur des IgA1 par les cellules mésangiales
Les nouveaux récepteurs des IgA : récepteur de la transferrine et RFca/m
Les IgA se lient aux cellules mésangiales de manière dépendante de la dose et saturable [ 34]. Cette observation rend l’existence d’un récepteur mésangial des IgA très probable. Cependant, aucun des récepteurs connus des IgA (CD89, récepteur des asialoglycoprotéines, récepteur des immunoglobulines polymériques) n’a pu être mis en évidence sur les cellules mésangiales [ 35].

Le RFca/m a été proposé comme candidat potentiel. Chez la souris, il fixe les IgA mono- et polymériques, mais aussi les IgM avec une plus forte affinité [ 36]. Chez l’homme, son ARN messager a été détecté dans les cellules mésangiales humaines en culture [ 37]. Cependant, il n’existe aucune étude confirmant l’expression membranaire de la protéine. De plus, la faible fréquence des dépôts d’IgM dans la néphropathie à IgA rend douteuse l’implication du RFca/m dans la pathogénie de cette affection.

Expression accrue du RTf dans la néphropathie à IgA
Récemment, un autre récepteur des IgA a été caractérisé. Il s’agit d’une glycoprotéine homodimérique de 180 kD, présente sur les cellules mésangiales en culture, qui a été identifiée comme le récepteur de la transferrine (RTf ou CD71) [ 38]. Le CD71 lie les IgA1 et non les IgA2, et davantage les IgA polymériques que les IgA monomériques.

Des études immunohistochimiques sur biopsies rénales révèlent une expression augmentée du RTf dans le mésangium des patients atteints de néphropathie à IgA ou de purpura rhumatoïde avec atteinte rénale alors que le RTf est quasiment indétectable par les mêmes techniques dans des glomérules de rein normal [38, 39]. L’augmentation de l’expression mésangiale du RTf n’est toutefois pas spécifique de la néphropathie à IgA puisqu’elle a également été observée chez des patients présentant d’autres types de glomérulonéphrite. Toutefois, le RTf n’est surexprimé que dans les glomérulonéphrites s’accompagnant de dépôts mésangiaux d’IgA et l’étude des glomérules en microscopie confocale après double marquage des IgA et du RTf par des fluorochromes montre une colocalisation de ces deux molécules [39]. Cette observation suggère que le récepteur des IgA mésangial est bien le RTf. Le mécanisme de son hyperexpression dans les glomérulonéphrites avec dépôts d’IgA reste cependant à déterminer.

Conséquences de la fixation des IgA au mésangium
Alors que les mécanismes responsables des dépôts d’IgA dans le mésangium apparaissent assez spécifiques des néphropathies à IgA, les événements qui conduisent à la progression de la maladie (infiltration rénale par des monocytes-macrophages, prolifération épithéliale, lésions inflammatoires et fibreuses des glomérules) semblent communs à toutes les maladies glomérulaires chroniques. La liaison des IgA1 aux cellules mésangiales induit, in vitro, chez la souris comme chez l’homme, une prolifération mésangiale et la sécrétion par les cellules mésangiales de cytokines pro-inflammatoires (interleukine 6, interleukine 1, tumor necrosis factor a, transforming growth factor b) et de chimiokines telles que l’interleukine 8, le macrophage-inflammatory protein (MIP) et l’interferon-inducible protein 10 (IP-10) [ 4042]. Ces médiateurs, par une activité paracrine ou autocrine, pourraient être responsables de l’infiltration du mésangium par les cellules sanguines mononucléées et des lésions inflammatoires.

La nature des facteurs responsables de la grande variabilité clinique et histopathologique de la néphropathie à IgA avec une évolution vers la sclérose glomérulaire et l’insuffisance rénale terminale pour certains patients ou la guérison pour d’autres, n’est pas encore élucidée.

Facteurs génétiques dans la néphropathie à IgA

Bien que la néphropathie à IgA soit le plus souvent une affection sporadique, des formes familiales ont été rapportées, qui représenteraient, d’après certains, plus de 50 % des cas de néphropathie à IgA [ 43]. L’existence de facteurs génétiques prédisposant à la néphropathie à IgA est donc probable, même si la maladie ne présente pas un schéma de transmission simple, de type mendélien.

Parmi les hypothèses explorées, le rôle dans le déclenchement de la maladie des antigènes du système HLA, du polymorphisme du T cell receptor, du promoteur du gène codant pour le CD89 ou pour les immunoglobulines A ou la responsabilité du polymorphisme de l’enzyme de conversion de l’angiotensine dans la progression de la néphropathie à IgA vers l’insuffisance rénale terminale ont fait l’objet de plusieurs études (pour revue, voir [ 44]). Malheureusement, les résultats, souvent contradictoires, n’ont pas permis d’identifier le ou les gènes de susceptibilité pour la néphropathie à IgA.

L’approche la plus prometteuse actuellement semble être celle de A. Ghavari et al. qui ont réalisé une analyse de liaison sur la totalité du génome dans 30 familles de néphropathie à IgA [ 45]. De façon surprenante, aucune liaison significative n’a pu être établie entre la néphropathie à IgA et les principaux gènes habituellement proposés comme candidats (gène des immunoglobulines, antigènes majeurs d’histocompatibilité, gènes codant pour le CD89, l’utéroglobuline ou la galactosyl transférase). Toutefois, cette étude a montré une association étroite entre néphropathie à IgA et le locus 6p22–23 dans 60 % des familles analysées. D’autres études sont maintenant nécessaires pour caractériser le gène correspondant à ce locus de susceptibilité et expliquer les variations phénotypiques entre individus porteurs du trait 6p22–23.

Conclusions

L’ensemble des données sur les IgA et leurs récepteurs conduisent à proposer un nouveau mécanisme physiopathogénique dans la maladie de Berger (Figure 5). La fixation des IgA1 de patients, anormalement glycosylées, sur le CD89 entraînerait un clivage de sa partie extracellulaire et une diminution de son expression membranaire. Une boucle d’auto-aggravation se mettrait alors en place résultant dans la diminution de la clairance des IgA polymériques et une augmentation des IgA polymériques complexées au CD89 soluble. Ces complexes se déposeraient alors dans les glomérules par liaison au récepteur de la transferrine surexprimé par les cellules mésangiales. Le développement de molécules inhibant la fixation des IgA à leurs récepteurs pourrait ainsi ouvrir une nouvelle voie dans la thérapie de la maladie de Berger.

 
Footnotes
1 Molécule sérique qui se lie à la fibronectine et règle son taux sérique.
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