Peter Agre a 54 ans, c’est un médecin hématologue à l’université Johns Hopkins de Baltimore où il est professeur de chimie biologique et de médecine. Il a découvert « par hasard », comme il se plaît à le dire, les aquaporines. Ces protéines, insérées dans la double couche lipidique de nombreuses membranes cellulaires, confèrent à la membrane où elles sont insérées une perméabilité considérable à l’eau : 3 milliards de molécules d’eau par seconde, et par monomère d’aquaporine (‹).
(‹) m/s 2001, n° 1, p. 115
Le passage d’eau y est sélectif : l’eau passe, mais pas les protons. Pour les néphrologues, l’insertion ou non de canaux hydriques dans les différents épithéliums du tubule rénal explique leur perméabilité ou leur imperméabilité à l’eau. Ainsi, la branche descendante de l’anse de Henle est très perméable, car l’aquaporine 1 y est insérée. La branche ascendante de l’anse de Henle, imperméable à l’eau et très perméable aux solutés, n’exprime aucune aquaporine.
À la fin des années 1980, Peter Agre ne cherchait pas des aquaporines mais travaillait à l’identification des déterminants moléculaires du groupe Rhésus des globules rouges. À partir de grandes quantités de globules rouges, il isola une fraction membranaire présente en abondance, à partir de laquelle il réussit un séquençage peptidique partiel. Celui-ci permit la construction de sondes génomiques suffisantes pour cribler une banque érythrocytaire et isoler un gène codant pour une protéine membranaire n’appartenant à aucune famille connue. L’expression de cette protéine dans des œufs de xénope révéla une perméabilité à l’eau significativement accrue. Les canaux à eau, dont l’existence était suggérée depuis de très nombreuses années, étaient ainsi identifiés. La famille de ces canaux allait vite s’agrandir avec plus de dix variétés, des canaux à eau « purs », ne transportant que de l’eau, puis des canaux moins orthodoxes, transportant du glycérol ou d’autres petites molécules. Ces canaux à eau sont présents dans tous les épithéliums perméables de tous les organes et de nombreuses espèces animales et végétales. Leur perte de fonction est responsable de quelques syndromes héréditaires rares (diabètes insipides néphrogéniques autosomiques dominants et récessifs - AQP2, cataracte congénitale - AQP0). Peter Agre a soulevé les pierres de la connaissance dans un ruisseau limpide, l’eau passe dans les membranes modélisées de Bert de Groot (http://www.mpibpc.gwdg.de/abteilungen/071/bgroot/presentations/aqp1_dyn/aqp1_system_movie.html). Si vous êtes un chercheur enthousiaste, il y a d’autres pierres à retourner sur des ruisseaux ou des chemins qui conduisent à Stockholm.
Daniel G. Bichet