II. Épidémiologie

2013


ANALYSE

19-

Cancers de l’enfant

Entre 2000 et 2004, l’incidence des cancers de l’enfant en France métropolitaine mesurée par les registres pédiatriques nationaux était estimée à 157 cas par million chez les enfants de moins de 15 ans, avec un sex-ratio H/F de 1,2 (Lacour et coll., 2010renvoi vers). Cette incidence est tout à fait comparable à celle rapportée dans les autres registres occidentaux. Les cancers les plus fréquents sont les leucémies (29 %, en particulier les leucémies aiguës lymphoïdes les plus fréquentes et les leucémies aiguës myéloïdes), les tumeurs du système nerveux central (23 %), les lymphomes (12 %) et les neuroblastomes (8 %). Près de 50 % des cancers de l’enfant surviennent avant l’âge de 5 ans, l’incidence la plus élevée se situant au cours de la première année de vie.

Étiologie et facteurs de risque

Peu de facteurs de risque des cancers de l’enfant ont été identifiés. Les facteurs génétiques connus sont à l’origine d’un petit nombre de cas. Certains cancers sont héréditaires (comme le syndrome de Li-Fraumeni) ou favorisés par des affections héréditaires (comme la neurofibromatose de von Recklinghausen) et par la trisomie 21. Il est admis que l’exposition aux radiations ionisantes à forte dose augmente le risque de leucémie (survivants de Hiroshima et Nagasaki) ou de cancers de la thyroïde (après l’accident nucléaire de Tchernobyl). Certains facteurs infectieux comme les infections virales (Epstein-Barr, herpès HHV-8) sont à l’origine de certains cancers de l’enfant comme les lymphomes ou les maladies de Kaposi (Clavel, 2007renvoi vers). D’autres facteurs de risque ont fait l’objet d’un grand nombre d’études comme l’exposition aux radiations ionisantes d’origine médicale, l’exposition aux rayonnements non ionisants, aux pesticides, à la fumée de tabac, aux polluants benzéniques, aux composés alimentaires N-nitrosés sans que ces associations puissent être considérées comme établies à ce jour (Baldwin et Preston-Martin, 2004renvoi vers ; Belson et coll., 2007renvoi vers ; Clavel, 2007renvoi vers).

Exposition aux pesticides et cancers chez l’enfant

La littérature sur les liens entre l’exposition aux pesticides et le risque de cancer de l’enfant a fait l’objet de plusieurs méta-analyses parues récemment (Wigle et coll., 2009renvoi vers ; Turner et coll., 2010 renvoi vers; Van Maele-Fabry et coll., 2010renvoi vers et 2011renvoi vers ; Bailey et coll., 2011 renvoi vers ; Vinson et coll., 2011renvoi vers). Compte-tenu du grand nombre d’études sur le sujet, c’est principalement le risque de leucémie qui a fait l’objet de ces synthèses, en relation avec les expositions professionnelles des parents (Wigle et coll., 2009renvoi vers ; Van Maele-Fabry et coll., 2010renvoi vers), ou avec les expositions au domicile (Turner et coll., 2010renvoi vers ; Van Maele-Fabry et coll., 2011renvoi vers), qu’elles résultent ou non d’un usage familial (Bailey et coll., 2011renvoi vers).

Leucémie de l’enfant

Exposition professionnelle des parents

La méta-analyse de Wigle et coll. publiée en 2009renvoi vers porte sur 31 études conduites entre 1950 et 2009, dont 5 études de cohortes qui évaluaient l’incidence de cancer chez des enfants d’agriculteurs et 26 études cas-témoins évaluant de façon rétrospective l’exposition parentale aux pesticides rapportée, dans la mesure du possible, à différentes périodes clés : avant la conception, pendant la grossesse, pendant l’enfance (tableau 19.Irenvoi vers). Globalement, cette analyse ne conclut pas à une augmentation significative du risque de leucémie en lien avec l’exposition professionnelle du père aux pesticides (OR=1,09 ; IC 95 % [0,88-1,34]), mais cette analyse montre un degré d’hétérogénéité important. En revanche, le risque de leucémie est multiplié par deux lors d’une exposition professionnelle maternelle aux pesticides en période prénatale (OR=2,09 ; IC 95 % [1,51-2,88]), et plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’insecticides (OR=2,72 ; IC 95 % [1,47-5,04]) ou d’herbicides (OR=3,62 ; IC 95 % [1,28-10,3]). Ces excès de risque restent stables quelles que soient les analyses de sensibilité effectuées.
La méta-analyse de Van Maele-Fabry et coll. publiée en 2010renvoi vers avec des critères de sélection légèrement différents de ceux de Wigle et coll. (25 études publiées entre 1985 et 2008), arrive à des conclusions très proches : pas d’association avec l’exposition professionnelle du père globalement (mais hétérogénéité forte), une augmentation du risque de leucémie de l’ordre de 60 % en présence d’une exposition professionnelle maternelle aux pesticides pendant la grossesse, en particulier aux insecticides, et plus particulièrement pour les leucémies aiguës myéloïdes avec une très faible hétérogénéité entre les études.
Les critères de sélection des études, les modes d’agrégation des types d’exposition et/ou des périodes concernées et la stratégie de synthèse utilisés dans l’étude de Vinson et coll. (2011renvoi vers) n’ont pas rendu possible l’analyse comparée des résultats de cette étude avec les autres méta-analyses publiées.

Tableau 19.I Méta-analyses récentes réalisées sur le risque de cancer de l’enfant et l’exposition aux pesticides des parents

Références
Nombre d’études/Années de publication des études
Type d’exposition
Population d’étude/Famille chimique/pathologie
Résultats
mRR [IC 95 %]
Leucémies
Wigle et coll., 2009renvoi vers 
31
1950-2009
Exposition professionnelle
Pères
Insecticides
Herbicides
Mères
Insecticide
Herbicides
1,09 [0,88-1,34]
1,43 [1,06-1,92]
1,25 [0,94-1,66]
2,09 [1,51-2,88]
2,72 [1,47-5,04]
3,62 [1,28-10,3]
Van Maele-Fabry et coll., 2010renvoi vers
25
1985- 2008
Exposition professionnelle
Pères
Leucémies aiguës myéloïdes
Mères
Leucémies aiguës myéloïdes
1,14 [0,76-1,69]
0,73 [0,19-2,76]
1,62 [1,22-2,16]
2,68 [1,06-6,78]
Turner et coll., 2010renvoi vers
17
1950-2009
Exposition résidentielle


Pendant la grossesse
Insecticides
Herbicides
Pendant l’enfance
Insecticides
Herbicides
1,54 [1,13-2,11]
2,50 [1,80-2,32]
1,61 [1,20-2,16]
1,38 [1,12-1,70]
1,61 [1,33-1,95]
0,96 [0,59-1,58]
Van Maele-Fabry et coll., 2011renvoi vers
13
1966-2009
Exposition résidentielle
Pendant la grossesse
Pendant l’enfance
Intérieur du domicile
Extérieur du domicile
Insecticides
Herbicides
2,19 [1,92-2,50]
1,65 [1,33-2,025]
1,74 [1,45-2,09]
1,47 [1,07-2,02]
1,73 [1,33-2,26]
1,53 [1,10-2,13]
Tumeurs cérébrales
Van Maele-Fabry et coll., 2013renvoi vers
19
1974-2010
Exposition professionnelle
Parents
Cas-témoins
Cohortes

1,30 [1,1-1,53]
1,53 [1,2-1,95]

Exposition résidentielle

Turner et coll. (2010renvoi vers) ont conduit une méta-analyse des études existantes sur les relations entre l’exposition résidentielle aux pesticides et le risque de leucémie de l’enfant. L’exposition résidentielle incluait l’utilisation de pesticides au domicile (par la mère essentiellement), ou le traitement du domicile par des professionnels ; elle ne comprenait pas l’exposition liée à la proximité de champs agricoles. L’exposition était en général associée à une période : pré-conceptionnelle, grossesse, enfance. Dix-sept études cas-témoins ont été identifiées entre 1950 et 2009, 6 étaient des études hospitalières, 10 des études à base populationnelle. Une augmentation de 54 % du risque de leucémie (OR=1,54 ; IC 95 % [1,13-2,11]) est estimée suite à une exposition aux pesticides pendant la grossesse, en particulier insecticides et herbicides. Un accroissement du risque de leucémie chez l’enfant est également associé à l’exposition pendant l’enfance aux pesticides en général (OR=1,38 ; IC 95 % [1,12-1,70]), ou aux insecticides en particulier (OR=1,61 ; IC 95 % [1,33-1,95]). Il faut noter un niveau d’hétérogénéité élevé lors de l’analyse des expositions pendant la grossesse, qui est réduit lorsque le type de pesticides ou le type de leucémie est pris en compte (risque plus élevé pour les leucémies aiguës lymphoïdes), alors que les études portant sur les risques liés aux expositions pendant l’enfance montrent une bonne homogénéité.
Van Maele-Fabry et coll. (2011renvoi vers) ont pris en compte 13 études parues entre 1966 et 2009. Cette méta-analyse conclut également à un excès de risque en cas d’exposition résidentielle pendant la grossesse (OR=2,19 ; IC 95 % [1,92-2,50]) ou pendant l’enfance (OR=1,65 ; IC 95 % [1,33-2,05]), en particulier lors d’une exposition à l’intérieur du domicile, à des insecticides, et avec des niveaux d’hétérogénéité tout à fait acceptables.
L’étude de Bailey et coll. (2011renvoi vers) n’a pas été incluse dans les synthèses précédentes. Il s’agit d’une étude cas-témoins australienne (388 cas, 870 témoins) portant spécifiquement sur le risque de leucémie aiguë lymphoïde de l’enfant en lien avec les traitements du domicile par des professionnels, contre les termites, insectes, rongeurs ou oiseaux. À l’issue de leur étude, les auteurs ont conduit une méta-analyse regroupant leurs résultats avec ceux de 5 études cas-témoins portant sur les mêmes relations, parues entre 1966 et 2009. L’analyse conjointe conduit à estimer un accroissement de l’ordre de 37 % ([0 %-88 %]) du risque de leucémie aiguë lymphoïde en cas de traitement du domicile par des professionnels pendant la grossesse, avec une hétérogénéité modérée entre les études (I²=45,3 %). Des relations sont également suggérées en cas d’exposition de l’enfant au cours des premières années de vie, mais les résultats des études sont considérés comme trop hétérogènes pour en tirer une conclusion ferme sur une vulnérabilité particulière liée à cette période.
En résumé, d’après des méta-analyses récentes, le risque de leucémie (leucémie aiguë myéloïde ou leucémie aiguë lymphoïde) chez l’enfant est augmenté lors d’une exposition professionnelle ou résidentielle maternelle aux pesticides (insecticides ou herbicides) pendant la grossesse. L’exposition pendant l’enfance aux pesticides en général ou aux insecticides en particulier est également associée à un accroissement du risque de leucémie.

Tumeurs cérébrales de l’enfant

Le rôle de l’exposition professionnelle du père ou de la mère à des pesticides sur le risque de tumeurs cérébrales de l’enfant a été évalué par Van Maele-Fabry et coll. (2013renvoi vers) dans une méta-analyse de 19 études (dont 5 études de cohorte) publiées entre 1974 et 2010. Cette synthèse conclut à une augmentation du risque en lien avec une exposition professionnelle de la mère, mais également du père, comparable dans les études cas-témoins (30 % [10 %-52 %]) et dans les études de cohorte (53 % [20 %-95 %]), principalement au cours de la période prénatale, et en lien avec les tumeurs astrogliales, et avec une bonne homogénéité entre les études.
En résumé, d’après une méta-analyse très récente, le risque de tumeurs cérébrales chez l’enfant est augmenté en lien avec l’exposition paternelle et maternelle pendant la période prénatale.
En conclusion, plusieurs méta-analyses récentes concluent à une augmentation du risque de leucémie chez l’enfant lors d’une exposition professionnelle ou domestique de la mère aux pesticides pendant la grossesse. L’exposition résidentielle aux pesticides pendant la grossesse, en particulier aux insecticides, a également été associée à une augmentation du risque de leucémie chez l’enfant dans plusieurs méta-analyses. Le risque de tumeurs cérébrales chez l’enfant est également augmenté lors d’une exposition professionnelle maternelle ou paternelle aux pesticides en période prénatale. Ces résultats sont fondés sur un grand nombre d’études conduites dans des circonstances d’exposition variées (professionnelle, domestique) et des pays différents, qui malgré tout montrent des résultats assez homogènes.
Des conclusions fermes quant à la responsabilité de certains pesticides sont cependant difficiles à établir car la plupart des résultats épidémiologiques ont été obtenus et analysés à partir d’une mesure rétrospective de l’exposition, souvent rapportée par le sujet lui-même (la mère le plus souvent), et avec peu de précisions sur les usages de pesticides ou sur les classes de produits utilisés. Pour aller plus loin dans l’étude de ces relations, de nouveaux types d’étude seraient nécessaires, en particulier des études de cohorte analysant l’incidence des cancers chez les enfants des familles dans des cohortes de professionnels (par exemple l’AHS) ou la mise en commun de cohortes généralistes (comme le prévoit l’International Childhood Cancer Consortium (I4C), Brown et coll., 2007renvoi vers) afin d’obtenir des effectifs très importants et ainsi augmenter la puissance des analyses. En parallèle, des études cas-témoins prenant en compte le type histologique de cancer et incluant la mesure de biomarqueurs intermédiaires d’effets (translocations chromosomiques, mutations…) en lien avec l’exposition aux pesticides permettraient également des avancées. Des études expérimentales chez l’animal portant sur l’impact d’une exposition aux pesticides pendant la phase de gestation et /ou lactation sur les grandes fonctions physiologiques (hématopoïèse, immunité système nerveux central) dans la descendance pourraient apporter des arguments en faveur ou non d’une relation de causalité entre l’exposition maternelle et les perturbations de santé dans la descendance (Demur et coll., 2013 renvoi vers; Mansour et coll., 2013renvoi vers). Ces résultats apporteraient des précisions nécessaires sur ces relations, dont la portée est potentiellement très importante.

Bibliographie

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