III. Toxicologie

2013


ANALYSE

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Effets des mélanges de pesticides

Un des enjeux majeurs de la toxicologie environnementale concerne la problématique des effets pharmaco-toxicologiques des mélanges de substances chimiques auxquels les agriculteurs ou la population générale peuvent être exposés au travers de leur alimentation et de leur environnement au sens large. La question des faibles doses et de la chronicité des expositions en constitue un autre, tout aussi important (Kortenkamp, 2008renvoi vers ; European Commission, 2011renvoi vers). Cela est bien illustré par les pesticides qui sont retrouvés sous forme de « cocktails » dans la majorité des denrées alimentaires mais également dans tous les milieux naturels, où des molécules, même interdites depuis longtemps, sont encore détectées. Ces coktails résultent, d’une part de l’usage de nombreuses molécules différentes selon les cultures traitées et les ravageurs ciblés, d’autre part, de l’association de ces produits entre eux et avec d’autres molécules dites phytoprotectrices1 ou synergistes2 pour une meilleure efficacité. Ajoutons à cela que ces multiples résidus de molécules à usage agricole sont combinés à d’autres produits chimiques de nature extrêmement variée (PCB, dioxines, dérivés du plastique, métaux lourds, solvants…).
Établies par des instances internationales ou nationales, les valeurs toxicologiques de référence (VTR) constituent des indices du lien entre une exposition chez l’homme à une substance toxique et la survenue d’un effet nocif. La détermination des VTR est toujours fondée sur des évaluations toxicologiques de substances chimiques prises individuellement. Les indices de risque sanitaire qui en découlent sont de ce fait difficilement extrapolables à la réalité des expositions humaines, puisque selon leurs concentrations, leurs voies de biotransformation, leurs cibles cellulaires et moléculaires respectives, les xénobiotiques en mélange peuvent interagir et conduire à des impacts sanitaires non attendus (perturbations hormonales, du système nerveux central…). En effet, la toxicité d’un mélange de produits ne peut être toujours prédite à partir de celle de chacun de ses composants. Des effets additifs (somme des effets des molécules elles-mêmes), antagonistes (réduction des effets par un ou plusieurs produits), potentialisateurs (augmentation des effets d’un produit par un ou plusieurs autres) ou synergiques (un ou plusieurs produits augmentent très fortement l’effet des autres) peuvent survenir. Ces interactions sont de nature :
• toxicocinétique, lorsqu’une molécule affecte les processus pharmacocinétiques (absorption, distribution, métabolisation et élimination) de(s) l’autre(s). Par exemple, la molécule A est susceptible d’accroître la toxicité de la molécule B en inhibant son transport et/ou sa biotransformation ; A peut être protecteur vis-à-vis de la toxicité de B, en bloquant une de ses voies de bioactivation métabolique ou de transport; A peut protéger contre B en stimulant son métabolisme ou son efflux ; A peut augmenter la toxicité de B en induisant son activation métabolique ou son influx ;
• pharmacotoxicologique, lorsqu’un composé impacte l’activité biologique de l’autre. Les produits peuvent entrer en compétition vis-à-vis de l’activation ou de l’inhibition de voies de signalisation gouvernant l’homéostasie cellulaire ou de l’organisme (interactions croisées avec des récepteurs membranaires, cytosoliques ou nucléaires, facteurs de transcription…). Ces interférences signalétiques peuvent modifier la réponse hormonale, l’équilibre des voies de prolifération, différenciation, survie/mort, et/ou réparation cellulaire…
Bien que cette problématique soit d’importance majeure, le nombre considérable de xénobiotiques environnementaux, ajouté à leurs effets combinés, rend impossible toute évaluation toxicologique réglementaire des mélanges. Compte tenu de ce déficit de données expérimentales, il est nécessaire de modéliser leurs impacts pharmaco-toxicologiques potentiels à partir des données disponibles sur les substances testées isolément.
Pour ce faire, il est en premier lieu nécessaire de mettre en place une méthode statistique, permettant de définir les principaux « cocktails » de pesticides auxquels la population est principalement exposée par voie alimentaire ou environnementale au sens large. La définition de ces mélanges est effectuée en croisant les données de surveillance des résidus de pesticides dans ces milieux (contamination) aux données d’exposition de la population à l’ensemble de ces résidus, mais également en tenant compte de leur imprégnation dans l’organisme (dosages sanguins, urinaires, dans différents tissus de bioaccumulation de type graisseux notamment…). En second lieu, il faut procéder à des études toxicologiques, si possible sur des modèles biologiques pertinents au regard de la réalité physiologique humaine, visant à caractériser la nature et les mécanismes de l’effet « mélange » par rapport à celui des produits pris séparément.
À cette fin, les études réalisées à ce jour en santé humaine, utilisent majoritairement des modèles in vitro d’expression hétérologue capables de mimer des perturbations physiologiques, pouvant générer des résultats rapidement et à haut débit. Les systèmes rapporteurs qui permettent de quantifier des effets de transactivation de récepteurs nucléaires ou cytosoliques, susceptibles de modifier in fine la physiologie humaine, sont à cet égard les plus communément utilisés : ER (estrogen receptor), AR (androgen receptor), CAR (constitutive androstane receptor), PXR (pregnan X receptor), AhR (aryl hydrocarbon receptor) sont ceux principalement étudiés dans la littérature. D’un point de vue pratique, après avoir identifié les molécules d’intérêts (cf. ci-dessus), il s’agit d’établir pour chacune d’entre-elles, une relation dose-réponse vis-à-vis de la cible pharmacologique sélectionnée.
Sur la base des méthodes de modélisation décrites et des avancées dans leurs traitements statistiques, différents modèles permettant de qualifier les interactions des xénobiotiques au sein d’un mélange, peuvent être appliqués. Les deux modèles mécanistiques généralement pris en compte sont les suivants :
• le modèle de concentration-addition, où l’on considère que les molécules agissent selon un même mécanisme d’action (par exemple, vis-à-vis d’un récepteur membranaire, nucléaire ou hormonal, d’une voie de signalisation spécifique…) et où chaque produit peut se substituer à un autre ;
• le modèle d’action indépendante, dans lequel les différents produits du mélange présentent des cibles cellulaires et/ou moléculaires distinctes (modèle souvent plus adapté aux analyses de viabilité ou de perturbation globale d’un phénotype cellulaire).
L’étape de modélisation des données toxicologiques expérimentales est, comme évoqué précédemment, un point crucial dans cette analyse des effets additifs, synergiques ou antagonistes potentiels, résultant du mélange des molécules sélectionnées. Cette démarche théorique est indispensable car il est irréaliste d’évaluer l’effet mélange des pesticides au moyen des méthodes traditionnelles, in vitro, et a fortioriin vivo. Rappelons que les procédures actuelles d’évaluation de la toxicité des substances actives sont fondées sur une évaluation des pesticides pris individuellement, sans tenir compte des effets combinés potentiels. Seules les substances actives ayant le même mécanisme d’action toxique (notamment les triazoles…), font l’objet d’une évaluation du risque cumulé tout en faisant abstraction de possibles interactions entre substances.

Effets des mélanges : approche expérimentale

Il est difficile de mettre en évidence une relation entre mélanges de pesticides et impact sur la santé pour plusieurs raisons : la variabilité de la composition des mélanges au cours de la vie professionnelle et au cours de l’année ; l’interaction entre les substances actives.
S’il reste difficile d’évaluer expérimentalement toutes les combinaisons possibles, il est cependant indispensable d’évaluer les effets de mélanges représentatifs, établis sur la base réelle de mesures d’exposition.
La plupart des études sur les effets des mélanges ont été réalisées dans le cadre des travaux relatifs à la sécurité alimentaire. Elles concernent des mélanges de pesticides retrouvés fréquemment sur les fruits et légumes les plus consommés et testés à de faibles doses. Ces mélanges représentatifs de l’exposition du consommateur ne correspondent pas forcément à l’exposition du professionnel pour lequel la voie cutanée est la source d’exposition la plus plausible.
Il a été admis pendant longtemps que les composés présents aux doses correspondant à leur NOAEL (No Observable Adverse Effect Level) et qui agissent via des mécanismes d’action différents, ne pouvaient pas exercer d’effets même lorsqu’ils étaient présents en mélange. Cependant, de nombreuses études expérimentales relatives aux perturbateurs endocriniens et à la fonction de reproduction, montrent que certains mélanges :
• peuvent exercer des effets marqueurs de perturbations endocriniennes à des doses inférieures à leur NOAEL, que leur mécanisme d’action soit similaire ou différent ;
• peuvent exercer des effets cumulatifs et/ou dépendants de la dose lorsque les composés du mélange ont pour cible un même tissu.
Ainsi, l’exposition à des mélanges induit des effets variant selon les composés testés, le tissu, les paramètres biologiques ou la fonction physiologique étudiés. Quelques exemples sont présentés ci-dessous pour illustrer ces propos.

Effet synergique : le mélange a un effet supérieur à celui cumulé de chacun des pesticides

L’exposition d’amphibiens à un mélange de 9 pesticides à de très faibles doses (0,1 ppb3 ) altère la fonction immunitaire, la différenciation sexuelle et le développement de façon plus importante que ne le font les produits seuls. Mais, dans cette étude la question reste posée de savoir si un ou plusieurs des composés du mélange contribue à l’effet (Hayes et coll., 2006renvoi vers).
L’influence des mélanges a également été testée sur des modèles de rongeurs ou de poissons en se focalisant principalement sur les conséquences au niveau d’un système biologique comme le système nerveux et le système reproducteur. Ainsi, l’exposition à un mélange de trois insecticides organophosphorés (dichlorvos, diméthoate et malathion) pendant la période périnatale chez des rats, induit des effets sur la fonction reproductive des descendants. Le mélange exerce des effets différentiels selon la dose testée sur plusieurs paramètres du système reproducteur (poids des organes reproducteurs et taux d’hormones sexuelles) alors qu’isolément ces pesticides n’exercent aucun effet sur ces paramètres (Yu et coll., 2011). Certaines combinaisons binaires d’organophosphorés peuvent exercer chez le saumon des effets neurotoxiques additifs synergiques mais à de fortes concentrations (proches de la dose létale) (Laetz et coll., 2009renvoi vers).
Sur le plan neuronal ou comportemental, le paraquat (herbicide) (0,3 mg/kg) et le manèbe (fongicide de la famille des thiocarbamates) (1 mg/kg), deux substances actives qui affectent le nombre de neurones dopaminergiques lors d’une exposition postnatale des souris, ont des effets plus importants lorsqu’ils sont administrés en mélange (Cory-Slechta, 2005renvoi vers). De même, l’activité motrice des souris est altérée uniquement en présence du mélange paraquat et manèbe (5 à 10 et 15 à 30 mg/kg respectivement) (Thiruchelvam et coll., 2000renvoi vers). L’endosulfan (25 mg/kg) et le méthyl parathion (2 mg/kg), deux insecticides, l’un organochloré, l’autre organophosphoré, exercent des effets plus importants sur le comportement des rats lorsque ces composés sont administrés en mélange (injection sous-cutanée pendant 10 jours) (Castillo et coll., 2002renvoi vers).
Les mélanges peuvent également influencer certains processus hématopoïétiques ou inflammatoires ; ainsi l’administration par voie intrapéritonéale chez la souris d’un « cocktail » d’herbicides appartenant à deux familles chimiques (propanil et 2,4-D dans un rapport 1/1) entraîne une modification de l’hématopoïèse centrale aux doses de 50 à 200 mg/kg. Administré isolément, chacun de ces pesticides n’exerce cet effet qu’à dose élevée. Ainsi, la co-administration de ces deux pesticides, chacun à la dose de 50 mg/kg, induit un effet plus important que l’administration d’un seul pesticide à la dose de 100 mg/kg, ce qui montre que ce n’est pas forcement l’effet dose qui est observé avec le mélange (De la Rosa et coll., 2003renvoi vers). L’administration sous-cutanée de dieldrine, insecticide organochloré (10 à 20 mg/kg) pendant 7 jours et d’atrazine (herbicide de la famille des triazines) le 7e jour à 100-200 mg/kg, entraîne une inhibition de la production d’IL-6 et d’IL-12 dans la cavité intra-péritonéale, une inhibition de l’activation de NFkB, cJun et AP1. L’inhibition de la production d’IL-6 et de l’activation de NFkB est plus que supérieure à un effet additif (Pruett et coll., 2006renvoi vers).

Effet synergique : le mélange a un effet supérieur à celui cumulé de chacun des pesticides selon le paramètre testé d’une fonction physiologique donnée

Key et coll. (2007renvoi vers) étudient la toxicité d’un mélange de trois pesticides, un herbicide et deux insecticides (atrazine, fipronil et imidaclopride) sur la larve de crevette d’herbier. Lorsqu’ils sont administrés isolément, le fipronil est le plus toxique et l’atrazine ne l’est pas du tout. En combinaison binaire avec l’atrazine, la toxicité de chacun des pesticides n’évolue pas. De même, on n’observe pas de toxicité plus qu’additive avec le mélange fipronil et imidaclopride. Mais lorsque l’atrazine est combinée aux deux autres insecticides (fipronil et imidaclopride), le mélange présente une toxicité supérieure à la toxicité additive de ces deux insecticides.
Perobelli et coll. (2010renvoi vers) montrent qu’un mélange de 5 insecticides (dicofol, dieldrine, dichlorvos, endosulfan et perméthrine) aux doses NOAEL (No Observed Adverse Effect Level), administré par l’alimentation chez le rat mâle, exerce un effet sur certains paramètres de la reproduction (motilité des spermatozoïdes) alors que l’administration isolée de chacun des insecticides n’affecte pas ce paramètre. Christiansen et coll. (2009renvoi vers) rapportent les mêmes conclusions à propos d’un autre type de mélange (phtalate et fongicides). Ces études montrent un effet des faibles doses des mélanges qui peut être synergique ou additif en fonction du paramètre étudié de la différenciation sexuelle. Blystone et coll. (2009renvoi vers) observent des effets cumulatifs ou antagonistes selon la fonction ou le paramètre étudié après exposition des rats mâles à deux fongicides, la vinclozoline (fréquemment utilisée dans l’industrie viticole), et l’iprodione pendant un mois. Les résultats montrent que ces fongicides agissent sur des cibles communes d’une manière tissu spécifique quand ils sont co-administrés au rat mâle pubère. Yu et coll. (2011) montrent que l’exposition (gavage) à un mélange d’organophosphorés (dichlorvos, diméthoate et malathion) en période périnatale chez le rat femelle entraîne des effets délétères au niveau de l’endomètre chez les mères et au niveau des fonctions reproductives de la descendance (poids des organes, taux d’hormones sexuelles, taux de naissances vivantes…). Aucun effet significatif sur le système reproducteur n’est observé avec chacun de ces pesticides pris individuellement. Greenlee et coll. (2004renvoi vers) ont comparé l’effet de plusieurs pesticides communément utilisés dans le mid-ouest des États-Unis (herbicides, insecticides, fongicides) et fertilisants, seuls ou en mélange, sur le développement de la pré-implantation d’embryon de souris exposés 96 heures in vitro. La grande majorité des agents augmente l’apoptose alors que seulement 3 sur 13 agissent sur le nombre de blastocytes. Les effets d’un mélange dépendent de sa composition en pesticides. Certaines compositions augmentent l’apoptose, d’autres diminuent le développement de blastocytes et le nombre de cellules par embryon. Les résultats indiquent des effets sur le développement précoce à des concentrations inférieures à celles supposées avoir des effets sur la santé.
Thiruchelvam et coll. (2000renvoi vers) montrent que l’activité motrice des souris est altérée uniquement en présence du mélange paraquat et manèbe (5 à 10 et 15 à 30 mg/kg respectivement) et n’est pas modifiée en présence des pesticides isolés.

Pas d’effets additifs : le mélange a un effet identique à celui observé pour l’un ou plusieurs produits

L’impact d’un mélange de 27 contaminants (comprenant des PCB, des organochlorés et du mercure) retrouvés dans le sang des populations arctiques canadiennes a été étudié chez des rats (Pelletier et coll., 2009renvoi vers). Les animaux ont été exposés à ce mélange depuis la gestation jusqu’au sevrage. Seule la plus forte dose du mélange induit une toxicité qui est due au mercure en ce qui concerne le taux de mortalité, et aux PCB en ce qui concerne les paramètres de la thyroïde. Ce même « cocktail » administré chez le rat pendant la phase de gestation et de lactation, à des concentrations proches de l’exposition réelle des populations arctiques, entraîne des perturbations neuro-immunes et hormonales. Elles seraient dues uniquement à la présence de PCB en ce qui concerne l’augmentation de IL-6 dans l’hypothalamus ou à la présence de PCB et des autres contaminants du mélange en ce qui concerne l’augmentation de IL-1b et de IL-10 (Hayley et coll., 2011renvoi vers).
Un mélange de 15 pesticides, fréquemment retrouvé dans l’alimentation en Italie, administré à la dose totale de 1 mg/kg/jour pendant 10 jours, chez le rat provoque des dommages de l’ADN (oxydation des bases) dans le foie. Cet effet est dû à la seule présence de deux fongicides, la diphénylamine et le chlorothalonil (Lodovici et coll., 1997renvoi vers). L’administration de trois organophosphorés (chlorpyrifos, méthyl parathion et malathion) en mélange n’entraîne pas de potentialisation de leur effet pro-oxydant dans différents tissus chez le rat (Ojha et coll., 2011renvoi vers).
Certaines études se sont également intéressées aux conséquences de ces expositions sur les fonctions du système nerveux. Cicchetti et coll. (2005renvoi vers) n’observent pas d’effets synergiques de deux pesticides ayant les mêmes cibles physiologiques (paraquat, 10 mg/kg et manèbe, 30 mg/kg) sur la dégénérescence neuronale. C’est l’effet du paraquat qui prédomine.

Pas d’effet du mélange

Wade et coll. (2002renvoi vers) ont testé les effets d’un mélange complexe de contaminants environnementaux persistants qui mime la contamination réelle des canadiens du Nord (TCDD, PCB, DDT, dieldrine, endosulfan…) pendant 70 jours chez le rat. Seules les doses les plus fortes (NOAEL X1000) perturbent le métabolisme général et celui du foie et du rein. Peu d’effets sont observés sur le système immunitaire, les taux hormonaux et différents paramètres de la reproduction. Padhi et coll. (2008renvoi vers) montrent que la plupart des gènes activés dans le cerveau des rats par les composés individuels de ce mélange retournent à un niveau « contrôle » lorsque les animaux sont exposés au mélange. Ceci montre que la co-exposition aux contaminants peut masquer les effets de chacun des composants du mélange sur l’expression des gènes du cerveau. Après exposition aux composants isolés, les profils d’expression des gènes sont différents chez le mâle et la femelle montrant ainsi que le genre est un facteur biologique influençant la réponse génomique aux contaminants environnementaux.
Un mélange de 12 pesticides (alachlore, atrazine, carbofuran, chlorpyrifos, diazinon, dicofol, endosulfan, iprodione, mancozèbe, manèbe, procymidone et roténone), chacun à la dose journalière admissible, a été testé chez des rats qui présentent une hépatocarcinogénèse induite expérimentalement (Perez Carreon et coll., 2009renvoi vers). Aucun effet de potentialisation ou de co-carcinogénicité n’a été rapporté.

Effet des mélanges différent de l’effet des pesticides seuls

Le paraquat (herbicide) et le triadimefon (fongicide) n’ont pas le même impact sur la motricité selon qu’ils sont administrés seuls ou en mélange (Reeves et coll., 2003renvoi vers) bien qu’ayant tous les deux une action sur la fonction dopaminergique. L’association paraquat triadimefon, comme le paraquat seul, inhibe un type d’activité motrice (déplacement horizontal) alors que le triadimefon seul augmente cette activité.
Le mélange à faible concentration de chlorpyrifos et de diazinon, deux insecticides organophosphorés, inhibiteurs de l’acétylcholinestérase induit chez Caenorhabditis elegans l’expression de gènes différents (89 gènes) de ceux induits lorsqu’ils sont administrés seuls. L’effet du mélange à faible dose n’est pas la somme des effets des pesticides seuls. Cependant, même si les gènes sont différents, les voies de signalisation activées restent les mêmes ce qui conduit à des réponses similaires (Vinuela et coll., 2010renvoi vers).
Viau et coll. (2002renvoi vers) et Canistro et coll. (2008renvoi vers) soulignent la complexité de l’effet des mélanges. L’influence des composés d’un mélange peut s’exercer pendant l’absorption, la distribution, la biotransformation et l’excrétion des xénobiotiques. La prédiction d’une interaction potentielle des composés nécessite la connaissance des processus de biotransformation de chaque composant du mélange ainsi que des systèmes enzymatiques impliqués. Canistro et coll. (2008renvoi vers) montrent bien que les mélanges testés perturbent les activités des enzymes du métabolisme de xénobiotiques d’une façon très complexe et non prédictive, ce qui renforce la conviction de la difficulté de prédire les risques toxicologiques à partir de l’effet des molécules évaluées individuellement.

Effets des mélanges : approche mécanistique

Dans les études in vitro, les résultats relatifs à l’impact des mélanges de pesticides semblent moins complexes. La plupart des études montrent un effet des mélanges supérieur à celui des pesticides seuls (Pâyne et coll., 2001renvoi vers ; Olgun et Misra, 2006renvoi vers ; Hewitt et coll. 2007renvoi vers ; Valeron et coll., 2009renvoi vers ; Sharma et coll., 2010renvoi vers ; El-Demerdash et coll., 2011renvoi vers ; Graillot et coll., 2012renvoi vers ; Crepet et coll., 2012renvoi vers) avec un effet important de la dose testée (Das et coll., 2007renvoi vers ; Ohlsson et coll., 2010renvoi vers ; Aubé et coll., 2011renvoi vers). Des études récentes cherchent à caractériser les mécanismes moléculaires mis en jeux, et mettent en évidence des perturbations dans les processus de protection des cellules (upregulation des enzymes de détoxication, CYP3A4 et CYP3A11, et processus anti-apoptotiques) (Rouimi et coll., 2012renvoi vers).
La complexité de l’effet des mélanges est liée aux différents niveaux d’interaction cellulaire et moléculaire des pesticides (voir figure 22.1). Les pesticides peuvent affecter l’expression ou l’activité des transporteurs ABC, première barrière de l’organisme vis-à-vis des xénobiotiques. Ils peuvent moduler l’activité ou l’expression de certains cytochromes P450 impliqués dans la détoxication de nombreux composés exogènes. L’impact d’un pesticide sur ces deux systèmes cellulaires peut modifier leur propre biodisponibilité ou celle d’autres pesticides ou médicaments. De plus, la plupart des pesticides possèdent des propriétés pro-oxydantes et certains composés agissent sur l’activité de voies de signalisation impliquées dans la régulation de la croissance et de la survie cellulaire. On comprend alors aisément qu’un mélange de pesticides en interagissant à différents niveaux cellulaires et moléculaires puisse conduire à des effets non prédictibles par rapport à l’effet des pesticides seuls.
En conclusion, la population générale comme la population professionnelle est exposée en permanence à des « cocktails » de xénobiotiques, comme des mélanges de pesticides tant à partir des denrées alimentaires qu’à travers l’environnement général et professionnel où des molécules, même interdites, sont encore présentes. Les effets d’une exposition à un mélange de pesticides restent extrêmement difficiles à mettre en évidence d’autant que viennent s’ajouter les effets d’autres produits chimiques de nature extrêmement variée. Prédire les risques d’une exposition à un mélange de pesticides est une démarche encore très complexe puisque ces composés vont interagir en termes de toxicocinétique et toxicodynamique conduisant à des effets plus ou moins importants par rapport à ceux observés en présence de molécules seules ou à la simple somme des effets de chaque composé (Hernandez et coll. 2012renvoi vers). Malgré de nombreuses études relatives à l’impact des mélanges de pesticides, il existe encore trop peu de données concernant les interactions possibles entre les composants d’un mélange. La multiplicité des interactions lors d’une exposition à un mélange de substances rend compte de la difficulté d’une évaluation toxicologique réglementaire des mélanges. Ces interactions peuvent en outre être influencées par de nombreux autres paramètres comme l’imprégnation à d’autres molécules (tabac, alcool, médicaments…) ou l’état physiopathologique de l’individu (diabète, insuffisance rénale…). Pour évaluer l’effet d’un mélange de pesticides, il est difficile d’appliquer les méthodes traditionnelles tant in vivo qu’in vitro même si les résultats des études in vitro semblent plus convergents sur un effet supérieur des mélanges par rapport à celui de pesticides isolés. Les effets mécanistiques décrits à l’aide des systèmes rapporteurs seront amenés à évoluer compte tenu des nouveaux mécanismes d’action impliquant les récepteurs nucléaires ou de xénobiotiques récemment mis en évidence (signalisation non génomique, isoformes membranaires…).
La complexité des interactions des pesticides au sein d’un mélange avec différentes cibles aux niveaux cellulaire et moléculaire (transporteurs de xénobiotiques, cytochromes P450, différentes voies de signalisation…) justifie d’approfondir les recherches en utilisant des modèles expérimentaux mimant l’exposition des professionnels et en parallèle de rechercher des modèles théoriques pouvant rendre compte d’un mécanisme d’action similaire ou au contraire distinct. Comme le proposent Soto et Sonnenschein dans une revue récente (Soto et Sonnenschein, 2010renvoi vers), il sera important d’associer plusieurs approches comme la modélisation mathématique, les simulations et les approches expérimentales pour améliorer les connaissances dans ce domaine.

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