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Med Sci (Paris). 2002 March; 18(3): 357–361.
Published online 2002 March 15. doi: 10.1051/medsci/2002183357.

Hépatite chronique C à transaminases normales de façon répétée

Christophe Hezode* and Daniel Dhumeaux

Service d’Hépatologie etde Gastroentérologie,Hôpital Henri Mondor,Université Paris XII, AP-HP,51, avenue du Maréchal de Lattrede Tassigny,94010 Créteil Cedex, France
 

Au cours de l’infection chronique liée au virus de l’hépatite C (VHC), certains malades ont des transaminases sériques régulièrement normales. Le but de cette revue est de décrire les caractéristiques cliniques, virologiques et histologiques propres à ces malades et de préciser dans cette situation les indications et les modalités d’un éventuel traitement antiviral.

Définition et prévalence

L’hépatite chronique C à transaminases normales de façon répétée peut être définie par l’association de : (1) la présence d’anticorps anti-VHC sériques ; (2) la présence dans le sérum d’ARN du VHC détecté par PCR ; et (3) la constatation de trois à quatre valeurs consécutives normales des alanine aminotransférases (ALAT) sur une période de quatre à six mois, afin d’éliminer les malades dont le taux de transaminases fluctue. Outre le fait que le nombre de déterminations des transaminases et la durée de la période d’observation varient selon les études, cette entité « hépatite C à transaminases normales » reste difficile à définir car les normes des ALAT fournies par les laboratoires d’analyse ont généralement été établies à partir d’un nombre limité de sujets, et ne tiennent compte ni du sexe, ni de l’index de masse corporelle de ces sujets. Or, le seuil de normalité des ALAT dépend de ces paramètres [1].

La prévalence des malades ayant une hépatite chronique C à transaminases normales de façon répétée est mal connue. En 2000, il a été rapporté que 0,08 % des donneurs de sang en France ont des anticorps anti-VHC [2]. Parmi ces donneurs de sang porteurs d’anticorps anti-VHC, 27 % à 59 % ont des transaminases normales et chez 54 % à 65 % d’entre eux la recherche de l’ARN viral est positive dans le sérum [35]. A partir de ces données, la proportion de malades ayant une hépatite chronique C à transaminases normales serait de 25 %. Dans des centres cliniques qui ont déterminé la prévalence de ces malades au sein de leur série personnelle, celle-ci variait de 5 % à 39 % [610]. Chez nos propres malades, elle est de 14 %.

Qui sont ces malades ?

Les modes de contamination par le VHC, comme la transfusion sanguine ou l’usage de drogue intraveineuse, sont observés avec la même fréquence chez les malades ayant des transaminases normales ou élevées [3, 5, 7, 8, 11, 12]. Les études qui ont comparé les caractéristiques cliniques des malades ayant des transaminases normales ou augmentées n’ont pas noté de différences significatives. Cependant, un âge moyen plus élevé et une proportion plus importante de femmes ont parfois été rapportés chez les premiers [3, 5, 11]. Laprépondérance féminine pourrait être liée à une maladie plus bénigne chez la femme, mais aussi au seuil définissant la normalité des transaminases : dans la population des donneurs de sang, la limite supérieure de la normale des ALAT était plus élevée chez l’homme que chez la femme [1], une caractéristique qui n’est pas prise en compte pour établir les normes des laboratoires. Dans le même ordre d’idée, il serait intéressant de comparer l’index de masse corporelle chez les malades ayant des transaminases normales et ceux dont les ALAT sont élevées.

L’étude de la distribution des génotypes des hépatites chroniques C avec transaminases normales montre que le génotype 1b est le plus fréquent, suivi du génotype 3a, à l’exception d’une étude montrant une prépondérance du génotype 2 [9]. Lorsque cette distribution est comparée à celle observée chez des malades à transaminases élevées, aucune différence n’est constatée (Tableau I) [13, 14]. Les charges virales mesurées chez ces patients varient selon les études, mais se révèlent le plus souvent similaires [4, 6, 9, 11], parfois inférieures [8] aux autres patients. Ce résultat s’accorde avec l’hypothèse, généralement admise, que le VHC n’est pas directement cytopathogène. La variabilité génétique du VHC, étudiée à deux reprises, semble identique, que les transaminases soient normales ou augmentées [12, 15].

Sur le plan histologique, la majorité des malades ont un foie normal ou une activité histologique minime [7, 14, 16] et la prévalence de la cirrhose est extrêmement faible dans cette population, variant de 0 % à 9 % [7, 8, 10, 11, 14, 16] (Tableau II). Une seule étude indique une proportion importante (20 %) de fibrose sévère ou de cirrhose, mais il faut souligner que, dans cette étude, le nombre de patients est faible et certains n’ont pas des transaminases strictement normales, les valeurs atteignant 1,4 fois la limite supérieure de la normale [17]. L’étude comparée des lésions histologiques montre un score d’activité histologique (inflammation portale, lobulaire et nécrose périportale), un score de fibrose et une prévalence de la cirrhose significativement plus faibles chez les malades ayant des transaminases normales [7, 8, 10, 11]. Si la conférence de consensus internationale de 1999 a recommandé de ne pas réaliser de biopsie hépatique chez ces malades [18], les progrès thérapeutiques actuels, comme on le verra plus loin, pourraient modifier cette attitude car l’intensité des lésions histologiques pourrait intervenir dans la décision de traitement ou d’abstention.

Quelle est le risque évolutif ?

Le pronostic des hépatites chroniques C à transaminases normales de façon répétée est bon. La plupart des patients ont déjà, au moment du diagnostic, une longue évolution de leur infection (jusqu’à 20 ou 30 ans, sans lésion histologique sévère). Persico et al. [9] ont étudié de façon prospective l’histoire naturelle de ces hépatites par des biopsies répétées à 5 ans d’intervalle chez 24 malades dont les transaminases étaient strictement normales sur une période de 5 ans. Aucune aggravation significative de l’activité histologique et de la fibrose n’a été observée quel que soit le génotype du VHC [9]. La vitesse moyenne annuelle de progression de la fibrose est nettement plus lente que celle observée chez les patients ayant des transaminases élevées [7], un score de fibrose important n’étant observé que chez les sujets ayant des transaminases normales mais consommant plus de 50 g d’alcool par jour [7].

Quel est le traitement ?

Sept études ouvertes et six essais randomisés ont évalué l’efficacité de l’interféron standard en monothérapie chez ces malades (Tableau III) [10, 14, 15, 1928]. Aucun malade n’avait été traité auparavant et les schémas thérapeutiques utilisés étaient multiples. Les doses d’interféron prescrites étaient de 3 à 10 millions d’unités internationales trois fois par semaine ou 5 millions d’unités internationales par jour, et la durée d’administration s’étendait de 6 à 18 mois. Globalement, le taux de réponse virologique durable (ARN viral négatif six mois après l’arrêt du traitement) était de l’ordre de 15 % (Tableau III) [10, 14, 15, 1928]. Ce résultat est identique à celui observé chez les malades ayant des transaminases élevées [10]. Si une augmentation des transaminases a été observée pendant le traitement et dans les six mois qui ont suivi son arrêt, chez 47 % des patients [14, 26], cette augmentation, à l’exception d’une étude [24], ne semble pas différente de celle observée chez les malades non traités [14, 26]. Dans notre étude, l’évolution histologique (score METAVIR) n’a pas été significativement différente chez les malades traités par interféron ou non traités [29]. Toutefois, une amélioration de l’activité histologique était observée respectivement dans 34 % versus 19 % des cas et une aggravation de la fibrose dans 16 % versus 30 % des cas (Figure 1).

Seules deux études ont évalué l’efficacité d’un traitement associant l’interféron et la ribavirine dans l’hépatite chronique C à transaminases normales ou proches de la normale. Dans la première, une étude ouverte portant sur 19 malades naïfs [30], le traitement était poursuivi pour 36 semaines supplémentaires si le virus était indétectable dans le sérum à la douzième semaine et interrompu dans le cas contraire. Une réponse virologique durable a été observée chez la moitié des malades, et il n’a pas été constaté d’augmentation des transaminases durant le traitement. Dans la seconde, une réponse virologique durable a été rapportée chez 30 % des malades ayant des transaminases <1,3 fois la normale, un taux voisin de celui obtenu quand les transaminases étaient plus élevées (37 %) [31].

Enfin, en ce qui concerne l’association interféron pégyléribavirine dont la supériorité thérapeutique sur la bithérapie standard a été clairement démontrée [32, 33], puisqu’on obtient jusqu’à 76 et 79 % de réponse virologique prolongée pour un virus de génotype 2 ou 3, aucune donnée concernant son efficacité n’est disponible à l’heure actuelle chez les malades ayant des transaminases normales. Par analogie avec l’interféron en monothérapie et la bithérapie utilisant l’interféron standard, il est probable que les résultats seront similaires. La conférence de consensus internationale de 1999 avait recommandé de ne pas traiter ces malades en raison des lésions histologiques souvent minimes et de l’efficacité insuffisante de l’interféron en monothérapie [18]. Si les résultats encourageants de la bithérapie pégylée sont confirmés par les études en cours, un traitement pourrait être proposé aux malades ayant des transaminases normales et ayant notamment une forte probabilité de réponse virologique.

Conclusions

Environ un quart des malades infectés par le VHC ont une hépatite chronique associée à des transaminases normales de façon répétée. Chez ces patients, l’atteinte histologique est le plus souvent minime et la présence d’une cirrhose est rare. Jusqu’à présent, l’attitude thérapeutique était l’abstention, justifiée par l’efficacité réduite des traitements et le risque évolutif généralement faible. Avec les traitements dont on dispose actuellement, beaucoup plus efficaces, l’opportunité de traiter ces malades doit être à nouveau discutée. La décision d’instaurer un traitement pourrait reposer sur les paramètres suivants : l’âge du malade, le génotype du VHC et la sévérité de l’atteinte histologique. Un traitement pourrait être proposé d’autant plus facilement que le sujet est jeune, a un génotype favorable et une activité et/ou une fibrose notable à la biopsie hépatique. Il nous faut attendre sur ce sujet les recommandations de la conférence de consensus française de février 2002.

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