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Med Sci (Paris). 2002 May; 18(5): 528–529.
Published online 2002 May 15. doi: 10.1051/medsci/2002185528.

Identification de gènes candidats responsables de pathologies rétiniennes

Olivier Lorentz, Thierry Léveillard, Saddek Mohand-Said, and José Sahel

Laboratoire de Pathologie Cellulaire et Moléculaire de la Rétine, Inserm EMI99-18, Université Louis Pasteur, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg-Médicale A, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg Cedex, France
 

Les photorécepteurs (bâtonnets et cônes) sont les cibles cellulaires de nombreuses maladies rétiniennes [1]. Ces affections sont très hétérogènes sur le plan clinique, se distinguant par l’âge du patient lors de l’apparition des troubles visuels et, par ailleurs, par la sévérité ainsi que la distribution spatiale au sein de la rétine de la perte fonctionnelle des photorécepteurs. Jusqu’à présent, 132 locus mis en cause lors de maladies rétiniennes ont été localisés (cf. http://www.sph.uth.tmc.edu/RetNet/). Cependant, il est fort probable que le nombre de ces locus ne fera que s’accroître dans l’avenir. Sur ces 132 locus, 82 gènes ont été clonés, et environ 50 % d’entre eux sont spécifiquement exprimés par les photorécepteurs, confirmant qu’il existe une grande corrélation entre la spécificité tissulaire de l’expression génique et d’éventuelles manifestations cliniques (Figure 1). Une stratégie logique pour comprendre ces maladies consiste à identifier les gènes spécifiquement exprimés par les photorécepteurs et dont les mutations seraient susceptibles d’expliquer ces maladies. Au cours de ces dernières années, l’expression différentielle de gènes est devenue possible grâce à différentes techniques, dont l’hybridation soustractive, l’analyse des banques d’EST (expressed sequence tags), le differential display, les techniques de puces à ADN, et enfin le SAGE (serial analysis of gene expression). Cependant, les deux paramètres primordiaux que sont le seuil de sensibilité et la normalisation ont donné l’avantage aux techniques de puces à ADN et au SAGE, qui, toutes deux, se développent considérablement. Ainsi, afin de déterminer le profil d’expression des ARN exprimés spécifiquement par les photorécepteurs, l’équipe de recherche dirigée par le Dr C.L. Cepko (Department of Genetics, Howards Hugues Medical Institute, Havard Medical School, Boston, USA) a fait appel à la technique du SAGE. Ces travaux viennent de faire l’objet d’une publication dans Cell [2]. Avant de décrire les résultats obtenus, rappelons brièvement les principes de la technique du SAGE.

Technique de SAGE

Cette technique repose sur le fait qu’une séquence de 10-12 nucléotides (tag) spécifique d’un ARN donné n’a statistiquement aucune chance d’être retrouvée dans un autre ARN. Partant de cette constatation, et faisant appel aux techniques de PCR (polymerase chain reaction) et de séquençage, l’équipe dirigée par le Dr Kinzler a mis au point et développé la technique de SAGE [3]. Cette technique permet non seulement de déterminer la composition en ARN d’un échantillon biologique, mais également de comparer l’expression de tous les ARN de plusieurs échantillons. En effet, l’intensité de détection d’un tag donné est fonction du nombre de molécules de cet ARN, ce qui permet l’identification semiquantitative et globale des différences d’expression entre plusieurs populations d’ARN. Pour ce faire, les ARN dont on veut déterminer l’expression relative et/ou absolue sont rétro-transcrits, les ADN complémentaires ainsi obtenus sont amplifiés par PCR à l’aide des différents tag, les produits issus de ces réactions d’amplification sont liés entre eux, clonés et séquencés. La détermination de la séquence nucléotidique de ces produits permet : (1) de déterminer les tag, donc les ARN, présents dans l’échantillon biologique étudié ; (2) d’analyser la composition relative de tous les ARN.

Une description plus détaillée de la technique ainsi qu’une liste des tag décrits dans différents tissus sont disponibles sur le site internet suivant : http://www.sagenet.org/.

Nouveaux gènes candidats dans les maladies rétiniennes

Dans un premier temps, les auteurs ont établi le profil d’expression de tous les ARN exprimés par différents tissus : rétines de souris prélevées à 8 stades de développement différents, s’échelonnant entre 12,5 jours embryonnaires et 6,5 jours après la naissance, tissu hypo-thalamique de souris adulte, rétines adultes, rétines issues d’animaux dont le gène codant pour un facteur de transcription (CRX), essentiel à la survie des photorécepteurs, est invalidé [4], rétines d’animaux témoins et corps cellulaires de photorécepteurs isolés à partir de rétines de souris adultes. Les auteurs ont établi 13 banques, chacune comprenant entre 50 000 et 60 000 tag. La spécificité d’expression dans les photorécepteurs a été déterminée en se fondant sur les critères suivants : (1) spécificité d’expression par le tissu rétinien ; (2) expression préférentielle par la rétine adulte ; (3) expression dans les rétines de souris témoins dépassant au moins d’un facteur 1,6 celle qui est obtenue à partir de rétines de souris invalidées pour le gène CRX ; (4) expression supérieure ou égale dans les photorécepteurs isolés et la rétine adulte.

Lorsque ces critères sont appliqués à des tag correspondant à des ARN connus, la majorité des gènes exprimés par les photorécepteurs répondent à au moins 3 des critères décrits ci-dessus. De manière surprenante, plus de 65 % des gènes exprimés par la fraction enrichie en photorécepteurs et répondant à au moins 3 des 4 critères s’avèrent être des gènes mutés dans des maladies rétiniennes. Si l’on applique ces critères aux gènes dont on connaît la spécificité d’expression dans les photorécepteurs et l’implication dans des maladies touchant la rétine, 66 % d’entre eux répondent à au moins 2 des critères énumérés ci-dessus.

L’analyse des résultats obtenus montre que 1 119 ARN sont exprimés préférentiellement par les photorécepteurs. De façon fort intéressante, les chercheurs ont mis en évidence 264 tag correspondants à des ARN nouveaux, exprimés de manière préférentielle, voire exclusive, par les photorécepteurs, mais dont l’expression dans la rétine n’avait pas été décrite. Le regroupement de ces tag en familles fonctionnelles (Figure 1) démontre que toutes les grandes fonctions cellulaires sont représentées.

Environ 60 % des ARN dont la spécificité d’expression dans ces photorécepteurs a été vérifiée par des expériences d’hybridation in situ résultent de la transcription de gènes dont les orthologues humains sont connus. Sur ces 237 gènes humains, 86 représentent 37 locus différents impliqués dans des maladies rétiniennes.

Les résultats décrits par ce groupe de recherche constituent la première cartographie moléculaire des photorécepteurs. Outre l’intérêt de ces données pour la compréhension des mécanismes moléculaires associés au développement de la rétine, ou encore la caractérisation moléculaire des cibles du facteur de transcription CRX, ces résultats devraient permettre de mettre en évidence les mécanismes moléculaires d’un grand nombre de maladies rétiniennes, première étape dans la recherche de thérapeutiques adaptées.

References
1.
Clarke G, Heon E, McInness RR. Recent advances in the molecular basis of inherited photoreceptor degeneration. Clin Genet 2000; 57 : 313–29.
2.
Blackshaw M, Fraioli RE, Furukawa T, Cepko CL. Comprehensive analysis of photoreceptor gene expression and the identification of candidate retinal disease genes. Cell 2001; 107 : 579–89.
3.
Velculescu VE, Zhang L, Vogelstein B, Kinzler KW. Serial analysis of gene expression. Science 1995; 270 : 484–7.
4.
Furukawa T, Morrow EM, Li T, Davis FC, Cccepko CL. Retinopathy and attenuated circadian entrainment in Crx-deficient mice. Nat Genet 1999; 23 : 466–70.