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Med Sci (Paris). 2002 May; 18(5): 595–604.
Published online 2002 May 15. doi: 10.1051/medsci/2002185595.

Fonctions physiologiques des canaux chlorure de la famille ClC

Jacques Teulon* and Alain Vandewalle

Inserm U.426 et U.478, IFR 02, Faculté de médecine Xavier Bichat, 75780 Paris Cedex 18, France
 

Comparés aux autres canaux ioniques, les canaux Cl-ont longtemps joué le rôle d’outsider intéressant mais marginal. Cela est dû en partie à ce que les conductances Cl- sont plus difficiles à détecter que d’autres mais aussi, plus fondamentalement, à ce que les fonctions des canaux Cl- de la membrane plasmique sont discrètes dans la plupart des tissus. Hors du champ du système nerveux et de ses canaux-récepteurs Cl- de type GABAA et glycine, deux variétés de tissus font exception : le muscle squelettique, tissu dans lequel il a été montré dès 1960 que la conductance Cl- représente environ 80 % de la conductance membranaire totale, et les épithéliums [1 ]. Le rôle pivot des canaux Cl- dans les structures épithéliales qui absorbent ou sécrètent des ions Cl- n’a émergé que plus tardivement dans les années 1970-1980. C’est à la fin de cette période que l’isolement du gène dont les mutations sont responsables de la mucoviscidose, codant pour le cystic fibrosis transmembrane conductance regulator (CFTR) [2], a révolutionné le domaine des canaux Cl- et lui a donné l’ampleur qu’on lui connaît aujourd’hui.

La famille des canaux ClC (chloride channel) a été fondée à la même époque à la suite du clonage du canal Cl- de la raie torpille (ClC-0) par Thomas J. Jentsch et al. [37](→). Les canaux ClC sont exprimés dans des organismes aussi variés que les levures, les archéobactéries, les bactéries, les plantes et les animaux (Figure 1A) [3, 8]. Il y a par exemple 6 canaux ClC dans le ver nématode Caenorhabditis elegans, et 9 canaux ClC différents ont été identifiés chez les mammifères. Ils se regroupent en trois sous-familles principales (Figure 1A). Leur structure secondaire n’est pas encore pleinement élucidée (Figure 1 B) : le modèle initial, qui incluait 13 segments hydrophobes transmembranaires, a été modifié car les segments S9-S12 constituent des régions hydrophobes massives dont l’organisation est difficile à démêler [3, 6]. Des difficultés analogues existent pour le domaine S4 qui, selon les auteurs, est extracellulaire ou transmembranaire [7]. Au total, les ClC auraient 10 à 12 segments trans-membranaires et un seul site de glycosylation commun (Figure 1B). Il existe un consensus pour admettre que la structure quaternaire est au moins dimérique.

(→) m/s 1999, n°8-9, p. 1003

Les ClC ont une distribution tissulaire, cellulaire et subcellulaire très diverse (Tableau 1). Ceci laisse présager des fonctions physiologiques variées mais qui, pour l’heure, restent souvent spéculatives. L’objectif de cet article est d’évaluer globalement la place des ClC dans la « physiologie » des canaux Cl- en nous appuyant sur les trois fonctions qui, chez les mammifères, sont solidement identifiées : stabilisation du potentiel de membrane dans le muscle squelettique (ClC-1), absorption de chlorure dans le tubule rénal (ClC-K2 ou ClC-KB) et accompagnement des flux de protons dans diverses structures (ClC-5). La description de certaines propriétés caractéristiques des canaux ClC nous a cependant paru nécessaire, non seulement parce qu’il serait étrange de parler de canaux ioniques sans se référer à un moment ou à un autre à l’électrophysiologie, mais aussi parce que ces propriétés aident à comprendre certains traits physiopathologiques.

Des canaux ioniques aux propriétés originales

Les propriétés électrophysiologiques des canaux ClC sont principalement connues grâce aux études sur ClC-0, ClC-1 et ClC-2 [4, 6, 9], les données sur les autres ClC étant limitées, contradictoires ou absentes.

Une propriété fondamentale des canaux ioniques est leur sélectivité, c’est-à-dire la capacité de ne laisser passer que certains ions et d’en exclure d’autres. De façon générale, les canaux anioniques (dont les ClC) excluent strictement les cations [7] mais discriminent assez faiblement les différents anions, le rapport de perméabilité entre l’ion le plus perméant et l’ion le moins perméant excédant rarement 10. Le bicarbonate fait exception avec une perméabilité 50 fois plus réduite que celle du Cl- dans le cas du ClC-1 [10]. L’étude électrophysiologique de canaux ClC-1 mutés a montré qu’une zone du segment S4 est responsable de la faible perméabilité aux cations [7] (Figure 1C). En certains points, la substitution d’un seul acide aminé augmente la perméabilité au sodium d’un facteur 6. Cette découverte est importante pour la compréhension des mécanismes de la sélectivité anionique.

Les canaux ClC ont la particularité de posséder deux pores de conduction par canal [3, 6, 9, 11, 12]. C’est en étudiant le canal Cl- de l’organe électrique (ClC-0) de la raie torpille [13], purifié et reconstitué dans des bicouches lipidiques artificielles, que Chris Miller a, le premier, observé que les créneaux de courant produits par un seul canal oscillaient entre un niveau fermé et deux niveaux ouverts, l’un étant le double de l’autre (Figure 2A). De ce résultat surprenant - un canal unique ne devrait produire que des créneaux de courant d’une seule amplitude - il a déduit que chaque canal ClC-0 devait comporter deux pores distincts et indépendants, appelés proto-pores.

Des études cristallographiques de canaux ClC de bactéries ont confirmé, de façon plus directe, les résultats électrophysiologiques [14]. Cette structure de canal à double pore est originale puisque, en général, l’ensemble des sous-unités d’un canal ionique contribue à la formation d’un seul pore de conduction [7].

Le canal ClC-0, comme beaucoup de canaux ioniques, s’active rapidement sous l’effet d’une dépolarisation (c’est-à-dire lorsque le potentiel devient moins négatif) (Figure 2C). Cependant, la sensibilité au voltage ne résulte pas de la présence d’un capteur de voltage intégré dans la protéine, comme c’est le cas pour les canaux cationiques dépendants du voltage [6]. L’ouverture de chaque proto-pore du canal est, en fait, contrôlée par le Cl- lui-même, qui se fixe sur deux sites de liaison situés à l’intérieur même du pore de conduction [6, 9]. La fixation de l’anion sur le site le plus profond est influencée par la différence de potentiel transmembranaire, et c’est ce mécanisme qui confère au proto-pore sa sensibilité au voltage. La diminution de la concentration de Cl- extracellulaire, en rendant plus difficile la fixation du Cl- sur les sites de liaison, a pour effet de déplacer la courbe d’activation vers des potentiels plus positifs (Figure 2C). Les ClC-0 possèdent un second mécanisme dépendant du voltage qui, contrairement au premier, contrôle simultanément l’activité des deux proto-pores : il s’agit d’une inactivation induite par des dépolarisations de longue durée (> 20 secondes) et levée par une hyperpolarisation [6, 9] (Figure 2B). Cette inactivation se manifeste par de longues interruptions d’activité (Figure 2A, notées I).

Si tous les canaux ClC dépendent du voltage, le sens de cette dépendance et son intensité sont variables d’un canal à l’autre [4, 6]. Une hypothèse permet de rendre compte de cette diversité : elle considère que tous les ClC possèdent potentiellement les deux mécanismes (activation/inactivation) démontrés pour ClC-0 mais que leurs poids respectifs varient d’un canal à l’autre [9, 15]. À un extrême, l’activation rapide par dépolarisation domine : c’est le cas de ClC-1 (voir plus loin). À l’autre extrême, la levée de l’inactivation par hyperpolarisation domine : c’est le cas du ClC-2 qui est activé aux potentiels très négatifs.

Contrôle de l’excitabilité musculaire par le canal ClC-1

Les mutations du gène codant pour le canal chlorure ClC-1 sont responsables chez l’homme de la myotonie congénitale (ou maladie de Thomsen), qui est une maladie autosomique à caractère dominant, de prévalence très rare, et de la myotonie généralisée, plus fréquente et de caractère récessif [16]. Ces maladies, qui appartiennent à la classe des myotonies non dystrophiques, se manifestent par une raideur musculaire prolongée survenant à la suite d’un mouvement volontaire. Les manifestations en sont aggravées par le repos et améliorées progressivement par l’exercice. Ce phénomène est dû à ce que des trains de potentiels d’action continuent d’être produits après la cessation de l’effort et retardent le relâchement musculaire [16]. Assez curieusement, il existe une lignée de chèvres américaines qui souffre d’une myotonie similaire à caractère dominant. Shirley Bryant et al. [17] ont montré que : (1) la conductance Cl- de la fibre musculaire était extrêmement réduite chez les chèvres myotoniques ; et que (2) l’inhibition pharmacologique de la conductance Cl- induisait un phénotype myotonique chez des chèvres normales. Cela indiquait que la myotonie résultait probablement d’une diminution de la conductance Cl- du muscle squelettique, une hypothèse qui fut confirmée à la même époque sur des biopsies de patients [16]. Le même groupe [18] montra en outre qu’une stimulation électrique d’intensité appropriée produit un seul potentiel d’action dans une fibre musculaire de chèvre normale tandis qu’elle induit une série de potentiels d’action chez la chèvre myotonique (Figure 3A).

Comment expliquer cette influence des canaux Cl- sur les potentiels d’action ? Dans la fibre musculaire squelettique, la conductance Cl- représente environ 80 % de la conductance membranaire totale au repos et amortit les variations du potentiel de membrane, contrôlant ainsi l’excitabilité de la fibre et combattant l’effet dépolarisant de l’accumulation de potassium dans les tubules T, accumulation qui se produit lors de l’excitation. Cet effet stabilisateur disparaît lorsque la conductance Cl-diminue. Un moindre courant de stimulation est alors suffisant pour déclencher des potentiels d’action. On peut remarquer qu’un rôle analogue de stabilisation du potentiel transmembranaire est joué par le canal ClC-0 dans l’organe électrique de la torpille [12].

Une trentaine de mutations pathogènes de ClC-1 ont été décrites chez l’homme [16] (Figure 3B). Ce canal a une activité (probabilité d’ouverture) qui augmente avec la dépolarisation selon un profil qualitativement analogue à celui montré pour le proto-pore de ClC-0 (Figure 2C). Dans le cas de la forme dominante de myotonie, la conséquence de la mutation est, le plus souvent, un déplacement de la courbe de la probabilité d’ouverture vers des potentiels plus positifs ; cela a pour effet de diminuer considérablement la valeur de la conductance Cl- au potentiel de repos (plus de 50 %) [16]. Une mutation particulière a des effets très différents car elle induit, outre une diminution de la conductance Cl- (qui n’est pas due à une altération de la dépendance au voltage), une forte augmentation de la perméabilité au sodium (Figure 1C et Figure 3B). Un flux entrant accru de sodium dans la fibre musculaire non stimulée est probablement suffisant pour causer des séries de potentiels d’action à caractère myotonique [1].

Le canal ClC-KB : participation à l’absorption rénale de chlorure

Une autre fonction des canaux Cl- est le transport transépithélial de Cl-. Ce processus joue un rôle physiologique crucial dans le rein puisque l’ultrafiltration du plasma sanguin par les glomérules des néphrons délivre à l’ensemble des tubules rénaux un liquide (environ 180 litres par jour), riche en NaCl, qui doit être réabsorbé dans sa quasi-totalité. Cette opération s’effectue selon des modalités variables le long du tubule rénal. Dans le tubule proximal, le transport du Cl- de la lumière du tubule vers l’interstitium est essentiellement para-cellulaire. En revanche, ce transport est trans-cellulaire et implique la présence de canaux Cl- dans les portions plus distales, branche large ascendante de l’anse de Henle et tube contourné distal (Figure 4A). Dans son principe, le mécanisme du transport est fondé sur l’existence d’un transport couplé de Cl- dans la membrane apicale et de l’association d’une pompe Na+, K+-ATPase et de conductances Cl- dans la membrane basolatérale (Figure 4, B-C). Des études de patch-clamp (→) ont mis en évidence deux canaux Cl-dans la partie corticale de la branche large ascendante [19, 20] (Figure 4 D) et un troisième dans sa partie médullaire [21]. En revanche, on ne sait rien sur les canaux Cl-du tubule contourné distal.

(→) m/s 1987, n°9, p. 538 et 1997, n°10, p. 1157

Les études de génétique ont révélé que certains patients souffrant d’un syndrome de Bartter portaient des mutations du gène codant pour ClC-KB [22], un canal ClC notamment localisé sur la membrane basolatérale de la branche large ascendante de l’anse de Henle et du tubule contourné distal [23]. Le syndrome de Bartter (→) est une tubulopathie rénale de transmission autosomique récessive, de sévérité variable, affectant les capacités de transport de NaCl de l’anse de Henle et diminuant le pouvoir de concentration urinaire [23].

(→) m/s 1996, n°10, p. 1168

Outre une excrétion inappropriée de NaCl (c’est-à-dire une fuite rénale de sodium), ce syndrome est caractérisé par une alcalose métabolique, une hypokaliémie d’origine rénale et un hyperaldostéronisme secondaire avec pression artérielle normale. Ces derniers traits sont la conséquence d’une charge de NaCl accrue dans le néphron distal. Un tableau clinique moins sévère, le syndrome de Gitelman (→), est lié à une atteinte du tubule contourné distal. Les mutations inactivatrices du ClC-KB quoique occasionnellement responsables de la forme la plus sévère (syndrome de Bartter anténatal), sont généralement associées à un Bartter dit « classique » ou même à un phénotype mixte Bartter-Gitelman, tous deux moins sévères. En particulier, il n’y a pas de tableau de néphrocalcinose et l’hypercalciurie, marque spécifique du syndrome de Bartter (et d’une atteinte de la branche large ascendante de l’anse de Henle), n’est pas constante [22]. Il est dès lors naturel de penser que l’hétérogénéité clinique provient de ce que l’expression de ClC-KB recouvre ces deux segments tubulaires, la moindre sévérité pouvant être due à la présence de plusieurs systèmes de transport pour l’ion Cl-.

(→) m/s1996, n°4, p. 541

L’ensemble des données actuelles désigne donc le canal ClC-KB (ClC-K2 chez la souris) comme principal responsable du transport de Cl- dans ces segments du rein. Deux questions restent sans réponse. La première concerne l’identité moléculaire, non résolue jusqu’à présent, des canaux Cl- endogènes qui ont été caractérisés par patch-clamp (Figure 4D) [19, 20]. La seconde est posée par l’existence, troublante, d’un canal ClC-KA (ClC-K1 chez la souris) ayant 90 % d’analogie avec ClC-KB et localisé dans les mêmes zones du rein. Ce canal n’est impliqué dans aucune maladie humaine. Les souris dont le gène ClC-K1 a été invalidé souffrent d’un diabète insipide néphrogénique qui serait dû à une perméabilité Cl- réduite de la portion grêle de la branche ascendante de l’anse de Henle [5] (Figure 4A).

Canal ClC-5 : participation à l’endocytose rénale des microprotéines

Si le rôle physiologique des canaux ClC-1 et ClC-K est lié à leur localisation dans la membrane cellulaire, l’étude d’une maladie rénale, la maladie de Dent (→), a révélé l’importance fonctionnelle des canaux ClC qui sont localisés sur les membranes intracellulaires. La maladie de Dent regroupe plusieurs entités de néphrolithiases héréditaires liées au chromosome X (pour revue, voir [24]) se traduisant par une protéinurie et une hypercalciurie accompagnées dans certains cas d’un rachitisme ou d’une ostéomalacie avec hypophosphatémie. Dans la majorité des cas, la maladie se manifeste dès l’enfance et évolue de façon variable vers l’insuffisance rénale. Les protéines excrétées sont essentiellement des protéines de bas poids moléculaire (< 40 000 Daltons) capables de traverser le filtre du glomérule, et l’hypercalciurie est modérée.

(→) m/s 1996, n°4, p. 542

Une stratégie de clonage positionnel a permis d’identifier un seul gène responsable des quatre formes connues de la maladie. La nature de la protéine codée par ce gène, le canal Cl- ClC-5, a causé une certaine surprise car elle ne donnait pas d’explications immédiates du tableau clinique observé dans la maladie de Dent. Il était cependant connu que les protéines filtrées par le glomérule sont soustraites de l’urine primitive dans le tube proximal par une endocytose dépendante du récepteur mégaline, puis dirigées vers le compartiment lysosomal pour y être dégradées [25]. Le pH des endosomes est maintenu acide grâce à la présence d’une pompe H+-ATPase et l’on supposait par ailleurs qu’une conductance Cl-, en parallèle de la pompe H+, permettait de neutraliser la charge capacitive de la membrane vésiculaire induite par l’accumulation intravésiculaire de protons [26] (Figure 5A). Ces éléments servant de fil conducteur, on pouvait suspecter que le canal ClC-5 était impliqué dans les mécanismes d’endocytose et/ou de transcytose. La production d’anticorps spécifiques dirigés contre ce canal a permis de vérifier que le canal ClC-5 est effectivement exprimé dans les cellules du tubule proximal de rein de rat, au niveau des endosomes périphériques, où il se co-localise préférentiellement avec la pompe H+ vacuolaire (Figure 5C) [27]. L’implication du canal ClC-5 dans les phénomènes d’endocytose des protéines filtrées a ensuite été confirmée plus directement par l’analyse de lignées de souris dont le gène du canal ClC-5 a été invalidé [28].

Plusieurs observations expérimentales et médicales demeurent cependant inexpliquées. En premier lieu, les anomalies du métabolisme du phosphate et du calcium rencontrées au cours de la maladie de Dent ne sont pas pleinement comprises. De plus, la fonction éventuelle de ClC-5, exprimé au sein du tube collecteur dans les cellules impliquées dans la sécrétion acide, est une inconnue complète [27]. Une interrogation supplémentaire dérive de la présence, inexpliquée à ce jour, du canal ClC-5 dans les cellules intestinales où il se co-localise avec les pompes H+ vacuolaires dans les endosomes (Figure 5D) [29]. Enfin, les propriétés des canaux ClC-5 ne sont pas idéalement adaptées à un transfert de Cl- du cytosol vers la lumière de l’endosome. En effet, les ClC-5 sont inhibés à pH acide et semblent promouvoir la sortie de Cl- vers le cytoplasme plutôt que son entrée dans le compartiment endosomique (voir Figure 5B) [4].

Les autres canaux ClC : des fonctions souvent indéterminées

ClC-2 fait partie, comme ClC-1 et les ClC-K, de la première sous-famille ClC (Figure 1A). Il ne s’ouvre qu’à des potentiels très négatifs assez peu physiologiques. Une activité physiologique est cependant possible en milieu acide ou en milieu hypo-osmolaire ; elle augmente avec la concentration de Cl- intracellulaire [4]. Un courant Cl- similaire à celui produit par ClC-2 n’a été décrit que dans quelques types cellulaires [4, 30, 31], mais on admet que ClC-2 est ubiquitaire. Trois fonctions ont été proposées : (1) participation à la sécrétion de HCl dans l’estomac ; (2) contrôle de la concentration du Cl- intracellulaire dans certains types neuronaux avec pour conséquence la modulation de la réponse inhibitrice GABAergique ; et (3) sécrétion de Cl-dans les épithéliums. Cette dernière hypothèse jouit d’une certaine popularité. ClC-2 est en effet exprimé dans plusieurs tissus épithéliaux qui sont la cible de la mucoviscidose et il est alors localisé sur la membrane apicale [3, 4, 6]. ClC-2 pourrait donc se substituer au CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator) chez les sujets atteints de mucoviscidose [4]. En fait, l’investigation anatomo-physiologique de souris dont le gène ClC-2 a été invalidé suggère plutôt un rôle dans la barrière hématospermique (cellules de Sertoli, cellules de Leydig) et dans la couche pigmentée externe de la rétine [32]. Dans ce dernier cas seulement, il a été démontré de façon sûre que le ClC-2 était responsable d’une sécrétion de Cl- [32].

Les autres canaux ClC, ceux qui appartiennent aux sous-familles 2 et 3 (Figure 1A), se localisent essentiellement sur les membranes des organites intracellulaires : endosomes périnucléaires et lysosomes (ClC-3, ClC-7) [32], vésicules synaptiques (ClC-3) [33], réticulum endo-plasmique (ClC-6) [34] et appareil de Golgi (gef1, canal ClC de la levure Saccharomyces cerevisiae) [3]. Leurs fonctions précises restent à déterminer. L’analyse physiologique des modèles de souris dont les gènes ClC-3, ClC-5 et ClC-7 ont été invalidés (Tableau I) a, pour l’instant, produit des résultats mitigés. Comme l’ont souligné Kornak et al. [35], les atteintes phénotypiques sont ponctuelles et ne semblent pas affecter les processus d’endocytose dans leur ensemble en dépit d’une large distribution tissulaire de ces canaux. Ainsi, la capacité d’acidification du compartiment lysosomal est conservée chez les souris dont le gène ClC-7 a été invalidé bien que ce canal soit normalement exprimé dans les lysosomes. Cela suggère la participation d’autres canaux Cl-, issus soit de la famille ClC, soit d’autres familles de canaux Cl- intracellulaires [3]. A l’heure actuelle, on admet que la fonction des canaux Cl- intracellulaires est de neutraliser les protons transportés par les pompes vacuolaires H+. D’autres fonctions sont cependant envisageables. Dans le cas de Saccharomyces cerevisiae, par exemple, il a été suggéré que le Cl- intravésiculaire catalyserait l’incorporation de cuivre sur une métallo-oxydase, Fet3p, ce qui donne un rôle de modulateur au canal gef1 via le contrôle de la concentration de Cl- intravésiculaire [36].

La localisation intracellulaire des ClC des deuxième et troisième sous-familles n’est pas obligatoirement exclusive. On a longtemps considéré que ClC-3 était implanté sur les membranes plasmiques de nombreuses cellules et sous-tendait les courants Cl- activés par une augmentation du volume cellulaire [37]. Cette hypothèse est maintenant abandonnée ([32], voir cependant [38]). En revanche, une étude récente place ClC-4 sur la membrane plasmique apicale de cellules intestinales et suggère qu’il pourrait participer à la sécrétion de Cl- dans cet épithélium [39]. Une localisation complémentaire sur la membrane plasmique est également démontrée pour ClC-7. ClC-7 est exprimé sur la membrane lysosomale mais aussi sur la bordure plissée des ostéoclastes. Cette membrane plasmique spécialisée porte de nombreuses pompes H+-ATPases qui assurent l’acidification des lacunes extracellulaires où s’effectue la résorption osseuse [35](→). Des mutations de ClC-7 sont responsables d’ostéopétroses chez l’homme [40] et l’invalidation du ClC-7 chez la souris induit une ostéopétrose sévère [35]. Les ostéoclastes ont alors des membranes plissées peu développées et ne forment pas de lacunes de résorption. De plus, à la différence des ostéoclastes issus de souris normales, les ostéoclastes en culture, provenant de souris dont le gène ClC-7 a été invalidé, sont incapables d’acidifier le milieu extracellulaire [35]. Ce dernier résultat semble confirmer que le canal ClC-7 est nécessaire au bon fonctionnement des pompes H+ localisées sur la membrane plissée.

(→) m/s 2001, n°12, p. 1260

La barttine, une sous-unité régulatrice des canaux ClC

Les canaux ioniques sont le plus souvent des complexes protéiques formés de sous-unités conductrices (sous-unités α participant à la formation du pore de conduction) et de protéines régulatrices accessoires (sous-unités β). Dans le cas des canaux ClC, l’existence de protéines régulatrices était supputée mais non prouvée. La découverte récente d’une protéine qui s’associe spécifiquement aux canaux ClC-K (mais pas à ClC-1, ClC-2 ou ClC-5) est donc importante et donne un éclairage nouveau à l’organisation des ClC (→). Cette protéine appelée barttine a une structure totalement différente de celle des canaux ClC et comporte seulement deux segments transmembranaires ; elle n’a pas d’activité canal par elle-même mais favorise l’insertion des deux ClC-K dans la membrane plasmique [41, 42]. Cela explique a posteriori pourquoi les canaux ClC-K humains et leurs orthologues murins ne produisent pas de courants Cl- (ou des courants faibles) lorsqu’ils sont exprimés seuls dans l’ovocyte de xénope. Les mutations du gène de la barttine induisent un syndrome de Bartter sévère (forme anténatale), accompagné d’une néphrocalcinose et associé à une surdité neurosensorielle. Chez la souris, la barttine est localisée dans la membrane basolatérale des parties du tube rénal qui expriment les ClC-K et dans les cellules marginales de la strie vasculaire de l’oreille interne (où elle se co-localise également avec ces deux canaux). La barttine est pour l’instant la seule sous-unité régulatrice des canaux ClC qui ait été identifiée mais il est probable que d’autres protéines de ce type seront découvertes à l’avenir.

(→) m/s 2002, n°2, p. 163

Conclusions

Au terme de ce tour d’horizon, il faut rappeler que la distribution des canaux ClC est très diverse puisque des canaux ClC ont été découverts, non seulement chez les mammifères, mais aussi dans les plantes, les bactéries, la levure ou chez Caenorhabditis elegans. Il ne fait aucun doute que les recherches sur ces canaux sont susceptibles de nous apprendre beaucoup sur la physiologie de ces organismes et, par ricochet, sur le fonctionnement et les propriétés des ClC des mammifères. Cela est particulièrement vrai de Caenorhabditis elegans qui, avec son répertoire limité de cellules et ses 6 canaux ClC, constitue un outil d’analyse de premier choix.

En second lieu, en l’état actuel des connaissances, la contribution des ClC aux processus physiologiques se déroulant sur la membrane plasmique est relativement modeste comparée à celle des autres canaux Cl-. Le CFTR et les canaux Cl- activés par le calcium intracellulaire (Cl-Ca) jouent un rôle majeur dans les épithéliums sécrétant du Cl- sous les contrôles respectifs de l’AMP cyclique et du calcium [1, 2]. Les canaux ClCa sont, de plus, exprimés dans le tissu cardiaque et dans le muscle lisse. Un autre canal, le canal Cl- activé par une augmentation du volume cellulaire a été observé dans de très nombreux types celluaires, au point qu’on le pense ubiquitaire [37]. C’est donc plutôt sur les membranes des organites intracellulaires que le rôle des canaux Cl- ClC apparaît potentiellement le plus vaste et le plus original.

Enfin, les canaux ClC ne sont pas seulement intéressants par leurs fonctions physiologiques mais aussi par l’originalité de leur organisation : double pore, modulation de l’activité par l’anion perméant. Gageons que les recherches futures apporteront leur lot de découvertes stimulantes et nous aideront à mieux comprendre les arcanes du fonctionnement des canaux Cl- et de la sélectivité anionique, un problème fondamental et non résolu de la biophysique des canaux.

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