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Med Sci (Paris). 2002 June; 18(6-7): 654–657.
Published online 2002 June 15. doi: 10.1051/medsci/20021867654.

L’érythropoïétine : un facteur de croissance neuronale

Patrick Mayeux

Département d’Hématologie, Institut Cochin, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France
 

L’érythropoïétine (Epo) est bien connue comme facteur de croissance hématopoïétique contrôlant la production de globules rouges. L’invalidation des gènes codant pour l’Epo [1] ou son récepteur (EpoR) [13] est létale chez la souris. La mort des animaux survient entre 13 et 14 jours de gestation et est due à l’absence de globules rouges issus de l’érythropoïèse « définitive » dans le foie. Au tout début de la gestation, les érythrocytes, qui sont nucléés, sont produits dans une annexe extra-embryonnaire, le sac vitellin, et cette érythropoïèse, dite primitive, est partiellement indépendante de l’Epo. En revanche, à partir du 12e jour de gestation chez la souris, le foie devient le principal site de l’érythropoïèse. Cette érythropoïèse hépatique est très comparable à l’érythropoïèse médullaire définitive tant par le type de globules rouges produits - ceux-ci sont énucléés - que des mécanismes de contrôle de cette production. En particulier, comme c’est le cas pour l’érythropoïèse médullaire, l’érythropoïèse hépatique est strictement dépendante de l’Epo, hormone indispensable pour assurer la survie et la prolifération des progéniteurs érythroïdes.

La mort précoce par anémie des souris dont les gènes codant pour l’Epo ou pour son récepteur avaient été invalidés n’avait pas permis, dans les expériences initiales, d’identifier d’autres actions importantes de l’Epo. Un défaut de développement cardiaque avait été rapporté chez ces souris en 1999 [4] et, récemment, un article publié par le groupe de T. Noguchi montre que l’EpoR est aussi impliqué dans la formation du cortex cérébral [5]. Ces auteurs montrent d’abord par immunohistochimie une forte expression de l’EpoR, à partir de 10,5 jours de gestation, dans toutes les couches neuro-épithéliales (zones germinatives) du cerveau, dont le cortex. L’expression du récepteur diminue ensuite graduellement au cours des jours suivants selon un axe rostro-caudal, et se restreint d’abord à la zone intermédiaire sous-ventriculaire. Le cerveau des souris EpoR−/− présente plusieurs défauts. Une hypoplasie tissulaire de la couche neuro-épithéliale dans la région adjacente au quatrième ventricule est visible dès J11,5 et augmente ensuite (Figure 1). Par ailleurs, la méthode TUNEL révèle une apoptose importante dans différentes couches de cellules nerveuses y compris dans le cortex dès J10,5. À cet âge, les fœtus ne présentent pas encore de signe d’anémie due au blocage de l’érythropoïèse définitive ou aux malformations cardiaques, ce qui suggère très fortement que cette apoptose est bien une conséquence directe de l’absence d’expression de l’EpoR. De plus, les zones présentant une apoptose chez les souris EpoR−/− correspondent parfaitement aux zones qui expriment l’EpoR dans les souris sauvages (Figure 1).

Les auteurs dissèquent ensuite les zones corticales cérébrales de souris EpoR+/+, EpoR+/- et EpoR−/− aux jours 9,5, 10 et 10,5 de gestation. À cette période, cette zone se présente sous la forme d’une seule couche de cellules germinales neuro-épithéliales exprimant la nestine. Si, au jour 9,5, il n’y a pas de différences entre les trois types de souris, au jour 10,5 le nombre de cellules exprimant la nestine obtenues à partir des embryons EpoR−/− est inférieur de 50 % à celui qui est obtenu à partir d’embryons sauvages EpoR+/+, ou hétérozygotes EpoR+/-, confirmant ainsi les observations histologiques (Figure 1). De plus, la capacité de ces cellules germinatives EpoR−/− à se différencier in vitro en neurones est significativement diminuée. En présence de 20 % d’oxygène et de facteurs de croissance neuronaux, la survie des cellules est identique, qu’elles expriment ou non l’EpoR. En revanche, en conditions hypoxiques (2 % d’oxygène) et en l’absence de facteurs de croissance, l’apoptose est fortement retardée dans les neurones exprimant l’EpoR. Notons toutefois que les conditions de sevrage utilisées par ces auteurs sont particulièrement drastiques puisque le milieu de culture utilisé est exclusivement un milieu salin glucosé sans ajout des cofacteurs indispensables à un bon fonctionnement cellulaire comme des acides aminés ou des vitamines. Outre ces précurseurs corticaux issus d’embryons très précoces (J10,5), les auteurs utilisent des cellules d’embryons normaux de rats plus âgés (J18) et la lignée neuronale humaine NT2 pour tenter de comprendre les mécanismes de cette protection par l’Epo. Leurs résultats sont assez préliminaires et leurs conclusions reposent plus sur des corrélations que sur des relations causales clairement établies. L’hypoxie entraîne à la fois une production d’Epo et d’EpoR dans ces différentes cellules. Le facteur de transcription GATA3 pourrait participer à l’activation transcriptionnelle du gène codant pour l’EpoR. Cependant, l’activation de l’EpoR semble également contrôler l’expression du gène GATA3. En effet, l’accumulation des ARN messagers GATA3 est fortement diminuée dans les neurones de fœtus EpoR−/− et est augmentée par l’Epo dans les neurones de fœtus EpoR+/+. Ces données suggèrent l’existence d’une boucle d’amplification entre GATA3 et l’EpoR. L’effet anti-apoptotique pourrait être dû à une accumulation, via STAT5, de la protéine Bcl-XL, de la famille Bcl-2, et associée, dans les précurseurs érythroïdes, à la protection anti-apoptotique conférée par l’Epo. Il est à noter que le même mécanisme contribue au contrôle de la survie des progéniteurs érythroïdes.

Un autre article récemment publié par le groupe de S. Weiss suggère que le rôle de l’Epo sur les neurones pourrait être plus complexe [6]. Ces auteurs montrent, également par immunohistochimie, la présence d’EpoR dans les couches germinales du cerveau du fœtus de souris à J14. Ils réalisent ensuite des cultures de cellules souches neuronales (CSN) soit à partir de cerveaux de fœtus, soit à partir de cellules isolées de la zone sous-ventriculaire de cerveaux de souris adultes. Il existe en effet dans cette zone, chez l’adulte, une source de cellules souches neurales assurant le renouvellement permanent des neurones du bulbe olfactif (→).

In vitro, ces cellules prolifèrent en culture en présence d’EGF (epidermal growth factor) sous forme de neurosphères, et peuvent engendrer des cellules gliales (astrocytes, oligodendrocytes), des neurones, et des cellules à nouveau capables d’engendrer des neurosphères secondaires, témoignant d’un autorenouvellement. Si on soumet ces cultures à un stimulus hypoxique, il se produit une augmentation de la formation des neurones aux dépens de l’autorenouvellement des CSN. Ces effets sont reproduits par de l’Epo exogène et bloqués par des anticorps anti-Epo, ou par des inhibiteurs de NF-κB. Un traitement de 24 h par l’Epo se traduit par une augmentation de 2 fois des neurones et une diminution des CSN secondaires après 14 jours de culture. L’Epo semble donc induire la différenciation des CSN vers la voie neuronale. Les auteurs ne notent aucune modification de l’apoptose dans les cellules exposées ou non à l’Epo. Cependant, contrairement à celles qui étaient utilisées dans le travail précédent, les conditions de culture utilisées ici ne sont pas susceptibles d’induire une forte apoptose. In vivo, l’effet de l’Epo injectée directement dans les ventricules latéraux est le même qu’in vitro : diminution, dans la zone sous ventriculaire, du nombre de CSN et augmentation de précurseurs neuronaux destinés au bulbe olfactif avec une augmentation de la prolifération cellulaire. Selon ces auteurs, l’Epo pourrait contrôler, via NF-κB, l’expression du facteur de transcription Mash-1, et induire ainsi l’engagement des CSN dans la différenciation neuronale sans modifier la survie des cellules. Un article récent de Digicaylioglu et Lipton avait déjà montré que NF-κB intervenait dans le rôle antiapoptotique de l’Epo dans le système neuronal [7]. L’expression de l’Epo et de son récepteur (EpoR) dans les cellules nerveuses est connue depuis une dizaine d’années [8, 9]. L’action antiapoptotique de l’Epo sur ces cellules est maintenant bien établie. Un article récent montre par ailleurs que l’Epo peut aussi protéger de l’apoptose les motoneurones de la moelle épinière [10]. Outre son indication maintenant clairement établie pour le traitement de certaines anémies, l’utilisation d’Epo recombinante pourrait aussi être envisagée pour le traitement de certaines pathologies du système nerveux comme le suggèrent Celik et al. [10]. De plus, ces articles indiquent que l’Epo a aussi un rôle physiologique dans le système nerveux en dehors de situations d’agression, et qu’elle est nécessaire à son développement correct. Il est regrettable que la mort prématurée des fœtus EpoR−/− ne permette pas d’évaluer les conséquences réelles des défauts constatés sur les cerveaux de ces animaux. L’inactivation de l’EpoR ciblée dans les cellules nerveuses en utilisant le système Crelox pourrait évidemment permettre de répondre à cette question. Cependant, il existe peut-être aussi un moyen plus facile d’approcher le problème. Le groupe de J. Ihle a récemment produit des souris exprimant un EpoR muté et fortement tronqué à la place du récepteur normal. Dans des conditions physiologiques normales, ce récepteur permet de maintenir une érythropoïèse efficace et les souris sont viables [11]. Néanmoins, ce récepteur présente de sérieux défauts de signalisation intracellulaire et, en particulier, l’activation de STAT5 est extrêmement faible. Il serait intéressant d’étudier le système nerveux de ces souris au cours de leur vie fœtale et adulte.

(→) m/s 2002, n°4, p. 401

References
1.
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Digicaylioglu M, Lipton SA. Erythropoietin-mediated neuroprotection involves cross-talk between Jak2 and NF-kappaB signalling cascades. Nature 2001; 412 : 641–7.
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Celik M, Gokmen N, Erbayraktar S, et al. Erythropoietin prevents motor neuron apoptosis and neurologic disability in experimental spinal cord ischemic injury. Proc Natl Acad Sci USA 2002; 99 : 2258–63.
11.
Zang H, Sato K, Nakajima H, McKay C, Ney PA, Ihle JN. The distal region and receptor tyrosines of the Epo receptor are non-essential for in vivo erythropoiesis. EMBO J 2001; 20 : 3156–66.