Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2002 June; 18(6-7): 661–663.
Published online 2002 June 15. doi: 10.1051/medsci/20021867661.

La titine retrouvée en pathologie cardiaque

Simone Gilgenkrantz

Simone Gilgenkrantz, 9 rue Basse, 54330 Clerey/Brenon, France
 

Dans l’unité contractile du muscle, la titine joue un rôle essentiel. Encore appelée connectine, cette protéine géante (3 000 kDa environ) peut être comparée à une sorte de collier élastique d’environ 300 perles (les domaines fibronectine de type III : FN3, et les domaines immunoglobuline : Ig) qui s’étend, au sein d’un hémi-sarcomère, de la ligne M (point d’ancrage des filaments de myosine) à la ligne Z (point d’ancrage des filaments d’actine) (Figure 1). Elle coordonne le parfait alignement des myofibrilles dans le muscle strié et confère à celui-ci son élasticité (→).

(→) m/s 1997, n°10, p. 1189

Depuis 1995, on connaît la différence entre les isoformes du muscle squelettique et celles du myocarde [1]. Il va sans dire que la recherche des gènes impliqués dans les cardiomyopathies génétiques n’avaient pas exclu la titine. Toutefois, parmi les nombreux gènes découverts dans les cardiomyopathies hypertrophiques (CMH), le gène TTN, codant pour cette énorme protéine, faisait pâle figure : sur une centaine de cas étudiés, une seule mutation (il s’agissait d’une transversion Arg 740 à Leu) avait été découverte chez un malade japonais [2].

Mais voici que, tout récemment, deux études, l’une chez le poisson-zèbre, l’autre chez l’homme, sont venues souligner la responsabilité de la titine dans les cardiomyopathies dilatées (CMD).

Les maux de cœur du poisson zèbre

médecine/sciences a déjà évoqué l’intérêt de l’analyse des innombrables mutations provoquées chez le poisson zèbre (Danio rerio), ainsi que le recours aux « morpholinos » (oligonucléotides chimiquement transformés pouvant bloquer la traduction de l’ARNm). Ils accélèrent l’analyse fonctionnelle des gènes (→→). La mutation Pik (pour pickwick, sans doute en raison de l’aspect obèse des poissons, dû à l’œdème consécutif au dysfonctionnement cardiaque), vient de trouver son explication moléculaire [3]. Les poissons Pikm171 ont un cœur morphologiquement normal, mais qui, dès le premier battement, semble très peu contractile. Le phénotype de ces mutants est par ailleurs normal pendant les trois premiers jours de vie, sans atteinte des muscles squelettiques. Par clonage positionnel, les auteurs ont tout d’abord observé que la région de 1,2 cM, où se trouvait la mutation, chevauchait le locus du gène ttn (codant pour la titine). En raison de l’intégrité du tissu musculaire squelettique, les auteurs supposèrent l’existence d’une mutation dans une isoforme propre au myocarde. Chez les rongeurs et chez l’homme, on savait qu’un domaine N2B n’existait que dans la protéine myocardique. Ce domaine avait du reste été exploré, mais sans succès, dans une grande famille amérindienne porteuse de cardiomyopathie dilatée [4]. En séquençant ce domaine chez le poisson-zèbre, une transversion T → G fut trouvée dans une séquence unique, le domaine IS3, de l’exon N2B (Figure 2). Pour faire la preuve du rôle pathogène de cette mutation, deux oligonucléotides morpholinos furent construits : MO1 qui cible le site donneur d’épissage de la terminaison 3’ de l’exon contenant N2B, et MO2 pour le site d’épissage de l’exon spécifique du muscle squelettique. Seule l’injection de MO1 entraîne un phénotype identique à celui des mutants Pikm171 . Une étude comparative de la formation des cardiomyocytes chez les poissons sauvages et chez les mutants montre que l’organisation des filaments épais et des filaments fins pour former des myofibrilles se fait de façon identique à 36 heures post-fécondation (hpf). Mais, alors que les sarcomères se forment à 48 hpf chez les témoins, ils n’apparaissent pas chez les mutants. Chez eux, les cardiomyocytes sont très fins et, lorsque des cœurs-mosaïque sont créés, les cellules pik survivent, mais font saillie, formant des anévrismes qui ne s’étendent pas aux cellules normales. Il s’agit donc bien d’une action cellule-autonome. Ce rôle essentiel de la titine dans la formation des sarcomères vient confirmer d’autres études faites sur les cardiomyocytes de rat démontrant que la perte de l’intégrité de la titine provoque une diminution de cette « sarcomérogenèse ». Quant à la relaxation diastolique, elle est due à l’élasticité de trois domaines de la bande I : domaine Ig, PEVK et N2B. [5, 6]. Du point de vue fonctionnel, chez le poisson zèbre, la relaxation diastolique et la pression systolique sont diminuées, de même que la fraction d’éjection, le cœur dilaté se vidant très peu au cours de la systole, comme il advient chez les malades atteints de cardiomyopathie dilatée.

(→→) m/s 2002, n° 4, p. 448

Cardiomyopathies dilatées causées par des mutations de la titine

À l’instar des cardiomyopathies hypertrophiques, de très nombreux locus ont été trouvés dans les cardiomyopathies dilatées (ce qui permet un classement), mais peu de gènes ont encore été identifiés. Dans deux familles non apparentées porteuses d’une anomalie, dont le locus se situait en 2q31 (CMD1G), l’analyse de 313 des 363 exons de TTN exprimés dans le muscle cardiaque, a permis de découvrir deux mutations [7]. L’une est une insertion de deux pb dans l’exon 236 engendrant un codon stop prématuré. Une étude de la molécule tronquée, faite à l’aide d’anticorps préparés pour les différents segments de la titine, démontre l’intégrité de la région amino-terminale. L’autre est une substitution d’un tryptophane (très conservé) par une arginine en position 930, dans le premier domaine Ig, dans la zone de transition bande I - ligne Z (correspondant à l’exon 18) (Figure 3). Curieusement, ces mutations ne se trouvent pas dans une région spécifique de la titine cardiaque (comme c’est le cas pour le mutant pik chez le poisson zèbre), et pourtant, contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, surtout pour la mutation tronquante, on n’observe aucune atteinte du muscle squelettique. Il faudra donc d’abord comprendre chez les malades les troubles fonctionnels de la protéine tronquée. Elle devrait avoir perdu le domaine kinase de la tinine, et les sites de liaison aux filaments épais et à la calpaïne 3 entre autres.

Ensuite, il conviendra d’analyser la titine dans les autres familles de CMD1G, afin de retrouver sans doute d’autres mutations. Ainsi nous pourrons connaître le rôle précis de la titine dans l’assemblage des myofibrilles et commencer à explorer les divers mécanismes pathogéniques responsables chez l’homme de cardiomyopathies dilatées.

References
1.
Labeit S, Kolmerer B. Titins : giant proteins in charge of muscle ultrastructure and elasticity. Science 1995; 270 : 293–6.
2.
Satoh MM, Takahashi M, Sakamoto T, Hiroe M, Marumo F, Kimura A. Structural analysis of the titin gene in hypertrophic cardiomyopathy : identification of a novel disease gene. Biochem Biophys Res Commun 1999; 262 : 411–7.
3.
Xu X, Meller SE, Zhong TP, et al. Cardiomyopathy in zebrafish due to mutation in an alternatively spliced exon of titin. Nat Genet 2002; 30 : 205–9.
4.
Siu BL, Niimura H, Osborne JA, et al. Familial dilated cardiomyopathy locus maps to chromosome 2q31. Circulation 1999; 99 : 1022–6.
5.
Person V, Kostin S, Susuki K, Labeit S, Schaper J. Antisense oligonucleotide experiments elucidate the essential role of titin in sarcomerogenesis in adult rat cardiomyocytes in log-term culture. J Cell Sci 2000; 113 ; 3851–9.
6.
Zhang Y, Featherstone D, Davis W, Rushton E, Broadie K. Drosophila D-titin is required for myoblast fusion and skeletal muscle striation. J Cell Sci 2000; 113 : 3103–15.
7.
Gerull B, Gramlich M, Atherton J, et al. Mutations of TTN, encoding the giant muscle filament titin, cause familial dilated cardiomyopathy. Nat Genet 2002; 30 : 201–4
8.
Gregorio CC, Granzier H, Sorimachi H, Labeit S. Muscle assembly : a titanic achievement ? Curr Opin Cell Biol 1999; 11 : 18–25.
9.
Kamisago M, Sharma SD, DePalma SR, et al. Mutations in sarcomere protein genes as a cause of dilated cardiomyopathy. N Eng J Med 2000; 343 : 1688–96.