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Med Sci (Paris). 2002 June; 18(6-7): 780–783.
Published online 2002 June 15. doi: 10.1051/medsci/20021867780.

La protéine découplante du tissu adipeux brun (UCP1) : la fin des dogmes

M. Nibbelink, E. Arnaud, L. Pénicaud, and L. Casteilla*

UMR Cnrs 5018, IFR31, CHU Rangueil, 1, avenue Jean Poulhès, 31045 Toulouse Cedex, France
Corresponding author.
 

L’implication majeure de la mitochondrie dans le métabolisme énergétique est due aux nombreuses voies métaboliques localisées dans cet organite et à sa capacité de convertir l’énergie en molécules d’ATP. Les oxydations phosphorylantes sont le siège de cette conversion dont le principe de fonctionnement, établi par le Pr Peter D. Mitchell sous le nom de théorie chimio-osmotique, a valu à son auteur le prix Nobel en 1978. Selon cette théorie, démontrée depuis, le transfert des électrons du NADH vers I’oxygène, via les différents complexes de la chaîne respiratoire, est associé à l’expulsion de protons de la matrice mitochondriale vers l’espace intermembranaire. Ce flux de protons crée un gradient électrochimique de part et d’autre de la membrane interne. La dissipation de ce gradient, par l’ATP synthase et en présence d’ADP, permettra la synthèse d’ATP. Celle-ci est donc très dépendante, via la production du gradient de protons, du fonctionnement de la chaîne respiratoire : la respiration de la mitochondrie est dite couplée (Figure 1A). L’établissement de ce gradient nécessite que la membrane interne soit imperméable aux protons. C’est le cas dans la majorité des situations, à une exception près dans le règne animal, celle de la mitochondrie des adipocytes bruns. Ces adipocytes, contrairement à leurs cousins, les adipocytes blancs, sont spécialisés dans la production de chaleur et participent à la thermogenèse hors de tout frisson (par opposition à la production de chaleur associée au frisson musculaire) et à celle qu’induit l’alimentation. Cette capacité thermogénique est due à une perméabilité importante de la membrane interne aux protons, qui permet de dissiper le gradient électrochimique indépendamment de l’ATP synthase. Cela a pour conséquence de dissocier le fonctionnement de la chaîne respiratoire et la synthèse d’ATP, l’énergie étant alors libérée sous forme de chaleur : la respiration de la mitochondrie est dite découplée. Ce mécanisme a été mis à jour par Nicholls et al. [1] et suivi, peu après, par l’identification moléculaire d’une protéine, membre des transporteurs anioniques mitochondriaux, la protéine découplante, et par le clonage de son gène [2]. Cette protéine, insérée dans la membrane interne, agirait comme un canal à protons et serait responsable de la perméabilité accrue de la membrane interne aux protons (Figure 1B). Ainsi, jusqu’en 1997, la protéine découplante (ou UCP) du tissu adipeux brun était caractérisée par trois propriétés fondamentales élevées au rang de dogmes : elle était unique, spécifique des adipocytes bruns, et sa fonction était strictement liée à la thermogenèse. Ce dernier point avait été conforté par le phénotype des souris dont le gène codant pour l’UCP avait été invalidé [3]. En effet, lorsqu’elles sont exposées au froid (à 4°C), ces souris ne peuvent plus maintenir leur température corporelle et meurent.

Le fonctionnement intime de cette protéine est encore très débattu, en dépit des nombreuses études qui y ont été consacrées ainsi qu’au contrôle de l’expression de son gène [2]. D’un point de vue physiopathologique, son rôle est difficile à cerner compte tenu de notre méconnaissance de l’importance physiologique de la thermogenèse associée aux adipocytes bruns chez l’homme adulte. Cependant, en 1997, Fleury et al. clonaient, par homologie de séquence avec l’UCP du tissu adipeux brun, un ADNc correspondant à une protéine apparentée [4]. Cette protéine, lorsqu’elle était surexprimée dans des levures, entraînait le découplage de la respiration des mitochondries isolées, d’où le nom de UCP2, pour uncoupling protein 2, qui lui a été attribué. Elle est exprimée dans certains types cellulaires dont les monocytes/macrophages. L’UCP « historique » des adipocytes bruns n’était plus « unique » et restait tête de liste ou UCP1. Le premier dogme tombait. D’autres protéines découplantes avec d’autres profils d’expression allaient être rapidement identifiées, chez les animaux aussi bien que chez les plantes [5, 7] (→). Ces découvertes et l’appellation protéines découplantes ont eu deux conséquences. Tout d’abord, par un « réflexe UCP », l’expression de ce type de protéines dans de nombreux tissus adultes a suscité de très nombreuses études et espérances concernant la dissipation d’énergie par ces protéines sous forme de chaleur. Pourtant, il y avait une certaine contradiction entre l’augmentation de l’expression d’UCP2 en situation de jeûne (situation physiologique où l’organisme tend à épargner l’énergie) et l’implication de cette protéine dans la dissipation d’énergie [8]. Enfin, ces découvertes ont détourné l’attention de la communauté scientifique de l’UCP1.

(→) m/s 1998, n°8-9, p.889

Rapidement après la découverte d’UCP2, nous avons proposé que les UCP puissent être impliquées dans le contrôle de la production mitochondriale d’espèces actives de l’oxygène [9]. La production d’anions superoxydes par la mitochondrie est obligatoirement associée au transfert des électrons au niveau des complexes I et surtout III (cycle des quinones) de la chaîne respiratoire. Plus les éléments de ces complexes sont réduits, plus la production d’anions superoxydes est favorisée. Les UCP, par leur activité de découplage qui dissipe rapidement le gradient de protons, faciliteraient le transfert d’électrons et diminueraient le niveau de réduction du complexe I et des quinones. Cela fut confirmé par l’analyse du phénotype des animaux dont le gène codant pour UCP3 était invalidé [10]. L’étude du phénotype des souris UCP2−/− démontrait, quant à elle, l’implication de cette protéine dans le contrôle de la sécrétion d’insuline, mais aussi un lien étroit entre l’expression de l’UCP2 et la production de radicaux libres par le macrophage [11, 12] (→). En effet, après stimulation par des lipopolysaccharides (LPS), les macrophages péritonéaux UCP2−/− produisent beaucoup plus d’espèces actives de l’oxygène que des macrophages de souris sauvages stimulés dans les mêmes conditions. Si l’analyse de ce phénotype n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît, elle confirme cependant l’absence de lien direct entre UCP2 et thermogenèse. Ne subsistait plus que le deuxième dogme : UCP1 est spécifique des adipocytes bruns et liée à la thermogenèse.

(→) m/s 2001, n°1, p. 107

En fait, le rôle du tissu adipeux brun avait été démontré dans deux modèles génétiques : les animaux UCP1−/− cités précédemment, et des souris transgéniques exprimant une sous-unité de la toxine diphtérique sous le contrôle du promoteur du gène de l’UCP1 [3, 13]. Dans ces conditions, les adipocytes bruns sont détruits, ce qui permet d’évaluer leur fonction in vivo. Or, comme il a été dit précédemment, les souris UCP1−/−, et particulièrement les femelles, étaient extrêmement sensibles au froid. Les autres souris avaient des problèmes de reproduction difficilement explicables par le seul rôle dans la thermogenèse attribué à l’UCP1, ce qui nous a poussé à rechercher l’expression d’UCP1 dans d’autres tissus [14]. C’est ainsi que l’expression d’UCP1 (protéine et ARNm) a pu être mise en évidence dans l’utérus chez la souris et la ratte. L’analyse immunocytochimique ainsi que l’hybridation in situ ont révélé que cette protéine était exprimée dans des cellules musculaires lisses et, de manière étonnante, uniquement dans celles qui constituent la couche longitudinale de cellules musculaires lisses. Cela est vrai dans tous les tissus disposant d’au moins deux couches de cellules musculaires lisses, ce qui est le cas de l’appareil digestif, urinaire et reproducteur, mais pas de la paroi des vaisseaux dans laquelle nous n’avons pu mettre en évidence aucune expression d'UCP1 (Figure 2).

Le contenu en UCP1 de l’utérus est stimulé par l’exposition au froid des animaux ainsi que par un traitement avec un agoniste des récepteurs β-adrénergiques - l’isoprotérénol. Ces régulations sont en tout point semblables à celles qui sont décrites dans le tissu adipeux brun. Elles peuvent être associées à un processus thermogénique, ce qui expliquerait les différences de sensibilité selon le sexe des souris UCP1−/−. Par ailleurs, le contenu en UCP1 des fractions mitochondriales purifiées à partir de l’utérus augmente après l’ovulation, ce qui pourrait suggérer un rôle pour l’UCP1 « utérine » dans les variations de température au cours du cycle sexuel, ce qui reste à confirmer.

Toutefois, la localisation très particulière de son expression, uniquement dans la couche musculaire lon-gitudinale, semblait indiquer que ce ne soit pas la seule fonction à laquelle pouvait participer UCP1 dans l’utérus. Trois données expérimentales convergentes nous suggèrent qu’UCP1 pourrait participer à la fonction contractile de ces cellules : (1) le contenu en UCP1 de l’utérus est augmenté par l’isoprotérénol dont on connaît les effets relaxants ; (2) les contractions des cellules de la couche longitudinale ont plutôt pour conséquence de faire progresser le fœtus dans l’utérus ; lors de la gestation, cette couche musculaire est relâchée alors que la couche circulaire indispensable au maintien du fœtus est contractée efficacement [15] ; (3) le contenu en UCP1 est augmenté au cours de la gestation et diminue à la naissance. Cet effet relaxant d’UCP1 pourrait être amplifié au cours de la gestation par les acides gras mobilisés à la fin de cette période pour satisfaire les besoins énergétiques, acides gras qui activent directement cette protéine. Le mécanisme par lequel UCP1 pourrait « neutraliser » les cellules musculaires lisses longitudinales (un effet d’anergie, une régulation sur les voies de signalisation…) doit être précisé. La détection d’UCP1 dans un grand nombre d’organes contractiles pourrait suggérer le même type de fonction dans ces organes, ce qui ouvre un nombre incalculable de perspectives physiologiques et physiopathologiques. À titre d’exemple, ces observations seraient tout à fait compatibles avec les troubles de la reproduction observées chez les souris knock-in pour le gène de la toxine diphtérique sous le contrôle du promoteur UCP1.

Cette étude met un terme au caractère spécifique et unique de la fonction d’UCP1 envisagé par les précédentes études. L’UCP1 du tissu adipeux brun est morte, vive l’UCP1. Elle n’est plus qu’une parmi de nombreuses protéines découplantes. Ces protéines fascinantes, capables via leur activité de découplage de la respiration mitochondriale, d’affecter l’ensemble des activités biologiques associées à la mitochondrie sont encore très mal connues. Pour UCP1, une étape importante reste à franchir : valider, dans l’espèce humaine, les résultats que nous avons obtenus chez les rongeurs. Si tel était le cas, l’UCP1 pourrait avoir chez l’homme une importance physiopathologique considérable (troubles digestifs, troubles de la reproduction), loin des frontières où nous l’avons trop longtemps étudiée, cantonnée et oubliée.

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