Les neuropeptides exercent leurs fonctions multiples dans le cerveau en agissant par l’intermédiaire de récepteurs spécifiques. Dans la plupart des régions centrales, les systèmes peptidergiques se mettent en place progressivement au cours de l’ontogenèse selon un schéma comparable à celui que l’on trouve chez l’adulte. Dans certaines structures centrales, cependant, des peptides et leurs récepteurs sont détectés de manière précoce et transitoire, suggérant leur rôle à certaines étapes bien précises du développement [1].
La somatostatine est un neuropeptide largement exprimé dans le système nerveux central et qui intervient dans de multiples fonctions cérébrales par l’intermédiaire de cinq récepteurs (sst1-sst5) couplés aux protéines Gi/Go [2]. Elle est transitoirement mise en évidence à des stades-clés de la maturation dans plusieurs régions centrales comme le cervelet, la moelle épinière, le cortex ou le système visuel [1]. Des récepteurs fonctionnels du peptide sont détectés simultanément dans ces mêmes régions [3], en particulier au niveau de neurones immatures.
Le cervelet de rongeur est apparu très vite comme un modèle de choix pour étudier in vitro les mécanismes cellulaires induits par le peptide in vivo. La somatostatine est en effet fortement et transitoirement détectée dans les cellules de Golgi et de Purkinje du cervelet lors de son développement au cours des trois premières semaines de vie post-natale. Son expression diminue par la suite et, chez l’adulte, est restreinte à de rares cellules [1]. À la même période, une forte liaison somatostatinergique est détectée au niveau du neuro-épithélium germinatif secondaire à l’origine des cellules en grains, la couche granulaire externe (CGE) (Figure 1) [4]. Ces sites de liaison spécifiques sont associés aux précurseurs des neurones en grains, ils sont fonctionnels in vitro [5], et leur caractérisation pharmacologique et moléculaire a permis de conclure qu’ils correspondent essentiellement à des récepteurs sst2 même si une faible proportion de sites de type sst1 est toutefois détectable [6].
La fonction de la somatostatine dans le cervelet immature était, jusqu’à il y a peu, mal définie : in vitro, le peptide stimulait modérément la formation de neurites et l’expression de marqueurs de différenciation sur des cellules granulaires, mais ne semblait influencer ni la prolifération ni la survie des neuroblastes. Récemment, l’enregistrement en temps réel de cellules granulaires marquées à l’aide d’une sonde fluorescente a montré que la somatostatine est un puissant régulateur de la migration neuronale dans des explants cérébelleux [7]. L’ajout de somatostatine dans le milieu de culture accélère la migration tangentielle des cellules granulaires dans la CGE, couche d’où elles sont issues, tandis qu’elle la diminue légèrement dans la couche moléculaire, et fortement dans la CGI qui constitue leur destination finale (Figure 2). Le peptide endogène est également impliqué dans ces effets puisque l’incubation de tranches de tissu de cette région en présence d’un antagoniste de la somatostatine entraîne les effets inverses. Le peptide semble agir directement sur les cellules granulaires, puisqu’il exerce des effets similaires sur des neuroblastes granulaires isolés provenant d’explants cérébelleux : il active le mouvement de cellules immatures (1 jour de culture) et ralentit celui de cellules plus différenciées (2 jours de culture). Les différences d’effet du peptide sur la vitesse de migration cellulaire semblent donc liées au stade de maturation de la cellule. La somatostatine affecte sélectivement la vitesse de migration de la cellule puisque ni la longueur des neurites, ni la forme de la cellule, ni la direction et le mode saltatoire de déplacement ne sont modifiés dans ce modèle. En parallèle, la somatostatine régularise et augmente les oscillations calciques dans les cellules immatures ; elle élimine les courants transitoires calciques établis à un stade plus différencié, par l’intermédiaire de canaux calciques ou potassiques, effecteurs du peptide, comme cela a été démontré dans d’autres modèles [2]. Les actions positive et négative du peptide sur la migration des cellules granulaires pourraient résulter de l’activation successive ou simultanée de différents sous-types de récepteurs au cours de la maturation des cellules en grains puisqu’un tel antagonisme des récepteurs sst2 et sst1 sur les courants AMPA1, glutamatergiques a été précédemment démontré dans des cultures neuronales [6].
L’étude récente d’animaux génétiquement modifiés pour la somatostatine ou pour le récepteur sst2 conforte l’implication du peptide dans la mise en place des réseaux cérébelleux. Les performances des animaux témoins et mutants sont voisines dans plusieurs tests de motricité et de coordination, démontrant l’absence de défaut moteur majeur chez l’adulte [8, 9]. Néanmoins, un déficit notable de l’apprentissage moteur est décelé chez des souris dont le gène codant pour la somatostatine a été invalidé lorsque la demande au niveau de la coordination motrice est augmentée, mettant ainsi en évidence un phénotype subtil qui pourrait être associé à un défaut de maturation du cervelet [9].
La somatostatine apparaît donc désormais comme un neuropeptide important dans le contrôle de la migration des cellules granulaires du cervelet. Cette activité de la somatostatine pourrait refléter une fonction plus générale concernant l’ensemble du système nerveux central en développement, mais aussi d’autres modèles où la migration cellulaire intervient, comme l’hématopoïèse [10].