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Med Sci (Paris). 2005 April; 21(4): 434–442.
Published online 2005 April 15. doi: 10.1051/medsci/2005214434.

Le récepteur dopaminergique D3 : nouvelle cible pour un traitement amélioré de la schizophrénie

Mark J. Millan

IDR Servier, Départment de Psychopharmacologie, 125, chemin de ronde, 78290 Croissy-sur-Seine, France
La schizophrénie : une maladie dévastatrice au coût social élevé

La schizophrénie est une maladie grave qui aboutit à une désorganisation de la personnalité, une perturbation des rapports familiaux, un isolement social et une incapacité à travailler [ 1]. D’une façon générale, cette maladie débute à l’adolescence (entre 15 et 25 ans). Progressive et souvent (mais pas toujours) irréversible, elle est ponctuée de crises abruptes. Bien que la schizophrénie soit relativement rare, son début précoce, sa chronicité, sa morbidité importante (un patient sur quatre fera au moins une tentative de suicide), l’inaptitude des patients à travailler et la nécessité de longs séjours hospitaliers font que cette maladie a un coût social très élevé [ 2]. La schizophrénie présente plusieurs dimensions psychopathologiques pouvant se regrouper en trois constellations diagnostiques (Tableau I). En plus de la dichotomie entre les symptômes positifs (productifs) et négatifs (déficitaires), les troubles cognitifs sont de plus en plus évoqués en raison de leur association avec les problèmes fonctionnels [1, 3, 4]. Ces atteintes cognitives, qui apparaissent relativement tôt chez les jeunes malades, peuvent être à l’origine (rôle déclencheur) des autres signes de la maladie.

Traitement de la schizophrénie : un besoin thérapeutique important

Une analyse des antipsychotiques disponibles actuellement (Tableau II) montre qu’il reste toujours des carences dans le traitement de la schizophrénie [46]. En termes d’amélioration clinique (qui permettrait la réintégration familiale et sociale du patient ainsi qu’une reprise du travail), les objectifs principaux pour de nouveaux traitements sont d’améliorer la qualité de la rémission et traiter davantage de patients résistants, d’agir plus efficacement contre les symptômes déficitaires, d’obtenir des effets thérapeutiques nets contre les symptômes cognitifs et d’éviter les effets secondaires néfastes majeurs. Aujourd’hui, la seule stratégie pour atteindre ces objectifs est la recherche de nouveaux médicaments plus efficaces et mieux tolérés. Il est irréaliste d’imaginer que l’on pourra trouver la molécule répondant parfaitement à ce cahier des charges et convenant à chaque patient : pour cette raison, il est essentiel d’explorer diverses hypothèses de travail.

Identification des cibles potentielles de nouveaux antipsychotiques

Le génome humain pourrait être une source importante de nouveaux antipsychotiques car de nombreux gènes ont été associés à un risque élevé de schizophrénie. Néanmoins, pour la plupart de ces gènes, les contributions sont mineures et restent à confirmer [ 7, 8]. Il faut également rappeler que les gènes ou les protéines dont le dysfonctionnement serait en cause dans la schizophrénie ne sont pas forcément ceux que l’on doit cibler pour son traitement. Le défi principal, aujourd’hui, reste donc l’identification des cibles thérapeutiques permettant une meilleure prise en charge de la schizophrénie. Dans la recherche de ces cibles, diverses approches complémentaires, autres que génétiques, se sont révélées riches d’enseignements. Les techniques de plus en plus performantes d’imagerie ont montré, chez les schizophrènes, des changements structurels marqués dans le thalamus, l’hippocampe, le cortex et d’autres structures cérébrales [ 9, 10]. Plus récemment, ces méthodes ont été appliquées à l’identification des modulateurs (neurotransmetteurs, neurotrophines, signaux intracellulaires…) dont l’activité est modifiée soit par la schizophrénie elle-même, soit par le traitement par les antipsychotiques [9, 10]. Ces approches se font en parallèle avec des études neurochimiques du cerveau des schizophrènes. Par ailleurs, les études neurochimiques et comportementales chez l’animal sont indispensables pour caractériser les systèmes neuronaux (et gliaux) modulés soit par les antipsychotiques, soit par les composés induisant les états psychotiques tels que la cocaïne (psychostimulant), la mescaline (hallucinogène) et surtout la phencyclidine [ 11, 12]. La phencyclidine (plus connue des toxicomanes sous le nom de « poussière d’ange ») est la seule substance qui reproduise chaque dimension de la schizophrénie chez le sujet sain. Elle se comporte comme un antagoniste non compétitif des récepteurs glutamatergiques de sous-type « NMDA » [12]. En accord avec ces observations (et d’autres), les récepteurs NMDA sont actuellement une cible privilégiée dans la découverte de nouveaux antipsychotiques [12, 13]. D’une façon intéressante, certains effets comportementaux de la phencyclidine semblent mettre en jeu des mécanismes sérotoninergiques, notamment une suractivation des récepteurs 5-HT2A au niveau limbique [ 14]. Ces résultats soulignent l’hypothèse selon laquelle un blocage des sites 5-HT2A serait à l’origine des profils « atypiques » cliniques de la clozapine et peut-être d’autres antipsychotiques de nouvelle génération [ 15] qui, par rapport aux neuroleptiques, présentent une fenêtre thérapeutique améliorée entre effets bénéfiques et effets secondaires moteurs (Tableau II).Concernant la sérotonine, les propriétés agonistes 5-HT1A et 5-HT2C, ou antagonistes 5-HT6, ont également suscité l’intérêt en tant que mécanismes d’action potentiels pour de nouveaux antipsychotiques. D’autres cibles nouvelles devraient également être citées : les cannabinoïdes (antagonistes des sites CB1), la substance P (antagonistes des neurokinines NK3), la neurotensine (agonistes NT1), l’acétylcholine (agonistes nicotiniques et muscariniques) et la noradrénaline (antagonistes α2). Toutes ces hypothèses sont d’un grand intérêt théorique [13, 1517]. Néanmoins, il n’existe aucune preuve clinique que les médicaments agissant principalement sur ces cibles soient vraiment en mesure de traiter efficacement la schizophrénie.

Aujourd’hui, nous ne pouvons citer qu’un seul et unique transmetteur dont l’implication dans l’étiologie et surtout le traitement de la schizophrénie soit irréfutable : il s’agit de la dopamine (DA), cible impliquée dans les effets de tout antipsychotique utilisé actuellement [ 18, 19]. Pour comprendre l’importance de la DA dans la pathogénie et le traitement de la schizophrénie, il faut tenir compte des diverses voies neuronales dopaminergiques ainsi que de la multiplicité des récepteurs impliqués dans ses effets.

Les voies dopaminergiques dans l’étiologie de la schizophrénie
Modifications pathologiques des voies dopaminergiques
Les voies mésolimbiques issues de l’aire tegmentale ventrale projettent vers le noyau accumbens et d’autres structures limbiques. Les études d’imagerie entreprises chez des patients souffrant de schizophrénie, ainsi que les études cliniques et expérimentales effectuées avec des composés inducteurs des états psychotiques, montrent qu’une hyperactivité et une hypersensibilité de ces voies sont à l’origine des symptômes positifs de la schizophrénie [10, 1822]. En revanche, les voies mésocorticales dopaminergiques qui innervent le cortex frontal ne sont pas suractivées chez les patients souffrant de schizophrénie : leur activité serait plutôt diminuée, en accord avec les études montrant une atteinte fonctionnelle et structurelle du cortex frontal dans la schizophrénie [10, 15, 23]. Cette « hypofrontalité » est impliquée dans les symptômes négatifs et cognitifs de la maladie. Par ailleurs, l’activité des neurones dopaminergiques nigrostriés n’est pas modifiée chez les schizophrènes. Cette voie, qui relie la substance noire et le striatum, joue un rôle important dans la coordination de la fonction motrice [19, 24]. De même, les faisceaux hypothalamo-hypophysaires dopaminergiques, inhibiteurs de la sécrétion de prolactine, ne sont pas affectés. Bien évidement, les conséquences fonctionnelles d’une modulation par les antipsychotiques de l’activité de ces réseaux dopaminergiques sont très différentes (voir ci-dessous).
Multiples récepteurs pour la DA
La DA joue un rôle majeur dans le contrôle de l’humeur, de la cognition et de l’activité motrice, ces fonctions étant modifiées chez les schizophrènes, et par l’administration d’antipsychotiques [ 16, 17, 20, 25]. Les effets de la DA sont exprimés par l’intermédiaire de diverses classes de récepteurs qui sont réparties en deux familles : D1/D5 et D2/D3/D4, couplées d’une façon positive et négative, respectivement, à l’adénylate cyclase (Figure 1) [ 26]. Les récepteurs D2 et D3 se situent au niveau post-synaptique ainsi que pré-synaptique. Ces derniers agissent en tant qu’autorécepteurs inhibiteurs de la transmission dopaminergique. Un important défi des 10 dernières années, l’élucidation des rôles fonctionnels des cinq classes de récepteurs dopaminergiques, a nécessité l’élaboration de différentes approches expérimentales complémentaires : antagonistes sélectifs, sondes antisens et souris génétiquement modifiées [20, 25]. Ces stratégies de recherche ont également été appliquées à l’exploration d’une question fondamentale, la signification des cinq classes de récepteurs dopaminergiques dans le contrôle des états psychotiques. Dans cette optique, avant une discussion détaillée des récepteurs D3, il est intéressant d’évoquer quelques concepts dopaminergiques actuellement étudiés dans le cadre de la mise en œuvre de meilleurs antipsychotiques.
De nouveaux concepts dopaminergiques dans le traitement de la schizophrénie

Certains experts considèrent que les propriétés bénéfiques de toutes les classes d’antipsychotiques (y compris la clozapine) s’expliquent seulement par leurs interactions avec les récepteurs D2 [16]. Les différences en termes de fenêtre thérapeutique (doses contrôlant les symptômes positifs versus celles induisant des effets extrapyramidaux [SEP] moteurs) seraient le reflet de leurs façons différentes de se fixer aux récepteurs D2. Ainsi, les composés peu affins comme la clozapine, qui de plus se fixent de manière « faible », auraient des fenêtres thérapeutiques plus importantes. Cette hypothèse a le mérite de réaffirmer l’importance des mécanismes dopaminergiques dans les effets cliniques des antipsychotiques. Néanmoins, elle n’aborde pas vraiment la problématique des symptômes déficitaires et cognitifs. Par ailleurs, elle fait abstraction de tout récepteur autre que D2 pour expliquer le profil thérapeutique de la clozapine, ce qui n’est pas entièrement satisfaisant ! De plus, comme les protagonistes de cette hypothèse l’admettent volontiers, elle ne différencie pas le rôle des sites D2 et D3 comme cible dans le traitement de la schizophrénie [16]. En outre, les radioligands utilisés aujourd’hui dans les études d’imagerie pour marquer les récepteurs « D2 » chez l’homme ne discriminent pas les différents sous-types D2, D3 et D4 [10, 18, 20].

De nombreux projets de recherches se focalisent actuellement sur les propriétés agonistes D1 dans l’espoir d’améliorer la fonction cognitive des schizophrènes. Cette notion est ancrée dans les effets procognitifs des agonistes D1 dans les modèles comportementaux chez les rongeurs [25, 27]. Les agonistes D1 facilitent la transmission cholinergique qui joue un rôle critique dans les processus cognitifs [27]. En revanche, en raison d’un éventuel phénomène d’épuisement, il reste à démontrer que les effets bénéfiques des agonistes D1 se manifestent à long terme. Idéalement, il faudrait combiner l’activité agoniste D1 avec un blocage des récepteurs D2/D3 pour bénéficier également des effets thérapeutiques contre les symptômes positifs.

Finalement, les agonistes partiels D2 représentent un concept intéressant bien illustré par l’aripiprazole, antipsychotique récemment mis sur le marché [ 28]. Ce composé interagit avec divers sites monoaminergiques, mais a la particularité de se comporter comme un agoniste faible des récepteurs D2. De ce fait, l’aripiprazole stimule les sites présynaptiques D2 très sensibles et inhibiteurs de la libération de la DA, alors qu’il bloque les récepteurs postsynaptiques peu sensibles D2 [28]. L’aripiprazole possède donc un double mécanisme pour « normaliser » l’hyperactivité des voies dopaminergiques mésolimbiques. Il est actif contre les symptômes positifs sans pour autant provoquer d’effets SEP. Néanmoins, il faudra attendre quelques années d’utilisation clinique pour avoir la confirmation de son efficacité et de sa bonne tolérance. De plus, l’efficacité de l’aripiprazole contre les symptômes déficitaires et cognitifs reste limitée [28].

Les récepteurs dopaminergiques D3 : pertinence dans le traitement de la schizophrénie

Bien que la structure et les voies de couplage des récepteurs D3 soient proches de celles des sites D2, leur distribution et leurs rôles fonctionnels diffèrent d’une manière significative dans le contrôle des états psychotiques.

Induction d’effets SEP moteurs
À la différence des sites D2, les récepteurs D3 se trouvent majoritairement dans des structures corticales et limbiques [17]. Leur densité est faible dans le striatum et l’hypophyse. Cette organisation suggère qu’un blocage sélectif des récepteurs D3 ne devrait pas induire d’effets SEP moteurs, ni d’effets endocriniens, interprétation appuyée par les études expérimentales effectuées avec des antagonistes D3 sélectifs, les sondes d’antisens dirigées contre les sites D3 et les souris génétiquement privées de sites D3 [17, 20, 25, 29]. Ces observations sont d’autant plus intéressantes que l’inactivation des sites D3 s’oppose aux effets moteurs gênants des antagonistes D2 [ 30]. Ainsi, un blocage préférentiel des récepteurs D3 versus D2 par un antagoniste devrait minimiser l’impact SEP.
Contrôle des symptômes déficitaires
L’absence d’effets SEP avec un antagoniste D3 serait importante dans le traitement des symptômes déficitaires qui sont aggravés par les effets moteurs perturbateurs dus aux propriétés antagonistes D2 des neuroleptiques. De plus, un blocage des récepteurs D2 exerce des effets néfastes sur l’humeur, ce qui exacerbe également les symptômes négatifs, tandis que les antagonistes D3 sont dépourvus de telles actions délétères [ 31]. Les symptômes déficitaires sont difficiles à modéliser chez l’animal, mais un élément accessible est l’isolement social. À la différence des antagonistes D2, les antagonistes D3 favorisent l’interaction sociale chez les rongeurs [ 32, 33]. Une autre approche pour appréhender l’influence des antagonistes D3 sur les signes déficitaires consiste à comparer leurs effets à ceux de la clozapine. En effet, cette dernière induit des effets distincts sur les facteurs de transcription et d’autres gènes cérébraux, dont certains sont mimés par les antagonistes D3 [ 34]. De plus, ces effets de la clozapine sont absents chez les souris génétiquement privées de récepteurs D3 [34].
Contrôle des symptômes cognitifs
Un blocage des récepteurs D2 n’exerce aucune influence bénéfique sur la fonction mnésique chez l’animal et peut même la compromettre, en accord avec l’incapacité des neuroleptiques à améliorer les symptômes cognitifs chez les schizophrènes [3, 4]. En revanche, les études récentes effectuées sur des souris privées de sites D3 révèlent une amélioration de certaines facettes de la fonction cognitive [ 35]. De plus, nous avons montré un impact favorable des antagonistes D3 sur la fonction cognitive dans un modèle de mémoire de travail (reconnaissance sociale) [ 36] qui est fortement perturbée chez les schizophrènes [3, 4]. Cette observation est d’autant plus intéressante que les antagonistes D3, comme les agonistes D1, augmentent la transmission frontocorticale cholinergique (Figure 2) [27, 36, 37], substrat de la mémoire de travail perturbée chez les schizophrènes [3, 4]. Le rôle des récepteurs D3 dans le contrôle de la fonction mnésique nécessite une exploration plus approfondie, mais il est fort possible qu’un blocage préférentiel des sites D3 soulage les troubles cognitifs des patients schizophrènes.
Contrôle des symptômes positifs
Paradoxalement, l’efficacité potentielle des antagonistes D3 contre les symptômes positifs de la schizophrénie semble la moins bien démontrée actuellement, dans la mesure où ils sont peu ou pas actifs dans la plupart des modèles prototypes répondant bien aux autres classes d’antipsychotiques. Ainsi, un antagoniste D3 ne bloque pas les effets moteurs de l’amphétamine chez le rat [17, 29, 32]. Néanmoins, ces modèles animaux ont été développés spécifiquement pour la mise en évidence des propriétés antagonistes D2 des antipsychotiques et ne sont pas forcément à l’origine de leurs effets thérapeutiques [11, 17, 29].

D’ailleurs, dans certains modèles, les antagonistes D3 sont bien actifs [ 38]. Par exemple, un traitement chronique avec les antagonistes D3 diminue l’activité électrique des neurones mésolimbiques [17, 32, 33]. En revanche, les neurones nigrostriés ne sont pas affectés, soulignant l’absence de potentiel inducteur du SEP des antagonistes D3. Ce profil ressemble à celui de la clozapine et se démarque des neuroleptiques qui modulent à la fois les voies mésolimbiques et nigrostriées [17, 32]. Cette ambiguïté concernant la capacité des antagonistes D3 à modérer les symptômes positifs reste un peu troublante. En revanche, les résultats expérimentaux penchent en faveur d’une influence favorable sur les symptômes déficitaires et cognitifs. Étant donné les limitations des modèles expérimentaux, comme pour chaque nouvel antipsychotique, seuls les essais cliniques sur les patients apporteront une réponse définitive.

Une implication des récepteurs D3 dans l’étiologie de la schizophrénie ?

Étant donné l’augmentation de l’activité des voies mésolimbiques dopaminergiques chez les schizophrènes [10, 17], il est important de considérer une éventuelle modification du taux des récepteurs D3 chez ces patients. En effet, la densité des récepteurs D3 (mais non D2) limbiques est élevée chez les schizophrènes [17, 39]. De surcroît, cette augmentation est normalisée après traitement par les antipsychotiques. Cette élévation du taux des sites D3 est en accord avec des études expérimentales suggérant qu’une élévation et une réduction de l’activité des neurones dopaminergiques soient accompagnées par une up versus down régulation des récepteurs D3, respectivement [17, 24]. Ces résultats chez les patients schizophrènes sont également soutenus par l’augmentation comparable du taux des récepteurs D3 limbiques observée chez les cocaïnomanes [17, 24]. Ainsi, une suractivation des voies mésolimbiques dopaminergiques impliquées dans les symptômes positifs pourrait être associée avec une activité accrue des sites D3. Diverses études ont examiné une association potentielle entre la schizophrénie et la présence d’un polymorphisme du gène codant pour les récepteurs D3. Il s’agit de la substitution d’une sérine par une glycine (Ser9Gly) qui aurait comme conséquence une affinité plus importante pour la DA. La majorité de ces études suggère effectivement une association positive entre ce polymorphisme et la schizophrénie, mais de nombreux rapports négatifs ne permettent pas de conclusions définitives [ 40, 41]. Une association éventuelle entre les récepteurs D3, seuls ou en interaction avec d’autres gènes, et la schizophrénie nécessite donc des analyses plus complètes.

Les antagonistes D3, un concept innovant pour améliorer le traitement de la schizophrénie
Les antagonistes D3 sélectifs
À partir des arguments présentés dans les paragraphes précédents, une évaluation clinique des effets d’un blocage des récepteurs D3 chez les schizophrènes est entièrement justifiée. Divers antagonistes D3 très sélectifs ont été décrits, dont certains sont en développement clinique, sans pour autant que les résultats thérapeutiques soient déjà disponibles [29, 32, 33, 42]. Bien que l’on puisse être assez optimiste concernant leur influence sur les signes déficitaires et cognitifs ainsi que leur absence d’impact SEP, la plus grande interrogation avec de tels ligands sélectifs D3 porte sur leur influence potentielle sur les symptômes positifs.
Les antagonistes D3 optimisés, un concept novateur
Ces considérations nous ont conduit à élaborer un concept complémentaire : les antagonistes D3 « optimisés », qui montrent une préférence nette, mais non une sélectivité absolue, pour les récepteurs D3 versus D2 [ 43, 44]. Ce concept doit en principe permettre l’exploration clinique de deux hypothèses complémentaires. Premièrement, sur une gamme de doses faibles, l’utilité d’un blocage exclusif des récepteurs D3 peut être évaluée. Deuxièmement, sur une gamme de doses plus élevées, les effets d’un blocage préférentiel des sites D3 versus D2 peuvent être explorés. Si un antagonisme sélectif des récepteurs D3 se montre peu efficace vis-à-vis des signes positifs, un blocage au moins partiel des sites D2 par les doses élevées devrait être efficace, tandis que l’occupation plus importante des sites D3 versus D2 limiterait les effets SEP moteurs et devrait garantir un bon contrôle des symptômes déficitaires et cognitifs. Concernant l’importance d’un meilleur contrôle des signes cognitifs par un blocage des récepteurs D3, il faut signaler une initiative de la FDA (Food and Drug Administration) et du National Institute of Mental Health, aux États-Unis, qui illustre bien à quel point ce besoin thérapeutique est maintenant reconnu [ 45]. Pour la toute première fois, la FDA va autoriser des études cliniques consacrées exclusivement à l’influence de composés novateurs sur les symptômes cognitifs. Cette démarche prévoit d’utiliser de nouveaux médicaments soit seuls, soit en association avec d’autres classes d’antipsychotiques, contre les symptômes cognitifs, même si leur influence sur les symptômes positifs (et négatifs) est peu marquée. D’ailleurs, l’administration d’antipsychotiques procognitifs à de jeunes patients prodromaux qui présentent des atteintes cognitives pourrait éventuellement prévenir ou retarder le développement des symptômes positifs [3, 4].
Le S 33138, antagoniste D3 optimisé et antipsychotique potentiel
Actuellement, le seul composé décrit dans cette classe est le S 33138, issu de la recherche Servier [43, 44]. La découverte de ce composé repose sur les études étendues de structure-activité autour d’un squelette chimique qui au départ possédait une affinité faible, mais préférentielle pour les récepteurs D3 versus D2. Une collaboration étroite entre pharmacologues et chimistes a permis l’optimisation progressive des structures pour enfin atteindre le profil souhaité du S 33138. Dans divers modèles, le S 33138 a été systématiquement comparé aux autres antipsychotiques, ce qui a confirmé son originalité en termes de préférence nette pour les récepteurs D3 versus D2 (Figure 3) et de profil fonctionnel in vivo. Dans les modèles cellulaires et fonctionnels in vivo, le S 33138 se comporte comme un antagoniste pur des sites D3 et, sur une gamme de concentrations plus élevées, des sites D2. À doses faibles, le S 33138 renforce la transmission cholinergique corticale, améliore la performance des rats dans des modèles de mémoire de travail et facilite l’interaction sociale. Ces résultats suggèrent une influence bénéfique sur les symptômes cognitifs et négatifs. Les doses plus importantes, impliquant au moins partiellement un blocage des récepteurs D2, sont actives dans les modèles prédictifs de propriétés anti-positives. L’ensemble de ces effets est exprimé en l’absence relative d’effets SEP moteurs. Ces observations, ainsi que la très bonne tolérance du S 33138 et son profil pharmacocinétique favorable, ont encouragé son passage en clinique. Les études de Phase I chez des volontaires sains ont confirmé la bonne tolérance du S 33138. D’ailleurs, les études en PET (positron emission tomography) ont montré une bonne imprégnation des récepteurs D2 centraux. Bien qu’il n’y ait pas de ligand PET pour marquer les récepteurs D3, ces résultats permettent une estimation des doses les plus faibles requises pour occuper préférentiellement les sites D3. En 2005, les études de Phase II seront lancées chez les patients schizophrènes.

Ainsi, 15 ans après le clonage des récepteurs D3 par une équipe de l’Inserm [ 46], et à la suite des efforts importants de recherche de la part de nombreuses équipes dans le monde, la première évaluation clinique d’un antagoniste optimisé des récepteurs D3 pour le traitement de la schizophrénie va être entreprise. Ce délai ne montre en rien un manque d’efficacité de la Recherche et Découverte, ni d’éventuelles tergiversations avant le lancement d’une démarche clinique ; il témoigne tout simplement de l’énorme défi que représente la détermination du rôle fonctionnel, et de la signification thérapeutique des nouvelles cibles, ainsi que de la grande difficulté rencontrée dans l’identification de médicaments candidats compatibles avec un développement clinique.

Utilisation des antagonistes D3 dans les domaines thérapeutiques autres que la schizophrénie

Avant de conclure cet article, il faut rapidement évoquer l’intérêt thérapeutique des antagonistes D3 (optimisé ou sélectif) dans le traitement de maladies autres que la schizophrénie.

Traitement de l’abus de drogues, pertinence aux états psychotiques
De nombreuses études ont récemment démontré le grand intérêt des antagonistes D3 dans le traitement des conduites addictives et de récidives associées à la consommation de diverses drogues comme la nicotine, les opiacés et surtout la cocaïne [ 47, 48]. Comme cela est mentionné ci-dessus, le taux de récepteurs limbiques D3 est élevé chez les cocaïnomanes. Un contrôle de l’abus de cocaïne par les antagonistes D3 est d’autant plus intéressant que l’utilisation répétée de la cocaïne est associée à un risque accru de développer une schizophrénie. Effectivement, l’exposition répétée à la cocaïne entraîne une sensibilisation de la transmission mésolimbique dopaminergique analogue à l’hypersensibilité à l’origine des états psychotiques [ 21, 22]. D’ailleurs, les patients psychotiques abusent souvent de cocaïne et autres drogues. En conséquence, la notion des antagonistes D3 « doublement » actifs contre l’abus de drogue et la schizophrénie est très séduisante.
Autres maladies
Les propriétés procognitives des antagonistes D3 [3537] pourraient avoir une application plus étendue dans le contrôle des atteintes cognitives associées à d’autres maladies comme la dépression, la maladie d’Alzheimer (caractérisée par des déficits cholinergiques) et la maladie de Parkinson. Concernant cette dernière, l’influence facilitatrice des antagonistes D3 sur la fonction motrice pourrait même améliorer les symptômes moteurs des malades [17, 20].
Conclusions

La schizophrénie représente toujours un grand défi thérapeutique. Sans pour autant négliger d’autres pistes de recherche, les mécanismes dopaminergiques, les seuls validés cliniquement, gardent toute leur pertinence. Un blocage des récepteurs D3, soit sélectif, soit préférentiel versus D2, représente un concept innovant pour améliorer le traitement des états psychotiques, surtout les symptômes cognitifs qui sont mal contrôlés par les médicaments disponibles actuellement. Le premier composé antagoniste D3 optimisé, S 33138, va bientôt faire l’objet d’études cliniques d’efficacité Phase II. Les résultats de ces études devraient nous fournir les données concrètes sur l’intérêt des récepteurs D3 en tant que cibles thérapeutiques permettant d’améliorer le traitement de cette maladie.

 
Acknowledgments

L’auteur tient à remercier G. Lavielle, P.F. Pénelaud, E. Canet, M. Brocco, A. Gobert et J.M. Rivet pour les commentaires utiles sur ce manuscrit, et B. Di Cara pour la préparation des graphiques.

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