Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2007 March; 23(3): 320–322.
Published online 2007 March 15. doi: 10.1051/medsci/2007233320.

Le diabète en Afrique sub-saharienne

Dominique Labie*

Département de génétique,développement et pathologie moléculaire, Institut Cochin,24, rue du Faubourg Saint-Jacques,75014 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adulte, Afrique subsaharienne, Sujet âgé, Enfant, Enfant d'âge préscolaire, Association thérapeutique, Pays en voie de développement, Diabète, Industrie pharmaceutique, Femelle, Financement organisé, Coûts des soins de santé, Accessibilité des services de santé, Humains, Hypoglycémiants, Nourrisson, Insuline, Style de vie, Mâle, Adulte d'âge moyen, Obésité, Prévalence, Nations Unies, Santé mondiale, Organisation mondiale de la santé

 

Il est communément admis que les grandes endémies infectieuses, Sida, paludisme et tuberculose, sont majoritairement le fait des pays du Sud et des pays pauvres, alors qu’en revanche les pays industrialisés auraient une priorité en ce qui concerne les maladies non transmissibles, diabète, hypertension, maladies des coronaires… Cette position est de moins en moins exacte, et de nombreux pays africains ont maintenant à faire face au double défi que représentent ces deux types de pathologies [ 1]. Le problème est particulièrement aigu pour le diabète quand on sait que l’insuline, isolée en 1921, n’est toujours pas disponible dans une grande partie du monde en développement. En Afrique, l’approvisionnement en est souvent inconstant dans les hôpitaux des grandes villes, et exceptionnellement accessible dans les zones rurales. Son prix est également prohibitif pour les plus pauvres : soigner un diabétique peut coûter plus de la moitié du PIB annuel d’une famille quand il est de 300 $ US. L’espérance de vie d’un enfant présentant un diabète de type 1 y est en moyenne d’un an : jusqu’à 8 ans au Mali, mais 7 mois seulement au Mozambique.

De plus, le diabète de type 2 est en forte augmentation, surtout dans les zones urbaines. Avec l’accroissement de l’urbanisation - et de l’obésité qui s’y développe -, sa prévalence pourrait plus que doubler d’ici à 2030. Des travaux récents tentent de faire le point sur ces problèmes (pour revue, voir [ 2]).

Les données épidémiologiques

Bien que l’on sache que la prévalence du diabète est très inférieure en Afrique sub-saharienne à celle des pays de climat tempéré, les données sont incomplètes et parcellaires. Trois facteurs peuvent l’expliquer : incidence moindre, mais aussi absence de diagnostic, ou mort prématurée, du fait de la gravité du pronostic. Une étude faite en Tanzanie a montré que, dans 21/199 cas de paludisme cérébral, on retrouvait, aggravant le coma, un diabète non contrôlé. En calculant de façon approximative la prévalence, à partir de données concernant l’incidence et l’espérance de vie, on aboutit à une estimation de 0,012 % de diabète de type 1, contre 0,062 % dans les pays industrialisés. Quant au diabète de type 2, le nombre de malades en Afrique était évalué autour de 7 millions en l’an 2000, mais les projections sont inquiétantes : le Togo avait affiché une apparente rareté de la maladie ; de 2,3 % en 1972, elle s’est élevée à 6,2 % en 2000 pour le diabète de type 2. Le Soudan donne des valeurs de l’ordre de 10 %. Actuellement, si l’on estime la fréquence à 1 % en milieu rural, elle peut s’approcher de 6 % dans les zones urbaines, et de 13 % pour les populations urbaines d’origine indienne. Or, on sait que d’ici 20 ans, plus de la moitié des Africains vivront en ville : selon l’United Nations Population Fund, la population urbaine, de 34 % en 2000 passera à 70 % en 2025. Le développement de l’obésité, et la réduction de l’activité, facteurs majeurs de la prévalence du diabète de type 2 vont entraîner une augmentation considérable du nombre de malades qui pourrait passer de 7 à 15 millions en 2030 en Afrique sub-saharienne (Figure 1).

Le développement du diabète, c’est aussi la fréquence accrue des complications, souvent observées dès le moment du diagnostic. Une équipe camerounaise a collecté des données issues de différents pays [ 3]. Selon les auteurs, une rétinopathie s’observe chez 16 à 55 % des diabétiques, elle est sévère dans 15 % des cas. Présente au moment du diagnostic de diabète de type 2 dans 21-25 % des cas, on la retrouve chez 9,5 % des diabétiques de type 1. La fréquence d’une néphropathie serait de 32 %-57 % quand le diabète a plus de 5 ans, de 5 %-28 % dès la première année. L’existence de troubles neurologiques est variable : il y aurait peu de complications macrovasculaires, mais en revanche, 5 %-10 % de maladies coronaires ainsi que de fréquentes cardiomyopathies. Conséquence des artérites des membres inférieurs, les ulcérations du pied sont nombreuses, de même que les amputations des extrémités (1,5 %-7 %). Des observations faites en Tanzanie corroborent ces données et montrent que la prise en charge des diabétiques représente jusqu’à 30 % des frais dans les consultations hospitalières.

Le coût de la prise en charge

Le problème financier est, en effet, l’obstacle majeur à une prise en charge adéquate. Il existe dans à peu près tous les pays de l’Afrique sub-saharienne. Une étude pilote particulièrement précise a été faite par l’International Insulin Foundation au Mali, en Mozambique et en Zambie [ 4]. Le but étant, non pas une aide occasionnelle, mais la prise en charge permanente des diabétiques, les auteurs ont examiné les moyens d’accès à l’insuline et aux hypoglycémiants oraux dont le prix peut, en effet, être un obstacle à la survie. Au Mali, par exemple, les chiffres donnés par la Banque Mondiale donnent un PIB annuel de 375 $ US ; si le coût d’un flacon d’insuline est 10,88 $ US, une famille dépense jusqu’à 38 % de ses revenus à soigner un malade. Même au Mozambique ou en Tanzanie, où le prix de l’insuline est réduit grâce à des subventions (1,13 et 2,00 US $ respectivement), ce produit reste peu accessible à des populations dont le revenu quotidien est inférieur à 1,00 $ US. Le fardeau économique ne pèse pas seulement sur les individus, mais aussi sur les gouvernements. Au Mozambique la dépense de santé annuelle est de 1,50 $ US par personne. Au prix de l’insuline (13 flacons à 4,30 $ US par an par personne), c’est la prise en charge de presque 40 personnes qui se trouve compromise.

Et il n’y a pas que l’insuline : il faut des seringues, des aiguilles, un contrôle périodique de la glycémie. Les centres médicaux compétents sont rares, exigent parfois des déplacements longs et onéreux. À Bamako (Mali), l’ensemble des soins d’un patient diabétique était estimé à 21,24 $ US par mois, c’est-à-dire 70 % de son revenu. Quant au diabète de type 2, sa nature évolutive nécessite un suivi attentif. Le traitement par hypoglycémiants oraux passe de la monothérapie à des combinaisons, puis associe le traitement oral à l’insuline. Il faut aussi penser que les Services de Santé sont souvent orientés vers la prise en charge d’affections aiguës, et beaucoup moins vers celle de maladies chroniques à longue échéance. Les médecins diabétologues sont rares, le personnel peu familiarisé avec ce type de soins.

Outre ces questions de coût, un problème majeur est aussi l’irrégularité de l’approvisionnement en insuline dans de nombreux pays africains (Figure 2). Trois enquêtes ont été faites entre 1994 et 2006 par l’International Diabetes Federation (IDF). Bien que les comparaisons d’enquêtes qui restent incomplètes soient difficiles, il est clair que l’accès au traitement par l’insuline est trop souvent aléatoire et d’un prix prohibitif, et qu’il s’est peu amélioré. Une stratégie globale de santé publique se présente donc comme un impératif [ 5]. Le problème grandissant des maladies non transmissibles s’impose dans le monde, en Afrique comme ailleurs.

Quelles stratégies ?

Un certain nombre de programmes, nationaux ou internationaux, ont été initiés par l’OMS et l’IDF [ 6]. On pourrait les grouper sous deux rubriques principales : (1) mise en place d’un vaste plan d’information et d’éducation des professionnels et de la population en général ; (2) création d’infrastructures suffisantes et traitements régulièrement accessibles.

Il est sûr que l’absence de détection du diabète de type 1 ou 2 - ou sa confirmation tardive quand les complications ont déjà entraîné des dégâts irréversibles - est trop souvent due à une sensibilisation insuffisante. Une formation des prestataires de soins primaires à la détection et à la gestion du diabète est essentielle, et il faut aussi attirer l’attention des médecins sur une pathologie qui ne fait pas partie de leurs priorités. Les soins doivent être décentralisés, et sans exiger un déplacement des malades vers les grandes villes. Des résultats significatifs ont été obtenus en Afrique du Sud par une gestion décentralisée du diabète [ 7]. L’obésité est un problème grandissant en Afrique, où l’urbanisation a amené les populations pauvres à substituer à leur alimentation traditionnelle des aliments riches en graisses et en sucres, ainsi qu’à réduire leur activité physique (Figure 3). Une éducation des populations s’impose qui pourra se faire par l’école ou les médias. Il faut enfin convaincre les autorités responsables de l’importance prioritaire des maladies non transmissibles aussi bien que des grandes endémies infectieuses et de la nécessité de les inclure dans les programmes de santé. Au Burkina Faso, par exemple, où ces différents programmes ont été développés, les résultats en sont prometteurs.

Pour chercher à assurer une efficacité régulière, des conférences interafricaines ont été organisées, financées par la firme Novo Nordisk (qui fournit aux pays les plus pauvres de l’insuline à des prix très bas). Des experts de 15 pays de langue anglaise ou portugaise se sont réunis à Zanzibar en mai 2003 et ont mis sur pied une Déclaration africaine sur le diabète dont le but est d’inciter les gouvernements à l’action. Une réunion des pays africains francophones sous l’égide de l’OMS et de l’IFD a ensuite eu lieu à Dakar en avril 2004, reprenant les mêmes conclusions. Les participants ont insisté sur la nécessité d’un consensus et d’un projet visant à améliorer l’évaluation et la prise en charge du diabète au niveau national. Ils ont formulé des recommandations pratiques et prévu la formation intensive de 20 éducateurs infirmiers dans 10 pays, capables de former à leur tour d’autres prestataires de service. L’inégalité du coût de l’insuline d’un pays à l’autre, et dans un même pays entre le secteur public et le secteur privé, l’irrégularité de l’approvisionnement, rendent urgentes des mesures visant à mettre le traitement à la portée de tous. Le financement peut en être public, international ou national, ou aidé par des organisations privées (ONG, Lions Club, etc…), mais il faut qu’il soit régulier. A l’heure actuelle, sur les 4,25 milliards $ US attribués par la Banque mondiale, seuls 2,5 % sont alloués aux maladies non transmissibles. Les progrès sont lents. Ils semblent cependant se mettre en place dans les quelques pays qui ont été cités, qui ne sont pas les moins pauvres, mais où s’est affirmée une volonté politique. Il y a urgence : le diabète de type 1 est encore relativement rare, mais il est mortel en Afrique, et le diabète de type 2 y a pris des proportions épidémiques.

References
1.
Diamond J. The double puzzle of diabetes. Nature 2003; 423 : 599–602.
2.
Beran D, Yudkin JS. Diabetes care in sub-Saharan Africa. Lancet 2006; 368 : 1689–94.
3.
Mbanya JC, Sobngwi E. Diabetes in Africa. Diabetes microvascular and macrovascular disease in Africa. J Cardiovasc Risk 2003; 10 : 97–102.
4.
International Insulin Foundation. Fact sheet on diabetes in sub-Saharan Africa. London : International Insulin Foundation, 2005.
5.
WaxmanA, Norum KR. Why a general strategy on diet, physical activity and health ? The growing burden of non-communicable diseases. Public Health Nutr 2004; 7 : 381–3.
6.
Ramaiya KI. La FID et l’OMS mettent le diabète à l’agenda de la santé en Afrique. Diabetes Voice 2004; 49 : 32–4.
7.
Distiller LA. Mieux gérer le diabète en Afrique du Sud : exemple d’un modèle de financement par dotation. Diabetes Voice 2004; 49 : 16–8.