Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2007 March; 23(3): 327–332.
Published online 2007 March 15. doi: 10.1051/medsci/2007233327.

La diffusion des tests génétiques
Le cas de la cancérologie

François Eisinger1* and Jean-Paul Moatti2

1Institut Paoli-Calmettes,232, Boulevard Sainte-Marguerite,13009 Marseille, France; Inserm Comité ERMES; Visiting Scientist, British Columbia Cancer Agency,Hereditary Cancer Program
2Inserm U379; Faculté de Sciences économiques et de gestion, Université de la Méditerranée-Aix-Marseille II, France
Corresponding author.
 

La diffusion des tests génétiques fait, dans la littérature, l’objet de prises de position contrastées. Certains auteurs considèrent que la révolution génétique est en marche et prédisent que, dans un avenir proche, tout ou partie de la population bénéficiera systématiquement de tests de dépistage génétique [ 1, 2]. D’autres, s’appuyant sur l’analyse des valeurs prédictives actuellement observées pour la majorité de ces tests, sont plus prudents, pour ne pas dire réservés [ 3, 4].

La mise au point d’outils performants de biologie moléculaire doit-elle être considérée comme l’équivalent de l’invention du microscope qui a facilité et accompagné le développement de la médecine anatomo-clinique ? S’agit-il d’une révolution de même ampleur permettant de redéfinir les maladies avec un nouvel outil de classification, et d’ouvrir ainsi la voie à une médecine prédictive porteuse de progrès sanitaires majeurs ? Assiste-t-on à une véritable révolution médicale, tant technologique que conceptuelle, le passage d’un paradigme anatomique et histologique vers un paradigme moléculaire ?

Pour répondre à ces questions, il est indispensable de connaître d’une part, la quantité d’information que ces tests sont susceptibles de fournir indépendamment des autres outils d’évaluation diagnostique, pronostique ou de dépistage ; et d’autre part, la capacité qu’auront les médecins, à partir de ces informations supplémentaires, de modifier dans un sens favorable les trajectoires de santé des individus - augmenter l’espérance de vie, réduire la morbidité… Il est cependant évident que la diffusion d’une innovation comme celle que constituent les tests génétiques, ne dépend pas exclusivement de leurs caractéristiques techniques et de leur apport potentiel à la pratique clinique. Des considérations extra-médicales, qualitatives, comme les questions éthiques et d’acceptabilité sociale, les contraintes économiques et les stratégies industrielles, interfèrent inévitablement avec l’étendue et les modalités de cette diffusion [ 5].

Dans une première partie de cet article, en nous appuyant sur l’exemple de la cancérologie, nous définissons les champs d’applications possibles des tests génétiques qui pourraient être réalisés, en distinguant les circonstances où ces analyses seraient proposées. Nous discutons dans une deuxième et troisième partie les critères médico-scientifiques pouvant permettre de classer ces tests en fonction de leur utilité attendue, et les outils de régulation qui seraient mieux adaptés à un contrôle social efficace de leur diffusion.

Quels tests génétiques, dans quelles circonstances, pour quels objectifs ? une diversité d’applications

Pour comprendre la finalité et l’utilité attendues des tests génétiques en cancérologie, il convient de réaliser une première distinction entre les analyses des gènes de la personne, qui prédisent partiellement le futur de celle-ci, et les analyses des gènes de la tumeur, qui prédisent partiellement le futur de la tumeur.

L’histoire naturelle de la maladie cancéreuse permet de définir plusieurs moments où ces tests peuvent ou pourraient être réalisés.

Identifier les personnes à haut risque de cancer avant l’apparition de la maladie
Ces analyses génétiques sont réalisées à partir de prélèvements de cellules constitutionnelles, le plus souvent des lymphocytes sanguins. Il s’agit d’estimer le niveau de risque qu’une personne soit atteinte d’un cancer donné (sein, côlon, thyroïde…) avant un âge donné.

Pour justifier la réalisation de ces analyses, il faut connaître l’impact des stratégies de prise en charge de ces personnes à haut risque sur l’espérance de vie [ 6], la qualité de vie [ 7], voire le coût supplémentaire par année de vie sauvée [ 8]. Ces paramètres synthétisent au moins deux grandes catégories de données : le risque d’être atteint par la maladie et la capacité médicale à modifier l’histoire naturelle de celle-ci chez les personnes identifiées comme à risque, par l’amélioration de la surveillance et du dépistage précoce (mammographies, coloscopies, IRM de dépistage, etc.) et/ou par des interventions médicalisées de prévention (chirurgie prophylactique, chimioprévention).

Dépister précocement un cancer à son début chez des personnes asymptomatiques ou peu symptomatiques
La nature des prélèvements biologiques à partir desquels des tests génétiques visant cet objectif de dépistage ou de diagnostic précoces pourraient être réalisés est très variée. On peut citer les prises de sang proposées pour dépister le cancer de l’ovaire [ 9] ou de la prostate [ 10], l’analyse de selles pour le cancer du côlon [ 11], de liquide d’aspiration bronchique ou des crachats pour le cancer du poumon [ 12], d’urines pour le cancer de la vessie [ 13] voire de liquide séminal pour le cancer de la prostate [ 14]. Les analyses génétiques viennent ici souvent s’ajouter aux outils de dépistage déjà existants et leur place dans les stratégies optimales de dépistage et de diagnostic demande à être définie en tenant compte aussi de ces autres outils.
Améliorer la phase diagnostique
Dans le cas des cancers, le diagnostic positif demeure à ce jour toujours réalisé par un examen d’anatomo-pathologie. Des tests génétiques permettent néanmoins de mieux caractériser un cancer : c’est le cas classique des leucémies dont la classification bénéficie déjà des apports de la biologie moléculaire avec le remplacement de la classification French-American-British (FAB) des leucémies aiguës myéloïdes [ 15] par celle de l’Organisation Mondiale de la Santé [ 16] qui intègre les données génétiques en créant de véritable entités définies par la présence d’anomalies cytogénétiques ou moléculaires. Cette émergence de la biologie moléculaire comme outil de classification diagnostique concerne également certaines tumeurs solides telles que les gastrointestinal stromal tumors (GIST) dont la classification s’appuie désormais sur l’identification des gènes c-KIT et PDGFR (platelet-derived growth factor receptor)[ 17]. Certains auteurs défendent l’idée d’une systématisation des tests génétiques pour requalifier le diagnostic des cancers [ 18], et une telle approche a été récemment proposée dans le cas de la maladie de Burkitt [ 19].

Il est aussi envisageable que des tests génétiques contribuent à ce que l’on pourrait désigner comme un diagnostic étiologique visant à établir une causalité entre telle exposition à un facteur de risque et l’occurrence d’un cancer donné (ce qui serait particulièrement utile pour la reconnaissance de certains cancers d’origine professionnelle). Ce type d’approche a été développé autour du type de mutations de p53 observé dans certaines tumeurs [ 20], par exemple pour les cancers du foie (exposition à l’aflatoxine B1 et mutations au niveau du codon 249). D’autres gènes sont proposés en particulier pour le cancer du rein, où la fréquence des mutations somatiques observées serait dépendante des circonstances étiologiques [par exemple, la mutation C → T du nucléotide 454 du gène VHL (von Hippel-Lindau) serait associée à une exposition au trichloréthylène] [ 21].

Mieux choisir et mieux suivre la thérapeutique
La thérapeutique est le domaine d’application des tests génétiques qui connaît actuellement le développement le plus rapide en cancérologie [ 22]. L’évaluation du pronostic carcinologique peut désormais se fonder sur des corrélations génotype-phénotype [ 23] ou sur le profil génétique des tumeurs [ 24]. De manière plus directe, la prédiction d’une réponse thérapeutique peut désormais s’appuyer sur des analyses génétiques somatiques [ 25]. Ces analyses doivent être réalisées en début de traitement pour l’orienter, mais peuvent être répétées en raison de la possibilité d’acquisition secondaire d’un phénotype spécifique [ 26]. Des tests génétiques pourraient également être réalisés pour assurer le suivi du traitement et juger de son efficacité comme dans le cancer du sein [ 27].

Si le choix initial de la thérapeutique est fondé sur son efficacité attendue, il peut également dépendre de la prédiction d’effets secondaires plus ou moins importants [ 28]. Cette prédiction des effets secondaires peut être fondée sur des analyses génétiques constitutionnelles. Un exemple classique est celui de la toxicité de la 6-mercaptopurine utilisée dans le traitement des leucémies aiguës lymphoblastiques, avec des différences très importantes concernant le risque de complications selon le « terrain » génétique des personnes [ 29]. Plus récemment, la Food and Drug Administration américaine1 a approuvé l’utilisation de tests génétiques pour prédire les effets secondaires (et donc améliorer la sécurité d’administration) de l’Irinotecan utilisé dans la chimiothérapie du cancer du côlon [ 30].

À terme, on peut imaginer un recours aux tests génétiques à toutes les étapes de la prise en charge médicale d’un cancer donné, une même personne bénéficiant de différents tests à différents moments. Un test constitutionnel permettrait par exemple d’identifier un individu à risque élevé de cancer du côlon. Ce même individu pourrait se voir proposer régulièrement des tests de dépistage de ce cancer par une analyse des selles à la recherche de gènes mutés. En cas de découverte de cancer, les analyses génétiques de la tumeur permettraient d’orienter le traitement en y incluant des tests de pharmacogénétique prédisant les effets secondaires de certaines des molécules envisageables pour une chimiothérapie. On peut enfin envisager, pour ce patient virtuel, l’équivalent de tests de surveillance périodique à la recherche d’apparition ou de réapparition de micro-métastases.

Le marché potentiel des tests génétiques est donc considérable en cancérologie et leur diffusion peut incontestablement se réclamer d’un potentiel d’amélioration de la prise en charge, allant notamment dans le sens de son individualisation [ 31]. Pour autant, il n’est pas toujours de l’intérêt du patient, de celui du clinicien, ou plus largement de la santé publique et de la société de faire forcément tout ce qui est techniquement possible. Faire le tri, dans l’ensemble des techniques innovantes potentielles, entre celles dont la diffusion est globalement souhaitable et celles dont la diffusion devrait être limitée voire rejetée, constitue même, pour certains spécialistes de bioéthique, la question centrale du futur [ 32].

Quels critères pour juger de la validité des tests génétiques ? D’inévitables tensions

La méthode dite « ACCE »[ 33], initialement appliquée au diagnostic prénatal, consiste en une série de questions (44 en tout) qui sont censées permettre de porter un jugement sur l’utilité des tests. Ce modèle peut être considéré comme une approche séquentielle, comportant quatre phases :

  • Estimer la validité analytique (« A »).
  • Estimer la validité clinique (« C »).
  • Estimer l’utilité clinique (« C »).
  • Définir les question éthiques, légales et sociales (« E »).

La validité analytique consiste à se demander si le test mesure réellement ce qu’il est censé mesurer. Cette validité se mesure à deux niveaux différents : premièrement le test, en théorie, a-t-il une validité analytique (efficacy) et deuxièmement tous les laboratoires qui réalisent ces analyses ont-ils la même efficacité (effectiveness) ? Concernant ce dernier point, les procédures de contrôle de qualité peuvent donner la réponse à cette question mais peuvent révéler une complexité particulière en matière de standardisation des procédures en biologie moléculaire.

Concernant le premier point, Ioannidis et al. [ 34] avaient analysé la validité des études d’associations entre tests génétiques et incidence ou prévalence d’une pathologie. Il apparaissait que les résultats des premières études génétiques n’étaient que faiblement corrélés avec les études ultérieures. Plusieurs facteurs peuvent concourir à cette non reproductibilité des premiers résultats [ 35]. Les populations testées peuvent être différentes [ 36]. Les échantillons de patients à partir desquels les études sont réalisées ne sont pas toujours représentatifs. Une autre raison majeure du manque de fiabilité des études réside dans le nombre de gènes testés qui est supérieur au nombre de cas étudiés. Il existe donc un risque important de liens ou de classifications statistiques construites et ainsi non reproductibles [ 37].

La validité clinique consiste pour les différentes pathologies concernées à estimer les valeurs prédictives positives (probabilité d’être atteint d’un cancer du sein s’il existe une mutation BRCA1 par exemple) et négatives (probabilité d’être indemne de cancer du sein en cas d’absence de mutation). Par exemple, pour un test réalisé en population portant sur une femme sans antécédents familiaux significatifs de cancer du sein ou de l’ovaire, l’identification d’une mutation BRCA accroît la probabilité d’être atteint d’un cancer du sein d’une fourchette allant de 8% à 10% à un risque estimé entre 40 et 60 % (valeur prédictive positive). À l’inverse, en cas de test négatif, la probabilité d’être atteint passe de 8 %-10 % à une valeur située entre 7,9 % et 9,9 % (valeur prédictive négative). Un test positif (situation très rare de l’ordre de 1/500) modifie donc de manière importante l’estimation du niveau de risque, alors qu’un test négatif (situation de très loin la plus fréquente) n’a pratiquement aucun impact.

L’utilité clinique se distingue de la précédente en ce qu’elle s’interroge sur les modifications du risque que l’on peut espérer obtenir par des interventions d’amont (dépistage adapté, prévention, chirurgie prophylactique). Cet impact peut être mesuré par des indicateurs comme la modification de l’espérance de vie (qui en principe doit tenir compte des co-morbidités attendues dans la population cible).

L’importance de cet impact dépend de nombreux facteurs, à commencer par l’efficacité théorique (efficacy) des interventions comme l’on peut l’observer dans des conditions quasi idéales (expérience/expertise des intervenants, qualité du matériel, procédures de contrôle, motivation des personnes). Par la suite il convient d’évaluer l’efficacité réelle (effectiveness [ 38]) observée lors de la diffusion des tests en pratique courante. Mais, d’autres facteurs sont susceptibles d’influer : l’acceptabilité initiale par les populations cibles et leur adhésion à des procédures diagnostiques de surveillance qui s’étendent parfois sur toute une vie, l’accessibilité, les coûts (pour les patients comme pour les financeurs) et les risques iatrogènes induits.

Comment prendre en compte les dimensions économiques, sociales et culturelles de la diffusion des tests génétiques ? Le défi de la complexité

Des facteurs économiques et socioculturels interfèrent avec la diffusion des tests génétiques à tous les stades de leur mise en Ĺ“uvre.

Accès aux tests et à leurs résultats
Pour les tests génétiques somatiques réalisés sur des cellules tumorales, les conditions d’accès aux résultats et de respect du secret médical ne diffèrent pas de celles de n’importe quel outil diagnostic ou pronostic traditionnel. Il faut néanmoins informer les médecins cancérologues de l’utilité et des indications de ces tests.

En revanche, pour les test constitutionnels, le problème est plus complexe puisqu’il existe de sérieux enjeux en matière de confidentialité individuelle des données. Deux étapes doivent être franchies. Savoir que l’on est à risque d’être à risque nécessite la connaissance de l’histoire familiale, ou parfois de manière encore plus précise de l’existence d’une mutation délétère chez un des apparentés [ 39]. Ces transferts d’informations dans une famille soulèvent de nombreuses difficultés [ 40] et posent des problèmes éthiques et légaux [ 41]. Ce sujet est suffisamment important pour que le Code de Santé Publique prévoie, depuis le 6 août 2004 (article L1131-1), une nouvelle procédure dite « de l’information à caractère familial » qui permet à un patient d’informer sa famille d’un risque génétique par l’intermédiaire d’un tiers médical. Une fois l’information familiale connue par la personne (j’appartiens peut-être à une famille à risque), il faut qu’elle puisse être orientée vers des consultations d’oncogénétique. Grâce au financement obtenu depuis 2004 dans le cadre du Plan Cancer, celles-ci couvrent désormais l’ensemble du territoire français.

Acceptabilité individuelle de la réalisation des tests
Les taux d’acceptation des tests constitutionnels par les personnes concernées sont contrastés entre les pathologies et pour une même pathologie, entre les individus [ 42]. D’une manière générale, les études qui portent sur une acceptabilité déclarée dans des questionnaires, l’estiment très élevée [ 43]. Il convient néanmoins d’être extrêmement prudent quant à la généralisation de ces données, souvent obtenues aux États-Unis, dans d’autres contextes culturels ou économiques et surtout tenir compte des différences entre intention exprimée dans une enquête et comportement effectif d’acceptation et de réalisation des tests [ 44].
Impact psychologique de la réalisation des tests
Une récente métaanalyse des études sur l’impact psychologique des consultations d’oncogénétique aboutit à des conclusions très favorables. Elle note une augmentation des connaissances des consultants après réalisation des tests, sans effets psychologiques négatifs majeurs [ 45]. Cette conclusion doit cependant être nuancée car cette absence d’impact psychologique délétère est une notion statistique moyenne ne préjugeant pas de certaines situations individuelles parfois douloureuses, ni du fait que ces données reflètent pour l’essentiel les pratiques de centres spécialisées où existe, en parallèle de la consultation médicale, une prise en charge psychologique codifiée et significative.
Impact social et risques de discrimination
Face au développement rapide des tests génétiques, la législation française s’est déjà adaptée. La Loi 2002-303 du 4 mars 2002 l’exprime avec clarté : « nul ne peut faire l’objet de discriminations en raison de ses caractéristiques génétiques». La loi énonce également que les assurances « ne doivent pas tenir compte des résultats de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne… même si ceux-ci leur sont transmis par la personne concernée ou avec son accord ». L’argument du respect de la liberté des individus à faire état d’une absence de risque génétique pour négocier de meilleurs contrats (et de moindres primes d’assurance) n’a donc pas été considéré comme recevable par le législateur. Nous avions d’ailleurs montré, avec d’autres, qu’en l’état actuel des risques génétiques pouvant être identifiés précocement, cet argument n’avait guère de validité économique [ 46]. Pour autant, la diffusion d’un nombre croissant de tests de susceptibilité génétique ne peut manquer d’entretenir des représentations différentielles entre les personnes « normales » et les porteurs d’un risque génétique. Ces représentations sont susceptibles, ouvertement ou inconsciemment, d’alimenter des discriminations, ceci d’autant plus que les facteurs génétiques seraient plus fréquents dans certains groupes déjà vulnérables pour d’autres raisons (appartenance ethnique notamment). De même, si les apports dans le domaine thérapeutique des tests pharmaco-génomiques peuvent médicalement être considérés comme des informations diagnostiques comme les autres, permettant par exemple d’affiner la probabilité de réponse à telle chimiothérapie, il n’en découle pas forcément que ces informations soient neutres pour la subjectivité des patients concernés, notamment pour ceux qui seront classifiés comme mauvais répondeurs aux traitements a priori les plus performants et à l’inverse, ceux qui seraient bons répondeurs à des traitements standard moins intensifs qu’une partie de l’arsenal thérapeutique disponible.
Impact financier de la diffusion des tests
En retenant un coût moyen de 500 Euros par analyse de gène - le diagnostic d’un gène emblématique tel que BRCA1 est facturé environ 1000 Euros aujourd’hui - dans la perspective de 300 000 nouveaux cas de cancers par an, tester un seul gène (analyse constitutionnelle) par cancer coûterait 150 millions d’euros par an soit l’équivalent de la réalisation d’un million d’IRM thoraco-abdominales.

Pour les tests constitutionnels de prédisposition, il s’agit certes de réaliser le test une seule fois dans la vie des personnes. Néanmoins, cela équivaudrait chaque année à tester au moins 700 000 personnes, ce qui correspond au nombre annuel de naissances en France, qui arriveraient aux âges jugés opportuns pour la réalisation des différents tests. Même si l’on comptabilise les coûts à 10% seulement des prix actuels, les sommes mobilisées pour l’analyse de 300 gènes correspondraient à 2,8% du PIB français. Néanmoins, ces estimations pourraient rapidement évoluer si une baisse rapide des prix des tests intervient, certains analystes estimant possible la réalisation d’une analyse globale du génome d’un individu pour 1 000 $ d’ici 2016 [ 47].

En l’absence de mise en place de régulations et de guides de bonnes pratiques dans ce domaine, des compagnies commerciales offrent déjà une évaluation des risques individuels de maladie par réalisation d’un profil génétique2,. D’autres compagnies proposent des tests génétiques au prix de 800 $ par test pour le dépistage du cancer du côlon par analyse des selles malgré l’absence de preuve réelle d’un gain d’utilité par rapport aux autres techniques existantes3.

Conclusions

La diffusion des tests génétiques n’est plus une interrogation mais une certitude. Dans certains cas, l’impact sur l’augmentation de l’espérance de vie est déjà une réalité grâce à des traitements curatifs ou des interventions préventives adaptées comme les analyses des gènes BRCA (cancer du sein et de l’ovaire) [ 48], APC (polypose colique familiale)[ 49] ou MMR (cancers colorectaux)[ 50].

Cette diffusion, en cancérologie comme dans d’autres pathologies fréquentes, ne peut cependant pas être abandonnée à la seule logique du progrès technique et médical, et moins encore à celle des intérêts des firmes de biotechnologie qui interviennent, là encore légitimement, dans ce secteur. Il est urgent que s’instaure un véritable débat social et interdisciplinaire sur le sujet, afin qu’il en ressorte des mécanismes de régulation. Ceux-ci devront définir avec précision les indications appropriées de chacun des tests grâce à un double ciblage, populationnel d’une part définissant quels individus pourraient en bénéficier, à quels moments de leur existence et dans quelles circonstances, et des gènes d’intérêt, adaptés à la population testée, d’autre part.

Dans le rapport concernant les besoins en tests génétiques en cancérologie que l’un de nous avait remis au Ministre de la Santé en Septembre 2002, une des recommandations portait sur la mise en place d’indicateurs permettant de juger de la pertinence et de l’adéquation de la diffusion des tests constitutionnels. Il s’agissait du nombre de tests, du taux de détection, du nombre de consultations, du taux d’indication de biologie moléculaire, et du nombre de cancers cibles de ces tests.

D’autres indicateurs sont nécessaires pour juger de la qualité de l’offre de services dans ce domaine (des indicateurs sociodémographiques et de répartition géographique par exemple). Ces éléments permettent au moins d’accompagner la diffusion des tests à défaut de la prédire et d’alerter les autorités publiques en cas de dysfonctionnements : par exemple, le constat d’un taux de détection faible peut attirer l’attention sur une dérive des prescriptions.

La mise en place d’indicateurs de suivi de la diffusion des tests demeurera néanmoins insuffisante si elle ne s’accompagne pas d’un processus transparent, discuté avec tous les acteurs impliqués, itératif et possédant une procédure d’appel ou de contestation visant à définir leurs modalités d’utilisation et leur éventuelle inclusion dans le « panier » de biens et services de santé couvert pour remboursement par les systèmes d’assurance-maladie.

 
Footnotes

Article reçu le 14 février 2006, accepté le 11 janvier 2007.

 
Footnotes
References
1.
Collins FS. Shattuck lecture: medical and societal consequences of the Human Genome Project. N Engl J Med 1999; 341 : 28–37.
2.
Khoury MJ, McCabe LL, McCabe ER. Population screening in the age of genomic medicine. N Engl J Med 2003; 348 : 50–8.
3.
Holtzman NA, Marteau TM. Will genetics revolutionize medicine ? N Engl J Med 2000; 343 : 141–4.
4.
Eden P, Ritz C, Rose C, et al. «Good Old »clinical markers have similar power in breast cancer prognosis as microarray gene expression profilers. Eur J Cancer 2004; 40 : 1837–41.
5.
Moatti JP, Chanut C, Benech JM. Researcher-driven versus policy-driven economic appraisal of health technologies: the case of France. Soc Sci Med 1994; 38 : 1625–33.
6.
Schrag D, Kuntz KM, Garber JE, Weeks JC. Life expectancy gains from cancer prevention strategies for women with breast cancer and BRCA1 or BRCA2 mutations. JAMA 2000; 283 : 617–24.
7.
Tengs TO, Winer EP, Paddock S, et al. Testing for the BRCA1 and BRCA2 breast-ovarian cancer susceptibility genes: a decision analysis. Med Decis Making 1998; 18 : 365–75.
8.
Kievit W, de Bruin JH, Adang EM, et al. Cost effectiveness of a new strategy to identify HNPCC patients. Gut 2005; 54 : 97–102.
9.
Petricoin EF, Ardekani AM, Hitt BA, et al. Use of proteomic patterns in serum to identify ovarian cancer. Lancet 2002; 359 : 572–7.
10.
Petricoin EF 3rd, Ornstein DK, Paweletz CP, et al. Serum proteomic patterns for detection of prostate cancer. J Natl Cancer Inst 2002; 94 : 1576–8.
11.
Davies RJ, Miller R, Coleman N. Colorectal cancer screening: prospects for molecular stool analysis. Nat Rev Cancer 2005; 5 : 199–209.
12.
Destro A, Bianchi P, Alloisio M, et al. K-ras and p16(INK4A)alterations in sputum of NSCLC patients and in heavy asymptomatic chronic smokers. Lung Cancer 2004; 44 : 23–32.
13.
Dulaimi E, Uzzo RG, Greenberg RE, et al. Detection of bladder cancer in urine by a tumor suppressor gene hypermethylation panel. Clin Cancer Res 2004; 10 : 1887–93.
14.
Crocitto LE, Korns D, Kretzner L, et al. Prostate cancer molecular markers GSTP1 and hTERT in expressed prostatic secretions as predictors of biopsy results. Urology 2004; 64 : 821–5.
15.
Bennett JM, Catovsky D, Daniel MT, et al. Proposals for the classification of the acute leukaemias. French-American-British (FAB) co-operative group. Br J Haematol 1976; 451–8.
16.
Harris NL, Jaffe ES, Diebold J, et al. World Health Organization classification of neoplastic diseases of the hematopoietic and lymphoid tissues: report of the Clinical Advisory Committee meeting-Airlie House, Virginia, November 1997. J Clin Oncol 1999; 17 : 3835–49.
17.
Tornillo L, Terracciano LM. An update on molecular genetics of gastrointestinal stromal tumours. J Clin Pathol 2006; 59 : 557–63.
18.
Golub TR, Slonim DK, Tamayo P, et al. Molecular classification of cancer: class discovery and class prediction by gene expression monitoring. Science 1999; 286 : 531–7.
19.
Harris NL, Horning SJ. Burkitt’s lymphoma--the message from microarrays. N Engl J Med 2006; 354 : 2495–8.
20.
Olivier M, Hussain SP, Caron de Fromentel C, et al. TP53 mutation spectra and load: a tool for generating hypotheses on the etiology of cancer. IARC Sci Publ 2004; 247–70.
21.
Brauch H, Weirich G, Hornauer MA, et al. Trichloroethylene exposure and specific somatic mutations in patients with renal cell carcinoma. J Natl Cancer Inst 1999; 91 : 854–61.
22.
Ntzani EE, Ioannidis JP. Predictive ability of DNA microarrays for cancer outcomes and correlates: an empirical assessment. Lancet 2003; 362 : 1439–44.
23.
Baser ME, Kuramoto L, Woods R, et al. The location of constitutional neurofibromatosis 2 (NF2) splice site mutations is associated with the severity of NF2. J Med Genet 2005; 42 : 540–6.
24.
Bertucci F, Houlgatte R, Granjeaud S, et al. Prognosis of breast cancer and gene expression profiling using DNA arrays. Ann NY Acad Sci 2002; 975 : 217–31.
25.
Slamon DJ, Leyland-Jones B, Shak S, et al. Use of chemotherapy plus a monoclonal antibody against HER2 for metastatic breast cancer that overexpresses HER2. N Engl J Med 2001; 344 : 783–92.
26.
Meng S, Tripathy D, Shete S, et al. HER-2 gene amplification can be acquired as breast cancer progresses. Proc Natl Acad Sci USA 2004; 101 : 9393–8.
27.
Esteva FJ, Valero V, Booser D, et al. Phase II study of weekly docetaxel and trastuzumab for patients with HER-2-overexpressing metastatic breast cancer. J Clin Oncol 2002; 20 : 1800–8.
28.
Dervieux T, Meshkin B, Neri B. Pharmacogenetic testing: proofs of principle and pharmacoeconomic implications. Mutat Res 2005; 573 : 180–94.
29.
Relling MV, Hancock ML, Rivera GK, et al. Mercaptopurine therapy intolerance and heterozygosity at the thiopurine S-methyltransferase gene locus. J Natl Cancer Inst 1999; 91 : 2001–8.
30.
Mathijssen RH, de Jong FA, van Schaik RH, et al. Prediction of irinotecan pharmacokinetics by use of cytochrome P450 3A4 phenotyping probes. J Natl Cancer Inst 2004; 96 : 1585–92.
31.
Bernard-Marty C, Cardoso F, Sotiriou C, Piccart MJ. Vers une individualisation du traitement systémique du cancer du sein. Bull Cancer 2006; 93 : 791–7.
32.
Warnock M. Some moral problems in medicine. Health Econ 1994; 3 : 297–300.
33.
Haddow J, Palomaki G. ACCE: a modelprocess for evaluating data on emerging genetic tests. In: Khoury M, Little J, Burke W, eds. Human genome epidemiology. New York : Oxford University Press ; 2004 : 217–233.
34.
Ioannidis JP, Ntzani EE, Trikalinos TA, Contopoulos-Ioannidis DG. Replication validity of genetic association studies. Nat Genet 2001; 306–9.
35.
Simon R. Development and validation of therapeutically relevant multi-gene biomarker classifiers. J Natl Cancer Inst 2005; 97 : 866–7.
36.
Camargo MC, Mera R, Correa P, et al. Interleukin-1beta and interleukin-1 receptor antagonist gene polymorphisms and gastric cancer: a meta-analysis. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2006; 15 : 1674–87.
37.
Simon R, Radmacher MD, Dobbin K, McShane LM. Pitfalls in the use of DNA microarray data for diagnostic and prognostic classification. J Natl Cancer Inst 2003; 95 : 14–8.
38.
Harris R. Effectiveness: the next question for breast cancer screening. J Natl Cancer Inst 2005; 97 : 1021–3.
39.
Lerman C, Hughes C, Lemon SJ, et al. What you don’t know can hurt you: adverse psychologic effects in members of BRCA1-linked and BRCA2-linked families who decline genetic testing. J Clin Oncol 1998; 16 : 1650–4.
40.
Julian-Reynier C, Eisinger F, Chabal F, et al. Disclosure to the family of breast/ovarian cancer genetic test results: Patient’s willingness and associated factors. Am J Med Genet 2000; 94 : 13–8.
41.
Deftos LJ. The evolving duty to disclose the presence of genetic disease to relatives. Acad Med 1998; 73 : 962–8.
42.
Keogh LA, Southey MC, Maskiell J, et al. Uptake of offer to receive genetic information about BRCA1 and BRCA2 mutations in an Australian population-based study. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2004; 13 : 2258–63.
43.
Porteous M, Dunckley M, Appleton S, et al. Is it acceptable to approach colorectal cancer patients at diagnosis to discuss genetic testing ? A pilot study. Br J Cancer 2003; 89 : 1400–2.
44.
Keller M, Jost R, Kadmon M, et al. Acceptance of and attitude toward genetic testing for hereditary nonpolyposis colorectal cancer: a comparison of participants and nonparticipants in genetic counseling. Dis Colon Rectum 2004; 47 : 153–62.
45.
Braithwaite D, Emery J, Walter F, et al. Psychological impact of genetic counseling for familial cancer: a systematic review and meta-analysis. J Natl Cancer Inst 2004; 96 : 122–33.
46.
Hoy M, Orsi F, Eisinger F, Moatti J. The Impact of genetic testing on Healthcare Insurance. The Geneva Papers on Risk and Insurance 2003; 203–21.
47.
Smith C. Genomics: getting down to details. Nature 2005; 435 : 991–4.
48.
Schrag D, Kuntz KM, Garber JE, Weeks JC. Decision analysis-effects of prophylactic mastectomy and oophorectomy on life expectancy among women with BRCA1 or BRCA2 mutations. N Engl J Med 1997; 336 : 1465–71.
49.
Heiskanen I, Luostarinen T, Jarvinen HJ. Impact of screening examinations on survival in familial adenomatous polyposis. Scand J Gastroenterol 2000; 35 : 1284–7.
50.
Jarvinen HJ, Aarnio M, Mustonen H, et al. Controlled 15-year trial on screening for colorectal cancer in families with hereditary nonpolyposis colorectal cancer. Gastroenterology 2000; 118 : 829–34.