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Med Sci (Paris). 2007 June; 23(6-7): 667–670.
Published online 2007 June 15. doi: 10.1051/medsci/20072367667.

Reprogrammation nucléaire d'une cellule différenciée
On efface tout et on recommence

Laure Coulombel1*

1Médecine/Sciences et Inserm U602, Hôpital Paul Brousse, 94817 Villejuif Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Embryon de mammifère, Érythroblastes, Fibroblastes, Souris, Cellule souche pluripotente, Recherche, Transcription génétique

 

La communauté scientifique, récemment échaudée, avait accueilli avec prudence l’annonce par une équipe japonaise dans Cell en août 2006, d’une possible reprogrammation, chez la souris, de cellules somatiques adultes en cellules ayant certaines des caractéristiques de cellules souches embryonnaires (dénommées iPS, induced pluripotent stem) par l'expression forcée de 4 facteurs de transcription [ 1, 2]. La confirmation éclatante de ces données par deux équipes de Harvard (États-Unis), celle de R. Jaenisch [ 3], et celle de K. Hochedlinger [ 4], vient d’être publiée dans Nature, dans le premier numéro de Cell Stem Cell, un nouveau journal édité par CellPress ; un second article de l’équipe japonaise de S. Yamanaka les accompagne dans Nature également [ 5]. On peut donc maintenant donner libre cours à notre enthousiasme, car cette découverte fera date et les conséquences sur le plan conceptuel et médical seront sans doute considérables s’il s’avère que les observations peuvent être dupliquées chez l’homme.

La nouveauté ne réside pas dans la possibilité de conférer à un noyau différencié, et donc restreint dans la palette de gènes exprimés, l’organisation épigénomique et les compétences d’un noyau pluripotent, mais dans la simplicité de cette démarche. On sait le faire par transfert nucléaire d’un noyau somatique dans un ovocyte énucléé [ 6, 7], ou par la fusion d’une cellule somatique avec une cellule embryonnaire, comme l’ont montré plus récemment les équipes de K. Eggan [ 8] ou A. Smith [ 9], qui, en 2005, prédisaient déjà la simplification du processus de reprogrammation de noyaux somatiques vers un état embryonnaire pluripotent. Mais ici, noyau et cytoplasme proviennent de la même cellule.

Quatre petits facteurs de transcription et puis s’en vont…

K. Takahashi et S. Yamanaka, dans leur article d’août 2006 [1], avaient testé de multiples combinaisons de facteurs pour finalement déterminer que l’expression de 4 ADNc codant pour quatre facteurs de transcription, Sox2, oct-4, c-myc et klf4 - les 2 premiers sont indispensables au maintien d’un état pluripotent - conférait à des fibroblastes embryonnaires de souris (MEF) mais aussi à des fibroblastes de la queue de souris (TTF) adulte quelques unes des propriétés de cellules souches embryonnaires. Mais ces cellules iPS étaient un peu « bâtardes  » : les profils transcriptionnel et de méthylation différaient de ceux de cellules ES établies, et la contribution des iPS au développement embryonnaire après leur transfert dans un blastocyste secondairement réimplanté, était très limitée [1].

En moins d’un an, ces restrictions ont été résolues…

Si les quatre facteurs de transcription sont toujours les mêmes (et le quatuor est indissociable), la procédure de sélection des cellules iPS a été affinée : elles est fondée sur l’expression d’un gène rapporteur placé sous le contrôle des promoteurs des gènes endogènes Oct-4 ou Nanog [3, 4], normalement éteints dans les fibroblastes, et dont la réactivation est le meilleur témoin d’une reprogrammation de type embryonnaire, puisque Oct-4, nanog et Sox2 représentent la « triade  » nécessaire à l’état pluripotent, in vivo comme in vitro. La stratégie initiale des Japonais en 2006 consistait à utiliser l’expression du gène fbx15, certes une cible de oct-4, mais dont l’expression n’est pas nécessaire au maintien de l’état pluripotent des cellules souches. Ce choix explique probablement qu’aient été sélectionnées des cellules iPS probablement non pluripotentes [1].

Le fabuleux destin d’un banal fibroblaste de la queue de souris

Parmi les MEF ayant intégré les quatre transgènes (50 %), l’efficacité de reprogrammation en cellules iPS est de l’ordre de 0,05 %, et le processus prend 3 semaines. Les cellules iPS prolifèrent sous forme de colonies compactes, comme le font les cellules ES, et, comme elles, requièrent l’ajout de LIF (leukemia inhibiting factor), mais peuvent se passer de sous-couches fibroblastiques.

Injectées sous la peau de souris immunodéficientes, les cellules iPS forment des tératomes, contenant les dérivés des trois feuillets embryonnaires, ce qui indique leur pluripotence, et manifestement, la différenciation mésodermique et ectodermique des iPS peut être induite in vitro, mais, dans les 3 articles, l’accent est surtout mis sur les expériences in vivo. En effet, la preuve irréfutable de la pluripotence de cellules ES est la démonstration de leur participation in vivo à l’ensemble des tissus au cours du développement embryonnaire après leur injection dans un blastocyste ensuite réimplanté dans un utérus gravide. Les cellules iPS ont cette capacité : 7 sur 15-20 clones pour les japonais, environ 10 % des blastocystes injectés (n = 365) pour les Américains, donnent naissance à des animaux chimères viables, le taux de chimérisme variant de 5 à 70 %. Une contribution à la lignée germinale a aussi été prouvée car, après accouplement de certains des mâles chimériques F1 à des femelles normales, la présence du génotype Oct-4- ou Nanog-iPS a été trouvée dans la proportion attendue des embryons ou des souriceaux F2 prouvant la différenciation des cellules iPS en cellules germinales fonctionnelles. L’agrégation de cellules iPS à des embryons tétraploïdes (test plus rigoureux car ces embryons tétraploïdes ne participent qu’à la formation des annexes, et l’embryon dérive entièrement des cellules iPS agrégées) a également abouti à la production d’embryons viables issus de cellules iPS.

On peut donc conclure que, sur des critères phénotypiques et fonctionnels rigoureux, les cellules iPS, issues de cellules différenciées fibroblastiques, ont acquis tous les attributs d’un état pluripotent. L’analyse transcriptionnelle élargie par microarray confirme aussi la proximité entre cellules ES et iPS, et les divergences profondes de ces deux types cellulaires avec les cellules fibroblastiques MEF ou TTF d’origine.

Il est intéressant de mentionner que dans ces cellules iPS, ce sont les seuls gènes Oct4 et Nanog qui assurent la pérennisation de l’état pluripotent. En effet, on sait depuis 20 ans que les régions enhancer du rétrovirus Moloney utilisé pour la transduction des ADNc, ne fonctionnent pas dans les cellules embryonnaires, contrairement aux cellules somatiques adultes. De fait, l’activité des LTR virales s’éteint rapidement lors de la reprogrammation des fibroblastes en iPS, ce qui indique que l’induction du processus de reprogrammation ne requiert que transitoirement l’expression des 4 facteurs exogènes, le relais étant rapidement pris par l’expression endogène de Oct4 et Nanog.

À vos marques… épigénétiques

L’extinction des LTR virales suggérait l’expression de novo de méthylases par les iPS, et donc la capacité de ces iPS de modifier leur environnement épigénétique. Le passage d’un programme nucléaire somatique - de potentialité restreinte - à un programme embryonnaire - pluripotent - implique une modification de la méthylation de l'ADN ainsi que l’effacement des modifications des molécules d’histone associées à l’état différencié et l’acquisition d’un état dynamique de la chromatine caractéristique de l’état pluripotent [ 10]. On peut détecter ces modifications en analysant le profil de méthylation de l’ADN, celui des lysines K4 et K27 des histones H3 associées aux gènes cibles clé, l’état d’activation des gènes soumis à l’empreinte parentale, et la réactivation du chromosome X inactif dans les cellules femelles. La fusion avec des cellules ES peut conduire à la réactivation de gènes comme Oct4, et du chromosome X inactif, mais elle ne permet pas celle des gènes soumis à l’empreinte (H19, meist, peg3, snrp) - ce processus requiert une fusion avec des cellules EG (embryonic gonad) derivées des cellules germinales primordiales (PGC). Les cellules iPS se comportent comme des cellules ES et non pas comme des cellules EG, et gardent l’empreinte parentale somatique.

L’analyse initiale des cellules fbx15-iPS montrait une reprogrammation épigénétique incomplète et anarchique : ainsi, les promoteurs des gènes Oct4 et Nanog endogènes n’étaient que partiellement déméthylés. Mais ce n’est plus le cas des promoteurs Oct-4 et Nanog des iPS décrites dans les deux articles de Nature et celui de Cell Stem Cell, qui sont complètement déméthylés, en accord avec un profil typique de cellules ES. Ces cellules résistent, comme le font les cellules ES, et à la différence des cellules différenciées, à une inactivation de l’enzyme dnmt1 ADN-méthyltransférase.

Les modifications de la structure chromatinienne des noyaux de cellules ES ont été récemment décrites, et nous en avons fait état dans Médecine/Sciences [ 1113]. Une des particularités est la juxtaposition, sur certains nucléosomes, de marques chromatiniennes d’activation (triméthylation de la lysine 4 de l’histone H3, H3K4me3) et de répression (H3K27me3) au niveau des gènes cibles de Oct4 et Nanog, alors que dans les cellules somatiques différenciées, l’une ou l’autre de ces marques est présente selon que le gène est actif ou réprimé. Les expériences de ChIP à partir des cellules iPS montrent que les gènes cibles de oct4 et nanog portent les modifications bivalentes des histones H3.

Dernier argument confirmant l’acquisition d’un état épigénétique « embryonnaire  » des iPS, les deux chromosomes X sont actifs, comme en témoigne l’expression bi-allélique de gènes liés à l’X, et la régulation appropriée des trois ARN non codants contrôlant réciproquement l’inactivation/activation de l’X : une expression de Tsix, et l’absence de Xist et Xite [ 14]. L’induction par l’acide rétinoïque de la différenciation des iPS, qui leur fait perdre le statut pluripotent, comme elle le fait pour les cellules ES, induit une inactivation d’un des chromosomes X, couvert par Xist et enrichi en zones méthylées. L’utilisation d’un transgène rapporteur lié à l’X (X-GFP) a permis en outre de démontrer le caractère aléatoire de cette inactivation. Ainsi, les iPS semblent enclencher un processus normal de mise en place d’inactivation de l’X, un événement qui, normalement, n’a pas lieu en dehors du développement.

Et maintenant ?

Ces articles confirment l’extraordinaire capacité d’être reprogrammés des noyaux de nos cellules somatiques : finalement quatre gènes avec des rôles de type « facteur de transcription  » ont la capacité de remettre en place un programme pluripotentiel, et la reprogrammation via la perte et le gain des marques épigénétiques appropriées accompagne ce processus d’activation génique. Ce quatuor de transgènes n’est requis que très transitoirement, les cellules iPS pérennisant de façon autonome leur état pluripotent. Selon toute probabilité, l’on pourra donc se dispenser à l’avenir de vecteurs rétroviraux, et leur substituer soit des adénovirus, qui seront ensuite dilués avec les divisions, soit peut-être des petites molécules activant les gènes clés endogènes, ce qui serait souhaitable dans une perspective médicale. Même si l’expression virale est éteinte dans les cellules iPS, c-Myc est réactivé et induit des tumeurs dans les cellules différenciées de 10 % des animaux chimériques F1 [4]. Des deux obstacles à l’utilisation thérapeutique des cellules ES, incompatibilité immunologique et risque tumoral, seul le second subsisterait dans le cas des cellules iPS. Mais peut-être n’est-il pas nécessaire de refaire tout le chemin jusqu’aux cellules embryonnaires et une reprogrammation en progéniteurs spécifiques d’un tissu pourrait-elle être envisagée ?

Tout n’est pas résolu, la stabilité génétique, épigénétique et fonctionnelle à long terme de ces cellules n’est pas connue, et sur un plan plus fondamental, le mystère demeure quant à la nature de la cellule cible initiale et aux mécanismes précis de cette reprogrammation. Existe-t-il d'autres combinaisons de gènes encore plus appropriées. Toute cellule différenciée a-t-elle ce potentiel ? Si c’est le cas, l’on devrait espérer améliorer l’efficacité du processus. La cellule ciblée par cette reprogrammation est-elle une cellule souche ? Peut-on alors oser l’hypothèse que les cellules souches adultes décrites sous différents vocables (MAPC, etc.), et dont l’existence est incertaine, seraient l’équivalent spontané de ce processus ? Nous ne sommes encore que chez la souris… mais peut-être pas pour très longtemps. Onze ans après Dolly, ces observations fascinantes sont probablement un milestone aussi important.

 
Acknowledgments

Je remercie Edith Heard, Pierre-Antoine Desfossez, Xavier Vignon et Pierre Savatier pour leur relecture critique et pour leurs suggestions qui ont permis l'amélioration de ce texte.

References
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