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Med Sci (Paris). 2007 August; 23(8-9): 765–767.
Published online 2007 August 15. doi: 10.1051/medsci/20072389765.

À propos des inégalités sociales dans le dépistage prénatal et la naissance d’enfants trisomiques 21

Simone Gilgenkrantz*

Médecine/Sciences, 9, rue Basse, 54330 Clérey-sur-Brénon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Avortement provoqué, Syndrome de Down, Économie, Femelle, France, Humains, Âge maternel, Grossesse, Échographie prénatale

 

La prévalence de la trisomie 21 est identique dans les différentes ethnies et quel que soit le statut socio-économique des populations. Dans de nombreux pays, et depuis plusieurs décennies, un suivi de la grossesse est assuré par échographie et dosage des marqueurs sériques. En cas de prévision de risque augmenté, soit en raison de l’âge de la mère (> à 38 ans), d’anomalies échographiques, ou de modifications des marqueurs sériques, une amniocentèse, ou parfois, de façon plus précoce, un prélèvement de villosités choriales est proposé afin de réaliser le caryotype de l’enfant à naître. En cas de trisomie 21 avérée par l’établissement du caryotype dans le liquide amniotique ou les villosités, et après entretien avec la future mère ou le couple, la décision d’interrompre la grossesse peut être envisagée.

Le CCNE (Comité consultatif national d’éthique des sciences de la vie et de la santé) a récemment insisté sur le fait que l’interruption de grossesse ne constituait à ses yeux qu’une option et devait donner lieu au choix individuel de chaque femme.

En France, en raison du suivi échographique (en particulier par la mesure de l’épaisseur ou de la clarté nucale) et grâce aux dosages sériques, 80 % des fÅ“tus trisomiques 21 devraient être dépistés.

L’équipe de Babak Khoshnood (Inserm U149) avait étudié l’impact de ce suivi prénatal, pris en charge par la sécurité sociale, dans la population française de 1981 à 2000 [ 1]. Elle avait aussi déjà réalisé une analyse comparative sur les différences ethniques [ 2], ainsi que sur les barrières socio-économiques intervenant dans les décisions de diagnostic prénatal [ 3].

Dans le nouveau travail qui vient d’être publié, cette équipe a recueilli les données du registre parisien des malformations congénitales incluant 1 433 cas de trisomie 21 sur la période 1983-2002 [ 4]. Ce registre se conforme à la méthodologie d’EUROCAT (European Network of Registries for Congenital Malformations).

Les chercheurs ont tenté de recenser la situation socio-économique des femmes en se basant sur leur profession et leur origine géographique. Toutefois, l’interdiction en France, depuis 1978, contrôlée par la CNIL (commission informatique et liberté), de recueillir l’origine ethnique et les croyances religieuses des personnes, rend difficile l’identification de certains groupes ethniques parmi les populations immigrées ou sans papiers1. Les catégories établies par l’INSEE ont été utilisées (Tableau I) ainsi que les origines géographiques classées en : France, Afrique de Nord, Afrique, autres. Un groupe témoin de 4 500 femmes a été sélectionné parmi des femmes enceintes ayant des grossesses avec anomalies isolées (en excluant certaines malformations dont la prévalence est modifiée par la situation socio-économique, comme les anomalies du tube neural entre autres). Les renseignements concernant la profession et l’origine géographique n’ont pu être obtenus, respectivement, pour 7,4 % et 3,7 % des femmes : celles-ci ont été exclues de l’étude. Dans 5 cas de naissance d’enfant avec trisomie 21, les renseignements concernant le diagnostic prénatal étaient absents, et dans 24 cas (2,4 %) où le diagnostic prénatal de trisomie 21 avait été posé, aucun renseignement sur la suite donnée à la grossesse n’a pu être trouvé : ces cas ont aussi été exclus de l’étude. Enfin, en raison de l’âge plus tardif des grossesses chez les femmes ayant des professions élevées, des ajustements ont dû être faits dans les analyses statistiques (Tableau II).

Toutes ces femmes ont été suivies dans des maternités de la ville de Paris et résidant à Paris et dans la Petite Couronne (départements 75, 92, 93 et 94), donc des communes immédiatement limitrophes de Paris, comme Saint-Denis ou Neuilly-sur-Seine. Ce choix, correspondant à des populations très « contrastées » au niveau socioculturel, permet d’étudier un ensemble très divers.

Résultats

Pendant cette période de 1983 à 2002, qui correspond à environ 38 000 naissances par an, 70 % des cas de trisomie 21 ont été dépistés en diagnostic prénatal, mais ce taux chute à 57 % pour le groupe des femmes sans emploi, et à 55 % pour celles originaires d’Afrique.

Quand le diagnostic de trisomie 21 a été posé et que les femmes, ou les couples, ont été informés, la décision de poursuivre malgré tout la grossesse a été prise dans 5,5 % des cas en moyenne.

Mais si l’on prend le groupe des femmes originaires d’Afrique, la grossesse est poursuivie jusqu’à la naissance dans 15 à 21 % des cas, et dans le groupe des femmes sans emploi, la poursuite de la grossesse après examen prénatal de trisomie 21 avérée est de 11,4 %.

Cette étude française met clairement en évidence les disparités socioculturelles dans le dépistage et la naissance d’enfants trisomiques 21. Elle mérite cependant d’être examinée attentivement car elle soulève de nombreuses interrogations.

Bien que la grossesse soit un événement naturel, la technologie médicale qui l’entoure en France est de plus en plus sophistiquée. Elle permet de dépister de nombreuses anomalies, chromosomiques ou malformatives et suscite de la part de nombreuses femmes certaines inquiétudes : la grossesse est désormais très médicalisée.

Or, cette médicalisation est diversement perçue selon le niveau culturel et les origines géographiques. Pour des femmes d’autres cultures et vivant en France depuis peu de temps, cette prise en charge n’est pas forcément considérée comme nécessaire.

La région parisienne étudiée, en incluant la petite couronne, a l’avantage de comprendre un échantillonnage de populations de niveaux socioculturels très divers, et qui ont peu de contact les unes avec les autres.

L’absence de diagnostic prénatal ou le refus de recourir à une interruption de grossesse relève-t-il d’interdits culturels ou religieux ? La perception de l’enfant trisomique 21 est différente selon les cultures.

Les entretiens menés par les gynécologues, les échographistes et les généticiens au moment de l’annonce de l’augmentation du risque et après le diagnostic chromosomique attestant la présence d’une trisomie 21 ont-ils été suffisamment clairs pour avoir la certitude que le consentement éclairé, signé par la femme, corresponde à une véritable compréhension du choix proposé ? Les mères de famille nombreuse, originaires d’Afrique ou d’Afrique de Nord, vivant depuis longtemps en France et ayant déjà de grands enfants, en particulier des filles, reçoivent de ceux-ci des explications qui les aident à prendre leur décision. En revanche, ces démarches peuvent ne pas être comprises ou jugées nécessaires par des personnes venant d’arriver, parfois sans papiers. Il peut en être de même pour des personnes de ces pays, dans le cas d’une grossesse déjà avancée et identifiée comme telle par le mari et la famille : la décision d’une interruption peut être considérée comme inacceptable, selon leurs normes culturelles et religieuses.

Le suivi prénatal doit être donc initialement compris par la femme ou le couple avant d’être entrepris. Dans le cas contraire, est-il vraiment utile de le pratiquer ? Mais alors comment effectuer cette sélection, sans avoir le sentiment de faire une discrimination en matière de prise en charge des femmes enceintes ?

Comme on pouvait s’y attendre, les résultats de cette étude ont été rapportés dans la grande presse. Mais, selon les positions idéologiques des journalistes, ils sont interprétés de façon très diverse.

Ainsi pouvait-on lire dans un grand quotidien cet exemple, choisi par le journaliste afin de rendre plus vivant et faciliter à ses lecteurs le compte rendu de cette enquête :

« Il a fallu plusieurs jours, dans cet hôpital de la région parisienne, avant que l’on se rende compte que le bébé de Mme B., originaire d’Afrique du Nord et âgée de 43 ans, était atteint d’une trisomie 21. Le père de l’enfant, « fou de rage » à l’idée que sa femme ait été mal surveillée, prend rendez-vous avec les médecins pour découvrir qu’effectivement une amniocentèse systématique du fait de son âge lui a été proposée pendant la grossesse, qu’une date a même été fixée, mais que son épouse ne s’y est pas rendue et n’est revenue à la maternité que pour l’accouchement. L’hôpital n’est pas responsable du fait que cette femme, « parlant mal le français et ne mesurant pas tous les enjeux de cet examen », n’a pas bénéficié du dépistage de la trisomie 21. Ce n’est pas par choix qu’elle ne l’a pas effectué, mais par manque d’informations adaptées ».

Or, la pratique du diagnostic prénatal auprès de populations originaires d’Afrique ou d’Afrique de Nord, si elle est ressentie avec indifférence, réticence ou incompréhension, n’implique pas souvent une récrimination ultérieure de la part du mari ou des familles. Cet exemple, choisi seul, s’il reflète une réalité, donne une image biaisée, incomplète et simpliste du problème.

Conclusions

Les auteurs de l’étude ont raison de souligner le fait que ces avancées technologiques aggravent les disparités selon les milieux socioculturels. Ils s’interrogent sur la manière d’évaluer le nombre de « décisions éclairées » et la conduite à adopter pour prévenir dans le futur celles qui résultent d’une méconnaissance ou d’une incompréhension des informations.

Il serait intéressant de faire une comparaison avec d’autres études européennes ou américaines. Enfin, la région parisienne ne reflète pas toute la France. Qu’en est-il en milieu rural, dans des régions de « déserts médicaux » ? On ignore aussi les résultats dans les grandes villes de province, où les populations immigrées sont moins nombreuse et moins regroupées et où, par conséquent, le repli communautaire est moins important.

 
Footnotes
1 Les personnes sans papiers, et qui ont séjourné en France pendant 3 mois - à condition d’en avoir fait la preuve - bénéficient de l’AME (aide médicale d’État), leur permettant d’avoir une couverture sociale incluant un suivi de grossesse.
References
1.
Khoshnood B, De Vigan C, Vodovar V, et al. A population-based evaluation of the impact of anteantal screening for Down syndrome in France. Br J Obstet Gynaecol 2004 : 111 : 485–90.
2.
Khoshnood B, Pryde P, Wall S, et al. Ethnic differences in the impact of advanced maternal age on birth prevalence of Down syndromes. Am J Publ Health 2000; 90 : 1778–81.
3.
Khoshnood B, Blondel B, De Vigan C, Bréart G. Socioeconomic barriers to informed decisionmaking regarding maternal screening serum for Down syndrome: results of the French national perinatal survey of 1998. Am J Publ Health 2004; 94 : 484–91.
4.
Khoshnood B, De Vigan C, Vodovar V, et al. Advances in medical technology and creation of disparities: the case of Down syndrome. Am J Publ Health 2006; 96 : 1–12.