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Med Sci (Paris). 2008 October; 24(10): 790–791.
Published online 2008 October 15. doi: 10.1051/medsci/20082410790.

Cil primaire et développement cérébral

Nathalie Spassky* and Andrea Aguilar

Inserm U711, Batiment Pharmacie, 5e étage, Hôpital Pitié-Salpêtrière, 47 boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Cervelet, Cils vibratiles, Régulation de l'expression des gènes au cours du développement, Protéines Hedgehog, Hippocampe, Souris, Souris knockout, Modèles biologiques, Cellules souches multipotentes, Neurogenèse, Névroglie, Neurones, Récepteurs de surface cellulaire, Récepteurs couplés aux protéines G, Protéines de répression, Vertébrés

 

Les cellules souches neurales sont des cellules indifférenciées que l’on trouve dans le cerveau tout au long de la vie. Elles se caractérisent par leur capacité d’autorenouvellement et par leur multipotence (elles sont capables de se différencier en neurones et en cellules gliales). Elles sont localisées à proximité des ventricules cérébraux, elles sont de type astroglial (glie radiaire chez l’embryon et astrocyte chez l’adulte) et elles émettent un cil primaire [ 1, 12]. La découverte récente de ces cellules a provoqué un grand enthousiasme dans le monde médical. D’une part, les cellules souches représentent un espoir pour le traitement des maladies neurodégénératives ; d’autre part, leur dysfonctionnement pourrait être associé à la survenue de certaines tumeurs cérébrales [ 2, 14]. Il est donc crucial de mieux comprendre les facteurs qui contrôlent leur prolifération et leur différenciation.

Le cil primaire, antenne des cellules de Vertébrés

Le cil primaire est une antenne présente à la surface de la plupart des cellules de Vertébrés. Elle s’étend à partir du centriole père de la cellule et possède un axonème de type « 9+0 » (composé de neuf paires de microtubules périphériques sans doublet central). C’est une structure dynamique qui se forme et se résorbe au cours du cycle cellulaire grâce au transport intraflagellaire. En effet, des cargos moléculaires (dont des microtubules) sont véhiculés le long de l’axonème par des protéines motrices telles que la kinésine 2 et la dynéine qui sont indispensables à la formation et au maintien du cil. Ce cil concentre de nombreux récepteurs capables de détecter les messagers biochimiques présents dans le milieu extracellulaire. En particulier, les effecteurs de la voie Sonic Hedgehog (Shh) tels que les récepteurs Smoothened (Smo) et Patched, le facteur Suppressor of fused et les facteurs de transcription Gli ont tous été localisés dans le cil primaire [ 3].

L’absence de cil ou son dysfonctionnement sont à l’origine de nombreuses maladies graves appelées ciliopathies (polykystoses rénales, syndromes d’Alström, de Bardet-Biedl [ 13], de Joubert, de Meckel-Gruber et Oral-facial-digital-I) [ 4]. Ces pathologies sont fréquemment associées à des atteintes cérébrales comme le dérèglement du comportement alimentaire, le retard mental ou l’ataxie cérébelleuse. Cela suggère que le cil primaire est important pour le développement et le fonctionnement du cerveau [ 5]. En montrant que le morphogène Shh permet, grâce au cil primaire, l’expansion et la mise en place des cellules souches neurales, nous avons apporté la première preuve d’un rôle du cil primaire dans le développement du cerveau [ 6, 7].

Le cil primaire, une structure clé pour l’amplification des progéniteurs granulaires

Les souris mutantes qui n’ont pas de cil primaire meurent très précocement (stade embryonnaire E10). Nous avons donc généré des souris mutantes conditionnelles chez lesquelles le cil primaire des progéniteurs granulaires est absent. Les souris mutantes utilisées sont issues d’un croisement entre (1) des souris exprimant la recombinase cre sous le contrôle du promoteur humain de la GFAP (glial fibrillary acidic protein), un gène spécifiquement exprimé dans les astrocytes et la glie radiaire, et (2) des souris porteuses d’allèles floxés du gène Kif3a, qui code pour une sous-unité de la kinésine 2, essentielle au développement ciliaire. En effet, les progéniteurs des neurones granulaires du gyrus dentelé de l’hippocampe et du cervelet, acquièrent leur identité à partir des cellules astrogliales hGFAP+ du neuroépithélium embryonnaire. Ils migrent ensuite vers la zone sous-granulaire de l’hippocampe et la couche granulaire externe du cervelet où ils prolifèrent et donnent naissance à des neurones granulaires. Les souris mutantes hGFAP::Cre ; Kif3afl/fl meurent à trois semaines post-natales. Elles présentent une ataxie cérébelleuse et une hypotrophie du gyrus dentelé de l’hippocampe. Nous montrons que dans ces deux territoires, au cours du développement normal du cerveau, les progéniteurs des neurones granulaires émettent un cil primaire et prolifèrent activement en réponse à Shh. En revanche, chez le mutant conditionnel, la prolifération des progéniteurs dépourvus de cil est dramatiquement réduite, et ceux-ci n’expriment plus certaines protéines comme le facteur de transcription Gli1, dont l’expression traduit l’activation de la voie Shh. Ces résultats suggèrent donc que le cil primaire est nécessaire à la prolifération de ces progéniteurs en réponse à Shh (Figure 1). De même, l’inactivation du gène codant pour Smo, le récepteur de Shh dans ces progéniteurs, a pour effet d’inhiber leur prolifération. À l’inverse, l’activation constitutive de la voie Shh par l’expression de SmoM2 (un récepteur constitutivement actif) [ 8] dans ces progéniteurs provoque une surproduction des neurones granulaires. Comme attendu, nous montrons que ces deux effets sont réduits par la suppression du cil primaire chez les doubles mutants Smo-Kif3a et SmoM2-Kif3a. Le cil primaire est donc bien indispensable à la transduction du signal Shh dans ces progéniteurs.

Enfin, l’étude de deux autres mutants des gènes ciliaires, fantom et polaris, qui présentent des défauts similaires de prolifération des progéniteurs granulaires nous permet de confirmer ces résultats [6, 7, 9]. Par ailleurs, tous les mutants ciliaires analysés (kif3a, Dnchc2, Ift52, Ift88, Ift172, ftm, ofd1) présentent des défauts de la voie de signalisation Hedgehog [ 10, 11]. L’ensemble de ces résultats démontre que les progéniteurs des neurones granulaires possèdent un cil primaire qui, en réponse à Shh, contrôle leur prolifération (Figure 1).

Les ciliopathies sont fréquemment associées à un retard mental (syndrome de Bardet-Biedl [13]) et/ou à une ataxie cérébelleuse (syndrome de Joubert). Notre étude montre le rôle crucial du cil primaire dans le développement de ces deux régions cérébrales et devrait donc permettre d’élucider l’étiologie moléculaire de ces deux syndromes.

 
Acknowledgments

Young-Goo Han et Arturo Alvarez-Buylla qui ont largement contribué au travail résumé dans cet article, ainsi que les membres de notre équipe pour leur soutien et leurs encouragements tout au long de ce travail.

Notre équipe est financée par The International Human Frontier Science Program Organization, l’Agence Nationale pour la Recherche et la Fondation NRJ-Institut de France.

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