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Med Sci (Paris). 2008 February; 24(2): 169–176.
Published online 2008 February 15. doi: 10.1051/medsci/2008242169.

L’athérogenèse
Une maladie dysimmunitaire

Aditi Varthaman, Jamila Khallou-Laschet, Olivier Thaunat, Giuseppina Caligiuri, and Antonino Nicoletti*

Inserm, UMR S 872, Les Cordeliers, Paris, F-75006 France
Université Pierre et Marie Curie-Paris 6, UMR S 872, Les Cordeliers, Paris, F-75006 France
Université Paris René Descartes, UMR S 872, Les Cordeliers, Paris, F-75006 France
Inserm UMRS 681, Centre de Recherche des Cordeliers, 15, rue de l’École de Médecine, 75006 Paris, France
Corresponding author.
Implication du système immunitaire adaptatif durant l’athérogenèse

La plupart des acteurs cellulaires et moléculaires de la réponse immunitaire adaptative est présente dans le vaisseau athéroscléreux : protéines d’adhérence, chimiokines, macrophages, cellules dendritiques, lymphocytes T auxiliaires, dépôt d’anticorps et de complément. Leur importance fonctionnelle a été démontrée à l’aide de modèles de souris modifiées génétiquement, notamment les souris invalidées pour l’apolipoprotéine E (ApoE°) ou pour le LDLR, le récepteur des lipoprotéines de faible densité (LDLR°). Ces souris hypercholestérolémiques, spontanément ou sous régime, développent des lésions d’athérosclérose inflammatoires semblables à celles observées chez l’homme. Ainsi a-t-il été démontré que des souris ApoE° croisées avec des souris chez lesquelles les lymphocytes T et B ne peuvent pas se différencier (souris dont le gène Rag-1 a été invalidé, et souris SCID, severe combined immunodeficient) développent 40-80 % moins de lésions que les souris ApoE° simples [ 1, 2]. Ces observations amènent deux commentaires : (1) Que la maladie puisse se développer sans aucun lymphocyte T et B mature indique qu’une composante non immunitaire ou des éléments du système immunitaire inné sont impliqués dans cette maladie ; (2) le fait que la réponse immunitaire adaptative joue un rôle aussi crucial dans l’athérogenèse soulève inévitablement la question de sa (ses) cible(s) antigénique(s). Les antigènes cibles des réponses adaptatives peuvent globalement se diviser en cinq groupes : (1) les alloantigènes : s’ils sont à la base de l’artériosclérose du greffon1, en revanche, leur implication dans les lésions d’athérosclérose est évidemment exclue ; (2) les allergènes : le rôle de ce type d’antigène dans la réponse immunitaire associée à l’athérosclérose n’a pas encore été évalué ; (3) les antigènes tumoraux : bien que Benditt et al. formulèrent à la fin des années 1970 une théorie sur la prolifération cellulaire monoclonale au sein de l’athérome, celle-ci fut réfutée ; (4) les antigènes microbiens : des antigènes de bactéries et de virus pourraient être la cible d’une réponse immunitaire locale anti-infectieuse [ 50]. Ce type de réponse sera brièvement évoqué dans cette revue ; (5) les auto-antigènes : des protéines/lipides/sucres du soi modifiés sont présents dans les lésions et pourraient être la cible de réponses immunitaires adaptatives.

Si les réponses adaptatives associées à l’athérosclérose sont dirigées contre le soi, est-ce que cette pathologie doit être considérée comme une maladie auto-immune [ 51] ? Afin d’examiner cette question, nous tenterons de déterminer si l’athérosclérose est conforme aux postulats de Witebsky et Rose qui permettent d’évaluer l’étiologie auto-immune d’une maladie humaine. Ces postulats, proposés par Witebsky et al. en 1957 puis actualisés par Rose et Bona [ 3], peuvent être formulés de la façon suivante : (1) il existe des réponses T et/ou B associées au processus pathologique ; (2) l’auto-antigène cible est identifié ; (3) la pathogénicité de la réponse immunitaire est avérée ; (4) le transfert adoptif d’effecteurs cellulaires ou d’anticorps transmet la maladie à des animaux sains.

Phénotype de la réponse immunitaire

Lorsque le récepteur T est engagé à la surface du lymphocyte auxiliaire T naïf par la reconnaissance de son peptide nominal dans le contexte du complexe majeur d’histocompatibilité, les cellules T peuvent se différencier en plusieurs types de cellules fonctionnellement distinctes. Les réponses Th1 conduisent à l’activation des macrophages et à la production de cytokines pro-inflammatoires telles que l’IL-12 (interleukine-12), l’IFN-γ (interféron-γ) et le TNF-α (tumor necrosis factor-α) tandis que les réponses Th2 promeuvent la production de cytokines capables de contrôler les réponses inflammatoires Th1. Les lésions d’athérosclérose contiennent des cytokines pro-Th1 et des cytokines signant les réponses Th1 [ 4, 52]. En effet, chez l’homme et chez la souris, l’IL-12 et l’IFNγ abondent tandis que l’IL-10 est rarement détectable. L’IL-17 est une cytokine pro-inflammatoire synthétisée par de nombreux types cellulaires, y compris une sous-population de lymphocytes T auxiliaires, la population Th17, récemment caractérisée et impliquée dans plusieurs maladies auto-immunes. Des données préliminaires indiquent que l’IL-17 est présente dans les lésions de souris ApoE° invalidées pour l’IL-18 [ 5].

Peu de données décrivent l’implication des cellules B dans ce processus pathologique. Néanmoins, un infiltrat B a été documenté [ 6] ainsi qu’un abondant dépôt d’anticorps [ 7]. De plus, des modifications des titres d’anticorps circulants ont été rapportées de façon récurrente comme étant des facteurs de risque de la maladie [ 810].

L’athérosclérose est donc associée invariablement à une réponse immunitaire T et B et remplit donc le premier critère de Witebsky et Rose. L’examen des antigènes candidats contre lesquels ces réponses sont dirigées nous permettra de tester le second postulat.

Les auto-antigènes cibles de la réponse immunitaire

Un premier jeu d’antigènes candidats est composé des lipoprotéines de faible densité (LDL). Une fois infiltrées dans la paroi artérielle, les LDL natives sont piégées par les protéoglycanes et subissent des modifications regroupées sous le terme générique d’oxydation, qui altèrent ces molécules du soi et qui générent les LDL oxydées ou oxLDL. Des cellules T anti-oxLDL ont été isolées à partir de plaques carotidiennes humaines [ 11]. Cela suggère que ces cellules T (auto)-réactives n’ont pas été éliminées durant l’étape thymique de sélection négative. Ces antigènes sont vraisemblablement absents du thymus pendant cette étape périnatale de formation du répertoire T. Par ailleurs, le titre d’anticorps dirigés contre les oxLDL est corrélé à la progression de la maladie [ 9] ce qui témoigne de l’absence de délétion des clones B (auto)-réactifs contre les oxLDL. De façon importante, la phosphatidylcholine entre dans la composition des oxLDL et les anticorps dirigés contre la phosphorylcholine (PC), la tête polaire de la phosphatidylcholine, appartiennent au répertoire des anticorps dits naturels, connus sous le nom d’anticorps T15. Il a récemment été démontré qu’une part importante des immunoglobulines (Ig) anti-oxLDL sont en fait des anticorps T15 anti-PC [ 12].

Les lésions humaines et murines contiennent des lymphocytes T natural killer (NKT) [ 13] et des cellules exprimant le CD1d [ 14]. Les cellules NKT sont des lymphocytes T non conventionnels, restreints par le CD1d, reconnaissant des glycosphingolipides. Etant donné qu’ils sont abondamment représentés dans les lésions, ces lipides sont de bons candidats en tant qu’auto-antigènes cibles des réponses immunitaires.

Certaines protéines du choc thermique (HSP, heat shock protein) sont également des antigènes candidats. Le stress mécanique et la présence de radicaux libres de l’oxygène et de cytokines pro-inflammatoires sont des caractéristiques cardinales des lésions d’athérosclérose et sont autant de stimulus pour la production des HSP. De fait, les HSP sont abondamment exprimées par les cellules vasculaires [ 15]. L’augmentation des titres d’anticorps anti-HSP est corrélée à l’augmentation de la taille des lésions d’athérosclérose chez l’Homme [10] et chez la souris ApoE° [ 16]. Enfin, des lymphocytes T anti-HSP60 humaine ont été caractérisés dans les plaques humaines [ 17].

Une autre molécule de la lésion ciblée par le système immunitaire est la ß2-glycoprotéine 1 (β2-GP1). Cette glycoprotéine s’associe à des lipoprotéines plasmatiques et possède, in vitro, des propriétés anti-coagulantes. La β2-GP1 change de conformation en se liant aux cellules apoptiques et aux plaquettes activées et est reconnue par les anticorps anti-phospholipides caractéristiques des conditions auto-immunes humaines et des états pro-thrombotiques. Dans la lésion, la β2-GP1 est co-localisée avec des lymphocytes CD4+ [ 18]. Les titres d’anticorps anti-phospholipides sont corrélés à la survenue de complications de plaque chez l’homme [ 19].

L’étude de l’autoréactivité des anticorps contre un panel d’auto-antigènes protéiques de la lésion a montré que les patients présentant des symptômes cliniques de maladie coronaire ont un répertoire d’anticorps normal, mais que ces anticorps subissent un processus de maturation d’affinité améliorant leur capacité à reconnaître la cible antigénique [ 20]. Cela indique que la quête d’un « vrai » néo auto-antigène pourrait être illusoire et que l’athérosclérose n’est pas un processus « mono-antigénique » mais plutôt « multi-antigénique » impliquant une myriade d’auto-antigènes présents chez chacun d’entre nous. Ce qui rend certains d’entre nous susceptibles serait dès lors une incapacité à réguler une autoréactivité commune pré-existante.

Le second critère de Witebsky et Rose ne serait donc pas complètement rempli étant donné qu’aucun antigène n’a pu faire consensus à ce jour. Il est à noter qu’il en est de même pour de nombreuses maladies néanmoins classées parmi les pathologies auto-immunes. Bien qu’aucun consensus quant à l’(auto)antigène n’ait été encore trouvé, il n’en reste pas moins que l’athérosclérose est associée à une profonde perturbation de l’autoréactivité.

Pathogénicité de la réponse immunitaire
Immunomodulations non spécifiques d’antigène
Les lymphocytes T circulants et infiltrés dans les lésions d’athérosclérose sont dans un état d’activation persistant [ 21, 22]. Les cellules Th1 activées dans la lésion produisent l’IFNγ, une cytokine activatrice des macrophages. L’IFNγ augmente l’efficacité de présentation des antigènes et la production du TNFα et de l’IL-1, qui agissent en synergie pour enclencher la production locale de nombreuses molécules inflammatoires et cytotoxiques. Ce profil tend à promouvoir le développement des lésions comme le démontre la protection que confère à des souris ApoE° l’invalidation du récepteur de l’IFNγ [ 23] ou le blocage pharmacologique de la voie de différenciation Th1 [ 24].

À l’inverse des cytokines Th1, certaines cytokines de la voie Th2 comme l’IL-10 promeuvent des réponses immunitaires athéro-protectrices [ 25, 26]. L’invalidation d’une autre cytokine Th2, l’IL-5, accélère le développement des lésions d’athérosclérose chez la souris LDLR° [ 27]. L’IL-5 semble agir via la stimulation des cellules B1 productrices d’anticorps athéro-protecteurs T15. Le rôle des cellules Th2 est cependant complexe puisque l’invalidation de l’IL-4, une cytokine clé dans la polarisation Th2, protège les souris LDLR° de la maladie [ 28].

Des données préliminaires suggèrent que les cellules Th17 pourraient être dotées d’un puissant potentiel pro-athérogène. En effet, le blocage de l’IL-17 à l’aide d’anticorps est en mesure de réduire de 90 % le développement des lésions chez la souris athéroscléreuse [ 29].

Le potentiel pro-athérogène des cellules T CD4+ n’est cependant pas constant dans le temps. En effet, le blocage spécifique de l’activation des lymphocytes T n’est pas athéro-protecteur dans les phases les plus précoces de la maladie. En revanche, l’activation des lymphocytes T est critique lors de la transition des stries lipidiques en plaques fibrolipidiques matures [ 30].

Plusieurs données expérimentales attestent que des cellules de l’immunité innée pourraient jouer un rôle dans l’athérosclérose. Il convient de faire figurer au premier rang les macrophages puisque, en leur absence chez la souris hypercholestérolémique ostéopétrotique op/op, aucune lésion ne se développe [ 31]2. Les mastocytes sont un autre type cellulaire de l’immunité innée dont le puissant potentiel athérogène dépendant de l’IFNγ a récemment été révélé [ 32].

Immuno-interventions spécifiques d’antigène
L’induction de tolérance néonatale aux oxLDL a permis de réduire les réponses dirigées contre les oxLDL à l’âge adulte et en parallèle de réduire significativement la susceptibilité à la maladie chez la souris ApoE° [ 33]. Cela illustre de nouveau que les lymphocytes T reconnaissant des protéines du soi présentes dans la lésion exercent un potentiel pro-athérogène.

Contre toute attente, l’immunisation de souris susceptibles à l’athérosclérose dans le but d’augmenter les titres d’anticorps anti-oxLDL est athéroprotectrice [ 34]. De même, les diverses stratégies d’immunointervention destinées à augmenter les réponses humorales anti-PC (lesquelles augmentent les réponses B anti-oxLDL également) ont abouti aux mêmes résultats : une diminution sensible de la susceptibilité à la maladie sans affecter les concentrations sériques de cholestérol [ 35, 36]. A contrario, une diminution des titres d’anticorps anti-PC est associée à une susceptibilité accrue, comme l’ont indirectement indiqué les données obtenues chez les souris ApoE° splénectomisées [ 37] chez lesquelles la population péritonéale de cellules B1a, responsable de la production d’anticorps naturels (dont les anticorps anti-PC/anti-oxLDL) est supprimée3,. De façon remarquable, les souris ApoE° splénectomisées développent des lésions 3 fois plus étendues que celles des souris ApoE° témoins soumises à une opération blanche [37]. Ces expériences de splénectomie ont été les premières à montrer le rôle athéro-protecteur inattendu du compartiment des cellules B.

L’immunisation contre l’HSP65 conduit à l’augmentation de la taille des lésions chez la souris LDLR° et s’accompagne d’une infiltration de cellules T dans les plaques et d’une augmentation des anticorps anti-HSP65 [ 38]. Les réponses immunitaires B et T dirigées contre les HSP semblent être, de façon coordonnée (et non antagoniste comme c’est le cas des réponses anti-oxLDL) pro-athérogènes. A l’appui de cela, nous pouvons évoquer l’effet cytotoxique direct des anticorps anti-HSP sur des cellules endothéliales stressées [ 39] et le transfert de la maladie par le transfert adoptif des clones T anti-HSP (voir plus loin). L’immunité anti-HSP présente des caractéristiques qui permettent de tracer un lien entre réactivité contre le soi et le non-soi. En effet, l’identité des séquences des HSP homologues entre les espèces atteint près de 70 %. Par conséquent, il est concevable que les réponses immunitaires générées contre certaines HSP microbiennes puissent prendre pour cible, par réaction croisée, les HSP endogènes exprimées par un tissu stressé tel que le tissu artériel athéroscléreux. La validité de ce concept a élégamment été démontrée en immunisant des lapins non hypercholestérolémiques avec une HSP65 bactérienne ce qui conduit au développement de stries lipidiques [ 40]. De plus, les études cartographiques des épitopes des clones T isolés de carotides athéroscléreuses humaines ont montré que les épitopes T sont localisés dans des séquences hautement conservées entre les HSP humaines et bactériennes [17]. Enfin, l’induction d’une tolérance aux HSP65 bactériennes par voie orale atténue le développement des lésions en réponse à une immunisation contre Mycobacterium tuberculosis ou en réponse à un régime hypercholestérolémique [ 41].

Le rôle athéromodulateur des anticorps anti-β2-GP1 n’a toujours pas été élucidé. Il a été cependant démontré qu’une immunisation contre la β2-GP1 chez des souris susceptibles à l’athérosclérose conduit au développement de lésions de plus grande taille infiltrées par de nombreux lymphocytes T CD4+ [ 42]. Ces résultats suggèrent un rôle pro-athérogène des réponses immunitaires dirigées contre la β2-GP1.

Les ligands naturels reconnus par les lymphocytes T NK ne sont pas encore totalement définis. Cependant, un glycolipide synthétique, l’α-galactosylcéramide, active de façon spécifique les lymphocytes T NK et a été utilisé in vivo pour moduler les réponses Th et le cours de maladies auto-immunes expérimentales. Chez la souris ApoE°, l’activation des lymphocytes T NK par ce glycolipide accélère sensiblement la maladie tandis que des souris ApoE° dépourvues de cellules T NK développent moins de lésions [ 43]. Ces études montrent que des glycosphingolipides de la lésion présentés par le CD1d pourraient activer les lymphocytes T NK à fort potentiel pro-athérogène.

Le troisième critère de Witebsky et Rose est donc rempli étant donné que plusieurs réponses immunitaires autoréactives peuvent exercer des effets pathogènes. Cependant, certaines expériences répertoriées dans ce chapître montrent que des réponses immunitaires autoréactives protectrices peuvent être dévoilées durant le processus pathologique. Il semble que l’antigène ciblé détermine l’impact de la réponse immunitaire humorale sur le processus pathologique.

Transfert adoptif
Transfert adoptif de la maladie
Comme indiqué plus haut, les souris ApoE° SCID sont moins sensibles à la maladie athéroscléreuse. Lorsque ces souris déficientes en lymphocytes T et B sont reconstituées avec des cellules T CD4+ de souris ApoE°, leur susceptibilité est restaurée au niveau de celle de souris témoins ApoE° immunocompétentes [2]. Cela a constitué la première indication qu’il était possible de transférer la susceptibilité à la maladie. Il fut montré par la suite que le transfert de cellules T CD4+ isolées de souris immunisées avec des oxLDL accélère le développement de la maladie [ 44] ce qui confirme la nature pro-athérogène de ces clones T. Le transfert de cellules T anti-β2-GP1 résulte également en une accélération de la formation des plaques chez les souris LDLR° [ 45].

Il est important de noter ici que les pathologies dans lesquelles le quatrième critère de Witebsky et Rose (transfert adoptif de la maladie) a été rempli, l’antigène du soi cible était systématiquement présent chez les souris receveuses. Dans le cadre de l’athérosclérose, l’antigène est vraisemblablement un antigène du soi modifié ou un antigène exprimé en conditions non physiologiques. Il est donc improbable que l’on puisse un jour parvenir à transférer la maladie à une souris qui ne serait pas soumise à un facteur de risque étant donné que chez de telles souris, l’antigène étiologique serait absent.

Transfert adoptif de protection
Une protection a pu être conférée en transférant des cellules B de souris malades à des souris ApoE° splénectomisées (ou soumises à une opération blanche) [37]. Le caractère athéro-protecteur du compartiment B et le fait que l’on puisse le transférer sont également illustrés par les expériences d’administration de préparations d’immunoglobulines polyclonales à des souris ApoE° [ 46].

Malgré l’étape de délétion des clones T autoréactifs dans le thymus, certains de ces clones y échappent et atteignent la périphérie. Ils sont cependant sous le contrôle de sous-populations de lymphocytes T CD4+ régulateurs qui surveillent leur expansion et leur prolifération. Diverses populations de cellules T régulatrices ont été décrites à ce jour : (1) Les cellules Tr1 sont induites en présence d’IL-10 et sont productrices d’IL-10. Le transfert de cellules Tr1 spécifiques de l’ovalbumine chez des souris ApoE° diminue le développement des lésions à condition de les « ré-activer » in vivo [ 47] ce qui indique que ces cellules pourraient exercer un potentiel athéro-protecteur, vraisemblablement grâce à leur capacité à produire de l’IL-10, une cytokine athéroprotectrice ; (2) Les cellules Th3 sont caractérisées par leur production de TGF-β (transforming growth factor-b). Plusieurs études ont montré le potentiel athéro-protecteur du TGF-β (par exemple [ 48]). Des études complémentaires sont néanmoins nécessaires pour démontrer définitivement les capacités athéroprotectrices de ces cellules ; (3) Les cellules T CD4+CD25+FoxP3+ sont des cellules régulatrices dites « naturelles » car produites au niveau thymique. Il est possible que certains effecteurs se différencient en ce type de cellules régulatrices au cours des réponses immunitaires. Ait-Oufella et al. ont montré que le transfert de cellules T régulatrices CD4+CD25+ est en mesure de limiter de façon considérable l’athérogenèse dans plusieurs modèles murins [ 49]. Les résultats de cette étude impliquent que les cellules T pro-athérogènes (auto-réactives) sont contrôlées en permanence par des cellules T régulatrices. Cela pourrait expliquer en partie pourquoi cette pathologie artérielle ne progresse pas plus rapidement malgré l’existence d’une réaction immunitaire autodestructrice.

Le quatrième critère de Witebsky et Rose est par conséquent partiellement rempli étant donné qu’il n’est pas possible de transférer la maladie à des animaux totalement sains. En revanche, il a été possible de rendre les animaux plus susceptibles à la maladie. De façon remarquable, il est possible de transférer une protection avec des cellules B autoréactives, avec des anticorps et avec certaines sous-populations de cellules T régulatrices.

Conclusion

L’athérosclérose est donc une maladie atypique dans laquelle la réponse immunitaire joue un rôle critique. La confrontation des observations réalisées dans les modèles expérimentaux et en recherche clinique avec les 4 postulats de Witebsky et Rose (Tableau I) montrent en définitive : (1) que la réponse immunitaire adaptative associée à l’athérosclérose fait intervenir à la fois des anticorps et des effecteurs cellulaires T ; (2) que plusieurs (auto-) antigènes ont été caractérisés ; (3) que le potentiel pathogène des réponses immunitaires est bien établi ; et (4) qu’il est possible de rendre des animaux plus susceptibles à la maladie par transfert d’effecteurs cellulaires pathogènes. Cela pourrait suffire à classer l’athérosclérose parmi les pathologies auto-immunes. Cependant, ce processus pathologique présente des caractéristiques qui compromettent cette classification. En particulier, il n’est pas possible de transférer la maladie à un animal sain car les antigènes cibles des réponses pro-athérogènes sont vraisemblablement engendrés seulement après exposition aux agressions métaboliques, mécaniques ou infectieuses. Une autre particularité de l’athérosclérose, peut-être partagée par d’autres pathologies, est le développement spontané d’une réponse immunitaire protectrice. Enfin, que le compartiment des cellules T exerce globalement un effet pro-athérogène tandis que le compartiment B joue de façon prédominante un rôle athéro-protecteur (Figure 1) est quelque peu inhabituel parmi les maladies dysimmunitaires. La découverte récente que des sous-populations de cellules T régulatrices puissent être athéro-protectrices est de la plus haute importance. La potentialisation de ces populations et la stimulation des réponses B protectrices représentent sans aucun doute un défi majeur des prochaines années dans ce champ de recherche.

 
Footnotes
1 Le rejet chronique, quel que soit l’organe transplanté (allogreffe cardiaque, rénale, hépatique, plus rarement pulmonaire), se caractérise avant tout par des lésions vasculaires. Parmi ces lésions vasculaires, l’athérosclérose est observée d’une part dans des territoires habituels, comme les coronaires épicardiques du greffon, d’autre part dans des territoires inhabituels, comme les branches intramyocardiques en particulier les artères perforantes. Contrairement aux lésions d’athérosclérose naturelle, les lésions d’athérosclérose du rejet chronique sont très extensives, pénétrant à l’intérieur du parenchyme, et plus continues, c’est-à-dire moins focales, plus volontiers concentriques, rendant plus difficile leur dépistage par angiographie. Dans l’ensemble, d’un point de vue strictement analytique, ces lésions d’athérosclérose ne présentent pas de particularité spécifique. L’expression du rejet chronique sous forme d’artériosclérose et d’athérosclérose culmine en transplantation cardiaque où son incidence est de 42 % après 5 ans de transplantation. (source : enseignement d’anapathomopathologie, faculté de médecine Broussais, Paris, France)
2 Les souris op/op sont déficientes en M-CSF (macrophage colony-stimualting factor), le facteur nécessaire à la différenciation des précurseurs myéloïdes en monocytes puis macrophages. L’ostéopétrose s’explique par l’absence d’ostéoclastes, d’origine monocytaire.
3 Les lymphocytes B1a sont particuliers parce qu’ils expriment l’antigène CD5 et dérivent de progéniteurs présents dans le foie fœtal.
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