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Med Sci (Paris). 2008 February; 24(2): 215–218.
Published online 2008 February 15. doi: 10.1051/medsci/2008242215.

Un saut symbolique mais encourageant dans le traitement de la myopathie de Duchenne

Jean-Claude Kaplan,1,2* Jamel Chelly,1,2* and Luis Garcia3*

1Université Paris Descartes, Faculté de Médecine, Institut Cochin, 24, rue du Faubourg Saint Jacques, Paris, F-75014, France
2AP-HP, groupe hospitalier Cochin, laboratoire de Biochimie Génétique et Moléculaire, 123, boulevard du Port-Royal, F75014, France
3UPMC-Inserm UMR S 787, Institut de Myologie, Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, 105, boulevard de l’Hôpital, 75634, Paris Cedex 13, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Épissage alternatif, Dystrophine, Exons, Humains, Myopathie de Duchenne

 

Le dernier numéro du N Engl J Med pour l’année 2007 contient les résultats d’un premier essai de saut d’exon thérapeutique par injection intramusculaire locale d’AON (antisense oligonucleotide) chez 4 sujets atteints de myopathie de Duchenne [ 1].

La myopathie de Duchenne : un cas d’école pour le saut d’exon thérapeutique (SET)

Rappelons que la myopathie de Duchenne (DMD) est une dystrophie musculaire sévère de l’enfant, due à des mutations nulles siégeant dans l’énorme gène DMD situé sur le chromosome X, qui empêchent toute synthèse d’une protéine subsarcolemmique, la dystrophine. La myopathie de Becker (BMD) est une dystrophie musculaire moins sévère, plus tardive et moins évolutive, résultant d’une pathologie du même gène, où des mutations non-nulles permettent la production d’une dystrophine qualitativement anormale et/ou quantitativement diminuée (pour revue, voir [ 2]). Vingt ans après la découverte du gène en cause et de sa pathologie, il n’existe toujours pas de thérapeutique rationnelle capable sinon de guérir le processus dystrophique du moins d’en enrayer le cours inéluctable. Les espoirs prématurément fondés sur la thérapie génique conventionnelle ayant été déçus, le concept de « thérapies fondées sur la connaissance des gènes » est actuellement développé tous azimuts [2, 3]. On essaie soit d’intervenir sur le génome, sur l’épissage, sur la traduction, sur le protéome, soit de régénérer le muscle par cytothérapie, soit de combiner les deux en effectuant une cyto-génothérapie1.

Le principe du saut d’exon thérapeutique (SET) a déjà été expliqué dans les colonnes de Médecine/Sciences [ 4, 5]. En bref il s’agit de rendre fonctionnel un transcrit qui ne l’est pas parce qu’il porte un stop prématuré, résultant soit d’une substitution ponctuelle (non-sens direct), soit d’un décalage du cadre de lecture (non-sens secondaire) produit par une délétion, une duplication ou une mutation d’épissage. La restauration du cadre de lecture est obtenue en modifiant l’épissage du transcrit primaire afin d’éliminer soit l’exon portant le stop direct (cas de la souris mdx avec sa mutation non-sens dans l’exon 23), soit un ou plusieurs exons jouxtant les exons mal raccordés (Figure 1). Encore faut-il que la protéine tronquée résultante soit fonctionnelle. Cette anticipation est fondée sur le fait que le patho-phénotype atténué de la myopathie de Becker résulte de délétions du gène DMD, parfois très grandes, mais respectant le cadre de lecture [ 6]. L’observation d’une délétion en phase des exons 17 à 48 remarquablement bien tolérée et ne se manifestant cliniquement qu’après l’âge de 60 ans, a conduit à la notion de mini-dystrophine où la protéine est amputée de 46 % [ 7]. Ceci indique que la dystrophine est relativement tolérante vis-à-vis des troncations internes. Les limites topographiques de cette tolérance ont été précisées expérimentalement chez la souris, aboutissant à la notion de « micro-dystrophine », une entité encore fonctionnelle malgré l’amputation de 20 des 24 répétitions de spectrine dans le domaine central, correspondant à une délétion en phase des exons 17 à 57 [ 8]. Au total, l’organisation du gène DMD avec ses 79 exons dont le découpage ne coïncide pas avec celui des 3 685 codons (voir Figure 1), la structure modulaire de la dystrophine avec des domaines répétés non indispensables, et le spectre mutationnel de la pathologie du gène DMD (75 % de délétions ou duplications portant sur un nombre entier d’exons ; 15 % de mutations ponctuelles non-sens) font de la myopathie de Duchenne un véritable cas d’école pour le SET.

Le principe directeur du SET étant de restaurer une certaine production de dystrophine tronquée chez des malades où le déficit est complet, on s’attend non pas à obtenir une guérison totale, mais au moins à convertir une DMD en BMD. C’est l’équipe de G.J. van Ommen à Leiden (Pays-Bas) qui a proposé la première ce concept d’épissothérapie, et qui en a poussé les feux avec une remarquable constance et efficacité [ 911] ce qui a abouti à la réalisation du premier essai clinique par SET [1] que nous commentons ici.

Méthodologie et efficacité du SET

• Pour réaliser un saut d’exon il faut bloquer l’intégration d’un ou plusieurs exons dans le transcrit final en masquant spécifiquement des séquences essentielles au déroulement normal de l’épissage. On y parvient grâce à l’apport d’oligonucléotides antisens ou AON (en général des 20-mer) électivement ciblés sur un site canonique accepteur ou donneur d’épissage, ou une séquence de type ESE, ou un site de branchement. Deux stratégies d’utilisation des AON ont déjà fait leur preuve. Les AON libres, chimiquement modifiés pour les rendre insensibles aux nucléases endogènes (par exemple les 2’-O-méthyl-phosphorothioates, ou les morpholino-phosphorodiamidates), ont l’énorme avantage de ne pas être immunogènes, mais il faut les réapprovisionner de façon itérative. Les AON non modifiés mais camouflés dans un petit ARN naturel par exemple snRNAU7. Ce véritable cheval de Troie est vectorisé dans un AAV (adeno-associated virus), ce qui assure une production permanente de l’antisens [ 12], mais pose le problème de l’immunogénicité du vecteur viral. L’efficacité de la stratégie du SET a été validée, tant ex-vivo (myoblastes en culture) qu’ in vivo (par voie intramusculaire ou intravasculaire) sur des modèles animaux de dystrophinopathies dues à des mutations nulles (stop de la souris mdx ; mutation d’épissage du chien GRMD) [915]. Les résultats ont été spectaculaires puisqu’une réexpression stable de la « quasi-dystrophine » attendue a été obtenue avec un rendement très significatif. Dans les expériences in vivo elle s’est accompagnée d’une amélioration de la force musculaire [1215].

Le passage à l’homme

Ces indispensables preuves de principe étant obtenues on pouvait passer à l’homme. Ce sont les résultats du premiers essai clinique de phase 12, qui sont maintenant rapportés par les membres de l’équipe de Leiden [1]. Le choix de l’exon s’est porté sur l’exon 51, car sa non-inclusion dans le transcrit final est capable de restaurer le cadre de lecture dans au moins 6 patrons de délétions hors-phase : del-50, del-52, del 49-50, del-48-50, del 47-50, del 45-50 représentant cumulativement 25 % des DMD délétionnelles. De plus, les transcrits obtenus par SET de l’exon 51 devraient avoir une excellente fonctionnalité, car dans les bases de données de dystrophinopathies les sujets trouvés porteurs du patron corrigé par exclusion du 51 sont très rares. Dans notre propre expérience à l’hôpital Cochin sur 232 cas de BMD non apparentés seuls 7 cas ont une délétion correspondant à un patron de délétion similaire à celui qui résulterait d’un SET de l’exon 51 (4 del 48-51, 2 del 45-51, 1 del 49-51). Les 3 autres patrons n’ont pas été trouvés, et on peut considérer soit qu’ils ne se produisent pas spontanément, soit qu’ils sont asymptomatiques, cette dernière hypothèse paraissant la plus vraisemblable3.

Dans l’essai thérapeutique rapporté par van Deutekom et al. [1] 4 myopathes de Duchenne de 10 à 13 ans, ayant déjà perdu la marche et portant chacun une délétion différente corrigible par SET de l’exon 51 (del 50, del 48-50, del 49-50 et del 52) ont été sélectionnés. Après vérification de l’efficacité de la procédure sur leur myoblastes (apparition du transcrit attendu et de la dystrophine), les malades ont reçu une injection intramusculaire dans le muscle tibial antérieur de 0,8 mg de PRO051 (laboratoire Prosensa), un AON 20-mer de type 2’-O-méthyl phosphorothioate conçu pour masquer par hybridation un ESE situé eu milieu de l’exon 51. Le territoire musculaire ayant reçu l’injection a été biopsié le 28e jour, pour une analyse dans des coupes sériées des transcrits et de la dystophine (par immunofluorescence et par Western-blot). Dans tous les cas une proportion importante des transcrits ne portait plus l’exon 51, et la dystrophine était présente en quantités comprises entre 3 et 12 % de la normale. Le territoire corrigé était trop restreint pour pouvoir explorer une quelconque récupération de la force musculaire. Aucune réaction indésirable, locale ou générale, n’a été observée.

Quelle est la portée de ces résultats ?

Elle est d’une portée médicale considérable. Certes la preuve de principe expérimentale du SET de l’exon 51 avait déjà été apportée ex vivo dans des cellules souches musculaires (dites C133+) d’un myopathe de Duchenne porteur d’un délétion 49-50 [ 16]. Mais il s’agit maintenant d’une expérimentation effectuée in vivo chez l’homme, un passage difficile à franchir psychologiquement, médicalement et règlementairement. On ne peut que saluer le travail de l’équipe de Leiden, qui est l’aboutissement de près de 10 années d’effort, ayant comporté successivement la conception et l’optimisation de la méthode de SET par AON chimiquement modifiés, la validation rigoureuse de l’efficacité et de l’innocuité chez l’animal, la mise en œuvre d’une plate-forme pour la synthèse et le conditionnement de grandes quantités d’AON pharmacologiquement conformes par une Biotech (Prosensa). Cet investissement scientifique et logistique commence aujourd’hui à porter ses fruits. Mais, si ce premier essai clinique est très encourageant, on ne saurait se contenter d’une administration très localisée du produit thérapeutique. La prochaine étape consiste à opérer en grandeur nature, c’est-à-dire à passer à une voie systémique, seule susceptible d’atteindre un nombre suffisant de muscles pour obtenir l’efficacité clinique. Le véritable enjeu est d’enrayer le processus dystrophique dans des muscles essentiels pour la qualité de la vie et pour les fonctions vitales (diaphragme, cœur). Pour cela on n’est pas encore prêt car de nombreuses questions restent pendantes. Quelles sont les meilleures formes galéniques ? Quelle est la posologie et la périodicité optimales ? Quelle est la tolérance à long terme des AON dont on sait qu’ils ne sont pas métabolisés ? Quels sont les risques d’atteindre d’autres cibles non visées ? Enfin se pose la question de l’âge auquel il faut entreprendre le traitement ? A priori, il faudrait intervenir aussi précocement que possible avant que les muscles ne deviennent par trop dystrophiques. Dans cet ordre d’idée, il est significatif que dans ce premier essai clinique le meilleur résultat, exprimé en taux de dystrophine, ait été obtenu chez le patient dont le muscle était le moins dystrophique. Pour atteindre le plus grand nombre de malades d’autres exons doivent pouvoir être ciblés. Théoriquement trois quarts des DMD devraient pouvoir bénéficier du SET. On sait maintenant restaurer la phase par des sauts multiples d’exons ce qui augmente considérablement le nombre de patrons délétionnels corrigibles [ 10, 11]. On a calculé que deux tiers d’entre eux pourraient en théorie bénéficier d’un SET « passe-partout » consistant à obtenir l’exclusion des exons 45 à 55 [ 17].

En fait il faut mener de front les différentes pistes qui s’offrent désormais et que nous avons évoquées plus haut. Déjà un autre essai clinique utilisant une autre chimie des AON (les morpholino) est en cours à Londres. Le SET, de même que le forçage des non-sens directs par des agents de translecture comme le PTC 1244 [ 18] s’inscrivent dans le cadre de ce qu’il faut appeler une thérapie spécifique d’allèle5. Ceci impose de caractériser la mutation chez chaque malade, non seulement dans un but diagnostique, mais aussi dans une perspective thérapeutique. Les progrès futurs en matière de recherche et d’essais cliniques dépendent de la prise de conscience de ce qui apparaît désormais comme un devoir moral.

 
Footnotes
1 Cette dernière approche a été commentée dans le dernier numéro de Médecine/Sciences [5].
2 On y vérifie l’innocuité, à la rigueur l’efficacité biologique, mais pas encore l’effet thérapeutique.
3 Fait intéressant nous avons trouvé fortuitement un cas unique de del51-52 cliniquement asymptomatique (résultat personnel non publié).
4 Avec lequel des essais cliniques sont également commencés.
5 À ne pas confondre avec la médecine dite personnalisée qui prétend soigner les individus sur la base de leur caractéristiques génomiques globales.
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