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Med Sci (Paris). 2008 May; 24(5): 548–550.
Published online 2008 May 15. doi: 10.1051/medsci/2008245548.

Mobilité des récepteurs du glutamate
Un nouveau mécanisme de contrôle de la transmission synaptique rapide dans le cerveau

Daniel Choquet1* and Brahim Lounis2*

1UMR CNRS 5091, Université de Bordeaux, 33077, Bordeaux, France
2UMR CNRS 5798, Université de Bordeaux, 33405, Talence, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Humains, Potentiels de membrane, Récepteurs au AMPA, Synapses, Transmission synaptique

 

Il y a environ 1011 neurones dans le cerveau humain, qui communiquent par l’intermédiaire de quelques 1014 connexions spécialisées, appelées synapses. La force d’une connexion synaptique dépend de son activité antérieure, lui conférant donc une plasticité qui lui est propre. Cette plasticité se produit sur une large gamme d’échelle de temps - de quelques millisecondes à des mois, voire des années - cela constituant la base du traitement de l’information et de son stockage dans le cerveau.

La très grande majorité des synapses excitatrices communiquent en libérant dans la fente synaptique le glutamate, neurotransmetteur stocké dans les vésicules pré-synaptiques. Ceci conduit à l’activation des récepteurs ionotropiques du glutamate de type AMPA, localisés dans la densité post-synaptique (région spécialisée de la membrane post-synaptique, située face aux sites de libération du glutamate, où sont concentrés les récepteurs). L’excitation du neurone post-synaptique est intégrée avec les signaux en provenance d’autres neurones et provoque éventuellement le déclenchement d’un potentiel d’action dans le neurone post-synaptique, déclenchant en cascade la libération de neurotransmetteur dans les neurones en aval.

Le codage de l’information dans le cerveau repose en grande partie sur des variations de la fréquence d’activité des neurones. Les synapses, qui transmettent ces « codes » à différentes fréquences, nécessitent donc de fonctionner avec un certain degré de fidélité. Du fait de la relative lenteur de la transmission synaptique chimique, celle-ci agit en fait comme un filtre passe-bas avec une fréquence de coupure de l’ordre de 10-100 Hz [ 1]. Quand un neurone pré-synaptique est stimulé à intervalles rapprochés, la réponse post-synaptique diminue en général au cours du temps, cette dépression augmentant au fur et à mesure que la fréquence de stimulation augmente.

Jusqu’à présent, la plupart des études ont expliqué cette dépression dépendant de la fréquence de l’activité neuronale comme résultant d’une combinaison de diminution de la libération de neurotransmetteur par le neurone pré-synaptique associée aux propriétés intrinsèques de désensibilisation des récepteurs [ 2]. La récupération de cette dépression étant communément admise comme résultant de la récupération de la libération de transmetteur et de la sortie des récepteurs de l’état désensibilisé. Ainsi la modulation synaptique de la réponse en fréquence du cerveau était considérée comme provenant uniquement du côté pré-synaptique. Ce dogme prenait pour hypothèse de base que les récepteurs de neurotransmetteurs sont stables dans la densité post-synaptique.

Une autre donnée bien connue, mais dont l’importance a été négligée, est que le neurotransmetteur glutamate déclenche d’une part l’ouverture des récepteurs AMPA, permettant la transmission synaptique, mais également leur désensibilisation ou inactivation. Or il faut une centaine de millisecondes (ms) pour que les récepteurs sortent de cet état désensibilisé et redeviennent activables. Ceci posait donc la question de comprendre comment les synapses pouvaient malgré tout transmettre l’information à des fréquences de 200 Hz - soit toutes les 5 ms, bien plus rapidement que la récupération de la désensibilisation.

Nous avons maintenant mis à jour un nouveau mécanisme de modulation de la transmission synaptique permettant d’expliquer cette rapidité de transmission [ 3, 4]. Nous montrons que, contrairement à ce que l’on pensait depuis plusieurs décennies, les récepteurs AMPA se déplacent tellement rapidement que ce mouvement contrôle la transmission de l’influx nerveux et ceci effectivement à l’échelle de la milliseconde. La mobilité des récepteurs à l’intérieur de la synapse est suffisante pour permettre le remplacement en quelques millisecondes des récepteurs désensibilisés en face de la zone de libération par des récepteurs naïfs, abrogeant ainsi la dépression synaptique lors de trains de stimulation. Ceci permet de « rafraîchir » la sensibilité de la densité post-synaptique au glutamate. À l’inverse, l’immobilisation des récepteurs augmente notablement cette dépression, empêchant la transmission de l’influx nerveux dans les synapses au-delà d’une dizaine de Hertz. La mobilité des récepteurs contrôle donc, de manière efficace, la fidélité de transfert de l’information au niveau synaptique.

Mobilité des récepteurs du glutamate

Depuis quelques années, dans nos laboratoires, des approches à l’interface physique-biologie, ont abouti à la mise au point de techniques de détection et de suivi de molécules individuelles dans les neurones vivants [ 57]. Ces techniques nous ont permis de démontrer que les récepteurs AMPA ne sont pas statiques, mais diffusent rapidement à la surface des neurones [5, 8], pouvant se déplacer de plusieurs microns par seconde par mouvements browniens dans les membranes synaptiques et extra-synaptiques. Ces travaux ont depuis été largement confirmés par d’autres laboratoires [ 9, 10]. Ces mouvements dans le plan de la membrane permettent aux récepteurs non seulement d’entrer et de sortir en permanence des synapses, mais également d’explorer la densité post-synaptique en quelques dizaines de millisecondes - temps du même ordre de grandeur que celui impliqué dans la dépression synaptique à court terme. Ceci a fait germer l’idée que, peut-être, ces mouvements rapides de récepteurs pouvaient jouer un rôle fondamental et insoupçonné auparavant dans la transmission synaptique rapide.

Ces mouvements de récepteurs sont très finement contrôlés d’une part par des interactions avec des protéines d’échafaudage intracellulaires [8], mais également par le niveau d’activité des neurones [ 11] ainsi que par les variations de calcium intracellulaire [ 12]. Ceci ouvrait la possibilité d’un contrôle physiologique de la transmission synaptique rapide par la mobilité des récepteurs AMPA.

La récupération de la dépression synaptique est favorisée par le mouvement des récepteurs AMPA

Pour étudier les effets de la diffusion des récepteurs AMPA sur la dépression à court terme, nous avons mesuré le mouvement de récepteurs AMPA individuels dans les neurones en culture en les marquant avec des nano-particules fluorescentes [7] (points quantiques, nanocristaux fluorescents de matériel semi-conducteur - les Quantum Dots). Nous avons ensuite examiné les effets de la réduction de la mobilité des récepteurs sur les courants post-synaptiques excitateurs évoqués (EPSC) dans des paires de neurones synaptiquement connectés. Nous avons mesuré la plasticité à court terme de l’amplitude relative de la deuxième réponse lors de la stimulation successive de deux EPSC. L’immobilisation des récepteurs AMPA par pontage avec un anticorps spécifique réduit l’amplitude du deuxième EPSC sans affecter le premier, indiquant que la réduction de la mobilité des récepteurs augmente effectivement la dépression à court terme.

Comme il est difficile de démêler les composantes pré- et post-synaptiques de la dépression à court terme, nous avons utilisé diverses méthodes pour activer directement les récepteurs AMPA post-synaptiques. L’immobilisation des récepteurs augmente la dépression de la deuxième réponse induite par une paire de stimulations provoquée par application locale de glutamate par iontophorèse ou par photo-activation de glutamate cagé.

La modulation physiologique de la mobilité des récepteurs contrôle la dépression synaptique

La mobilité des récepteurs AMPA est fortement diminuée par des augmentations de calcium intracellulaire [12]. Or, les phénomènes de plasticité synaptique à court et long termes en réponse à l’activité neuronale mettent souvent en jeu des variations de calcium intracellulaire [ 13]. De manière tout à fait intéressante, nous montrons maintenant que des influx de calcium, induits synaptiquement dans le neurone post-synaptique, réduit la mobilité des récepteurs et augmente la dépression de courants induits par application iontophorétique de glutamate. L’échange des récepteurs AMPA peut donc être réglé par l’activité synaptique. Nous établissons aussi que des bouffées d’activité neuronale immobilisent les récepteurs AMPA par l’intermédiaire d’augmentation de calcium, pouvant ainsi diminuer la capacité des neurones à transmettre l’activité neuronale à haute fréquence. Nos travaux suggèrent donc que les neurones peuvent utiliser la modulation de la vitesse d’échange des récepteurs pour contrôler leur fréquence de transmission.

Conséquences fonctionnelles

Les conséquences de ce travail sont multiples. Dans les conditions normales de fonctionnement du cerveau, on peut formuler l’hypothèse que l’immobilisation des récepteurs calcium-dépendante en réponse à une bouffée de stimulation représente un mécanisme de sécurité permettant d’éviter que la bouffée suivante ne surexcite le neurone post-synaptique. La capacité d’une synapse à transmettre fidèlement l’information entre deux neurones est, bien entendu, cruciale pour le bon fonctionnement du cerveau. On peut donc imaginer que certains dysfonctionnements de la transmission entre neurones sont dus à un défaut de stabilisation des récepteurs. Ce travail permet aussi d’imaginer de nouvelles cibles thérapeutiques agissant sur la stabilisation des récepteurs et susceptibles d’agir finement et efficacement sur le codage en fréquence de l’activité neuronale

Enfin, d’autres études seront nécessaires pour déterminer la contribution de la diffusion rapide des récepteurs AMPA dans la dépression à court terme sur les différentes synapses du cerveau. Cependant, ces travaux changent d’ores et déjà notre concept de la densité post-synaptique, depuis l’image d’une densité synaptique remplie de récepteurs immobilisés sur des échelles de temps de la minute, jusqu’à une structure extrêmement dynamique ayant la possibilité de se « rafraîchir » rapidement à partir de l’océan de récepteurs extra-synaptiques environnants.

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