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Med Sci (Paris). 2008 August; 24(8-9): 694–696.
Published online 2008 August 15. doi: 10.1051/medsci/20082489694.

De l’eau au moulin de thérapies ciblant l’interleukine-6 dans les tumeurs épithéliales

Angélique Gougelet,* Adeline Mansuy, and Jean-Yves Blay

Inserm U590, 28, rue Laennec, 69373 Lyon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Apoptose, Tumeurs du sein, Néphrocarcinome, Division cellulaire, Évolution de la maladie, Femelle, Humains, Interleukine-6, Tumeurs du rein, Tumeurs épithéliales épidermoïdes et glandulaires

 

L’interleukine 6 (IL-6) est une cytokine multifonctionnelle impliquée dans la réponse immunitaire et inflammatoire, et dans l’hématopoïèse. Elle est également actrice dans la pathogénie des cancers du rein, du sein, du poumon et des hémopathies, contribuant à la progression tumorale. L’IL-6 agit en se liant à son récepteur composé d’une sous-unité de fixation au ligand appelée gp80 et d’une sous-unité transductrice du signal gp130. La fixation du ligand conduit à l’activation par phosphorylation des Janus kinases (JAK) et de gp130, induisant des voies de signalisation (dont la voie STAT, signal transducers and activators of transcription, voie majoritairement activée) régulant la survie et la prolifération cellulaire [ 1]. Bien que l’influence de l’IL-6 dans la tumorigenèse soit encore controversée, et probablement liée au contexte cellulaire, des propriétés anti-apoptotique et proliférative lui sont généralement attribuées, et la surproduction d’IL-6 chez l’homme a été corrélée à un moins bon pronostic et une moindre réponse aux traitements [ 2].

IL-6, STAT3 et EGFR, un trio mortel dans les cancers du poumon

L’IL-6 est un facteur de croissance des cellules cancéreuses rénales et des progéniteurs hématopoïétiques leucémiques (notamment dans le myélome), via une action intra- ou paracrine [ 3]. Un taux élevé d’IL-6 est ainsi détecté dans le sérum de patients atteints de cancer du rein, du sein, de l’ovaire ou du poumon [ 4, 5]. Ces derniers mois, deux articles parus dans Journal of Clinical Investigation corroborent l’implication de cette cytokine dans l’apparition des cancers du sein et du poumon [ 6, 7]. Gao et al. s’intéressent à la voie JAK/STAT dans les cancers du poumon « non à petites cellules » (NSCLC) [6]. Or, la forme activée phosphorylée de STAT3 (pSTAT3) est un médiateur important en aval du signal du récepteur de l’EGF (EGFR), gène activé dans ces tumeurs, et souvent porteur de mutations activatrices. STAT3 peut aussi être activée par d’autres récepteurs, qu’ils fassent intervenir ou non une activité tyrosine kinase (TK), comme la famille IL-6R/gp130, PDGFR, src kinase, et JAK. Le rôle central de phospho-STAT3 (pSTAT3) dans le cancer du poumon est un fait bien admis, mais l’étude du J Clin Invest va plus loin en suggérant que l’hyperphosphorylation de STAT3 observée dans ces cellules non seulement est corrélée à l’expression des mutations dans le domaine TK de l’EGFR, mais est liée à l’activation de la voie IL-6/JAK. En effet, le niveau de phosphorylation de STAT3 est diminué après transfection d’ARN interférents anti-IL-6. Il est également réduit après exposition des cellules à des anticorps anti-IL-6 ou anti-gp130. Un inhibiteur général de JAK, P6 (tetracyclic pyridone 6), diminue pSTAT3 et réduit également la croissance tumorale in vitro et in vivo, alors que le géfitinib, inhibiteur de l’activité TK de l’EGFR, n’a pas d’effet.

L’IL-6 agit selon des mécanismes auto- et paracrins : en effet, on détecte un taux accru de pSTAT3 dans les cellules cancéreuses mammaires MCF-7 10A exposées au milieu de culture des cellules de NSCLC, qui synthétisent un taux élevé d’IL-6. Ce travail suggère surtout que le récepteur de l’EGF, hyperactivé dans les NSCLC, serait indirectement impliqué dans la production d’IL-6 par ces cellules, et ce via une activation transcriptionnelle du gène codant pour cette cytokine. En immunohistochimie, les niveaux d’expression de pSTAT3 et d’EGFR sont fortement corrélés. Plus probant, le géfitinib, si il n’inhibe pas directement la production de pSTAT3, inhibe en revanche la néosynthèse d’IL-6 par répression transcriptionnelle. L’interaction EGFR/IL-6/STAT3 est corroborée dans un autre modèle de cellules immortalisées, les cellules MCF-7 10A, possédant spontanément un faible taux des formes phosphorylées actives d’EGFR et de STAT3. La transfection dans ces cellules de ΔEGFR, forme d’EGFR délétée de l’exon 19 et hyperactive, induit un phénotype transformé et un taux élevé d’IL-6 et de pSTAT3. La prolifération cellulaire in vitro et la croissance tumorale in vivo de ces cellules s’en trouvent accrues.

Un tel mécanisme est-il envisageable dans les cancers du sein ? C’est plausible car STAT3 est constitutivement actif dans 50 % de ces cancers, l’expression de l’EGFR est un facteur de mauvais pronostic et ErbB2, membre des EGFR, est amplifié dans un tiers des cas [ 8]. De fait, une étude réalisée par cette même équipe révèle que P6, en diminuant pSTAT3, inhibe la croissance de cellules de cancer du sein. De plus, des analyses en tissue microarray montrent une forte corrélation entre pSTAT3 et IL-6. Enfin, une boucle paracrine a été mise en évidence puisque pSTAT3 est induite dans les cellules MCF-7 10A après exposition au milieu de culture des cellules MCF-7 10A (pSTAT3/IL6/EGFR+).

Interaction fonctionnelle entre les voies IL-6 et Notch dans les cancers mammaires

Il semble aussi exister un lien entre les voies de signalisation IL-6 et Notch dans la carcinogenèse mammaire, et des taux élevés d’IL-6 sont détectés chez les patients et liés à un mauvais pronostic. Sansone et al. démontrent le rôle de l’IL-6 dans l’organisation en acini et l’autorenouvellement des cellules souches cancéreuses (cellules de cancer basal-like ou mammosphères tumorales, formation de sphéroïdes multicellulaires par les cellules souches tumorales extraites de tumeurs de patients, et cultivées in vitro) [ 9, 10]. L’expression d’IL-6 dans les cellules normales, ou, à l’inverse, son inhibition dans les cellules tumorales la surexprimant, mettent en évidence une boucle IL-6-induite auto- et paracrine impliquant Notch3, un des quatre récepteurs transmembranaires de la famille Notch contrôlant le devenir cellulaire, et précédemment impliqué dans l’autorenouvellement des cellules de mammosphères normales ou tumorales. En particulier, l’IL-6 exogène induit la surexpression de Notch3, qui, à son tour, induit l’un de ses ligands Jagged1 dans les mammosphères normales et les cellules MCF-7, le couple ligand-récepteur induisant l’autorenouvellement des cellules tumorales. L’IL-6, via Notch 3, induit également un taux accru d’anhydrase carbonique IX (CAIX), enzyme indispensable à la survie en hypoxie. CAIX, responsable de l’hydratation du CO2, crée un pH extracellulaire favorable à l’activation des métalloprotéinases matricielles (MMP). De ce fait, la protéine MMP-2 est clivée à un taux plus élevé dans les cellules MCF-7 sélectionnées en milieu hypoxique. L’hyperactivation de MMP-2 qui en résulte est corrélée au fort pouvoir invasif de ces cellules, en accord avec leur phénotype CD44+CD24- en immunohistochimie [ 11]. À l’heure où l’on cherche un traitement spécifique des carcinomes mammaires « basal like », ainsi qu’une stratégie pour cibler spécifiquement les cellules souches de cancers du sein, cette voie de signalisation IL6 offre de potentielles perspectives thérapeutiques.

IL-6, hypoxie, CAIX et invasion soulèvent la question : quid des carcinomes pulmonaires ? CAIX étant un facteur de mauvais pronostic et Notch3 étant surexprimé dans un tiers des tumeurs pulmonaires, on peut s’attendre à ce qu’une telle boucle de régulation existe dans les NSCLC. Son interaction avec la voie STAT au niveau des deux types de cancers épithéliaux semble être un sujet d’intérêt. Une étude réalisée par Haruki et al. montre une forte corrélation Notch3/EGFR dans les cellules de cancer pulmonaire, mais surtout, l’inhibition de Notch3 sensibilise ces cellules à l’inhibiteur de l’EGFR AG1478 [ 12]. De plus, les effecteurs des récepteurs Notch, Hes-1 et -5 (hairy enhancer of split), favoriseraient l’interaction JAK/STAT dans des cellules neuroépithéliales [ 13]. En conclusion, ces articles fournissent de nouveaux arguments en faveur du rôle tumorigène de l’IL-6 et appuient l’utilisation de thérapie ciblant l’IL-6 dans les cancers épithéliaux telle que les anticorps CNTO328 ou Tocilizumab actuellement en phase clinique. Ils soulignent également, une fois de plus, le rôle potentiel d’une réaction inflammatoire chronique (source d’IL-6 initiale) dans le processus tumoral.

References
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Bachelot T, Ray-Coquard I, Menetrier-Caux C, et al. Prognostic value of serum levels of interleukin 6 and of serum and plasma levels of vascular endothelial growth factor in hormone-refractory metastatic breast cancer patients. Br J Cancer 2003; 88 : 1721–6.
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