III. Facteurs sociaux, culturels, économiques et inégalités sociales en matière de nutrition

2014


ANALYSE

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Coût des produits et choix alimentaires

Parmi les différents facteurs qui conditionnent les choix alimentaires des individus, les facteurs économiques, notamment ceux résultant d’un choix sous contraintes financières, peuvent avoir une importance cruciale et pourraient être des vecteurs des inégalités sociales de nutrition et de santé.
L’analyse microéconomique de la consommation s’attache à étudier le rôle du budget et des prix sur les choix alimentaires. Le coût des produits alimentaires intègre les prix observés en magasin, mais également les contraintes d’approvisionnement en termes d’argent et de temps. Ce chapitre analyse l’impact du coût des produits alimentaires sur le choix des consommateurs et la variation de cette relation en fonction du revenu des ménages. Parce qu’influant sur l’approvisionnement, le rôle des caractéristiques de l’environnement, en particulier commercial, est développé dans un autre chapitre. La question des liens entre coût et qualité nutritionnelle de l’alimentation fait également l’objet d’un chapitre dédié.

Modélisation des choix alimentaires

Le modèle microéconomique représente le comportement d’offre et de demande sur un marché donné, en fonction des prix pratiqués. Dans la théorie de l’offre et de la demande, l’offre correspond à la quantité d’un produit offert à la vente et la demande à la quantité d’un produit demandée par les acheteurs.
Intuitivement, l’augmentation du prix d’un bien pourrait être associée à une diminution de la demande : la hausse du prix est susceptible de décourager certains utilisateurs potentiels, qui préfèreront renoncer à ce bien ou en réduire l’usage ; l’augmentation du prix peut aussi orienter certains consommateurs vers d’autres biens permettant une utilisation comparable. On s’attend donc à une relation inverse entre le prix d’un produit et les quantités demandées. Parallèlement, une hausse du prix d’un bien est en général de nature à entraîner un accroissement de l’offre pour ce bien (un prix trop élevé entraînant une surproduction), et donc une courbe croissante entre prix et quantités offertes.
Il existe un prix d’équilibre, pour lequel l’offre permet de satisfaire exactement la demande exprimée. Mais la plupart des biens ne sont pas échangés à ce prix d’équilibre, le prix des biens pouvant être fixé par les producteurs ou distributeurs, ou plus rarement par les demandeurs. Par ailleurs, les marchés sont difficilement isolés les uns des autres. C’est le cas des biens alimentaires, pour lesquels il faut raisonner dans le cadre d’une variété de produits concourant à une alimentation globale et d’une interaction entre offre et demande de produits différents.
L’étude microéconomique des choix du consommateur repose sur l’analyse de la demande. Elle postule qu’un consommateur rationnel a des préférences vis-à-vis des différents choix de biens possibles (paniers de biens1 ). On modélise la demande de biens, par exemple d’aliments, dans le cadre d’une fonction d’utilité2 . Cette demande est soumise à une contrainte budgétaire qui fait intervenir les prix des biens et les ressources financières du consommateur, et à une contrainte de temps (pour l’étude détaillée de ce cadre théorique, cf. Deaton et Muellbauer, 1980renvoi vers). En disposant de données sur les choix effectués par le consommateur pour des niveaux de prix et de revenu fixés, on peut estimer empiriquement la fonction de demande avec des techniques statistiques adaptées. Cette estimation permet à son tour des prédictions sur les comportements futurs. Dans la mesure où l’on tient compte simultanément du marché de plusieurs produits alimentaires, le modèle de demande utilisera plusieurs fonctions estimées en système. Selon les formes fonctionnelles utilisées, la consommation pourra être exprimée en quantité, dépense, ou part de dépense (cf. Deaton et Muellbauer, 1980renvoi vers).
Il est plus controversé de formuler une demande de nutriments, ce qui impliquerait un choix de l’individu pour sa consommation alimentaire en termes nutritionnels. Cependant, l’approche de Lancaster (1966renvoi vers) a introduit l’analyse des choix en termes non plus de biens mais de caractéristiques de ces biens. On peut alors considérer que le contenu en nutriments fait partie de ces caractéristiques.
L’étude de la réponse (en termes de quantités consommées) à des variations de budget ou de prix est fondée sur l’estimation de tels systèmes de demande au moyen de méthodes économétriques (par exemple, Allais et coll., 2010renvoi vers ou Huang et Lin, 2000renvoi vers) et sur les travaux d’économie expérimentale qui effectuent une mesure directe sur de faibles échantillons (Epstein et coll., 2012renvoi vers). Cette réponse du consommateur est mesurée par l’élasticité.

Outil d’analyse de la sensibilité au prix ou au revenu : les élasticités

L’élasticité mesure la fluctuation d’une variable en réponse à la fluctuation d’une autre variable. Elle permet de comprendre et d’anticiper la réponse des consommateurs en termes de quantités consommées (ou achetées) à la manipulation de diverses variables économiques, en particulier par rapport au prix des produits, au revenu et à la dépense de consommation (budget alimentaire ou global). L’élasticité-prix mesure la fluctuation de la réponse à des variations de prix, c’est-à-dire la variation de la quantité consommée (ou achetée) d’un bien, en réponse à une variation du prix de 1 %.
Pour les biens alimentaires, on s’attend à une baisse de la demande d’un bien lorsque son prix augmente (élasticité-prix négative) et à une augmentation lorsque le revenu ou la dépense de consommation croissent (élasticité-revenu ou élasticité-dépense positive). En ce qui concerne l’ordre de grandeur de la variation de consommation induite, la demande est dite inélastique (sensibilité faible aux prix) lorsque la valeur des élasticités-prix est inférieure à 1, donc que l’effet du changement de prix se répercute moins que proportionnellement sur la quantité de biens. Inversement, la demande est élastique (sensibilité aux prix élevée) si cette valeur est supérieure à 1, la répercussion du changement de prix sur la quantité consommée étant dans ce cas plus que proportionnelle.
Le calcul d’élasticités-prix est particulièrement stratégique : il permet de mesurer les variations des quantités demandées d’un bien par rapport aux variations de son prix (élasticité-prix directe), mais aussi du prix des autres biens (élasticité-prix croisée). Par ce biais, il permet de déterminer les substitutions ou complémentarités entre biens : l’augmentation du prix d’un produit, par exemple le café, tout en induisant une diminution de la quantité demandée de celui-ci, peut entraîner une augmentation de la quantité demandée d’un autre bien, par exemple le thé (effet de substitution) ou une diminution d’un bien dont la consommation lui est associée, par exemple le sucre dans le cas du café (effet de complémentarité).
En fournissant des ordres de grandeur de l’impact de diverses variables économiques, et notamment l’influence respective du prix et du revenu sur la demande de différents produits, la connaissance des élasticités permet d’orienter les choix de politique économique vers des interventions, en particulier publiques, plutôt sur l’offre – les prix – ou plutôt sur la demande – le revenu –, la dépense. Les élasticités permettent également de comparer la sensibilité de plusieurs segments de demande (par exemple, sous-populations de revenus différents) ou d’offre (par exemple, catégories de produits alimentaires) aux variables économiques.
Dans le cadre de l’alimentation, les élasticités sont calculées au niveau des aliments. L’utilisation de tables de conversion nutritionnelle permet de passer au niveau des nutriments, ce qui permet d’obtenir l’élasticité-prix de la calorie, des acides gras saturés (AGS), du fer… La relation au modèle de demande est indirecte. Lors de ses achats, le consommateur choisit-il des aliments ou des nutriments ? La question de l’articulation aliments/nutriments a de fortes implications méthodologiques pour l’estimation de la demande.
De très nombreux travaux ont calculé des élasticités de la demande alimentaire pour des populations très différentes, et dans des contextes et pour des produits très variés. Dans ce chapitre, sont analysées environ 80 études reliant les choix alimentaires au prix des produits. Parmi celles-ci, peu d’études abordent la question des inégalités sociales, qui se résume pour ces travaux aux variations de l’influence des prix sur la consommation en fonction des niveaux de revenus. Par ailleurs, on trouve peu d’études longitudinales qui permettraient de connaître les ajustements de la consommation alimentaire en fonction des fluctuations du niveau de vie et de revenu.

Revenu et consommation alimentaire

Indépendamment de leurs préférences, les consommateurs sont contraints dans leurs choix par leurs ressources en termes de budget et de temps. Ce dernier est lié à la fois au niveau de revenu (coût d’opportunité) et au mode de production des biens consommés (par exemple arbitrage entre degré d’élaboration des aliments achetés et temps passé à la préparation des repas).
Pour les plus pauvres, la contrainte accrue de budget s’exprime à la fois au niveau de la faiblesse du budget alimentaire en valeur absolue et de l’importance de la part alimentaire dans les dépenses totales. En effet, au-dessous d’un certain seuil de dépense, le budget peut se révéler insuffisant pour assurer une alimentation de bonne qualité nutritionnelle (cette question fait l’objet du chapitre « Coût et qualité nutritionnelle de l’alimentation »). En France, le budget alimentaire moyen d’un ménage du 1er décile de revenu s’élevait à 5 €/jour/personne en 2006 (Insee, Enquête Budget de Famille 2006renvoi vers). En termes relatifs, on sait que la part de l’alimentation dans le budget des ménages est plus importante pour les bas revenus que les hauts revenus. Les personnes du 1er décile de revenus (corrigé par unité de consommation) consacrent à l’alimentation 18 % de leur budget contre 14 % pour le décile le plus riche. La contrainte de budget n’a donc pas le même poids pour des niveaux de vie différents.
Par ailleurs, la structure de la consommation alimentaire varie selon le revenu (Caillavet et coll., 2009renvoi vers), en particulier en ce qui concerne la part budgétaire des repas pris à l’extérieur du foyer : 13,9 % du budget alimentaire total chez les ménages les plus pauvres (1er décile) contre 30,1 % chez les ménages les plus riches (10e décile). Pour les ménages du 1er décile par rapport à ceux du 10e décile, les postes sous-représentés en termes de part dans le budget alimentaire à domicile sont les poissons et les produits de la mer (3,0 contre 5,5 %), les boissons alcoolisées (7,2 contre 11,9 %), les fruits frais et transformés (6,8 contre 7,4 %). Les produits surreprésentés sont les produits céréaliers (16,3 contre 12,5 %), les produits sucrés (5,9 contre 5,2 %), les boissons non alcoolisées (5,9 contre 5,2 %), les corps gras (2,7 contre 2,1 %) et les viandes (21,4 contre 20,0 %).
L’augmentation du budget alimentaire entraîne une croissance inégale des achats selon les groupes d’aliments (élasticités-dépense). Dans le cas français (Insee, Enquête Budget de Famille 2006renvoi vers), sur une nomenclature d’une vingtaine de postes, les aliments dont les quantités achetées augmentent le plus sont les produits d’origine animale (en particulier volailles, porc, poisson, produits laitiers autres que fromages, graisses animales), et les légumes (en particulier transformés). Aux États-Unis, les travaux de Huang et Lin (2000renvoi vers) indiquent que les postes dont les achats s’accroissent le plus lorsque le budget alimentaire augmente sont les fruits et légumes, la volaille et les matières grasses. Mais une méta-analyse des études menées aux États-Unis montre que c’est surtout la consommation alimentaire hors domicile qui augmente lorsque le revenu s’accroît (3 fois plus sensible que la consommation au domicile) (Blaylock et coll., 1999renvoi vers).
Les élasticités-dépense peuvent être calculées par catégories de produits selon différents groupes de revenu. Elles montrent que les ménages les plus pauvres ne sont pas forcément plus sensibles à une variation de leur budget alimentaire que les ménages les plus riches. Si l’on compare les ménages de niveau de revenus extrêmes dans le cas français, soit les 20 % des ménages les plus pauvres, par rapport aux 20 % des ménages les plus riches, on trouve des effets variés selon les groupes d’aliments. Ainsi pour les ménages les plus pauvres, une hausse du budget entraînera une augmentation des quantités achetées de produits sucrés, poisson, thé et café, charcuterie, boissons alcoolisées, dans de plus fortes proportions que pour les ménages les plus riches. En revanche, ce rapport s’inverse pour les autres groupes de produits.

Rôle des prix alimentaires

Plusieurs articles lient la hausse de la prévalence de l’obésité depuis un demi-siècle aux variations relatives des prix alimentaires. Il est vrai que les progrès en matière de production, transformation, conservation et distribution de l’alimentation ont permis une baisse du prix de la calorie, aux États-Unis comme en France (Lakdawalla et coll., 2005renvoi vers ; Combris, 2006renvoi vers ; Christian et Rashad, 2009renvoi vers). Cette évolution n’est pas identique pour tous les produits. Le progrès technologique a favorisé le développement des produits transformés, dont le prix a baissé beaucoup plus vite que celui des produits bruts, et ce d’autant plus qu’ils contiennent des graisses et sucres ajoutés peu coûteux et permettant d’augmenter facilement leur palatabilité3 (Cutler et coll., 2003renvoi vers ; Finkelstein et coll., 2005renvoi vers ; Drewnowski, 2007renvoi vers). Les prix ont donc joué un rôle clé dans la modification quantitative et qualitative de l’offre alimentaire, et par conséquent dans la transition nutritionnelle vers une alimentation riche en graisses et sucres rapides et une consommation de calories élevée.
Dans le cas français, au sein d’une tendance générale à la baisse des coûts de production par unité de produit, les produits frais ont enregistré une hausse par rapport aux produits industrialisés. Combris (2006renvoi vers) montre la baisse tendancielle des prix alimentaires en France depuis 50 ans mais l’augmentation des prix des fruits et légumes frais. L’écart, important aujourd’hui entre coût d’une calorie de fruits et légumes et coût d’une calorie de graisse ou de sucre, s’est ainsi creusé au cours du temps.
Le prix tel qu’il est introduit dans les modèles de demande ne correspond pas exactement au prix affiché en magasin. Plusieurs biais (erreurs et omissions dans le relevé des données, écarts de prix attribuables à des différences de qualité choisie par l’individu pour un même bien) compliquent l’utilisation des données brutes de prix. Pour limiter ces biais, on calcule les valeurs unitaires en divisant les dépenses par les quantités achetées au niveau de chaque consommateur. Ces valeurs qui correspondent au prix payé par unité de produit incorporent encore un effet de taille des portions achetées, ainsi que l’influence du mode et du lieu d’approvisionnement. De ce fait, les valeurs unitaires constatées pour un produit alimentaire donné diffèrent selon les ménages.
Par exemple, en France, les personnes âgées s’approvisionnent à des valeurs unitaires supérieures à celles des autres classes d’âge, sans doute en raison d’une moindre mobilité – les magasins les plus proches étant souvent les plus chers – et l’absence d’économies d’échelle lorsque la personne vit seule. En ce qui concerne les ménages à bas revenu, les valeurs unitaires de la plupart de leurs aliments achetés sont moindres que celles des achats des personnes bénéficiant de revenus élevés (Caillavet et coll., 2009renvoi vers). Ce résultat concorde avec l’étude de Beatty (2010renvoi vers) au Royaume-Uni. Beatty a construit un indice de cherté du panier alimentaire et a constaté que cet indice est moins élevé chez les ménages à faibles revenus, en raison notamment des réductions de prix obtenues pour des achats en plus grandes quantités.

Variations de prix et choix alimentaires

L’impact d’une variation de prix sur les choix alimentaires peut être très différent selon les produits et le contexte (Blaylock et coll., 1999renvoi vers). Aux États-Unis, Sturm et Datar (2011renvoi vers) mettent en évidence l’influence des disparités régionales de prix dans les différences de consommation de fruits et légumes, viandes et produits laitiers des enfants. Par ailleurs, l’importance du goût peut, à long terme, supplanter celle du prix : Dellava et coll. (2010renvoi vers) montrent que la croissance des prix de la viande, des produits laitiers et des corps gras en Russie sur 10 ans, a été associée à une diminution de la consommation des 2 premiers types d’aliments, mais ne constitue pas un frein à la consommation de graisses, après une période initiale de réduction de leur consommation.
On constate ainsi une certaine dispersion des élasticités-prix dans les travaux analysant les répercussions des variations de prix sur la consommation des différents produits alimentaires. Une revue systématique rassemble les élasticités-prix obtenues à partir des travaux américains en population générale (Andreyeva et coll., 2010renvoi vers). La moyenne de ces valeurs, calculée par produit, est inférieure à 1 et désigne donc des biens « peu élastiques, voire inélastiques », dans la mesure où la variation de la consommation est moindre que la variation du prix. Cependant la dispersion peut être grande, due en particulier au fait que la période des travaux recensés (échantillons de données transversales s’étageant entre 1938 et 2007) est très hétérogène et marquée par une structure variable de la consommation. Parmi les produits favorables à la santé, la moyenne se situe à -0,70 pour les fruits (les élasticités-prix varient entre -0,16 et -3,02) et à -0,58 pour les légumes (entre -0,21 et -1,11) ; on relève une élasticité moyenne légèrement supérieure pour les jus de fruits (-0,76) ; pour le poisson, elle se situe à -0,50. Parmi les produits alimentaires peu recommandés, on trouve des élasticités-prix de l’ordre de -0,79 pour les boissons sans alcool, -0,34 pour les produits sucrés et la confiserie, -0,48 pour les graisses. Les données françaises se situent dans ces intervalles (Caillavet et coll., 2009renvoi vers ; Allais et coll., 2010renvoi vers). Il faut souligner que les élasticités-prix sont très sensibles au niveau de désagrégation des produits. Par exemple, les résultats observés pour les fruits et légumes agrégés seront différents selon le degré de transformation des produits (frais, transformés).

Relations entre prix alimentaires et poids

Les études sur les liens entre prix alimentaires et poids ou obésité sont moins nombreuses. L’analyse des travaux américains (Powell et Chaloupka, 2009renvoi vers) relève quelques relations intéressantes entre aliments plus ou moins caloriques et poids : chez les adolescents, Powell et coll. (2007renvoi vers) constatent qu’une hausse du prix des fast foods est associée à une augmentation des achats de fruits et légumes d’une part, et à une diminution de l’indice de masse corporelle (IMC) d’autre part ; Auld et Powell (2009renvoi vers) trouvent qu’une diminution de l’IMC est associée à une hausse du prix des aliments denses en énergie, et à une baisse du prix des aliments à faible densité énergétique. Chez les adultes, à partir de données longitudinales, Sturm et Datar (2005renvoi vers, 2008renvoi vers) observent une relation positive entre le prix des fruits et légumes et l’IMC. Chou et coll. (2004renvoi vers) relèvent une association négative entre prix de l’alimentation (restaurants, ainsi qu’alimentation au domicile) et l’IMC d’une part, et l’obésité d’autre part. D’autres études ne trouvent pas de lien (Kim et Kawachi, 2006renvoi vers) ou bien celui-ci varie selon la méthode d’estimation utilisée (Han et Powell, 2011renvoi vers). Dans le cas de la France, une étude relève une association positive entre l’IMC des femmes et le prix des fruits frais, et négative avec le prix des fromages, des huiles, des desserts, des plats préparés et des boissons sans alcool ; on retrouve ces deux derniers résultats chez les hommes (Boizot-Szantai et Etilé, 2009renvoi vers).

Réponses au prix selon le niveau de revenu

La majorité des études segmentant les effets du prix selon le revenu portent sur la consommation. Les rares études sur la santé proviennent des États-Unis. Chez Beydoun et coll. (2008renvoi vers), des indices de prix des fruits et légumes sont associés plus fortement avec des indicateurs de qualité nutritionnelle de l’alimentation dans la catégorie défavorisée au sein de 3 strates de revenu : un prix supérieur est associé à une meilleure qualité nutritionnelle et une réduction de la proportion d’obèses. En revanche chez Powell et Bao (2009renvoi vers) sur un échantillon d’enfants, on ne trouve pas de relation significative entre le prix des fruits et légumes et l’IMC dans les différents quintiles de revenu, hormis chez les plus pauvres. Pour ces ménages, une hausse de l’IMC est associée à une hausse du prix des fruits et légumes et à une baisse du prix des fast foods.
La partie suivante analyse les effets de la variation des prix alimentaires sur les achats, à travers les études d’élasticités-prix calculées selon différentes strates de revenu. Elles sont synthétisées dans le tableau 13.Irenvoi vers.

Élasticités-prix des aliments

Du fait d’une contrainte budgétaire plus forte (découlant en particulier d’une part plus importante du budget consacré à l’alimentation) pour les ménages à bas revenus, on s’attend à ce que ceux-ci développent une plus grande sensibilité aux variations de prix des aliments. Une récente analyse par méta-régression tente une synthèse des études estimant des élasticités-prix en prédisant des élasticités prix ajustées par les différences entre études selon 9 groupes d’aliments (Green et coll., 2013renvoi vers). Cette étude conclut à une demande plus sensible au prix pour les pays de plus faible revenu (136 études), ainsi que pour les segments de population plus défavorisés (21 études) quels que soient les groupes alimentaires considérés.
Cette uniformité de résultats ne se retrouve pas forcément au niveau des études originales à un niveau plus désagrégé. Ainsi, une étude danoise sur 23 groupes d’aliments (Smed et coll., 2007renvoi vers) constate pour la plupart des produits alimentaires une plus grande sensibilité aux prix pour les groupes les plus défavorisés par rapport aux catégories les plus aisées. Par exemple, l’élasticité-prix des légumes est de -1,47 pour les revenus les plus faibles et de -1,03 pour la classe la plus riche (tableau 13.Irenvoi vers), c’est-à-dire qu’une hausse de 1 % du prix des légumes entraîne une diminution des quantités achetées de 1,47 % chez les ménages les plus pauvres et de 1,03 % chez les ménages les plus riches. Mais ce n’est pas le cas pour toutes les catégories alimentaires. On trouve dans les travaux distinguant plusieurs classes de revenu une grande hétérogénéité des élasticités-prix significatives. Une généralisation sur la plus ou moins grande sensibilité des plus défavorisés au prix paraît difficile à ce niveau, comme le montre le tableau 13.Irenvoi vers. Dans le cas français, on relève également des résultats disparates : une élasticité-prix des légumes frais inférieure pour les revenus les plus faibles (-0,20 versus -0,44) chez Allais et coll. (2010renvoi vers) avec des données de cohorte, supérieure (-1,22 versus -1,03) chez Caillavet et coll. (2009renvoi vers) avec des données transversales.
Les écarts entre les différentes valeurs d’élasticités relevés dans la littérature reflètent des différences à de multiples niveaux : données, calcul des prix, modèle économétrique, méthode d’estimation…
En ce qui concerne les produits favorables à la santé, et en particulier les fruits et légumes, les données nord-américaines montrent que les ménages à faibles revenus sont dans l’ensemble moins sensibles au prix des fruits que les ménages aux revenus élevés. Pour les légumes, on trouve les deux cas de figure, les personnes disposant de faibles revenus pouvant être plus ou moins sensibles aux prix que les plus aisées (Park et coll., 1996renvoi vers ; Huang et Lin, 2000renvoi vers ; Dong et Lin, 2009renvoi vers). Les travaux français rapportent, pour les populations aux revenus les plus faibles, des sensibilités au prix des fruits frais disparates : plus fortes que pour les ménages aisés dans les études de Caillavet et coll. (2009renvoi vers) et Bertail et Caillavet (2008renvoi vers), plus faibles dans les résultats d’Allais et coll. (2010renvoi vers). Par ailleurs, une catégorie de ménages très défavorisés peut se révéler insensible aux variations de revenu pour les achats de fruits et légumes agrégés, et insensible (Bertail et Caillavet, 2008renvoi vers) ou très peu sensible (Allais et coll., 2010renvoi vers) aux variations de prix pour certains produits (légumes frais, légumes en conserves). Ce résultat est retrouvé en partie dans les données nord-américaines (Blisard et coll., 2004renvoi vers).

Tableau 13.I Impact des variations de prix de l’alimentation sur les achats en fonction du revenu

Références
Pays
Années
Échantillon
Méthode estimation
Élasticité-prix directea
Revenu faible/élevé
Lin et coll., 2011renvoi vers
États-Unis
1998-2007
2 classes de revenu
Système demande partiel AIDS
Boissons sans alcool
Boissons sucrées : -0,95/-1,29
Boissons light : -0,70/-0,46
Jus : -1,02/-0,93
Zhen et coll., 2011renvoi vers
États-Unis
2004-2006
2 classes de revenu
Système demande partiel AIDS
Boissons sans alcool
Sodas : -1,45/-1,87
Sodas light : -1,51/-0,82
Jus : -1,01/-1,34
Boissons sucrées aux fruits : -1,98/-2,65
Allais et coll., 2010renvoi vers
France
1996-2001
4 classes de revenu
Système demande partiel AIDS
Alimentation à domicile
Matrice de conversion nutritionnelle
Fruits frais : 0/-0,36
dont vitamine C : 0,01/-0,10
Légumes frais : -0,20/-0,44
Beurre et fromages : -0,30/-0,25
dont AGS : -0,17/-0,17
Produits gras et sucrés : -0,48/-0,24
dont AGS : -0,18/-0,15
Plats préparés : -1,38/-1,39
Caillavet et coll., 2009renvoi vers
France
2006
Quintiles de revenu
Système demande AIDS
Alimentation à domicile
Fruits frais : -0,45/-0,53
Légumes frais : -1,22/-1,03
Graisses animales : -0,51/-0,89
Graisses végétales : -0,54/-0,78
Bœuf : -0,73/-0,75
Sucre : -1,39/-1,41
Boissons non alcoolisées (hors jus) : -0,94/-1,38
Dong et Lin, 2009renvoi vers
États-Unis 2004
3 classes de revenu
Fonction de demande
Fruits et légumes
Fruits : -0,52/-0,58
Légumes : -0,69/-0,57
Bertail et Caillavet, 2008renvoi vers
France
1997
6 clusters
Système demande AIDS
Fruits et légumes
Fruits frais : -1,73/-0,45
Légumes frais : 0/-0,81
Smed et coll., 2007renvoi vers
Danemark
1997-2000
5 classes sociales
Système demande AIDS
Alimentation à domicile
Matrice de conversion nutritionnelle
Fruits : -1,22/-0,37
Légumes : -1,47/-1,03
Bœuf : -1,80/-0,59
Porc : -2,00/-0,37
Margarine : -1,98/-1,86
Beurre : -1,55/-1,58
Sucre : -1,03/-0,87
Yen et coll., 2004renvoi vers
États-Unis 1996-1997
Bénéficiaires de programmes d’aide
Système demande Translog
Boissons sans alcool
Sodas : -0,80
Jus : -0,52
Huang et Lin, 2000renvoi vers
États-Unis 1987-1988
3 classes de revenu
Système demande AIDS
Alimentation à domicile
Matrice de conversion nutritionnelle
Fruits : -0,65/-0,75
Légumes : -0,70/-0,71
Poisson : -0,36/-0,24
Bœuf : -0,29/-0,41
Porc : -0,72/-0,67
Graisses : -0,51/-0,37
Park et coll., 1996renvoi vers
États-Unis
1987-1988
2 classes de revenu
Équation de Participation + Système demande LES
Alimentation totale
Fruits : -0,34/-0,52
Légumes : -0,32/-0,45
Bœuf : -0,45/-0,44
Porc : -0,49/-0,44
Graisses : -0,79/-0,58
Alimentation hors domicile : -0,93/-0,96

a Les élasticités-prix reportées s’entendent non compensées, c’est-à-dire à budget inchangé, et statistiquement significatives jusqu’au seuil de 10 %. Lorsqu’il y a plus de 2 classes de revenu, le rapport revenu faible/revenu élevé correspond aux 2 classes extrêmes.
AIDS : Almost Ideal Demand System ; AGS : Acides gras saturés ; LES : Linear Expenditure System, et Translog désignent des modèles économétriques utilisant des formes fonctionnelles différentes

Concernant les produits peu recommandés sur le plan nutritionnel, il n’y a pas plus de consensus sur l’impact d’une hausse de prix sur les achats. Les résultats américains opposent les boissons sucrées, pour lesquelles les ménages les plus riches modifient le plus leurs achats aux boissons light, pour lesquelles les ménages les plus pauvres réagissent davantage à une hausse de prix (Lin et coll., 2011renvoi vers ; Zhen et coll., 2011renvoi vers). En France, les ménages modestes sont moins sensibles au prix des boissons sans alcool (jus de fruits exclus) que les plus aisés (Caillavet et coll., 2009renvoi vers). Comparés aux autres produits alimentaires, la consommation de boissons est relativement sensible au prix, dans un rapport à peu près proportionnel (élasticité autour de 1, voire supérieure), soit plus que la plupart des autres produits alimentaires « solides » dont la consommation se révèle plus stable face aux prix. Quant aux graisses, on obtient sur les données françaises des résultats disparates (Caillavet et coll., 2009renvoi vers ; Allais et coll., 2010renvoi vers). Sur les données américaines, la sensibilité aux prix des graisses est plus forte dans les ménages à bas revenus (Park et coll., 1996renvoi vers ; Huang et Lin, 2000renvoi vers).
Une étude d’économie expérimentale réalisée auprès d’adolescents nord-américains (Epstein et coll., 2006renvoi vers) montre l’implication du niveau de revenu dans la réponse au prix des achats de produits, qu’ils soient bons pour la santé ou peu recommandés. Les personnes disposant de faibles revenus, comparées à celles bénéficiant de revenus supérieurs, sont relativement plus sensibles au prix des produits défavorables à la santé et légèrement moins sensibles au prix des produits favorables à la santé. Pour les revenus supérieurs, la sensibilité au prix est la même que les produits soient recommandés ou non. L’une des raisons en est la hiérarchie densité en énergie/coût des aliments qui privilégie des aliments peu recommandés pour atteindre la sensation de satiété à moindre coût (voir le chapitre « Coût et qualité nutritionnelle de l’alimentation »). En outre, des éléments de facilités de préparation et de palatabilité entrent en ligne de compte.

Élasticités-prix des nutriments

Seules trois études ont évalué la réponse au prix des nutriments selon le niveau de vie (Huang et Lin, 2000renvoi vers ; Smed et coll., 2007renvoi vers ; Allais et coll., 2010renvoi vers), une seule a publié les valeurs des élasticités-prix (Allais et coll., 2010renvoi vers). On sait que les élasticités-prix des nutriments sont bien plus faibles que celles des aliments, ce que confirme cette étude. En revanche, on ne connaît pas de fait stylisé4 sur le sens des écarts entre les élasticités-prix des nutriments et le niveau de revenu (pas plus que pour les élasticités-prix des aliments). Dans cette étude française, à partir d’élasticités-prix différentes des aliments pour les 2 classes de revenu extrêmes, on obtient en revanche une élasticité-prix des acides gras saturés de même valeur (cas des acides gras saturés issus des beurres et fromages) ou de valeur très proche (cas des acides gras saturés issus des produits gras et sucrés). Au contraire, la différence est accusée pour la vitamine C issue des fruits frais. Cependant, l’ordre de grandeur reste très faible et traduit une demande totalement inélastique.

Perceptions des coûts et stratégies d’achat

La perception des prix et l’évaluation des autres coûts liés à l’approvisionnement (transport, temps passé…) peuvent différer selon les individus et la contrainte budgétaire, aussi les stratégies d’achat varient-elles en fonction du niveau de vie.

Perception de l’accessibilité financière et consommation

L’accessibilité financière est souvent évoquée dans les travaux sur les choix alimentaires des populations défavorisées, en particulier pour les achats de produits recommandés pour la santé. Dans la population française à bas revenus, la plupart des personnes relèvent le prix comme un obstacle important à l’achat de davantage de fruits et légumes (Bihan et coll., 2010renvoi vers). Des résultats australiens rapportent une consommation de fruits des enfants inférieure lorsque les fruits sont perçus comme trop chers par les mères (Williams et coll., 2012renvoi vers). Des données britanniques montrent que les consommateurs à faibles revenus limitent leurs achats de fruits et légumes car ils sont perçus trop chers (Dibsdall et coll., 2003renvoi vers). Cependant, peu de travaux différencient la perception de cherté de la cherté réelle.
Une étude australienne a comparé les perceptions des prix par les participants dans les supermarchés qu’ils fréquentent et les prix objectifs (Giskes et coll., 2007renvoi vers). Elle a calculé les différences de prix entre produits recommandés sur le plan nutritionnel et leur homologue standard (exemple : pain complet versus pain blanc), pour 14 catégories alimentaires à la fois au niveau des prix objectifs et des prix perçus. Sur le plan objectif, les produits recommandés étaient en général plus chers que les autres, mais la majorité des participants n’a perçu de différence que dans le cas des légumes, des yaourts et du bœuf. Les choix d’achat des produits recommandés sur le plan nutritionnel se sont révélés associés plus fortement aux différences de prix perçus qu’à celles des prix eux-mêmes. Les groupes à plus bas revenu avaient une probabilité moindre d’acheter les produits recommandés. Cependant la différence des prix, en termes de prix objectifs comme de prix perçus, jouait un rôle similaire quel que soit le revenu et n’expliquait pas les disparités dans les choix d’achat.
Une enquête menée chez les consommateurs français montre un décalage entre prix perçu par le consommateur et prix réel du produit. Au sein de l’alimentation, une attention particulière est portée aux prix des fruits et légumes frais par les consommateurs. Or la perception de l’augmentation du prix de ces produits correspondrait mal à la réalité, en particulier en raison du rôle des variations saisonnières, du ralentissement du pouvoir d’achat, et du débat médiatique sur les prix (Hebel, 2007renvoi vers).

Stratégies d’achat

Plusieurs travaux qualitatifs s’appuient sur des groupes de discussion (focus groups) pour connaître les perceptions des prix et les stratégies d’achat mises en œuvre par les personnes ayant un budget très limité. Dans ce contexte, le prix est le critère principal, voire le seul critère de choix pour les populations à bas revenus, que ce soit aux Pays-Bas ou aux États-Unis (Wiig et Smith, 2009renvoi vers ; Waterlander et coll., 2010renvoi vers ; Webber et coll., 2010renvoi vers). Des consommateurs américains à faibles revenus privilégient les achats en promotion et la consommation de conserves (Webber et coll., 2010renvoi vers). Ils développent une stratégie pour les produits chers tout au long du mois : en début de mois, les fruits et légumes sont achetés frais, les achats privilégiés ensuite sont les surgelés puis les conserves. Les jus de fruits et les produits biologiques sont évités. Des économies sont réalisées sur les fruits et légumes, la viande et les produits laitiers (Waterlander et coll., 2010renvoi vers). Des auteurs mentionnent le fait que des consommateurs évitent de faire les courses avec les enfants (Wiig et Smith, 2009renvoi vers).

Prise en compte du coût complet incluant le temps

Les études concernant la perception confirment que l’alimentation non recommandée sur le plan nutritionnel est perçue comme moins chère, voire plus facile à trouver et à préparer, en particulier par les personnes à bas revenus (Giskes et coll., 2007renvoi vers). Elles montrent par ailleurs que les consommateurs évaluent souvent le coût complet des achats alimentaires, c’est-à-dire incluant le coût d’approvisionnement, la qualité, les bénéfices perçus pour la santé et le coût d’opportunité5 du temps nécessaire pour acheter en promotion selon le mode de transport utilisé (Webber et coll., 2010renvoi vers). De fait, les disparités dans l’accès à une alimentation saine peuvent être fortes : par exemple, Bertrand et coll. (2008renvoi vers) constatent qu’à Montréal 40 % de la population a un accès limité en termes de distance à pied à l’offre de fruits et légumes. Laraia et coll. (2004renvoi vers) trouvent un lien entre la proximité des supermarchés et la qualité nutritionnelle de l’alimentation pour des femmes enceintes. Les questions d’environnement commercial s’insèrent dans la problématique de l’influence de l’environnement alimentaire sur les comportements et nécessitent une approche en termes de zones de proximité géographique (Popkin et coll., 2005renvoi vers).
Le temps de préparation des repas est également pris en compte par les consommateurs : une étude américaine auprès de femmes défavorisées indique qu’elles passent moins de temps à préparer les repas avec les ingrédients du plan national américain pour l’alimentation Thrifty Food Plan que ce qui est prévu comme nécessaire (Rose, 2007renvoi vers). Or, économiser 16 à 49 % du temps de préparation conduit à un coût supérieur du repas de 29 %. En effet, Blaylock et coll. (1999renvoi vers) soulignent que les contraintes de temps sont un obstacle à une alimentation bénéfique pour la santé. Les préférences affectent l’arbitrage coût monétaire/temps pour la préparation des aliments. Le Healthy Eating Index (HEI), score d’adhésion aux recommandations, est associé aux variables de préférence pour le futur6 . L’importance accordée au prix, qui est la première contrainte pour les bas revenus, est associée à un HEI inférieur (Huston et Finke, 2003renvoi vers).

Coûts d’approvisionnement et localisation

Les coûts de l’approvisionnement font partie du coût complet qui guide les achats du consommateur. Ils peuvent varier selon le type de commerce fréquenté et le quartier de résidence. Plusieurs travaux testent l’hypothèse qu’une alimentation bénéfique pour la santé est plus chère, en termes de coût et d’accessibilité aux produits. Ces questions sont développées dans les chapitres « Coût et qualité nutritionnelle de l’alimentation » et « Environnement alimentaire et comportements alimentaires ». Les résultats des études sur l’importance éventuelle des effets contextuels sur l’alimentation sont très dépendants des situations du commerce alimentaire et de la législation. Or ceux-ci varient fortement par pays. Des études anglaises et américaines se concentrent sur le rôle des petits commerces locaux ou « dépanneurs » qui offrent moins de variété de produits : des prix supérieurs de 30 % par rapport aux supermarchés sont relevés dans le Sud du Derbyshire au Royaume-Uni (Barratt, 1997renvoi vers), ceux-ci varient de -18 à +30 % par rapport aux prix nationaux à Rhode Island, États-Unis (Sheldon et coll., 2010renvoi vers). Ce surcoût de l’alimentation est en partie compensé par l’absence de coûts de transport et fait partie de la stratégie d’approvisionnement des bas revenus (Barratt, 1997renvoi vers ; Wiig et Smith, 2008 dans le Minnesota, États-Unis). Ces coûts d’approvisionnement influent également sur la santé : dans une étude américaine (Powell et Bao, 2009renvoi vers), la densité de petits magasins (convenience stores) est associée positivement à l’IMC des enfants.
D’autres travaux comparent quartiers aisés et quartiers défavorisés, à travers l’assortiment des supermarchés. Dans une étude australienne, celui-ci ne se révèle pas différent entre quartiers (Vinkeles Melchers et coll., 2009renvoi vers). En revanche, le coût du même panier d’aliments peut s’avérer significativement moins cher dans des zones à bas revenu en Californie (Cassady et coll., 2007renvoi vers). Cependant, une étude récente constate que, même en ajustant sur la proximité des supermarchés, l’approvisionnement dans les supermarchés les moins chers (pour un même panier) est associé avec le risque d’obésité (Drewnowski et coll., 2012renvoi vers).
Il est très délicat de transposer ces résultats à la situation française, dans laquelle la répartition des supermarchés sur le territoire semble meilleure que dans certaines zones des États-Unis, et le choix de fruits et légumes frais en général correct. Peu de données existent en France dans le domaine public sur la densité des divers types de sources d’approvisionnement alimentaire (supermarchés/commerces spécialisés) et leur fréquentation selon le niveau socioéconomique des consommateurs, et de ce fait les travaux sur cette question sont rares. Cependant, une étude récente à partir de la cohorte Record (Residential Environment and CORonary heart Disease) trouve une association entre IMC élevé et approvisionnement dans certaines chaînes de supermarché, en particulier de hard-discount (Chaix et coll., 2012renvoi vers).
En conclusion, on sait que la contrainte du budget dédié à l’alimentation n’a pas le même poids pour des ménages de niveaux de vie différents. En France, les personnes du 1er décile de revenus consacrent à l’alimentation 18 % de leur budget contre 14 % pour le décile le plus riche. L’augmentation du budget alimentaire entraîne une croissance inégale des achats selon les groupes d’aliments et le revenu des ménages. Les réponses aux variations de prix, d’une manière générale, et en particulier calculées selon le niveau de revenu, attestent d’une grande diversité selon les études. Elles dépendent étroitement des groupes de population et des produits alimentaires considérés, ainsi que du degré de finesse de la nomenclature de ces produits remettant en cause l’idée répandue que les groupes socioéconomiques défavorisés sont plus sensibles au prix des produits alimentaires que les populations plus aisées. Outre les différences de méthode d’analyse, une des raisons de la diversité de réponse aux prix peut résider dans le fait que les stratégies d’achat tiennent plutôt compte des coûts complets, c’est-à-dire incluent les différentes contraintes qui pèsent sur le coût d’opportunité du temps. Ces contraintes appuient l’importance des questions d’environnement commercial et d’habitat, à travers l’accessibilité physique aux magasins offrant les produits alimentaires désirés. Ces questions ont été peu explorées dans le domaine français et les sources de données sont encore rares.
France Caillavet
Inra UR 1303 ALISS, Alimentation et sciences sociales, Ivry sur Seine

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