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Med Sci (Paris). 2009 January; 25(1): 12–14.
Published online 2009 January 15. doi: 10.1051/medsci/200925112.

Le suppresseur de tumeur APC, un nouvel agent recruteur des ARNm

Julien Courchet, Karine Buchet-Poyau, Mailys Le Borgne, and Marc Billaud*

CNRS UMR 5201, Laboratoire de Génétique Moléculaire, Signalisation et Cancer, F-69008 Lyon, France
Université de Lyon, F-69008 Lyon, France
Université Lyon 1, Domaine Rockefeller, 8, avenue Rockefeller, Lyon F-69008, France
Centre Léon Bérard, Lyon F-69008, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Mouvement cellulaire, Phénomènes physiologiques cellulaires, Gènes APC, Humains, ARN, ARN messager

 

S’il existe un rapport évident entre la forme et la fonction des cellules, sait-on comment l’une et l’autre sont liées au niveau moléculaire ? Dans un neurone par exemple [ 1], quels mécanismes permettent d’adresser certains composants cellulaires vers la synapse afin qu’ils puissent y remplir leurs rôles dans la transmission des messages nerveux ? Et une fois leur destination finale atteinte, comment ceux-ci sont-ils maintenus sur leur lieu de résidence ? Ce type d’interrogation est à l’origine de nombreuses découvertes qui ont marqué la biologie de ces cinquante dernières années, avec en particulier la mise en évidence d’un code orchestrant le trafic intracellulaire. Malgré ces avancées, il subsiste encore de nombreuses questions irrésolues et l’exploration d’une de ces zones obscures par l’équipe de Ian Macara (Université de Virginie, Charlottesville, États-Unis) permet de faire figurer de nouvelles routes sur la carte encore incomplète de ce territoire de la recherche [ 2].

ARN émigrants : portrait de groupe

Les auteurs de ce travail posaient la question de l’identité des ARNm localisés au front de migration des fibroblastes. De nombreux ARNm ne sont pas distribués de manière uniforme dans la cellule et certains d’entre eux sont transportés de manière sélective dans les différents compartiments des cellules polarisées comme les extensions cytoplasmiques du fibroblaste en mouvement. La localisation polarisée de ces ARNm permet leur traduction dans des régions restreintes de la cellule où leurs produits exercent leurs activités biologiques, un sujet qui a fait l’objet de plusieurs articles dans Médecine/Sciences [ 35]. Ce phénomène est très général chez les eucaryotes, concourant à des processus aussi variés que l’établissement de la polarité cellulaire, la formation des axes embryonnaires et la plasticité synaptique [ 6]. Dans de nombreux cas, l’acheminement d’un ARNm vers son port d’attache requiert la fixation de protéines reconnaissant des séquences cibles spécifiques, généralement dans leur région 3’ non traduite (3’ UTR), mais aussi dans leur région codante. L’assemblage d’un complexe multiprotéique sur l’ARNm assure plusieurs fonctions qui vont de la protection de celui-ci vis-à-vis de l’action des nucléases lors de son transport jusqu’à son ancrage sur le cytosquelette où il est pris en charge par des moteurs moléculaires qui le propulsent vers son havre cellulaire [6].

Un certain nombre d’ARNm localisés de manière asymétrique dans la cellule ont été identifiés dans différents organismes, mais aucune tentative visant à caractériser systématiquement l’ensemble des transcrits astreints à ce routage intracellulaire n’avait été entreprise. Afin de s’attaquer à cette question, Ian Macara et ses collaborateurs ont choisi d’utiliser le modèle des fibroblastes en migration [2]. Lorsque ces cellules sont soumises à une stimulation par un facteur chimiotactique comme le LPA (acide lysophosphatidique), elles se polarisent et étirent des prolongements cytoplasmiques en direction de la source du signal diffusible. L’élongation vers l’avant de ces protrusions, essentiellement lamellipodes et filopodes, dépend de la polymérisation de l’actine et elles participent directement au mouvement orienté de la cellule. La densification du réseau cortical d’actine est sous le contrôle des petites protéines GTPases de la famille Rho, mais elle requiert également le transport des ARNm codant l’actine β et les protéines du complexe Arp2/3 dans les protrusions membranaires [ 4], leurs produits contribuant à la formation locale des filaments d’actine. Afin d’identifier la société des ARNm réunie dans ces extensions cytoplasmiques, les auteurs ont appliqué une procédure expérimentale mise au point par Richard Klemke (The Scripps Research Institute, La Jolla, CA, États-Unis) [ 7]. Celle-ci consiste à faire pousser des fibroblastes sur un tamis constitué de pores d’un diamètre de 3 micromètres, disposé au-dessus d’une source de LPA, puis, au bout d’une heure, de micro disséquer les pseudopodes qui se sont allongés à travers les pores. Cette technique de purification répond assez bien au conseil du regretté Pierre Dac qui suggérait que « pour trouver une aiguille dans une botte de foin, c’est facile : brûlez la botte et l’aiguille apparaîtra ». De fait, ayant éliminé les corps cellulaires et disposant d’un mélange de pseudopodes, il a été possible d’appliquer à l’aide de « puces » à ADN, une analyse transcriptionnelle à l’échelle du génome entier, permettant ainsi d’identifier une cinquantaine d’ARNm enrichis dans ces protrusions fibroblastiques. À première vue, rien de très flagrant dans cette collection hétéroclite d’ARNm, ni en termes de fonctions des protéines codées, ni en termes de séquences nucléotidiques permettant de suspecter un mécanisme commun de recrutement.

Une histoire de granules

Deux ARNm ont été étudiés plus en détail, l’un spécifiant la protéine Rab13, une GTPase impliquée dans la formation des jonctions serrées, et l’autre la plakophiline-4 (pkp4), une protéine apparentée aux caténines. Grâce au système consistant à insérer dans le transcrit à étudier une séquence d’ARN reconnue par une protéine de capside du bactériophage MS2, cet ARN chimérique étant coexprimé avec la protéine MS2 fusionnée à la GFP (green fluorescent protein), il a été possible de visualiser ces ARNm dans la cellule [ 8]. Ces études ont confirmé que ces deux ARNm étaient bien enrichis dans les extensions fibroblastiques, leur partie 3’UTR s’avérant indispensable pour leur transport. De manière intéressante, ceux-ci étaient concentrés dans des granules situés à l’extrémité des protrusions. Plusieurs classes de granules cytoplasmiques à ARNm ont été décrites dans les cellules somatiques et germinales, ces macro-complexes ribonucléoprotéiques contenant toute une gamme de facteurs impliqués dans le métabolisme des ARN, leur composition précise variant d’un type de granule à l’autre [ 9, 10]. Quoique leurs fonctions ne soient pas encore complètement élucidées, ils constituent sans doute le lieu de stockage transitoire des ARNm, une sorte de gare de triage aiguillant les transcrits soit vers leur dégradation, soit vers leur traduction en fonction des conditions auxquelles la cellule est confrontée. Dans le cas des fibroblastes, la question n’ayant pas été directement posée dans l’article, il est possible que ces granules participent au transport des ARNm et/ou à leur rétention dans les lamellipodes. En revanche, les analyses en imagerie ont révélé que ces particules fibroblastiques étaient spécifiquement fixées aux « bouts plus » d’une sous-population de microtubules relativement stables ayant subi une détyrosination. C’est à ce stade que la protéine onco-suppressive APC entre en scène.

Le produit du gène suppresseur de tumeur APC entre en scène

Des mutations inactivatrices du gène suppresseur de tumeur APC (adenomatous polyposis coli) sont associées aux formes familiales de polypose adénomateuse et à la majorité des cancers colorectaux sporadiques [ 11]. La protéine APC est un acteur bien connu de la voie de signalisation Wnt qu’elle régule négativement en participant au complexe chargé de détruire la β-caténine (Figure 1) [ 12]. Mais APC contrôle aussi la motilité cellulaire en stabilisant les microtubules via sa fixation à leur extrémité corticale (Figure 1A). APC se liant de manière privilégiée à une sous-population de microtubules, dont ceux qui sont détyrosinés, il était logique d’examiner si cette protéine participait au recrutement des ARNm dans les pseudopodes fibroblastiques. Et, en effet, l’équipe américaine a trouvé qu’APC s’associe aux ARNm de Rab13 et Pkp4 ainsi qu’à plusieurs protéines connues pour participer au métabolisme des ARNm (Figure 1B). De plus, le blocage de l’expression d’APC par interférence ARN entraînait une nette délocalisation des ARNm Rab13 et Pkp4 recrutés au niveau du front de migration, sans pour autant interférer avec la formation des prolongements cellulaires. Ces résultats indiquent donc qu’APC serait une ancre moléculaire capable d’amarrer les ARNm au cortex des pseudopodes de la cellule en cours de migration, soit individuellement, soit lorsque ceux-ci sont agrégés dans des ribonucléoparticules.

ARN, APC, à suivre…

Si la valeur d’une contribution se mesure non seulement à l’originalité et à la robustesse des résultats obtenus mais aussi aux questions qu’elle laisse en suspens, ce travail est alors pleinement abouti. Il apparaît en effet urgent de mieux comprendre comment APC se fixe aux ARNm. Est-ce directement ou via des protéines de liaison à l’ARN ? APC cible-t-elle une classe particulière d’ARNm ou se lie-t-elle à l’ensemble des transcrits localisés au front de migration de la cellule ? Il serait d’ailleurs pertinent d’identifier les ARNm se fixant à APC dans des cellules épithéliales polarisées dans la mesure où les tumeurs associées à des mutations de ce gène sont essentiellement des carcinomes. Est-ce que la capacité d’APC à arrimer des ARNm est requise pour son activité de suppresseur de tumeur ? Finalement, cette situation est-elle propre à APC ou pourrait-elle s’appliquer à d’autres suppresseurs de tumeurs, voire proto-oncogènes, qui pourraient aussi recruter des ARNm et réguler leur expression ? Autant de futures expériences qui permettront de préciser sur quelles bases un ARNm choisit entre migration et sédentarité et comment APC intervient dans cette décision.

References
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