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Med Sci (Paris). 2009 January; 25(1): 83–86.
Published online 2009 January 15. doi: 10.1051/medsci/200925183.

Les violences aux personnes en France
Analyse de trois enquêtes récentes

Simone Gilgenkrantz*

Médecine/Sciences, 9, rue Basse, 54330 Clérey-sur-Brénon, France
Corresponding author.
 

Au moment où un grand quotidien français vient d’établir « Le palmarès de la violence ville par ville » [ 1], nous rapportons dans ce « Faits et Chiffres » les résultats de trois études récentes portant (1) sur les violences individuelles en France [ 2], (2) sur les violences faites aux femmes [ 3], et enfin (3) les témoignages sur les violences sexuelles, plus proches de la réalité depuis l’effritement du mur du silence qui les masquait [ 4].

Enquêtes EVS : les violences sur les personnes

Dans une grande enquête statistique réalisée par la DREES1,(en partenariat avec l’INSEE), intitulée « Événement de Vie et Santé (EVS) », 10 000 personnes, hommes et femmes, âgées de 18 à 75 ans ont été interrogées entre novembre 2005 et février 2006 [2]. L’objectif était de connaître les phénomènes de violence et leur implication en matière de santé. Il dépasse les enquêtes de « victimisation » se basant surtout sur les crimes et délits définis dans les statistiques policières [ 5]. Un questionnaire - comportant des données biographiques, des interrogations sur le comportement sexuel, la consommation d’alcool et de drogues - est rempli avec l’aide d’un enquêteur afin de construire des indicateurs de santé

Les violences ont été classées en cinq types (subdivisés ensuite en catégories) :

  • Atteintes aux biens.
  • Violences verbales.
  • Violences physiques.
  • Violences sexuelles.
  • Violences morales et psychologiques.

Chaque question vise des situations concrètes pour réduire le plus possible des connotations affectives qui sont très variables selon les personnes et les groupes sociaux auxquels elles appartiennent. Pour faciliter les réponses dans la confidentialité, les questions concernant les domaines tels que le sexe, l’alcool et la drogue ne sont posées que par courrier électronique. Pour toutes les autres, un enquêteur est présent. Des demandes complémentaires concernant les années précédentes, la réitération et la fréquence des actes viennent compléter les données.

Les atteintes aux biens, en particulier les cambriolages (parfois en l’absence des personnes), et les appels téléphoniques malveillants sont plus liés à la « géographie sociale ». Mais bien qu’associés plutôt aux lieux, ils ont été pris en compte dans cette étude car les violences interpersonnelles dépendent aussi fortement de la zone d’habitation et de la situation socio-professionnelle. Afin de pouvoir évaluer l’ensemble des résultats, une situation de référence a été choisie : homme de 30 à 54 ans résidant en ville mais pas en zone sensible, sans lien direct avec la migration (ni immigré, ni enfant d’immigrés), vivant en couple avec enfant(s), actif et diplômé (CAP, BEP ou équivalent). Les résultats, exprimés dans un tableau détaillé peuvent être consultés dans l’enquête EVS [2].

Analyse des premiers résultats : des groupes plus exposés

Cette étude est intéressante à plus d’un titre : d’une part, elle s’est adressée aux hommes et aux femmes et permet ainsi des comparaisons entre les sexes, ce qui avait été moins pratiqué précédemment. Elle met en évidence des violences de contrainte (contrôle, surveillance, mise à l’écart) généralement peu explorées. D’autre part, elle fait apparaître les différences entre les tranches d’âge et souligne le fossé existant entre les personnes peu exposées et celles qui cumulent à répétition plusieurs types de violence.

Certaines données méritent d’être soulignées :

  • Les habitants des villes sont plus exposés que les personnes habitant en zone rurale, pour les vols, tentatives de vols, violences verbales. Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, vivre en zone urbaine sensible (où les habitants sont plus jeunes) n’expose pas à plus de violences physiques, verbales ou sexuelles. Toutefois l’on observe une surexposition aux contraintes morales et psychologiques.
  • Toutes choses égales par ailleurs, ce sont les jeunes qui sont plus fréquemment soumis non seulement aux violences physiques, mais aussi verbales et sexuelles : la probabilité de déclarer des violences physiques dans la tranche d’âge 18-29 ans est multipliée par 3,3 par rapport à la tranche d’âge 30-54 ans.
  • La situation socio-professionnelle et familiale influe nettement sur l’exposition aux violences. Ainsi, les familles monoparentales sont plus souvent touchées par les violences verbales, physiques et psychologiques, de même que les chômeurs et les inactifs. Toutes choses égales par ailleurs, les immigrés ont une probabilité plus forte de subir des vols, tentatives de vols, ainsi que des contraintes morales. Ils sont moins exposés aux violences verbales, contrairement à leurs enfants. Les enfants d’immigrés déclarent en effet plus fréquemment que les autres violences verbales, dénigrements et contraintes sur leur comportement.
  • Enfin, alors qu’une personne sur deux déclare n’avoir subi aucune violence au cours des deux dernières années, 18 % des personnes cumulent des violences de divers types : coups, tentatives de coups, mais aussi violences sexuelles et violences morales ou psychologiques.

Retentissement des dommages subis : surtout chez les femmes

C’est dans ce domaine où la différence entre hommes et femmes est la plus sensible. Si la quasi-totalité des victimes de vols ou de dégradations de biens déclarent des dommages, ce n’est le cas que pour 50 % seulement des personnes ayant subi des violences interpersonnelles. Pour les violences physiques, l’écart est frappant entre hommes et femmes : 47 % des femmes considèrent avoir subi un dommage important, avec retentissement sur leur santé, contre 10 % seulement des hommes (Tableau I). Une fois sur deux, dans ces violences interpersonnelles, l’auteur et la victime se connaissent : conjoint, membre de la famille, ou « proche ». De fait, les auteurs de ces violences sont majoritairement des hommes, ayant agi seuls : 77 % pour les violences physiques et 94 % pour les violences sexuelles.

Des « violences faites aux femmes » à l’enquête Enveff

La prise en compte des violences envers les femmes en tant que problème de société est en France relativement récente. C’est en 1980 que la législation française a promulgué une loi pour la répression du viol et en 1992 que le « harcèlement sexuel » au travail a été reconnu. À la 4e conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes à Pékin (1995), la mission française avait retenu le thème des violences et souligné la nécessité de « statistiques précises concernant les violences faites aux femmes ». En 1997, au moment où le Conseil de l’Europe débutait une campagne pour la « tolérance zéro » des violences envers les femmes, un projet d’études fut conçu au service du Droit des Femmes. Coordonné par l’Institut de démographie de l’université Paris 1, il se concrétisera par l’enquête Enveff2, dont les premiers résultats ont été publiés en janvier 2001 [ 6]. Remarquable dans sa méthodologie, la formulation du questionnaire et le travail des chercheuses Enveff, il servira de modèle aux enquêtes ultérieures. Mais actuellement celles-ci sont désormais confiées à divers organismes d’état, ce qui semble moins propice à la prise en compte globale du problème. Nous rapportons les résultats de deux études récentes.

Violence, délinquance et sécurité

L’enquête « Cadre de vie et sécurité » a été menée début 2007 par l’Insee en partenariat avec l’observatoire national de la délinquance3,. Elle a porté sur les deux années précédentes et s’est adressée aux hommes aussi bien qu’aux femmes de 18 à 59 ans [4]. Elle a relevé les violences au sein du ménage et en dehors du ménage, selon le sexe (Tableau II). Concernant les violences conjugales (violences physiques ou viols), elles auraient été subies par 1,7 % des hommes et 3,3 % des femmes. Les violences en dehors du ménage concernent beaucoup plus fréquemment les femmes jeunes (18 à 29 ans).

Pour les agressions sexuelles commises en dehors du ménage, dans 70 % des cas, les victimes connaissent leur auteur. En cas de viol, il est le fait d’un seul agresseur et une fois sur quatre, celui-ci est ivre ou drogué. Quant au lieu, 12 % seulement surviennent dans la rue, 4,7 % au travail. Les femmes jeunes sont plus exposées, et parmi elles, les étrangères (hors communauté européenne) en sont plus fréquemment victimes (8 % contre 1,3 % pour les françaises). En revanche, elles ne subissent pas plus souvent de violences sexuelles intra-conjugales.

Le questionnaire comporte aussi une enquête d’opinion sur la présence et l’efficacité de la police : 59 % des femmes ayant subi des agressions sexuelles en dehors de chez elles la jugent suffisante. Paradoxalement, les femmes n’ayant pas été victimes d’agressions sexuelles sont plus nombreuses à penser que l’action de la police n’est pas efficace. Les auteurs en concluent qu’elles ont échappé à des agressions car elles sont plus prudentes dans leur mode de vie et qu’elles évitent certains lieux publics4.

Cependant ils reconnaissent aussi que, d’une façon générale, ce n’est pas à la police que s’adressent les femmes ayant été agressées mais à un proche (47 %) ou à un professionnel (19 %)5.

L’enquête CSF : la parole se libère

Dans le cadre de cette enquête sur la sexualité en France6,, une récente étude sur un effectif de femmes et d’hommes de 25 à 69 ans (respectivement 5 762 et 4 641) vient d’être publiée sur les violences sexuelles en reprenant la méthodologie suivie durant l’Enveff [4]. La comparaison des résultats est donc d’autant plus intéressante que la même méthodologie, les mêmes formulations ont été utilisées.

Il est frappant de constater que les déclarations d’agressions sexuelles ont doublé, alors que le nombre de plainte enregistrées par les services de police est resté stable (4 % à la police ou à la gendarmerie). Mais il apparaît clairement que cette augmentation est surtout due à une libération de la parole et à une disparition progressive des sentiments de honte, de culpabilité qui faisaient minimiser ou occulter dans le passé les « atteintes sexuelles » (Figure 1).

 

Toutefois, les rapports forcés ou tentatives de rapport forcés n’ont pas diminué ; ils se produisent majoritairement avant 18 ans (pour 56 % des femmes qui ont vécu ces agressions) et touchent toutes les catégories sociales (10 % chez les filles de cadres). Il s’agit généralement d’un seul agresseur. Mais si dans les générations de plus de 50 ans, les violences ont été répétées (50 % des cas), elles ne se sont produites qu’une fois dans les générations plus jeunes.

À la question « en avez vous parlé à quelqu’un ? », 33 % seulement des femmes de 60 à 69 ans disent s’être confiées à un proche, ce qui démontre le silence qui a pesé sur les faits anciens. En revanche, chez les femmes de 18 à 24 ans, 71 % en ont parlé : la libération de la parole en quelques décennies, est due en grande partie aux campagnes d’information, à la diffusion des résultats d’enquêtes comme l’Enveff. Non seulement elles ont réussi à faire condamner par la société les euphémiques « atteintes sexuelles » mais elles ont apporté aussi pour en parler « les mots pour le dire ».

Conclusions

Dans la société française en rapide évolution, il faut souhaiter que cette « vigilance » des femmes vis-à-vis des agressions sexuelles ne s’infléchisse pas. Leur dénonciation précoce devrait en limiter le nombre et éviter qu’elles ne se répètent. Mais le faible recours à la justice conduit à s’interroger sur les aides à apporter. Comme le soulignent les auteurs de l’enquête CSF [4], il est nécessaire de mettre en place des dispositifs d’écoute, et d’investir dans des mesures concrètes pour une prise en charge matérielle et sociale efficace. Depuis octobre 2008, le secrétariat d’état chargé de la solidarité vient de mettre à la disposition du public un site : stop-violences-femmes.gouv et un numéro d’appel téléphonique (3919) destiné aux victimes ou aux témoins de violences conjugales.

D’une façon plus générale, le constat des violences sur les personnes révèle les catégories les plus exposées. Il fait aussi apparaître le mal-être que ces violences peuvent engendrer et leurs conséquences à long terme sur la santé. Mais ces études mettent surtout en lumière les nombreux problèmes socio-culturels qui les suscitent et laissent entrevoir, dans le contexte économique et social actuel, les difficultés d’y remédier. Comme l’écrivait Nelson Mandela dans son avant-propos pour le rapport de l’OMS sur Violence et Santé [ 8], « la sécurité des personne ne va pas de soi, elle est le résultat d’une prise de conscience et d’un effort collectif ».

 
Footnotes
1 Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques.
2 Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France dirigée par Maryse Jaspard.
3 Cet observatoire dépend de l’INHES (Institut national des hautes études de sécurité) dont le statut a été défini en 2004. Il s’agit donc d’un organisme gouvernemental, dont l’indépendance est garantie par un conseil d’orientation.
4 Conclusion quelque peu étonnante : elle revient à accepter des zones de non-droit pour les femmes et à culpabiliser celles qui y auraient été agressées.
5 Plusieurs enquêtes faites dans les hôpitaux, les maternités, et l’institut médico-légal de Paris ont été à l’origine d’un rapport publié en 2001 sur le rôle des professionnels de santé [7].
6 CSF : Contexte de la Sexualité en France - 2006.
References
1.
Palmarès de la violence ville par ville. Le Figaro 24 juin 2008.
2.
Cavalin C. Les violences subies par les personnes âgées de 18 à 75 ans. DREES 2007; n° 598.
3.
Tournyol du Clos L, Le Jeannic T. Les violences faites aux femmes. Insee-Première 2008; n° 1180.
4.
Bajos N, Bozon M et l’équipe CSF. Les violences sexuelles en France : quand la parole se libère. Population et Sociétés 2008; n° 445.
5.
Risk C, Boé J. Les résultats de l’enquête de victimisation 2006. Grand angle Bull Stat Observatoire National de la Délinquance 2006; n° 10.
6.
Jaspard M et l’équipe Enveff. Nommer et compter les violences envers les femmes : une première enquête nationale en France. Populations et Sociétés 2001; n° 364.
7.
Henrion R. Les femmes victimes de violences conjugales. Le rôle des professionnels. Paris : La Documentation Française, 2001.
8.
World Health Organisation. World report on violence and health. Monographie. Genève, Suisse : WHO, 2002 : 368 p.